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Savoir déléguer : enjeu paroissial

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Cet article a été publié dans le magazine « Eglise dans les Vosges ». En vous abonnant , vous soutenez l’information et le dialogue. dans le diocèse.

Travailler davantage en équipe, savoir déléguer. Tels sont les mots d’ordre qui s’imposent aux laïcs, appelés à relayer des prêtres de moins en moins nombreux au sein des paroisses. Menacées de saturation devant les tâches de plus en plus diverses qui leur échoient, les équipes paroissiales peinent parfois à trouver des successeurs aux bénévoles qui s’en vont, chez les jeunes retraités par exemple. Pour Mgr Mathieu, il importe de respecter le vœu des laïcs qui souhaitent se libérer d’une partie de responsabilités devenues trop lourdes.
Les prêtres eux aussi sont amenés à transmettre aux laïcs, quelquefois à contrecœur, une partie de la mission pastorale à laquelle ils sont traditionnellement attachés. Avec la diminution du nombre de prêtres, de nouvelles formes de vivre la foi s’imposent aux chrétiens : les réunions de croyants dans l’écoute de la Parole, les échanges en petits groupes, la charité au quotidien, sont devenus aussi importants que la pratique des sacrements, selon divers témoignages, fort encourageants, recueillis auprès de divers représentants des communautés vosgiennes.




Mgr Mathieu : « Faire confiance aux laïcs »

Enjeux pour l’Eglise : approfondir la collaboration entre prêtres et laïcs, accompagner et aider ces derniers à prendre du recul par rapport à des responsabilités nouvelles.

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D’abord, un peu d’histoire. Dans l’Eglise, les laïcs jouent un rôle important depuis longtemps : « Dès l’après-guerre, j’ai été témoin du développement de l’action catholique dans le monde rural. Les mouvements de la JOC et de l’ACO ont formé des leaders du monde syndical et politique », observe Mgr Mathieu. Faut-il rappeler que sa propre terre natale de Hadol a été un terreau fertile pour des vocations d’élus et de dirigeants d’associations et de mouvements coopératifs ?
Avant même le concile, le mouvement catéchétique manifeste son dynamisme ; et tout un mouvement s’attache à vivifier la liturgie. Jusqu’alors, elle était vécue comme un mystère quelque peu hermétique par un certain nombre de croyants. Vatican II et mai 68 accélèrent les remises en question. Le concile préconise une plus grande communication et sympathie entre l’Eglise et le monde. Mai 68 consacre l’ère du soupçon : il contraint à une réflexion sur le fait d’être croyant et la mission du chrétien aujourd’hui.

L’importance donnée aux laïcs après guerre se double de la diminution du nombre de prêtres. Elle oblige les laïcs à prendre une part plus grande dans la vie de leur Eglise. Un tournant délicat. Jusqu’à présent, les laïcs devaient être les témoins de l’Evangile dans leur vie familiale, professionnelle, sociale et politique. Leur rôle se bornait à une sanctification du monde à travers leurs engagements : ils étaient déjà catéchistes, animateurs de comités paroissiaux (les « fabriques » devenues conseils économiques), acteurs de la préparation de jeunes couples au mariage.

« J’admire la disponibilité »

Aujourd’hui, avec l’évolution pastorale, les laïcs sont amenés à prendre des responsabilités avec courage et foi dans la vie paroissiale, souligne Mgr Mathieu : « Quand il arrive une catastrophe, quand un prêtre doit s’arrêter, se retirer, j’admire la disponibilité des laïcs amenés à jouer leur rôle. »
Des formations permettent de mieux comprendre la place de l’Eglise dans le monde. Il ne s’agit pas seulement d’assurer la responsabilité des bâtiments, des permanences de presbytère, de l’accueil des familles pour les baptêmes, mariages et enterrements. Les laïcs doivent assumer d’autres priorités : s’occuper des personnes âgées isolées, à domicile ou en maison de retraite et œuvrer avec les jeunes dans les initiatives de solidarité. Un exemple : l’action humanitaire et culturelle menée par le MRJC de Dompaire en liaison avec le CCFD, le CCAS et diverses associations. Dans la lutte contre la pauvreté, les communautés chrétiennes sont très présentes, aussi bien au Secours Catholique qu’au CCFD et aux Restos du Cœur de Raon-l’Etape et Epinal.

