Homélie de Mgr Yves Patenôtre, évêque de Saint-Claude
Alors qu’aujourd’hui se célèbrent à Orléans les fêtes de la délivrance de la ville, nous sommes ici à la source, en quelque sorte, de la chevauchée de Jeanne. J’ai essayé de lire les textes de la liturgie de ce cinquième dimanche de Pâques en pensant à elle, au témoignage de sa courte vie qui l’a conduit jusqu’au martyre. Je n’ai pas l’intention de retracer sa vie, vous, ses familiers, la connaissez mieux que moi. Nous pourrions seulement goûter la Parole de Dieu que l’Église nous propose en ce jour à la lumière de la vie de Jeanne, pour en recueillir les appels que le Seigneur nous adresse aujourd’hui.
Nous venons d’entendre, avec l’Évangile, le grand commandement de l’amour. En fait, l’unique commandement de Jésus. Un commandement nouveau “Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. Ce qui montrera que vous êtes mes disciples,c’est l’amour que vous aurez les uns pour les autres.”
Toute la vie de Jeanne a été cet attachement à la personne de Jésus. Non seulement elle avait inscrit son nom, ainsi que celui de la Vierge Marie, sur son étendard, mais elle est morte sur le bûcher “en criant plus de six fois Jésus. Surtout, en son dernier souffle, elle cria d’une voix forte “Jésus” aupoint que tous les assistants purent l’entendre. Presque tous pleuraient de pitié” ajoute le témoin (Maugier Parmentier). “Jésus”. Voilà, le premier appel. Quel est notre attachement personnel à la personne du Christ ressuscité ? Nous entendions ces jours-ci l’évangile de Jean : “Vous croyez en Dieu. Croyez aussi en moi”.
Les voix que Jeanne entend dès l’âge de treize ans, sa prière d’enfant, sa fidélité aux sacrements de l’Église dans la confession et les communions fréquentes, tout cela nourrissait sa familiarité avec Jésus sous le regard de Marie et des saints. Ce n’était pas une savante, c’était une priante. Pas une lettrée, mais une inspirée. Pas une guerrière, mais une fidèle. Pas un stratège, mais une enfant disponible. Comme elle devait bien entendre la parole que Saint Jean nous a transmise à l’instant: “Mes petits-enfants, comme je vous ai aimés, aimez-vous...” Comment est-ce que j’aime les autres ? Est-ce de la même façon que Jésus?
C’est une jeune fille de dix-neuf ans qui est morte sur le bûcher de Rouen. Son martyre a sans doute ouvert la recomposition de la géographie politique de son époque. Nous pouvons penser aux jeunes d’aujourd’hui et nous pouvons évoquer l’Europe qui est en train de naître sous nos yeux. C’est le moment de demander à Sainte Jeanne d’Arc que les chrétiens d’aujourd’hui, et les jeunes en particulier, aient assez la passion du Christ et de son Évangile, dans l’immense respect de ceux qui ne partagent pas la même foi, pour bâtir un monde de justice et de paix enraciné dans la vérité et l’amour. Comme le rappelait 1e pape Jean-Paul II à des chrétiens d’Afrique du Nord: “Aujourd’hui, il ne s’agit pas tant de faire nombre que de faire signe.” C’est la qualité de l’amour que nous portons au Christ et entre nous, dans la diversité de nos vocations, qui fera que nous ne serons pas insignifiants. Et même si une loi peut interdire le port de signes religieux ostensibles, elle ne nous empêchera pas d’aimer en actes et en vérité, comme Jeanne, à la suite de Jésus : “Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c’est l’amour que vous aurez les uns pour les autres.” Le grand signe ostensible, c’est l’amour, la tendresse, l’écoute, le pardon, le respect. Comme Jésus. Les petites choses sont finalement très grandes.
Dans la seconde lecture, ce même saint Jean a la vision de la Jérusalem nouvelle, toute belle, toute prête comme une fiancée parée pour son époux. C’est l’harmonie et le bonheur. Il n’y a plus de larmes ni de tristesse. Alors que Jeanne a souffert jusqu’au martyre des divisions de l’Église dans un monde en guerre, au sein de cette Europe à bâtir, nous sommes appelés à travailler à l’unité des chrétiens et au respect de toute religion. C’est le second appel.
Cette Europe est en majorité chrétienne. 82 % des Européens sont chrétiens. 60 % sont catholiques. 15 % sont issus des différentes branches du protestantisme. 5 % sont anglicans et 2 % sont orthodoxes. Tous nous nous recommandons du Christ. Mais la fiancée a pris des rides. Il y a eu et il y a encore des coups et des blessures. Celles de nos divisions. Comment annoncer l’Amour en étant divisé? La préoccupation œcuménique du pontificat de Jean-Paul II est une exigence pour nous tous à l’aube de ce troisième millénaire. Ce n’est pas une matière à options. D’autre part, ces jours-ci des cimetières juifs et chrétiens ont été profanés. Cela nous préoccupe et nous touche tous. Gardons une grande vigilance pour tout ce qui concerne le respect de ce qui exprime le plus intime du cœur de l’homme. C’est le secret de toute véritable civilisation.
Que Sainte Jeanne d’Arc qui a été victime et martyre d’un monde et d’une Église divisés intercède auprès du Seigneur pour que nous soyons vraiment artisans d’unité et de paix.
C’est dans la troisième lecture que nous trouverons un dernier appel. Reprenant l’invitation de Paul et de Barnabé, il me semble que c’est Jeanne elle-même qui désire affermir notre courage de disciples : Appelés à vivre du Christ, en Église, au cœur de ce XXIe siècle, pour bâtir un monde de justice et de paix: “Persévérez dans la foi. Vous savez, il faut passer par bien des épreuves pour entrer dans le Royaume de Dieu !"
C’est presque une banalité de le dire comme on le disait aux tous premiers siècles de l’ère chrétienne : “On ne naît pas chrétien, on le devient.” Cela ne doit pas nous engager sur des routes de misérabilismes prônés par des prophètes de malheur. Ce n’est pas la souffrance de Jésus qui nous a sauvés, c’est son amour. Mais il n’y a pas d’amour sans souffrance. Jeanne l’a bien expérimenté. Cela nous invite à nous engager avec enthousiasme à “proposer la foi dans ‘la société actuelle” en “allant au cœur de notre foi”. Ce n’est pas par hasard que je reprends le titre de deux appels des évêques de France.
Demain, nous nous retrouverons tous à Lourdes. Que l’Esprit Saint nous donne, à nous-mêmes et à tous les chrétiens, comme à Jeanne d’Arc et Bernadette de Lourdes, une certaine pureté de cœur pour être les témoins que le Seigneur attend. Il me semble que c’est une grande grâce d’être chrétien aujourd’hui. Nous portons un trésor d’amour dans des vases d’argile. Que notre communion au mystère du Christ que nous allons célébrer maintenant, en présence de Jeanne et de tous les saints, nous renouvelle dans la joie d’annoncer la Bonne nouvelle. C’est un visage. Celui d’un Christ en croix. Le pain de la vie. Celui que Jeanne contemplait sur son bûcher avant d’y communier pour toujours. Il nous appelle et il nous aime : Jésus.
Homélie de Mgr Yves Patenôtre, évêque de Saint-Claude