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Saint Hubert

Évêque

Ce Saint, fort populaire en Lorraine, n'a, à vrai dire, aucune attache avec notre diocèse, ni par sa vie, ni par son apostolat. Il offre, à cet égard, beaucoup d'analogies avec Saint Goëry, son aîné : l'un et l'autre, comtes présumés d'Aquitaine, venus se fixer en Austrasie et y finissant comme évêques. Et c'est uniquement à leurs reliques qu'ils doivent ce culte séculaire qui en a fait vraiment des « Saints de chez nous ».

Dans la vie de Saint Hubert, il y a lieu de distinguer deux époques, de part et d'autre de sa conversion. Jusqu'à celle-ci comprise, c'est le domaine de la pure légende, évidemment la plus goûtée du Moyen Age, comme des artistes et des chasseurs, au point que ce serait défigurer Saint Hubert de ne pas nous y arrêter un instant.
La légende fait donc naître Saint Hubert des comtes d'Aquitaine, tout naturellement. Car si, de nos jours, nous avons une instinctive sympathie pour les héros et les saints, sortis du peuple et ne devant qu'à eux seuls toute leur gloire, le Moyen Age, lui, n'admettait pas volontiers qu'un personnage illustre fût issu de parents obscurs.

Les hasards de l'ère mérovingienne si tourmentée amènent le jeune comte à la cour d'Austrasie, où il exerce les fonctions de connétable. Homme du monde et brillant cavalier, il a, comme tous ses contemporains, la passion de la chasse. Or un jour — on nous précise que c'est à la Noël 683 — il fait bon marché de l'église et de ses offices pour s'en aller avec sa meute dans la forêt d'Ardennes.

Au cours d'un hallali passionnant, voilà que ses chiens cernent un magnifique cerf que l'on poursuivit depuis le matin. Soudain, le dix-cors s'arrête net, se retourne et fait front. Entre les deux cornes, apparaît le Christ en croix brochant sur une nuée étincelante. Bouleversé, le chasseur saute à terre et s'agenouille, tandis qu'une voix se fait entendre : « Hubert, Hubert, jusqu'à quand poursuivras-tu les bêtes des forêts ? Jusqu'à quand la passion de la chasse te fera-t-elle oublier ton salut ? ». — Et la voix : « Va à Maestricht vers mon serviteur Lambert : il te dira ce que tu dois faire ».

Somme toute, on n'a fait ici que transposer la légende antique, rappelant l'apparition du cerf miraculeux à un officier païen du IIe siècle, devenu Saint Eustache. Il faut reconnaître qu'à défaut d'imagination, l'auteur, naïf et astucieux, possédait bien son Nouveau Testament, car la mise en scène et les paroles sont exactement celles de la conversion de Saint Paul sur le chemin de Damas.
Nous pouvons quitter là-dessus notre conteur et prendre à présent relais de l'histoire. La première Vie de Saint Hubert, admise sans difficulté par la critique, nous le montre comme originaire de la contrée et vivant dans l'entourage de Saint Lambert, évêque de Mæstricht, aujourd'hui à la pointe Sud des Pays-Bas. A l'école de ce grand prélat, Hubert se distingue par son intelligence, son esprit d'initiative et sa piété.

Victime d'un sicaire de Pépin d'Héristal auquel l'évêque, tel Saint Jean-Baptiste à Hérode, reprochait son inconduite, Saint Lambert est assassiné le 17 septembre 708. Les suffrages du clergé et du peuple se portent aussitôt sur le jeune homme. Sacré évêque de Mæstricht, il reprend d'une main ferme la houlette de son maître.

Le vaste diocèse s'étend aux confins de la Germanie, dont les peuplades sont difficiles à gagner : défiantes d'instinct contre tout ce qui est romain, elles ont, de plus, peine à comprendre, dans leur culte de la force, l'idéal évangélique, tout de charité, de mansuétude et de paix.
Pour les attirer davantage et pour mieux administrer son diocèse, Saint Hubert prend le parti de transférer le siège de son évêché de Mæstricht à Liège, où Saint Lambert venait de verser son sang. Liège, dont Saint Hubert se trouve être le fondateur et le premier évêque, n'est alors qu'une simple bourgade ; mais elle se situe au coeur de la grande vallée de la Meuse, artère vitale du diocèse, assurant l'unité des plaines du Brabant et du massif forestier de l'Ardennes.