Tous en mission

La force des laïcs, c’est d’être capable de discerner les enjeux essentiels des missions de leur secteur : « A Darney et Monthureux, la vie culturelle et associative est remarquable. Les chrétiens y sont présents, note l’évêque. Ils ont envie de faire entendre leur voix, sans faire de prosélytisme, sur des lieux qui sont nos racines. Des sites chargés d’histoire comme la crypte de Bleurville, le prieuré de Monthureux et le couvent des Thons. Il y a un enjeu missionnaire dans la participation à la vie culturelle. »

De même, des groupes sont très actifs à Etival, Moyenmoutier et Senones pour l’animation du festival des trois abbayes. Même si le prêtre n’est pas sur place, il accompagne des communautés locales où les laïcs jouent leur rôle : « Elles sont capables de se donner une cohérence dans la foi, la prière, l’enracinement. Elles sont à même de se donner des enjeux locaux pour leur mission. A travers les visites pastorales que j’effectue, à Dompaire comme à Rambervillers, les laïcs sont très présents. »

Accroître la place des laïcs

La place des laïcs dans l’Eglise est importante, mais peut-être pas encore assez, note l’évêque de Saint-Dié. Une marge de progrès subsiste. Notamment sur la manière dont les prêtres travaillent avec les laïcs. Certes, « Ils n’ont pas été formés à ce que les laïcs participent à une charge pastorale très prégnante, qui leur tient à cœur, observe Mgr Mathieu.
Mais on a des efforts à faire pour une collaboration en profondeur, pour porter ensemble la charge d’une façon plus confiante. » Malgré l’appui des laïcs, « il est des endroits dans les Vosges où la couverture du terrain sera moindre qu’actuellement. A chaque communauté sa spécificité. On n’a pas les moyens de les renouveler de façon identique, comme un copier-coller », prévient Mgr Jean-Paul Mathieu.

Réciproquement, il convient de voir si la charge pastorale ne devient pas trop contraignante : « Qu’un délégué s’arrête au bout de trois à six ans pour faire autre chose, il faut le respecter. »
La charge est lourde, mais un poids partagé, c’est un poids un peu moins lourd, ajoute l’évêque : « L’avenir ne se fera pas sans les laïcs. Ni sans les prêtres autrement situés, dans une posture de formateurs, d’accompagnants, tout en perpétuant le lien fondateur et central de l’eucharistie. »




L’expérience revigorante de Plombières

Quatre ans après le départ du curé de la cité thermale, l’abbé Paul Thomas, installé à Remiremont, se félicite de la relève prise par les laïcs de Plombières, Bellefontaine et Ruaux.

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Comment mobiliser les laïcs, une fois le prêtre parti ? Tout était à faire : « On a proposé une élection pour faire un conseil paroissial représentant les secteurs ruraux des trois villages », rappelle Paul Thomas.
Vingt-cinq personnes se réunissent régulièrement : « Ca marche. Quand il a fallu restructurer, choisir un lieu d’implantation unique pour le secteur, on a d’abord débattu, discuté, pour éviter une remise en cause ulté
Au-delà de l’organisation des baptêmes, mariages et enterrements, la communauté chrétienne de Plombières entend promouvoir la rencontre vers les autres : « On a fait une petite fête de la paroisse en octobre en invitant des personnes qu’on a pu connaître, en s’ouvrant par exemple aux familles qui ont eu des baptêmes, mais aussi aux nouveaux habitants. »
Le projet diocésain lui aussi a été fédérateur et naturellement régénérateur, avec des propositions de temps fort et de formation diocésaine : « On a réuni des personnes qu’on ne voit pas habituellement, dans un bon esprit. Deux séminaristes de Metz venus ici ont manifesté leur étonnement : pas de prêtre ici, et pourtant une Eglise qui ne se lamente ni ne se plaint, qui a envie de se prendre en main. » Les questions délicates se tranchent en réunion et en présence du prêtre : « Nous avons privilégié le travail en équipe pour succéder à la personne, très âgée, qui s’occupait de la sacristie. Pour la liturgie, nous œuvrons aussi en commun. »

Une démarche facilitée par la dimension humaine de ce secteur de 3000 habitants, où chacun se connaît : « Le projet diocésain reste quelque chose d’important, les chrétiens ont le sentiment de n’être pas seuls, d’être reliés à une Eglise, à une communauté qui travaille ensemble. » Un dynamisme revigorant : Plombières tient bon la forme !




