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Saint Epvre



Evêque

Dans la liste traditionnelle des Evêques de Toul, Saint Epvre occupe le sixième rang après Saint Mansuy, et son épiscopat se situe entre 500 et 507. On devine toute de suite la rançon d'une pareille ancienneté. Son histoire ne nous est connue que par un ouvrage de la fin du Xe siècle : « Une vie de Saint Epvre », rédigée du reste à la manière d'une homélie aux phrases cadencées, et destinée à être chantée comme une prose liturgique ou une préface. Les réminiscences bibliques, les lieux communs édifiants laissent vraiment peu de chose aux historiens d'aujourd'hui. Ceux-ci admettent pourtant les éléments essentiels de la biographie. C'est ce que nous retiendrons, sauf à nous rattraper par l'histoire du culte très fidèle que l'Église de Toul n'a cessé de vouer à l'un des plus populaires de ses Évêques.

A propos de son nom, une remarque préalable. Il vient du latin « aper », qui signifie sanglier. Beaucoup de Saints de l'époque portent en effet de ces noms qui n'ont rien de la douceur évangélique, par exemple Saint Ours, le prédécesseur immédiat de Saint Epvre, Saint Loup, évêque de Troyes. Notons également deux orthographes : Epvre ou Evre, employés indifféremment dans les textes.

Saint Epvre était originaire de Champagne ; son village natal, Trancault, se situe à 40 km à l'ouest de Troyes, à la limite du département de l'Yonne. Une chapelle, mentionnée encore sur la carte Michelin, accrédite ce premier point d'histoire.

De son enfance édifiante, au sein d'une famille chrétienne, nous pouvons retenir ce souci qu'il eut de racheter son nom par une exquise bonté de cœur , par une constante charité à l'égard des malheureux. C'est ainsi qu'on le voit un jour rentrer de l'école à demi-nu, pour s'être dévêtu en faveur d'un mendiant, mais ajoute le chroniqueur « l'âme richement parée du manteau de la justice et de la miséricorde ».

A la mort de Saint Ours, voilà que le clergé et les fidèles de Toul réclament pour successeur ce jeune champenois. Élection surprenante, qui se peut expliquer par le fait qu'à l'inverse, l'évêque de Troyes était alors Saint Loup, originaire de Toul, et que Epvre était l'un de ses prêtres particulièrement méritants.

Ayant distribué, jeune encore, tout son patrimoine aux pauvres, il entendit demeurer humble et pauvre sur son siège épiscopal, trait de sainteté qui contrastait avec le luxe outrancier des grands de ce temps-là et qui lui gagna la vénération de ses nouveaux diocésains.

Sa compassion innée put s'exercer à loisir pour réparer les ruines et les misères qu'avait accumulées en Lorraine le passage des Huns, un demi - siècle auparavant.

Mais il est un point sur lequel, par contre, il justifia son nom, c'est la campagne qu'il entreprit pour extirper les vestiges d'un paganisme toujours vivace. La fameuse cité de Grand n'était pas si loin de Toul et gardait sa notoriété comme centre de pèlerinage païen. Les découvertes, actuellement en cours, du vaste temple d'Apollon à Grand l'attestent de façon impressionnante. La prédication de Saint Elophe et de maints apôtres du IVe siècle, le martyre de Sainte Libaire, avaient sans doute apporté et affermi la foi dans nos contrées. Mais, chez ces populations rurales et traditionnelles, le christianisme naissant s'infectait sournoisement de pratiques superstitieuses : guérisons par le secret ou par incantation, roues de feu, sorcelleries magiques, bures de la Saint Jean, brandons de Noël, etc… Contre quoi Saint Epvre réagit avec une vigueur, dont on retrouve l'écho dans le récit de son chroniqueur, cinq cents ans plus tard.

Le monument le plus durable de son court épiscopat fut la grande église qu'il entreprit à l'ouest des remparts de Toul et qu'il destinait à Saint Maurice. Mais la mort ne lui laissa pas le temps de l'achever, et c'est pour lui rendre hommage que les Toulois inhumèrent leur évêque dans l'église en construction, au lieu de déposer son corps avec ceux de ses prédécesseurs, auprès du tombeau de Saint Mansuy.

Le saint lieu devint aussitôt le théâtre de nombreux miracles, soigneusement consignés, en sorte que le nom du fondateur se substitua peu à peu à celui du martyr d'Agaune.

A ce premier témoignage de culte public, les siècles suivants ne devaient cesser d'en ajouter de nouveaux. Ses reliques, tout naturellement y contribuèrent par leur diffusion même. C'est là une des formes les plus caractéristiques de la piété du Moyen Age qui, en multipliant ainsi les centres d'accueil et de consultation, contraignait en quelque sorte les Saints à se prodiguer davantage en faveur de leurs frères humains, qui, privés des ressources de notre médecine et de la Sécurité sociale, savaient toujours, dans la détresse, à quel Saint se vouer.

L'invasion des Hongrois, au début du Xe siècle, vint pour un temps interrompre les activités du pèlerinage, mais les reliques furent précieusement mises à l'abri derrière les remparts de Toul. Le calme rétabli, il s'ensuivit une querelle digne du « Lutrin ». L'évêque Drogon estima que ces reliques seraient bien plus utilement vénérées dans sa cathédrale qu'à l'abbaye de Saint-Epvre, où le pèlerinage risquait de troubler la vie des moines. Mais deux d'entre eux, afin de soustraire la châsse à la puissance du prélat, qui en voulait priver leur communauté, dérobèrent une nuit le trésor pour le déposer dans une cachette où l'on ne le découvrit qu'au bout de 60 ans !

