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Solidarité • Fraternité • Diaconie

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Patrice Sauvage, diacre du diocèse d’Autun et président du secours catholique de Saône-et-Loire est un conférencier reconnu. lors de l’une de ses interventions, il a proposé son analyse de la solidarité, de la fraternité et de la diaconie. Découverte.

Préambule et terminologie

  • solidarité : on est responsables les uns des autres.
  • fraternité : troisième valeur de la République, mais aussi reprise dans “Diaconia 2013” comme sous- titre : “Servons la Fraternité”.
  • diaconie : le service de la charité exercé de manière communautaire et ordonnée (encyclique “Dieu est Amour”).

Essayons de clarifier ces différentes notions. On peut considérer la solidarité, la fraternité et la diaconie comme trois “poupées russes” s’emboîtant l’une dans l’autre, chacune de ces valeurs cherchant à articuler deux dimensions complémentaires comme nous allons le voir.

La solidarité : articuler relation aux personnes et action sur les structures

1/ Prendre soin des personnes (“aimer la bonté”)

Il s’agit non seulement de soigner, mais de “prendre soin” ce qui va se traduire par un certain nombre de conditions préalables à remplir, par des attitudes à vivre auprès des blessés de la vie et par une certaine finalité.

Des conditions préalables

  • disponibilité, gratuité : quitter la sphère du rendement, des choses à faire
  • capacité de compassion : partager la souffrance de l’autre
  • être attentif à l’essentiel qui se joue
  • un minimum de compétence : acceptons- nous de nous former ?

Des attitudes à vivre

  • se faire proche du blessé, en oubliant sa peur de l’autre
  • s’en responsabiliser dans la durée
  • travailler avec les autres
  • et surtout partir de l’autre (de son vécu, de sa parole) et non de soi-même : la bonne question est “de qui suis-je le prochain ?” et non pas “qui est mon prochain ?”

Une finalité essentielle
¨Permettre à l’autre d’être restauré dans sa dignité et de redevenir autonome. Certes, au départ, il faut sauver le blessé, mais ensuite celui-ci aura affaire à d’autres personnes et finira par se prendre en charge.

2/ Agir pour transformer la société (“pratiquer la justice”)

Notre charité doit se faire sociale, ce qui implique d’agir au plan collectif et politique pour transformer les “structures collectives de péché” (Jean-Paul II). Sinon, nous resterons dans le “caritatif”, les “bonnes œuvres” qui donnent bonne conscience et ne font pas avancer la situation des personnes.

En sens inverse, cette action globale doit rester enracinée dans le vécu des personnes démunies, sinon nous risquons de tomber dans une idéologie abstraite qui ne débouchera pas sur une amélioration de leur sort. On peut relever trois critères de “justesse” de l’action pour la justice : la protection des personnes en difficulté, leur promotion, leur “pouvoir agissant”. En d’autres termes, il faut aider ces personnes à devenir sujets, acteurs et citoyens.

La “libération” ne doit pas en effet se concevoir uniquement en termes matériels, mais être mise en relation avec la crise de la personne, qui est pluridimensionnelle :

  • les “opprimés” ne sont-ils pas les personnes que notre société ne reconnaît pas (cf. A. Honneth) ?
  • les “captifs” ne sont-ils pas ceux qui sont enfermés sur leurs territoires de relégation, victimes de la crise du lien social ?
  • les “aveugles” ne sont-ils pas ceux qui ne voient pas de sens à leur vie (cf. J.B. de Foucauld) ?

Ainsi ne peut-on plus faire l’économie, dans ce registre sociétal, de répondre à ces besoins humains fondamentaux de reconnaissance, de relation, de sens, ce qui implique de considérer la personne dans sa globalité, y compris sa dimension spirituelle.

Enfin, cet engagement pour une société plus juste doit nous conduire à rechercher une certaine cohérence dans notre mode de vie : “Soyez le changement que vous voulez pour les autres” (Gandhi). Le “militant” doit ainsi se faire “mutant” (R. Macaire) et mettre en œuvre une action politique qui soit prophétique à travers un témoignage de vie authentique.

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La fraternité : articuler service du frère et réciprocité

1/ Le service du frère (“marcher humblement”)

Se faire serviteur
Jésus s’est placé à contre courant du monde en ce qui concerne le pouvoir, en se faisant serviteur : une véritable révolution pour l’Antiquité. Ce n’est pas par la puissance, par “en haut” qu’on fera avancer la cause des pauvres, mais par le service, par en bas.
Son geste du lavement des pieds, c’est en effet à la fois :

  • le salut “par le bas”, du bas de la condition humaine (cf. le pied terreux qui porte le poids du corps, le poids de notre humanité),
  • un geste d’esclave, celui du Christ qui connaîtra une mort d’esclave sur la croix.

Le fait que Jean situe dans son évangile le lavement des pieds à la place de l’institution de l’eucharistie nous rappelle que ce sacrement est aussi le mémorial de la mort du serviteur qui va jusqu’au bout de sa mission.