Saint Hubert s'attache particulièrement à cette portion la plus déshéritée de son diocèse, aux grandes abbayes fondées au siècle précédent, comme foyer d'évangélisation à Stavelot, à Malmédy par Saint Sigisbert, et à celle d'Andage toute récente et dont nous parlerons plus loin.
Un des actes les plus marquants de son épiscopat sera le transfert du corps de Saint Lambert, de Mæstricht à Liège, ceci par souci de pastorale autant que par piété filiale, en raison de l'attraction des miracles au tombeau du Saint et du courant de piété que cela entraînait auprès de ces âmes simples. La translation se fit de façon fastueuse à dessein, avec la participation des évêques de Cologne, Reims, Amiens, Arras, Tournai et Utrecht. L'événement, et plus encore la personnalité et la sainteté du jeune évêque, ne tardèrent pas à faire de Liège une opulente cité, un foyer rayonnant de christianisme, « Sancta Legia, Romanæ Ecclesiæ filia — Liège, la Sainte, fille de l'Église romaine », comme dit la fière devise de son sceau.

A l'évêque, si totalement dévoué aux humbles, la postérité donnera le titre non moins glorieux de Refuge des veuves et de Père des orphelins. Il n'hésite pas à recommander à ses ouailles, encore bien terre à terre, une forme de piété, certes intéressée, mais qui peut être source de grâces. Il se fait l'apôtre des processions à travers la campagne pour la protection des récoltes. Prélude des Rogations qui se pratiquaient déjà dans la vallée du Rhône et qui ne seront introduites à Rome qu'à la fin du siècle, sous le pontificat de Saint Léon III.

C'est à l'occasion d'une consécration d'église en Brabant que Saint Hubert, déjà très affaibli, contracta la fièvre qui devait l'emporter, le 30 mai 727, à l'âge de 70 ans.
On ramena son corps à Liège pour l'inhumer au pied de la châsse de Saint-Lambert. Il ne devait pas y séjourner longtemps, car, sous la pression, peut-on dire, des miracles qui se multipliaient aussitôt sur la nouvelle tombe, on dut relever les restes de Saint Hubert pour les placer dans un reliquaire. Cette cérémonie — l'équivalent alors d'une canonisation — eut lieu en présence de Carloman, duc d'Austrasie, le fils de Charles-Martel, le 3 novembre 743.

Une autre translation, définitive cette fois, devait se faire en 825 à l'Abbaye d'Andage, sous la présidence de Walcand, 6e évêque de Liège, et de l'Empereur Louis le Débonnaire. Et c'est à dater de ce jour que l'abbaye prit le nom, désormais célèbre, de Saint-Hubert-d'Ardennes.
On saisit ici le point de départ de l'extrême popularité du Saint, à la fois comme céleste guérisseur de la rage et comme patron des chasseurs. Sans doute, est-il redevable de ce dernier titre à la fameuse légende. Mais l'église ayant retenu, pour l'inscrire au calendrier des Saints, le 3 novembre, jour de l'élévation de ses reliques, tous les veneurs ont apprécié la coïncidence de cette date avec l'époque la plus favorable aux grandes chasses d'automne.

Il est plus malaisé d'expliquer pourquoi la sainte Étole de Saint Hubert, conservée à l'abbaye, fut employée, dès le IXe siècle, comme un remède infaillible contre la rage, moyennant l'observation du pratiques mi-rituelles, mi-chirurgicales assez curieuses, comme le Répit et la Taille. Toujours est-il qu'au dire des chroniques, on n'avait pas souvenance qu'un seul pèlerin de Saint Hubert atteint de la rage en ait jamais péri.

