La Providence au sud Vietnam
Arrivées vers 1876, les sœurs de la Providence de Portieux se sont vite développées. Même après la crise provoquée par la prise de possession du Sud Vietnam par l'état communiste, elles sont plus de 550 sœurs Vietnamiennes. La Congrégation est surtout présente dans le sud du pays et sur les Hauts Plateaux, région de Kontum, auprès des Montagnards.
Le berceau de la congrégation au Vietnam est à Culaogien. Aujourd'hui c'est la maison de retraite des sœurs vietnamiennes, au milieu des fleurs. Les aînées sont entourées de jeunes sœurs qui s'en occupent avec attention. Tout proche, le cimetière aux tombes bien alignées.
L'autre maison importante est Can Tho, maison provinciale pour le Vietnam et maison de formation où affluent postulantes et novices, au bord du delta, une maison pleine de vie, dans la seconde ville plus importante du Sud Vietnam, plus d'un million d'habitants.
Le sud, région du delta du Mékong, avec son réseau de fleuves et de canaux. Les voyageurs doivent sans cesse franchir des ponts ou emprunter des bacs ; de plus en plus de ponts sont en construction sur des fleuves d'une largeur parfois impressionnante. Cette régioncomporte vers le sud des marais salants.
Les plateaux de climat plus supportable et plus montagneux sont soumis à des inondations parfois ravageuses. On y cultive les hévéas pour le caoutchouc, le café, le manioc. Les Montagnards, minorités ethniques pauvres, vivent souvent dans des villages éloignés sans beaucoup de commodités ; ils n'ont guère les faveurs du régime.
Les buts du voyage
Une double raison pour cette visite. Pour les sœurs de la Providence du Vietnam, l'évêque de Saint-Dié est l'évêque de Portieux, il est un peu leur évêque. D'ailleurs, notre diocèse a des liens anciens avec ce pays. Des missionnaires vosgiens des Missions étrangères de Paris y ont exercé depuis longtemps.
Au musée du Centre diocésain de Saïgon, un tableau montre Mgr J.-Claude Miche, originaire de Bruyères (+ 1873), administrateur apostolique de cette contrée, qui encouragea l'appel des sœurs de Portieux (et d'autres congrégations) pour le Vietnam et le Cambodge. Non loin de la première fondation des sœurs, se trouve la tombe de Mgr J.-Baptiste Grosgeorges, de La Voivre, administrateur apostolique lui aussi (+ 1902) : il a soutenu les premières missionnaires dès le début.
Au nord de Kontum se trouve la paroisse où était le P. Gabriel Brice de 1965 à 1972, dont l'église a été rasée par les bombardements US, non loin de celle du Père Marcel Arnould, aujourd'hui retiré.
Une raison, plus personnelle, m'amenait au Vietnam : une cousine de mon père, religieuse de la Providence, avait été envoyée en mission là-bas en 1922 comme infirmière ; pendant près de 25 ans, elle a servi les Vietnamiens et a donné sa vie pour ce pays, exécutée en février 1946 avec une autre sœur par les résistants communistes dans l'extrême sud du pays.
Le début du voyage était à la fois un pèlerinage en mémoire des sœurs qui s'étaient données au Vietnam et une visite aux communautés de cette contrée. Temps de recueillement quand on aperçoit de l'autre côté du canal de Bau Sen, l'endroit où les sœurs ont été tuées, et quand aussitôt après on célèbre le sacrifice du Christ... Le président (laïc) de la communauté chrétienne locale participe à notre émotion. « Le sang des martyrs, semence de chrétiens » disait-on jadis.
Une « visitation » La portée de ce voyage dépassait le tourisme (nous n'avons pas visité les sites historiques ou pittoresques) : « Nous venons de France, vous dire l'amitié des chrétiens de chez nous. Depuis longtemps des missionnaires, des religieuses sont venus de notre diocèse pour vivre en amitié avec vous et vous inviter à devenir des amis de Jésus.
Nous sommes heureux de faire ce pèlerinage là où ils sont venus, de faire connaissance avec vous et voir comment vous vivez l'Évangile dans les conditions de vie qui sont les vôtres. Votre témoignage nous met en joie ».