Serviteur humble, voire inutile !
Cette parabole nous invite certes à la fidélité dans le service et ainsi à porter du fruit, comme Jésus nous en a donné l’exemple, mais aussi à l’humilité, car ces talents ne viennent pas de nous. Comme il le dit dans un autre passage, nous n’avons fait que notre devoir, nous sommes des “serviteurs inutiles” (Lc 17, 10). Ainsi, il nous faut “lâcher prise” par rapport aux fruits que nous portons. Dans l’engagement solidaire, ce sont souvent l’activisme et le volontarisme qui menacent non seulement notre équilibre personnel, mais aussi la qualité de notre action : il faut raisonner en termes de fécondité, et non d’efficacité – trop souvent conçue à court terme.

2/ La réciprocité (« marcher avec »)

Le risque du service du frère, c’est que celui-ci soit unilatéral et qu’ainsi on reproduise insidieusement un rapport de domination : or, il ne peut pas y avoir de don sans contre – don.
Précisément, Jésus nous ordonne en Jn 13, 14 : “vous devez vous laver les pieds les uns les autres”. Selon Olivier Quénardel, abbé de Cîteaux, cette perspective de réciprocité constitue une véritable révolution apportée par le Nouveau Testament. La règle de St Benoît met également beaucoup l’accent sur cette dimension.

Attention ! Il ne s’agit pas d’une fusion, car il y a altérité, il y a un échange entre deux parties autonomes l’une de l’autre. N’est-ce pas ce qu’a vécu à sa manière le Bon Samaritain, lorsque Jésus nous dit qu’il a été “remué jusqu’aux entrailles” (Lc, 10, 33) ? Il a certes pris soin du blessé, mais en échange son coeur a été touché : ainsi les personnes en difficulté que nous accompagnons nous font évoluer, en nous décentrant de nos habitudes ou en nous faisant découvrir nos propres blessures qui ne sont peut-être pas différentes des leurs !

Ce grand témoin qu’est Jean Vannier nous propose, de son côté, de passer de la générosité à la compassion, puis à une vraie rencontre : celle-ci est alors pour lui un émerveillement. Le philosophe juif Martin Buber nous invite à entrer dans une relation de Je à Tu, et non à Il ou Cela, comme l’ont vécue le prêtre et le lévite vis-à-vis de l’homme blessé.

Ainsi faut-il permettre aux plus pauvres de donner à leur tour, d’entrer dans ce cercle de la réciprocité. Diverses expériences manifestent la fécondité d’une telle perspective :

  • les repas partagés
  • des recherches-actions menées avec les plus pauvres, qui se trouvent ainsi reconnus comme experts en humanité
  • des temps spirituels partagés qui permettent aux personnes pauvres de témoigner de leur expérience de Dieu.

La diaconie : articuler spiritualité et engagement solidaire

La notion de diaconie va récapituler tout ce que nous avons présenté auparavant, mais en l’enracinant dans la relation au Christ. La diaconie, c’est l’engagement solidaire et le service fraternel vécus à la suite du Christ.

On a eu trop longtemps tendance à opposer spiritualité et engagement et Marcel Légaut, dans l’ouvrage qui porte ce titre, nous met en garde – à juste titre - contre un engagement qui serait un “tonneau des Danaïdes”, contre cet activisme et ce volontarisme dans lesquels nous risquons de tomber. La notion de diaconie va permettre de décloisonner ces deux dimensions, qui sont appelées à se féconder mutuellement.

Dans cette perspective, il faut dépasser l’approche dominante qui considère l’engagement solidaire comme une conséquence de la foi et relèverait ainsi essentiellement d’une attitude éthique. Or, comme l’a bien montré Alain Durand, la rencontre du pauvre, l’identification au pauvre, sa libération sont précisément dans la Bible le lieu de la révélation divine. Dans la relation au pauvre, lorsque nous nous laissons toucher aux entrailles, lorsque nous nous dépouillons pour lui laisser place en nous, nous avons “rendez-vous avec le Christ” (E. Grieu). Ainsi, loin d’en être une simple conséquence, l’action solidaire et fraternelle se situe au cœur de la foi ; cette confrontation à l’humanité souffrante en est “le terreau” (E. Grieu). A travers ce vécu diaconal, c’est donc une véritable expérience spirituelle qui nous est proposée par le Christ : non pas une corvée fatigante, mais un chemin spirituel qui va nous faire grandir en tant qu’enfants de Dieu, qui peu à peu va nous configurer au Christ et à sa manière de vivre et d’entrer en relation avec les souffrants.

Ainsi conçue, la diaconie s’insère parfaitement dans la dynamique de la pastorale d’engendrement : en engendrant les pauvres à eux-mêmes, on se trouve engendré à sa dimension de fils ou fille de Dieu.

Rassemblement national Diaconia 2013
Ce projet lancé par la Conférence des Evêques vise à remettre la diaconie - et les plus pauvres - au centre de la vie des chrétiens et à l’articuler avec les deux autres dimensions de la vie chrétienne. Il conviendra également que ce “service de la fraternité” soit bien enraciné d’une part, dans une action solidaire agissant à la fois au plan des personnes et des structures et, d’autre part, dans une relation intime au Christ, le Frère par excellence.

Publié le 10/01/2012 par Alice.