Une vitalité cachée

Selon l’abbé Jean-Marie Lallemand, l’avenir de l’Eglise se joue dans de petits groupes de chrétiens discrets, qui « rendent témoignage et s’affirment comme la lumière du monde. »

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Ils se retrouvent pour échanger sans crainte, sont ouverts aux non croyants. En donnant l’exemple du dialogue, de la charité concrète et de la solidarité au quotidien, ils rendent gloire à Dieu, à l’instar des premiers chrétiens. Curé de Neufchâteau, Jean-Marie Lallemand discerne le futur de l’Eglise dans ces « cellules de chrétiens convaincus » qui arrivent à se rencontrer sur les choses les plus essentielles. Pour lui, pas de doute, « l’avenir de l’Eglise, de l’Evangile, repose sur le laïcat. »

Le nombre de prêtres sur l’ensemble du diocèse, dans les dix ans maximum, sera d’une dizaine, prévoit-il : « Ce qui est difficile, c’est qu’on a tous dans la tête une Eglise avec des prêtres très nombreux ; depuis quelques années, on voit qu’on n’est plus si nombreux que ça ; la structure paroissiale, bien huilée, bien rôdée, ne va pas forcément tenir le coup. »
En d’autres termes, on reste trop focalisé sur un système où tout fonctionne, où il faut répondre à toutes les demandes, note le doyen : « On ne sait pas si ça va tenir. Il ne s’agit pas que tous les laïcs soient esquintés en rien de temps. Il faut aussi que les communautés comprennent que le prêtre doit s’occuper d’autres communautés ; samedi dernier, j’avais en même temps un mariage à Hennezel et une célébration de la parole de Dieu ici. »

Le rassemblement et la Parole

A cet égard, il y a une conversion à faire, estime Jean-Marie Lallemand : ce qui compte, c’est que les chrétiens se rassemblent à l’écoute de la parole de Dieu : elle est autant nourriture dans la vie d’un chrétien que le fait systématique de communier. On a trop chosifié la présence du Seigneur dans le pain consacré. Au sein d’une communauté qui se rassemble, cette présence est autant dans sa parole. Il y a une grosse éducation à faire auprès des chrétiens. La présence du Seigneur est aussi bien dans le frère qui se dérobe que dans le frère que je rejoins : « Ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait. »

Dans un monde en pleine évolution, sans frontières, individualiste et tenté par le « supermarché religieux » (« à la carte, je prendrai un peu de bouddhisme, un peu d’évangélisme, et je me ferai quand même enterrer à l’Eglise »), le renouvellement des laïcs n’est pas facile à vivre, observe Jean-Marie Lallemand : « Il y a une attente spirituelle dans tous les coins. L’Eglise qui va sortir de tout cela ne ressemblera pas à celle de mon enfance ni à celle du début de mon ministère. Actuellement, un groupe de chrétiens accompagne une jeune femme qui va faire sa première communion. Ça ne fait pas la une des journaux. »




La crainte d’une surcharge

Attention à la saturation : Bernadette Bonne, bénévole à Cheniménil, redoute qu’on « aille vers un creux » en ce qui concerne l’engagement des laïcs dans les communautés.

Bernadette Bonne, 63 ans, enseigne la catéchèse à Cheniménil depuis de nombreuses années. Son mari Michel œuvre comme trésorier au Secours Catholique à Epinal, où il assume largement un mi-temps à la comptabilité. L’évolution du service assuré par les laïcs n’incite pas vraiment Bernadette à l’optimisme : « De nombreuses personnes se dévouent dans l’ombre. Mais il y a tellement à faire que ça fait franchement peur.
On demande beaucoup aux mêmes ! Avant, aux laïcs, on ne demandait rien, maintenant, on leur demande tout. On a l’impression qu’en haut lieu, on n’a pas toujours pris la mesure de l’organisation qu’on doit prendre en charge. Dans notre secteur, il y a dix-sept villages. On a aussi une famille. »

