Transmettre le message d’amour du Christ. Les catéchistes s’y attellent, aidés par l’Église et portés par la Grâce. Dans les Vosges, la fréquentation au caté chute tous les ans. Des laïcs reprennent le flambeau de la catéchèse, avec une pédagogie exigeante et adaptée au monde d’aujourd’hui. Dans ce numéro, le père Hubert Devillard, directeur diocésain de la catéchèse, évoque un passage de relais entre générations qui touche aussi le milieu syndical et sociétal. Coups de zoom à la CFDT et à la Maison de retraite d’Essegney.
Syndicalisme : la génération improbable
Pour Claude Caverzasio, secrétaire général de la CFDT, les anciens hésitent à décrocher et les jeunes à s’engager dans le syndicalisme, en raison des difficultés de reclassement. Témoignage.
Difficile de passer le relais. Les vieux ont du mal à laisser la place, observe le nouveau secrétaire de l’UD CFDT des Vosges. C’est loin d’être évident pour eux de décrocher : ils sont attachés à leur réseau, ils ont fait tellement de belles actions durant leur parcours. Les jeunes qui comptent un ou deux ans de syndicalisme se plaignent : “Les anciens ne sont pas prêts à passer le relais quand le moment est venu.”
Sans langue de bois, Claude Caverzasio aborde un sujet crucial : celui du renouvellement du personnel syndical. Dans ce domaine, il en est comme dans le milieu professionnel. Sauf que s’y ajoute la précarité du statut : “Le mandat de délégué est électif. Il porte sur une durée de quatre ans. Que fait-on à 38 ans, au bout du deuxième mandat si on est réélu, et à 42 ans, au bout du troisième. Il faut se reformer. Dans le milieu professionnel, tout évolue tellement vite. On n’a pas encore trouvé la façon de les reclasser.”
Les retraités défendent les pensions
Résultat : “On a de plus en plus de mal à faire monter des jeunes dans les structures. Il y a dix ans, cela allait encore”, déplore Claude Caverzasio. Au demeurant, à la suite de la loi de représentativité, “les jeunes préfèrent rester dans leur entreprise pour y faire leur boulot d’élu que de s’occuper du territoire.” Les syndicats de retraités, eux, sont organisés en “interpros” par territoire et par région pour défendre notamment les pensions de retraite et les mutuelles. Certains syndicalistes restent actifs tan¬dis que l’Union départementale essaie de trouver des jeunes pour prendre le relais : “Avec l’âge, on a besoin de souffler un peu.”
Flambeau en famille
Pour des tâches matérielles, comme la distribution de tracts, le syndicat demande l’aide des anciens : “Heureusement qu’on les a, ce sont eux qui nous ont ouvert la voie !”, s’exclame le responsable départemental : “Nous, on essaie de s’investir, tandis que les anciens aiment bien être sollicités”, nuance-t-il. Dans le monde du syndicalisme, le flambeau se transmet souvent en famille :“Mon gamin va avoir dix ans, et il vit au quotidien ma vie de permanent. Il reconnaît notre patron, François Chérèque, à la télé, et vient manifester avec moi quand il y a grève. Il a la casquette !” Ne peut-on reprocher une forme d’embrigadement dans cette mobilisation précoce ? “Non, répond spontanément Claude Caverzasio : on est sur les valeurs !”
Rencontre avec Annick Bind, animatrice à la maison de retraite de Foucharupt
établissement spécialisé dépendant du centre Hospitalier de Saint-Dié-des-Vosges
“Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait...” Cette citation d’Henri Estienne est parlante car elle nous renvoie à une réalité de notre société : tenter de dépasser la frontière entre la culture du jeunisme, d’un côté, et celle du grand âge, de l’autre. L’éclatement des familles est un élément à prendre aussi en compte. Beaucoup de personnes âgées en institution ne connaissent pratiquement plus leurs petits et arrière-petits-enfants.
Depuis que je remplis la fonction d’animatrice, j’ai eu l’occasion de réunir plusieurs fois des enfants et des personnes âgées. J’ai pu constater les bienfaits de ces rencontres intergénérationnelles, même ponctuelles. Des expériences riches de partage et d’échange. La vieillesse est une ressource !”
Saint-Dié-des-Vosges multiplie les actions intergénérationnelles
Parce que les plus jeunes et plus âgés ont beaucoup à apprendre les uns des autres, la rencontre entre générations est un moment d’enrichissement.
La population de Saint-Dié-des-Vosges, ville moyenne de 23 000 habitants, compte 22,6% de seniors, (Déodatiens de 60 ans et plus). Aussi, et depuis plusieurs années, le processus inter¬générationnel est pensé dans la cité, impliquant une grande synergie entre les services municipaux, territoriaux et les autres acteurs associatifs. Le “mieux vivre ensemble plus solidaire” restant la priorité pour tous.
