Coinches, 2è dimanche de Carême (B). 1er mars 2015. Transfiguration Homélie prononcée par Mgr Jean-Paul Mathieu, à l'occasion d'un hommage au Père Petitnicolas.
Pierre, Jacques et Jean sont éblouis par la Lumière du Christ. Ils seront transformés par sa Résurrection, et finiront par le suivre pour annoncer l'évangile au bout du monde.
Ainsi, Michel (Alexandre) Petitnicolas (1828-1866) : originaire de Coinches, il grandit à Hurbache et après les étapes de sa formation, il est parti annoncer l'évangile jusqu'en Corée. Sa biographie* relate le déroulement de sa vocation et de sa mission.
Michel est né d'une famille chrétienne, avec un père instituteur et chantre de la paroisse. Michel est un écolier pas très studieux, et un enfant de chœur pas toujours recueilli, garçon étourdi. Son oncle prêtre est aussi son parrain, il le soutiendra dans sa vocation et sa mission. On décrit la gaieté et la vivacité de Michel : une de ses voisines lui rappela, une fois devenu prêtre, qu'il était venu chiper des noix dans son jardin ! Le récit de missionnaires partis porter l'évangile l'enthousiasmait. L'enfant espiègle deviendrait missionnaire, prêt à partir là où l’Église l'enverrait.
Il commence sa formation dans les séminaires diocésains, à Châtel et à St-Dié. Il rêvait de partir au Tonkin ou en Chine. Il se préparait à cette vie rude qu'il connaîtrait par la suite. Il se recommandait à la Vierge Marie, qui disait-il, « lui a commandé de partir en mission ».
Michel rejoint le séminaire des Missions Etrangères de Paris en 1850. Des problèmes de santé vont perturber ce parcours : il sera ordonné en 1852 dans notre diocèse.
Sa préparation est un combat spirituel, d'autant plus que sa mère s'oppose à sa vocation missionnaire. Michel se préparait chez les MEP, à Paris, stimulé par ces Martyrs qui déjà avaient donné leur vie. Le missionnaire se sait exposé au martyre, ce qui n'arrête pas l'ardeur de la vocation, au contraire. Enfin voici le départ : le jeune missionnaire sait qu'il s'en va sans retour. Ses lettres racontent le voyage de 4 mois qui l'amène en Inde où il était d'abord affecté. Comme il ne supporte pas la chaleur de Pondichéry : il est envoyé en 1855 à Hong Kong et il arrive en Corée en 1856, où le climat est plus tempéré. Aussitôt il apprend la langue.
Ce pays fermé, vassal de la Chine, est peu connu. Le christianisme y avait pénétré vers 1777 : des lettrés coréens venus en Chine ont rapporté les écrits des évangélisateurs de la Chine (M. Ricci). Mais l’Église ne s'organisa qu'à partir de 1795, grâce à un missionnaire chinois et d'autres, envoyés par les MEP. Vers 1835, un évêque et des missionnaires arrivent en Corée pour fonder l’Église parmi les persécutions. Bientôt les premiers martyrs, chinois, européens ou Coréens, versaient « leur sang, semence de chrétiens ».
Il était dangereux pour les occidentaux de pénétrer en Corée, l'activité militaire des anglais et des français en Chine rend suspecte la religion des européens. Comme les autres missionnaires Michel doit se cacher comme un proscrit, se déplacer la nuit, en évitant de prendre des risques qui compromettraient la mission. Il connaît la solitude et des souffrances parfois insupportables jusqu'à le rendre irritable. Et il a très peu de nouvelles de sa famille : ses parents meurent en 1859, il ne l'apprend que 2 ans plus tard.
Il écrira : « Il est impossible de se figurer tout ce que le missionnaire peut souffrir dans ce pays-ci. Malgré cela, je vous dirai bien franchement qu'il est le plus content, le plus heureux des hommes. Personne n'a autant de joie que lui ». On pense au témoignage de l'apôtre Paul, dans sa 2è lettre aux Corinthiens (ch.11).