Ce qui inquiète la bénévole, c’est l’élargissement du champ géographique désormais confié aux prêtres. L’abbé François Bresson, successeur de l’abbé André Romary, est chargé des deux paroisses de Notre-Dame-du-Pays-de-l’Avison, autour de Bruyères, et de Saint-Antoine-en-Vologne. Son périmètre va du village de la Baffe à Rehaupal : « C’est énorme ! J’ai peur que les tâches retombent sur les laïcs et les découragent.
André déléguait beaucoup, mais il était là. Il allait partout, par exemple à la choucroute de l’école. Il nous remettait dans le droit chemin quand on ne faisait pas attention aux parents des enfants de la catéchèse, il nous incitait à aller vers eux, alors que seuls deux ou trois couples suivent leurs enfants sur l’ensemble des parents. »

Pourquoi les parents inscrivent-ils leurs enfants au « caté » ? La responsable se pose la question, en voyant le peu de suivi ultérieur. La relève ? « On voit des jeunes émerger, mais de moins en moins nombreux. Il y a un potentiel, mais ça prend du temps pour le trouver. Cependant, quand on regarde, on s’aperçoit que pas mal de gens se sont mis en route, des jeunes retraités. »




Un bilan très positif

Déléguée pastorale à Chantraine, Marie Ferry souligne l’importance du travail effectué discrètement par les équipes de chrétiens bénévoles. Une leçon d’optimisme.

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Six ans de mission. Coordonner les équipes et les groupes d’animation. Marie Ferry passe le relais l’esprit tranquille. Il y a de la ressource. Quand elle a pris la succession de Günter Schumacher, devenu diacre, l’ancienne catéchiste pensait qu’elle serait écrasée par la tâche. Professeur d’arts appliqués dans un lycée d’Epinal, épouse d’artisan, mère de quatre enfants, elle se demandait comment elle pourrait trouver la disponibilité nécessaire.
Elle y est parvenue en travaillant beaucoup en équipe, en déléguant des responsabilités, en misant sur l’entraide dans un secteur qu’elle reconnaît privilégié : proximité d’un prêtre, l’abbé Cuny, de diacres, secteur géographique dynamique. Pourtant, « il faut ramer pour trouver des catéchistes », dit-elle. De même que trouver un successeur n’a pas été évident.
Elle-même ne se sentait pas particulièrement qualifiée quand elle a accepté la charge de déléguée pastorale : « Je croyais que je n’y arriverais pas, au début. Je me disais que je ne pourrais jamais faire tout ça. »

La recette du partage

Les équipes de laïcs assument de multiples missions. Elles s’occupent du fleurissement et de l’entretien des églises, possèdent la clé des bâtiments religieux, tiennent les permanences d’accueil pour les baptêmes, mariages et funérailles, préparent les chants et l’animation des célébrations, visitent les malades, organisent des fêtes et kermesses de solidarité, accompagnent les catéchumènes. Elles sont aussi des vigies du quartier, en s’efforçant d’être informées des situations d’isolement ou de détresse.
Comment coordonner tout cela ? « Une fois par mois, on tient une réunion. Les représentants des différentes équipes – catéchèse, liturgie avec le diacre Daniel Mondy, délégués des retraités – ont chacun un rôle. On fait le point pour améliorer nos actions, on forme des projets d’animation dans le quartier et les villages. »
Au menu, repas solidaires pour Madagascar, frites et spectacle de fin d’année pour les CM2, réunions de Carême pour dialoguer avec les protestants et les incroyants : « Je ne cherche pas à faire tout. Dès que quelqu’un peut s’occuper de quelque chose, je le lui laisse. »

Chacun son style

Une recette qui marche. Marie Ferry a été élue représentante des délégués pastoraux « pour rendre compte de ce qui se fait au niveau du diocèse. » Un laïc pour onze ou douze clochers, tel est l’objectif, parfois ardu à atteindre. Le projet diocésain a mobilisé beaucoup d’énergie et impulsé une dynamique, poursuivie par les visites pastorales de l’évêque, note Marie Ferry : « Beaucoup de choses se passent, mais on ne le sait pas. On promeut le covoiturage pour l’office dominical, on a invité ici l’aumônier des prisons et de l’hôpital, on essaie de se tenir au courant de ce qui se passe dans le quartier, de faire un petit mot en cas de maladie, de décès. On avance quand même, mais pas de la même façon qu’avant. »
Chacun son style. Marie Ferry continuera de donner des coups de main. Son successeur travaillera aussi à sa façon : « Le visage du Christ s’est transformé d’une autre façon, porteuse d’espoir. »

Publié le 02/09/2010 par Alice.