Quand la lecture réunit les générations
Il existe un plaisir simple qui satisfait toujours les enfants : écouter une histoire racontée par un aîné qui sait y mettre le ton. C’est de ce constat qu’est née en 2005 une animation intitulée “Papivore et Mamie-lire”. Ce dispositif gratuit, plaçant la lecture comme trait d’union entre les générations, permet d’initier les petits Déodatiens au plaisir de lire. Chaque semaine, et dans les trois médiathèques de la cité (Jean-de-La-Fontaine, Alphonse-de-Lamartine et Victor-Hugo), une quinzaine de retraités viennent ainsi faire la lecture à de jeunes enfants. Ces moments de rencontres privilégiés ont lieu en dehors du temps scolaire et sont attendus impatiemment par les enfants comme par leurs aînés. Une belle façon de concrétiser le souhait des personnes âgées : se sentir toujours utile à l’autre.
La musique, parole universelle
Depuis 2008, douze enfants issus du centre social Lucie-Aubrac, âgés de 3 à 6 ans, viennent à la rencontre des 52 résidants de la Chaumière, une mai¬son de retraite dépendant du CCAS de Saint-Dié-des-Vosges. Ils parcourent ensemble le répertoire des comptines et chansons traditionnelles destinées aux enfants. Ces moments de proximité et de convivialité permettent aux plus jeunes comme à leurs aînés de travailler la mémoire mais aussi de créer des liens. Certaines de ces personnes âgées sont en effet seules et ne reçoivent plus de visite. Des amitiés se créent sous le regard attentif des uns et des autres. Un regard qui évolue.
Conseil municipal des jeunes et conseil des seniors participent au devenir de la ville
Deux conseils, un pour les seniors et un pour les jeunes, ont été mis en place à Saint-Dié-des-Vosges. Chaque conseil compte 35 membres. Les plus jeunes ont entre 10 et 18 ans, et les seniors entre 60 et 87 ans. Les jeunes et leurs aînés ont ainsi l’occasion de se familiariser avec le fonctionnement d’une municipalité et des institutions en général. Des commissions ont été créées et travaillent sur des thématiques préalablement choisies : environnement, éducation, culture... Ils participent également à des animations (ateliers informatiques) ou à des sorties organisées (rencontre avec les villes jumelées de Saint-Dié-des-Vosges). Ils ont aussi la possibilité de se rencontrer lors des manifestations mises en place par la Ville, lors des cérémonies patriotiques, par exemple. Des expériences enrichissantes pour ces citoyens engagés dans la vie de leur cité.
L’espérance n’a pas d’âge
Directeur diocésain de la catéchèse, le père Hubert Devillard croit en la capacité d’une nouvelle génération de catéchistes pour proposer et transmettre la foi avec les mots d’aujourd’hui.
De moins en moins d’enfants vont au “caté”. La fréquentation tombe un peu plus chaque année. Une chute qui se double d’un autre phénomène, relevé par l’abbé Hubert Devillard : “Depuis un an ou deux, les familles s’impliquent énormément, parents mais aussi grands-parents. Cela change le visage de la foi.”
Un peu à l’image de la messe dominicale, l’intensité de la participation se fait plus grande. Cela tient sans doute à l’évolution de la catéchèse. L’esprit n’est plus vraiment à un enseignement direc¬tif, déversé par un maître qui distille son savoir. Pour les familles, l’objectif est plutôt de faire un bout de chemin avec l’enfant, de l’accompagner, de le révéler à lui-même : “Il s’agit davantage d’un chemin de foi à faire découvrir avec les familles, précise l’abbé Devillard. C’est plus exigeant de la part de celui qui enseigne car il doit lui-même faire le chemin”
Recrutement difficile
Il est difficile de trouver des catéchistes. Les femmes fournissaient naguère le gros du contingent : beaucoup travaillent aujourd’hui et se révèlent moins disponibles. Certains adultes vivent leur foi mais n’osent pas s’engager, hésitent, ne savent pas. A ceux-là, l’Église propose une formation : “Quand on accouche une parole, on accouche une personne. On accompagne une personnalité dans la foi. L’intergénérationnel, ce n’est pas une question d’âge. On pro¬pose à tous ceux qui le veulent de faire grandir leur foi pour qu’elle les fasse tenir dans la vie en croyant ”, souligne le curé doyen de la Vôge.
Le secours de la grâce
L’Église aide les catéchistes à effectuer un travail sur eux-mêmes pour affronter la foi enfouie en eux-mêmes : “La foi est un chemin d’humanité qui permet à l’être humain de se retrouver lui-même, de grandir, de s’épanouir. De tenir bon, de se mettre debout, de délivrer un message d’espérance. C’est un signe fort de notre Église d’aujourd’hui, à travers la crise ; c’est une attente et un renouvellement en profondeur.”