Ces souffrances auxquelles Michel s'est préparé sont compensées par l'ardeur des nouveaux chrétiens coréens, les néophytes, eux-mêmes exposés aux tracasseries, au brigandage et au martyre, et pressés de se renier. Michel écrit : «Les chrétiens de Corée sont attachés à la religion jusqu'au fond de l'âme ; aucune souffrance ne leur coûte quand il s'agit de conserver la foi. Vraiment, quand on voit de ses yeux tout ce qu'ils font, on est étonné, stupéfait quelquefois. Souvent je me suis dit : En Europe, s'il fallait faire de pareils sacrifices pour pratiquer, combien de chrétiens faibliraient ! ».
Ainsi, à travers de longs voyages fatigants et dangereux, Michel Petitnicolas et ses confrères annoncent l'évangile, font le catéchisme, baptisent, confessent et disent la messe. Mais la santé de Michel se dégrade, bientôt il doit cesser ses voyages et se consacre à la rédaction d'un dictionnaire qui faciliterait le travail des missionnaires. La persécution l'interrompra.
Ce pays venait de connaître des tensions politiques, entre la Chine, le Japon et les puissances occidentales, dont la France : les Occidentaux cherchaient à s'établir pour faire des affaires. Le climat était incertain. Les troupes franco-anglaises avaient obtenu la liberté religieuse en Chine, mais ne s'intéressaient guère à la Corée. Les dernières persécutions devaient d'ailleurs s'achever sur la provocation d'un officier français, le Contre-Amiral Roze, qui allait entraîner un massacre massif de chrétiens coréens, fin 1866.
Mais déjà Michel était mort martyr en mars de cette même année. Arrêté avec un confrère missionnaire le 2 mars, ils furent interrogés, torturés avec cruauté et condamnés à mort pour avoir prêché le catholicisme en Corée. Ils furent décapités le 12 mars 1866. Le corps de Michel fut enterré à la cathédrale de Séoul, il n'avait pas 38 ans.
Frères, il fallait rapporter ce témoignage à Coinches et dans notre diocèse. Même s'il reste peu de souvenirs de Michel-Alexandre Petitnicolas, on admire l'ardeur de cet apôtre qui s'est préparé ici à donner sa vie, lors d'une jeunesse « ordinaire ». On admire son courage dans les moments difficiles de sa mission. Mais les Coréens ont donné beaucoup de joie au missionnaire, « le plus heureux des hommes », avait-il écrit.
Il fallait rendre grâces pour ce témoignage d'hier. Ce témoignage fait apparaître la beauté de la mission et aussi que tout n'est pas facile : Michel-Alexandre fait apparaître l'écart culturel entre les nations, les souffrances que cela entraine, et aussi la joie que procure la mission. Cela se continue aujourd'hui, notre diocèse compte plusieurs missionnaires dont un jeune prêtre récemment ordonné et envoyé par les MEP en mission vers les laotiens : il s'y prépare sérieusement. Et notre diocèse accueille 13 prêtres missionnaires de Pologne et d'Afrique. Et toute proportion gardée, il y a sans doute aussi pour ces derniers un écart pas toujours facile à vivre. Nous sommes tous en mission, et ce n'est pas de tout repos.
Les apôtres Pierre, Jacques et Jean furent éblouis par le Christ Transfiguré et auraient voulu que ça dure, en s'installant sous 3 tentes. Puis ils marchèrent à la suite du Christ, témoins de la Lumière, animés par la foi en résurrection d'entre les morts.
Voici presque 150 ans, Michel-Alexandre a emprunté le même chemin. Dans notre pays, nous ne vivons pas sous la menace de la persécution, comme aujourd'hui au moyen-Orient, au Pakistan, au Mali, etc. Mais savons-nous toujours témoigner de la lumière du Christ.
Beaucoup de nos frères aujourd'hui attendent une Lumière pour leur vie, prêts à se laisser séduire par un bonheur éphémère qui les laisse sur leur faim. Laissons-nous illuminer par le Christ, sachons leur dire notre Joie de Croire.
Amen.
Biographie : Un martyr en Corée. Vie de Michel-Alexandre Petitnicolas, missionnaire décapité pour la foi le 12 mars 1866. Par l'abbé Renard, aumônier des sœurs hospitalières du Saint-Esprit. (Mame 1873, 3è édition Bloud & Barral 1891)