Installées dans les quartiers pauvres, les sœurs sont liées aux paroisses : visite des familles, des malades, des pauvres, catéchisme des enfants, des jeunes et préparation au mariage. Si on leur refuse de tenir des écoles, collèges ou lycées, elles peuvent recevoir des enfants en classes enfantines, en particulier de familles pauvres, chez les Montagnards, dont les villages n'ont pas encore tout le système scolaire dont ils auraient besoin.
À côté des petits, les communautés religieuses accueillent des jeunes filles et aussi des garçons comme pensionnaires, ce qui leur permet d'aller à l'école du bourg ou de la ville où les sœurs sont installées.
La Providence
Beaucoup de ces familles sont très pauvres. À Kontum où les sœurs s'attachent à améliorer la nutrition des enfants, des jeunes mères et des personnes âgées par la distribution de lait de soja, elles demandent une participation, ne serait-ce qu'un morceau de bois...
Pour nourrir et éduquer ces enfants et ces jeunes, les sœurs dépendent largement de l'aide que leur apportent des familles de Saïgon ou des communautés chrétiennes et des organisations caritatives de France ou d'Europe.
C'est le miracle quotidien de la Providence. C'est tout à fait conforme à l'inspiration de leur fondateur, qui envoyait des sœurs dans les campagnes pour l'éducation des enfants pauvres en comptant sur la Providence, ce qui n'empêchait pas l'esprit d'initiative : sous ce terme un peu désuet, Jean-Martin Moyë appelait à faire confiance au Père qui aime chacun, quoi qu'il advienne. Lui-même a vécu une vie d'aventures, jusqu'en Chine. Et il restait disponible, malgré les échecs ou les persécutions. Quand on conduit un projet missionnaire, on découvre que quoi qu'il arrive, le Père conduit tout.
Être chrétien au Vietnam
Pour ce qui est de la vie chrétienne au Vietnam, nous sommes aussi dans un autre monde. Minoritaires dans le pays (environ 8% de la population), les catholiques sont très attachés à leur foi et à leur pratique. À notre arrivée pour la messe de 8 h 30 dans la banlieue de Kontum (Mangla), c'est un millier d'enfants de 6 à 15 ans qui nous attendent ! Quelques heures plus tôt, c'était 1500 adultes. Venus parfois d'assez loin à pied ou en « honda » par des chemins pas très carrossables, ils trouvent là une force bien nécessaire dans les conditions de vie qui sont les leurs.
Les relations entre les autorités et l'Église se sont beaucoup améliorées depuis les années noires. On reconnaît le rôle des catholiques dans la nation. L'État reconnaît par exemple le travail des sœurs et les invite à des fêtes officielles où quelques-unes se voient décerner des diplômes. Mais les catholiques restent sous surveillance. Dans certains endroits, les autorités ont décidé qu'il n'y aurait pas plus d'une messe par mois. Ailleurs, les expropriations se poursuivent.
Certaines expropriations ne semblent guère utiles quand les bâtiments confisqués sont murés ou tombent en ruines. Ces tracasseries administratives usent un peu les nerfs des responsables. Même assouplies, les normes d'entrées dans les séminaires et noviciats restent limitées par l'administration : certains jeunes doivent attendre plusieurs années avant d'y être admis.
L'Église s'inculture davantage. Plusieurs églises nouvelles ressemblent aux maisons communes des Montagnards. Le respect des ancêtres est très fort au Vietnam : à Culaogien, j'ai été invité à planter les brins d'encens sur la tombe des sœurs martyrisées en 1946. Les catholiques cherchent à s'ouvrir et les professeurs de séminaire sont attentifs à aider les jeunes qui en sont capables à se doter d'une formation supérieure, y compris à l'étranger. C'est aussi la préoccupation des sœurs de la Providence chargées de la formation des novices de Cantho. Des sœurs vont étudier aux Philippines.
Indemne ?
On ne revient pas indemne d'un tel voyage. Des liens se sont tissés qu'on aimerait pouvoir développer dans un échange réciproque. Après un tel dépaysement, il est impossible de conclure.
Pour ma part, je crois qu'il y a un appel à renforcer nos solidarités entre notre diocèse et la Congrégation de la Providence comme avec les diocèses que nous avons rencontrés au Vietnam. On peut espérer que la Visitation soit féconde en fruits spirituels et fraternels.
+ Jean-Paul Mathieu