Autrement dit, la foi est un trésor à partager. L’Église accompagne les adultes demandeurs dans leur cheminement de découverte de la foi chrétienne. Elle propose des temps où jeunes et adultes “découvrent ensemble, vivent ensemble, célèbrent ensemble.”
Pour s’approprier le message exigeant et subtil délivré par Benoît XVI, gardien de la pensée de l’Église, les catéchistes doivent d’abord avoir fait ce travail sur eux-mêmes : “On leur donne la capacité de traduire dans leur propre langue ce qui est ainsi dit et ainsi signifié”, explique le père Devillard. Pour trouver le langage qui permette de rejoindre la Parole, et atteindre à la communion de pensée recherchée par l’Église, pour trouver les mots qui vont faire écho, les catéchistes peuvent compter sur la Grâce : “Il faut même y croire”, précise le responsable de la catéchèse : “Dans le travail avec les parents, la Grâce nous précède. Il faut croire au don gratuit de Dieu.”
La maison du rêve
Débat autour d’un film, goûter : à Essegney, directrice et animateurs de la maison de retraite ont jeté un pont entre pensionnaires et écoliers du village, unis par un rêve commun de fraternité.
Des rires pour les enfants, des larmes chez les personnes âgées. Mais des deux côtés, une émotion partagée. Le temps d’une projection, les pensionnaires de la maison Jean Martin Moyë ont décollé du fauteuil roulant qui les rivait à leur passé ; le rire communicatif des écoliers les a entraînés là haut, vers des rivages plus radieux. Chaque génération vit à sa manière le récit d’une existence pleine d’aléas, de drames et de réussites, d’espérances déçues ou réalisées. Mais ce qui unit fondamentalement jeunes et anciens, c’est l’aspiration profonde à voir ses rêves d’enfant réalisés. C’est aussi l’attachement foncier à de vraies valeurs, l’amour, l’amitié, la solidarité - le rêve d’un monde meilleur. Et puis le rire aussi, le propre de l’homme selon Rabelais, mais aussi l’apanage d’un certain Jésus de Nazareth, tel que l’évoquait Didier Decoin dans “Jésus, le Dieu qui riait.”
Une richesse à découvrir
Tout est parti de l’idée d’un aide médico-psychologique, Samson Pro¬tin, aussitôt soutenue par la directrice, Françoise Vannson, et l’animateur de la maison de retraite, José Lima : “Pour¬quoi ne pas faire travailler les élèves de l’école du village sur des contes, des fables chez nous ?” Chez nous, c’est une maison de retraite située près de Charmes, un établissement d’hébergement qui accueille 56 personnes âgées dépendantes. Quinze appartiennent au “petit secteur” des malades d’Alzheimer et sont largement associés aux activités de l’ensemble des pensionnaires. La moyenne d’âge est de 88 ans. D’où le projet de les rapprocher des onze élèves de la classe de CM1 d’Essegney. Un vrai défi, souligne José : les personnes âgées sont clouées à un fauteuil, malades physiquement ou psychiquement.
Recluses sur elles-mêmes, beaucoup se sentent inutiles, incapables de rien faire et de rien prouver. Pourtant, rappelle Sam¬son, “un vieux qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle”. En les observant, en les écoutant, en leur ouvrant les yeux, j’apprends énormément - par exemple sur les vieux métiers. Hier, un sonneur de cloches m’a raconté comment il s’était retrouvé suspendu en haut avec sa copine !
Le ciment d’une nouvelle maison
Au fil de leur vie, ces personnes ont accumulé une inappréciable expérience ; et elles demeurent animées au fond d’elles-mêmes par des rêves qu’on peut les aider à réaliser. Ce peut être un simple pique-nique avec les amis autour de l’étang près de sa maison, le plaisir de redécouvrir des chansons avec une accordéoniste d’Igney de 13 ans, l’émerveillement des tours de magie de Serge, du carnaval de la troupe de Dogneville ou du fou-rire distillé par un clown : “L’ambiance est très festive, témoigne José. Avec les vieilles chansons, la mémoire revient aux malades d’Alzheimer. Pour apporter du dynamisme, du sang neuf, il faut de la jeunesse.”
Avec les écoliers, comment le courant allait-il passer ? Enseignants et professionnels de la maison de retraite ont préparé un projet qui s’est avéré fécond tant pour les élèves que pour les anciens : “Au jeu de piste, les enfants ont poussé les fauteuils roulants, mais ce sont les pensionnaires qui ont le plus répondu aux questions”, note Samson. Pendant le film, l’enthousiasme des plus jeunes a d’abord irrité les anciens, peu à peu gagnés par cette vitalité, ces rires, cette façon d’aborder la vie par le biais de la fantaisie, tandis qu’eux-mêmes se laissaient déborder par la nostalgie. Il y était question de l’abandon de la demeure familiale. Mais cet après-midi là, à Essegney, écoliers et retraités se sont créé une nouvelle maison, cimentée par le partage entre générations.