Communiqué de Mgr Mathieu
L'Église qui est dans les Vosges partage l'émotion de beaucoup à Épinal, dans le département et au-delà, au moment de la disparition de M. Philippe Séguin. Il avait su se faire adopter à Épinal par delà les clivages politiques, notamment comme fervent supporter du club de football de la ville.
Devenu Maire, il a contribué à une transformation importante de la ville. Travailleur infatigable, exigeant pour lui-même et pour ses collaborateurs, il a ainsi donné une dynamique nouvelle à la cité.
Homme de grande droiture, il avait l'ambition de servir toujours plus son pays sans sacrifier ses convictions ; il soutenait ainsi des causes importantes comme ATD-Quart-Monde, du Père Joseph Wresinski.
Il a droit à la reconnaissance de beaucoup d’entre nous.
Une célébration aura lieu à l'église St-Maurice d'Epinal lundi 11 janvier à 14h30.
Epinal, le 8 janvier 2010.
Homélie de Mgr Mathieu
prononcée le 11 janvier en la basilique St Maurice à Epinal
Homélie de la messe célébrée à la Basilique St-Maurice d'Épinal, le 11 janvier
Evangile : Matthieu 25, 14-31 Un homme partant en voyage appela ses serviteurs et leur confia ses biens. A l'un il donna une somme de cinq talents.
« L'action politique est une forme indispensable de l'amour du prochain »
« Un homme, avant de partir en voyage, confie des talents à ses serviteurs... Longtemps après, il revient. Le cadre de cette parabole, c'est le cadre de notre histoire. Comme le rappelait le vieux récit de la création, Dieu a confié aux hommes un monde à gérer, et selon notre parabole, il a remis à chacun des talents pour s'y consacrer. Comment utilisons-nous les talents qui nous sont confiés, au service de tous ? C'est la première question que nous pouvons nous poser.
L'éloignement du maître suggère la liberté de nos relations avec Dieu. Dieu appelle chacun sur la route qui est propre. Qu'en est-il des relations d'un homme avec son Dieu ? C'est dans le secret de la conscience que se joue notre relation avec Celui qui guide nos destinées. Si Ph. Seguin avait par ses origines un lien avec notre Église, il avait en même temps un vrai respect pour les convictions de chacun, qu'il soit chrétien, juif ou musulman. Il avait ainsi le souci de permettre à chacun d'exprimer personnellement sa prière selon son rite, dans le cadre de commémorations patriotiques. Était-ce le désir de faire respecter la diversité, dans l'unité du corps social ? En tout cas, dans le temps de notre histoire, chacun doit suivre son chemin selon l'intime de sa foi et de sa conscience, dans le respect les uns des autres et au sein de communautés elles-mêmes en dialogue.
L'éloignement du maître de la parabole souligne que nous sommes responsables de cette gestion du monde. Le concile Vatican II parle de l'autonomie des réalités terrestres. Il est fait appel à notre responsabilité personnelle comme à nos engagements citoyens. Il faut insister sur cet appel à la responsabilité. Nous invoquons volontiers nos droits et nous sommes souvent prêts à plaider ou à nous battre pour les défendre : mais chacun doit aussi se souvenir qu'il a un rôle à jouer, qu'il doit tenir sa place dans le monde où il habite, selon les dons qu'il a reçus.
Nous évoquons ici la figure d'un homme politique particulièrement conscient de sa responsabilité : exigeant pour lui-même comme pour les autres : ceux qui l'ont approché en ont fait l'expérience. Cela faisait partie de ses talents.
L'Église se plait à souligner l'importance pour l'homme de l'engagement politique, elle s'emploie volontiers à réhabiliter la politique , trop souvent décriée, parfois aussi ternie par quelques-uns de ceux qui s'y consacrent. Et les jeunes s'en détournent.
L'Église rappelle que l'homme n'est véritablement homme, et homme responsable, que s'il entend, en son cœur, retentir cette interrogation : « Qu'as-tu fait de ton frère ? » Et de là, s'il répond en aimant sa famille, sa cité et son pays.
Or, « Aimer son pays ne consiste pas seulement à l'aimer virtuellement, par à coup, ou lorsque tel ou tel événement suscite l'émotion. Beaucoup d'hommes et de femmes, aujourd'hui, en France et dans le monde, se sentent blessés, exclus, mis sur le bord de la route. Entendons ces hommes et ces femmes nous interroger : 'Si je suis ton frère, vas-tu passer ton chemin ?'
Mais la présence auprès du frère en difficulté, aussi nécessaire soit-elle, n'épuise pas les devoirs que suscite l'amour du Christ en nous : l'action par le biais du politique est une forme indispensable de l'amour du prochain. Celui qui méprise le politique ne peut pas dire qu'il aime son prochain et répond à ses attentes. Celui qui méprise le politique méprise la justice. » Qu'as-tu fait de ton frère ? Octobre 2006)
Beaucoup ont souligné la probité et la vigueur de Ph. Seguin dans son engagement. Rappelons ce que disait le prophète Michée, s'adressant à ceux pensent être quittes avec Dieu, grâce aux seuls exercices religieux : se prosterner devant Dieu et lui offrir de jeunes taureaux en sacrifice. Et Dieu répond par la bouche de son prophète : « Ce que Dieu réclame de toi, c'est d'aimer la justice, de pratiquer la miséricorde et de marcher humblement avec ton Dieu. » Et il ajoute avec véhémence à l'égard de tous les tricheurs : « Puis-je supporter une mesure fausse, et un boisseau diminué, abominable ? Puis-je tenir pour pur celui qui se sert de balances faussées et de poids truqués ? » Ce rappel de l'exigence de la justice, par le Dieu de la Bible, reste primordial pour nous aujourd'hui. Il est des pays où cet engagement est dangereux et où on le paye de sa vie.
Viendra le moment du retour du maître de la parabole, à la fin des temps. En attendant, le jour vient pour chacun de terminer sa route et de rendre compte. Rendre compte des fruits de nos talents peut se jauger à l'aune de l'opinion publique. Et il est juste que chacun sache exprimer sa gratitude à celui qui s'en va pour ce qu'il a reçu de lui, fût-ce dans le combat politique. Mais l'opinion publique est éphémère.
Ph. Seguin s'en est allé. Pour nous qui nous référons à l'évangile, il est parti à la rencontre de celui auquel il faut rendre compte. Nous avons quelques motifs de penser qu'il entendra le Seigneur lui dire : « Serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle en peu de choses, entre dans la joie de ton maître ».
D'autant plus que nous croyons aussi que Dieu est plein de miséricorde, et qu'il apprécie, comme le rappelait le prophète Michée, de voir l'homme pratiquer la miséricorde et l'humilité. Partageons donc avec humilité, l'espérance du prophète : « Moi, je regarde vers le Seigneur, j'espère dans le Dieu qui me sauvera, Lui, mon Dieu, m'entendra. » (Michée 6, 8-11; 7.7)
C'est avec cette espérance que nous pouvons poursuivre notre prière, dans l'Eucharistie qui célèbre la Pâque du Christ, en qui nous passons de la mort à la Vie.
Amen.