L'évocation de la vie et du culte de Saint Hubert nous a donc constamment retenus bien loin des Vosges. Ce sont encore des reliques qui vont, cette fois, nous ramener à Autrey.
Ce magnifique domaine monastique, le seul du Département qui ait encore gardé pratiquement intacts ses bâtiments et son église, vient justement de marquer un centenaire le 17 octobre dernier. On sait que l'abbaye Notre-Dame d'Autrey, fondée sur ses terres par un évêque de Metz, le Cardinal Etienne de Bar, vers le milieu du XIIe siècle, fut entièrement désaffectée à la Révolution. Après bien des vicissitudes, elle fut rachetée, en 1858, par Mgr Caverot, évêque de Saint-Dié, pour y établir un Petit Séminaire et pour être le mémorial diocésain de l'Immaculée Conception. Après deux années consacrées à la remise en état, la Maison ouvrait ses portes, le 17 octobre 1860, à 85 élèves.

L'abbaye d'Autrey, confiée dans sa fondation aux Chanoines Réguliers de Saint Augustin et dont l'église fut consacrée, à peine finie, par un Cardinal Légat du Pape, semble avoir eu une prédilection pour le saint évêque de Liège. Un acte de mars 1285 nous apprend en effet que Conrad Probus, évêque de Toul, y érigea trois autels à divers Saints, dont un à Saint Hubert.
L'église primitive ayant été ravagée lors des guerres du Téméraire, Claude Stévenay, abbé d'Autrey, en reconstruisit toute la partie Est. Il traita avec une particulière somptuosité la chapelle de Saint Hubert, élevée de 1537 à 1545 par deux maîtres d'oeuvre spinaliens. Parfaitement intacte, avec sa voûte à caissons, ornés de grosses fleurs, elle est le plus remarquable monument de la Renaissance que nous possédions dans les Vosges.

C'est là qu'affluèrent de plus belle les pèlerins et les malades. Voici, d'après les notes de Monsieur le Chanoine Bontems, Supérieur du Séminaire quelques détails de ce pèlerinage :
« De temps immémorial, l'abbaye possédait un reliquaire renfermant une phalange de Saint Hubert ; les Religieux l'emmenaient avec eux, pour quêter dans les évêchés voisins. D'où un conflit avec les Bénédictins de Saint-Hubert-d'Ardennes, qui prétendaient posséder le corps entier. Après bien des péripéties auxquelles Rome fut mêlée, il fut décidé, en 1513, que les Chanoines d'Autrey continueraient à quêter dans le Val de Galilée, dans les évêchés de Strasbourg, Bâle, Constance et Lausanne, mais non plus dans les Trois-Evêchés.
« Chaque jour, on voyait à Autrey des pèlerins ; mais à certaines dates, la foule était particulièrement dense. Le 3 novembre, le lundi de Pentecôte, le jour de l'Ascension, on débitait sur place jusqu'à 40 charrettes de pains et 100 mesures de vin, et l'église était trop petite.

Les gens y venaient pour être guéris, en action de grâces ou par mesure préventive ; on y amenait des malheureux " inquiets, troublés ou mal tymbrés de cervelle ". Un prêtre, spécialement chargé de la Chapelle Saint-Hubert, présidait aux prières, procédait aux exorcismes, recevait des offrandes en argent, en cire ou en nature, bénissait le pain, le sel, l'avoine pour les troupeaux, prescrivait les règles à observer pendant une quarantaine de jours, " les abstinences Monsieur Saint Hubert ", et portait les noms des confrères sur le registre.

« Celui-ci, tenu à jour, nous renseigne sur le nombre, l'origine, la qualité des pèlerins. De 1727 à 1747, 1.700 personnes furent inscrites ; ils viennent des environs, de la Haute-Moselle, du Val de Galilée et de la région de Sarrebourg.
« Restée dans la Chapelle Saint-Hubert à la Révolution, la relique fut enlevée par le curé constitutionnel de Rambervillers, ancien novice d'Autrey, le 14 octobre 1792, et transportée en grande pompe à l'église paroissiale. »

Le reliquaire, en forme de bras, en bois doré, y demeura jusqu'en 1950, où il fut restitué solennellement au Séminaire, le 3 novembre, pour la fête de Saint Hubert. Ainsi, la Révolution mit pratiquement fin au pèlerinage séculaire.
Précisons d'ailleurs que, dans l'intervalle, Pasteur, avec sa géniale découverte, était venu relever le bon évêque de Liège, en service depuis près de mille ans auprès des « enragés ». En souvenir de quoi, il n'est pas rare de nos jours, qu'en sortant à l'Institut Pasteur, les malades guéris viennent encore brûler un cierge à Saint-Hubert-d'Ardennes.