Tout rentra dans l'ordre avec la sagesse de Saint Gérard, qui remit les reliques à la garde traditionnelle de l'abbaye. Cette translation solennelle se fit le 17 mai 978. Chaque année depuis lors, et jusqu'à la Révolution, le chapitre cathédral se rendait en procession le 15 septembre, « dies natalis », pour célébrer l'office de Saint Epvre en son église avec les fidèles du faubourg né aux environs et qui en garde encore le nom, à défaut de l'abbaye disparue.

Entre-temps, à l'occasion de reconnaissances canoniques, de nombreux prélèvements de reliques furent opérés au profit des églises du diocèse. Une parcelle fut cédée à la chapelle de Trancault, qui, ruinée par les Huguenots, fut relevée dans son état actuel par le seigneur du lieu, vers 1620.

A la restauration du culte en 1802, Mgr de La Fare, évêque du nouveau diocèse de Nancy, obtint le transfert du chef de Saint Epvre en la capitale lorraine. Il le confia, comme de juste, à la paroisse Saint-Epvre, dont l'église située à proximité du Palais Ducal, datait du XVe siècle. Sous le Second Empire, Nancy s'étant considérablement agrandi, la petite église, jugée trop petite, disparut, hélas ! pour faire place à la basilique actuelle bâtie de 1865 à 1871. Son architecture néo-gothique alors en vogue semble, de nos jours, un peu sèche ; elle n'en constitue pas moins un important édifice à la gloire du vieil évêque de Toul. Les vitraux racontant sa vie, détruits en 1914-1918 par les bombes d'un zeppelin, avaient été offerts par Napoléon III et par François-Joseph de Lorraine-Habsbourg, empereur d'Autriche, en souvenir de ses ancêtres nancéens.

Outre cette église, le diocèse de Nancy en compte une quarantaine d'autres, dédiées à Saint Epvre. Chez nous, elles sont vingt-deux à l'avoir comme titulaire. En voici la liste par ordre alphabétique, pratiquement toutes situées dans la Plaine : Barville, Bonvillet, Bréchainville, Chavelot, Contrexéville, Darney-aux-Chênes, Domèvre-sous-Montfort, Domèvre-sur-Avière, Haillainville, Harol, Jorxey, Juvaincourt, Lemmecourt, Mattaincourt, Nompatelize, Norroy-sur-Vair, Rollainville, Romain-aux-Bois, Tranqueville, Uriménil, Viviers-lès-Offroicourt, Vomécourt-lès-Rambervillers. Ajoutons qu'avant la Révolution, existait à Moyenmoutier une église Saint Epvre ; sur une estampe de 1720, elle figure hors de l'enceinte monastique, à titre d'église paroissiale.

On aura noté au passage que deux des localités citées lui doivent leur nom même, comme en Meurthe-et-Moselle. Domèvre-en-Haye et Domèvre-sur-Vezouse, et sans compter chez nous Domèvre-sous-Harol, disparu à la guerre de Trente Ans. Quand à Domèvre-sur-Durbion, dont le patron est aujourd'hui Saint Maurice, il semble que Saint Epvre ne lui en tient pas rancune, puisque Saint Maurice se trouve ainsi dédommagé du vocable perdu à Toul.

A Mattaincourt, par contre, la petite église du Bon Père était déjà dédiée à Saint Epvre, qui est toujours le patron de la paroisse, bien qu'on ait consacré à la gloire de Saint Pierre Fourier la basilique si chère aux Vosgiens. Le souvenir de ces deux Saints se retrouve, bien sûr, dans le blason basilical. C'est du reste en l'honneur du Saint Évêque et en s'inspirant de sa charité que le Bon Père fonda à Mattaincourt la « Bourse de Saint Epvre ». Initiative originale, une vraie trouvaille pour l'époque, par laquelle se faisaient des prêts sans intérêt, des secours même en cas de sinistre, à partir d'un capital alimenté par des dons, des legs, des amendes de police.

Il est enfin curieux de noter que le « Dictionnaire des Communes de France » ne mentionne pas d'autre Domèvre en dehors des cinq de l'Est. Preuve que le culte de Saint Epvre n'a pas passé les frontières de la Lorraine. En revanche, il y fut en grand renom, puisque de tous les Saints Évêques de Toul, il est de beaucoup celui qui possède le plus d'églises consacrées à son nom.

En fait d'iconographie, nombre de celles-ci conservent une statue de Saint Epvre, en bois doré du XVIIIe siècle. Nous n'en avons relevé que deux en pierre du XVIe siècle, à Contrexèville et à Viviers-lès-Offroicourt. Toutes les représentent en évêque, sans autre attribut particulier. Mais pour décorer, entre les deux guerres, le tympan moderne de ContréxilleContrexéville, le sculpteur spinalien Henri Guingot a retrouvé le thème du Moyen Age. C'est l'épisode légendaire de Chalon-sur-Saône, où Saint Epvre délivra miraculeusement trois prisonniers. En guise d'ex-voto, ceux-ci portèrent joyeusement leurs chaînes à Toul, où, jusqu'à la Révolution, on les montrait près de la châsse.

Publié le 27/12/2010 par Alice.