Chez nous, on l'invoque et le fête aujourd'hui d'autre sorte. A l'initiative de Monsieur le Supérieur, Autrey est devenu, à chaque automne, le rendez-vous des chasseurs. La messe de Saint-Hubert est toujours rehaussée par un groupe de trompes de chasse en grande tenue et l'acoustique de l'église de se prêter à merveille aux puissantes harmonies des cors, soutenus par le bel orgue dont la générosité des fervents d'Autrey a doté récemment l'antique église.
De la sorte, la devise gravée à l'entrée, reprend tout son sens, même sur le marbre mutilé par la bataille de 1944 : « Entre maintenant, ô voyageur, et adore le Seigneur par qui revit tout ce qui était mort ». D'autant que l'Abbaye, huit fois séculaire, assure aujourd'hui la relève sacerdotale du Diocèse, sous la protection de Notre-Dame et de Saint-Hubert.

Le culte si longtemps populaire du Saint Évêque de Liège a laissé un peu partout au travers du Diocèse nombre de souvenirs.
Hormis l'abbatiale d'Autrey, aucune de nos églises n'est dédiée à Saint Hubert, alors qu'il y en a 6 au diocèse de Nancy et 21 à celui de Metz. Notons en passant que la densité est fonction de la distance par rapport aux Ardennes. La remarque vaut aussi pour Saint Lambert, dont le culte en Lorraine va de pair avec celui de son disciple.

Nous avons retrouvé la trace ou l'existence de Chapelles-Saint-Hubert à Blémerey, Châtenois (signalée en 1710), Clefcy (1711), au Chastel dominant la vallée de Straiture, Dommartin-sur-Vraine, chapelle et confrérie, fondée en 1478 ; Épinal, Saint-Maurice, chapelle et confrérie, fondée en 1478, par l'Abbesse Adeline de Menoux. Une messe des chasseurs était dite le 3 novembre à la chapelle Saint-Auger ; Girecourt-sur-Durbion et Ville-sur-Illon.
Une mention spéciale pour la Chapelle de l'église de Charmes. Élégante construction de 1537, où les traditions gothiques de l'architecture se mêlent aux nouveautés décoratives de la Renaissance. En bas-relief, la légende du cerf.

Quant à Urville, la Chapelle était le siège d'une confrérie érigée en 1679, à la demande instante des habitants, par Mgr de Fieux, évêque de Toul : « L'expérience des années passées justifiant que l'institution de la confrérie du glorieux et admirable Saint Hubert est un favorable moyen pour obtenir de la majesté divine un préservatif singulier contre les accidents de l'effroyable rage, les soussignés supplient Monseigneur de leur permettre d'ériger une confrairie en l'honneur de ce grand Saint. ».
Le séminaire d'Autrey présente une statue de Saint- Hubert (bois du XVIIe siècle), et une autre en pierre offerte pour l'autel de la Chapelle par Monseigneur de Briey, en 1886.

Sur l'autel de Saint Desle, à Gerbamont, se voit une ravissante statuette en bois doré du XVIIIe siècle, voisinant avec celle, identique, de Saint Marcoul, le céleste collègue, spécialiste des écrouelles.
Celle d'Offroicourt, en pierre, offre cette particularité d'un Saint Hubert en évêque avec l'étole miraculeuse et le cerf à ses pieds.

A Saint-Prancher, statue équestre du Saint, classée Monument Historique. A Longchamp-sous-Châtenois, et à Vouxey, bas-relief de la légende, encastré dans le mur d'une maison et provenant sans doute d'une chapelle disparue.
Saint Hubert figurait également à Domèvre-sur-Durbion sur la croix de chemin, fort mutilée à la dernière guerre, en compagnie de trois autres Saints cavaliers : Saint Georges, Saint Martin et Saint Maurice.

Citons, pour finir, l'intéressante image de Pellerin, haute en couleurs, avec, en marge, un cantique spirituel et une oraison pour demander spécialement la protection contre la rage. La vente de cette image d’Épinal était très populaire, au point que les colporteurs, dans les villages, s'appelaient « les montreurs de Saint Hubert ».

Publié le 08/02/2012 par Alice.