Evêque
Une fois de plus, il faut nous reporter à l'ère mérovingienne pour situer la vie de cette attachante figure de vieux Saint lorrain. Tour à tour officier, homme d'État, évêque, puis ermite, il trouva en Lorraine le cadre de sa vie entière, de même que sa sainteté, avenante et toute simple, fut la dominante d'une existence aux aspects les plus divers.
Saint Arnould naquit vers 582 d'une famille de la noblesse franque, qui possédait une villa à Lay-Saint-Christophe, pittoresque bourg à une lieue au nord de Nancy. On montrait encore, au XVIIIe siècle, une chapelle érigée sur le lieu de sa naissance au château de « Layum » et que fréquentait Dom Calmet, alors qu'il était prieur des Bénédictins de Lay.
Saint Arnould a, sur la foule des Saints de cette époque lointaine, l'avantage de nous être connu par le récit d'un moine contemporain, biographe anonyme qui, à travers mille épisodes légendaires, le situe valablement dans un cadre historique.
L'enfance du jeune Arnould s'écoula dans l'atmosphère d'un foyer profondément chrétien et un précepteur initia aux diverses branches du savoir ce garçon intelligent et fin, doué d'une mémoire remarquable. Parallèlement la grâce, sous l'influence de sa mère, Ode de Souabe, développait en son âme l'esprit de foi et cette charité qui sera la trame de sa vie à tous les stades.
Son père, descendant des comtes de Soissons, le fit entrer à la cour d'Austrasie à Metz, pour l'initier à la carrière diplomatique et au métier des armes. Rude école où s'affirmèrent la sagesse et la bravoure du jeune homme, bientôt promu intendant du palais de Théodebert II, puis gouverneur de six provinces d'Austrasie.
C'est le temps où il se lia d'amitié avec un autre gentilhomme du nom de Romaric, tous deux s'aidant mutuellement à concilier, dans un milieu encore barbare, les exigences de la vie du monde avec celles d'un christianisme jeune et vigoureux. A cet égard, on rapporte qu'ils éprouvaient parfois comme un besoin de solitude, au sein d'une fête étourdissante ou d'une partie de chasse.
Mais l'heure n'était pas encore venue, et sur les instances de ses parents et de ses amis, Arnould épousa une jeune noble qui s'appelait Doda, nom bizarre et apparemment sans intérêt, qui pourtant aura sa résonance jusqu'à nos jours dans la banlieue d'Epinal. Le Seigneur leur envoya deux fils, Anségise et Chlodulphe, qui héritèrent, le premier surtout des traditions de charité en honneur au foyer familial. C'est ainsi qu'à la suggestion de son père, l'aîné à sa majorité abandonna en faveur des pauvres la plus grande partie de son patrimoine. Dans sa Vie de Saint Arnould, Paul Diacre, historien lombard du VIIIe siècle, rapporte ce fait dans une perspective biblique, observant que Dieu, pour ce geste, se plut à bénir Anségise dans sa postérité. Celle-ci devait en effet supplanter la race abâtardie des Mérovingiens, puisque Anségise se trouve être, par Pépin d'Héristal, Charles-Martel et Pépin le Bref, le quadrisaïeul de Charlemagne. Dans le rôle joué à travers tant d'ombres par le grand Empereur, pour le profit de l'Eglise et de la France, ne peut-on pas voir l'héritage de son ancêtre Saint Arnould ? Toujours est-il que Lay-Saint-Christophe, petite village de la banlieue de Nancy, revendique à juste titre l'honneur d'avoir été le berceau de la dynastie carolingienne.
Saint Arnould, devenu un personnage de premier plan, jouissait par surcroît d'un prestige de sainteté tel qu'à la mort de l'évêque de Metz, Saint Pappolus, clergé et fidèles portèrent leurs suffrages sur lui, alors qu'il venait de passer la trentaine. Un tel choix peut nous surprendre aujourd'hui, mais l' Eglise s'est toujours adaptée aux mœurs des époques successives et les élections de ce genre étaient fréquentes alors. Saint Arnould étant de notoriété le plus saint personnage et le plus aimé du diocèse, son état de mariage même ne pouvait y faire obstacle. D'autant que sa digne épouse, vivant déjà comme une religieuse dans le monde ne demanda qu'à se retirer dans un monastère de Trèves, où elle alla finir ses jours.
Le roi Théodebert II ratifia l'élection du nouvel évêque à la seule condition que celui-ci conservât ses anciennes fonctions temporelles. Saint Arnould, en toute simplicité, se prêta à ces exigences, y trouvant une occasion providentielle de poursuivre avec plus de succès le rôle social de bienfaisance qui lui tenait à cœur. On vit dès lors le jeune évêque secourir mieux que jamais les veuves, les pauvres et les orphelins. Il put disposer en leur faveur des finances publiques, orienter la charité des leudes, ses pairs dans la Cité. Il s'appliqua à doter très richement églises et monastères d'Austrasie, à Verdun notamment, à Trèves et à Cologne.
Pasteur d'âmes avant tout, Saint Arnould fait, de 614 à 629, figure de grand évêque dans la liste épiscopale de Metz. Sans doute sommes-nous assez mal renseignés — les « Semaines Religieuses » n'existant pas encore — sur les activités pastorales de ces quinze années. Ce que les biographes ont surtout retenu, c'est son ministère de charité, ses miracles en faveur des possédés et des lépreux qu'il soignait de ses propres mains.
Entre-temps le roi lui avait confié l'éducation de son fils, le célèbre Dagobert. Saint Arnould apporta tous ses soins à former ce jeune barbare intelligent et, si toutes les leçons du maître n'ont certes pas porté, il reste que Dagobert doit à Saint Arnould d'être considéré dans l'Histoire comme le Salomon des Francs. D'ailleurs il s'intéressa comme son maître aux fondations monastiques et sera le créateur de l'Abbaye royale de Saint-Denis, où l'on peut encore voir son tombeau, érigé au XIIIe siècle et sauvé de la Révolution.
Soucieux de maintenir la foi et la piété de ses ouailles, l'Evêque de Metz joua un rôle déterminant au concile de Reims en 625, signant même le premier, à la demande des archevêques, les décisions prises en assemblée.
Citons encore, au compte de sa pastorale, la conversion de Burtulphe. Ce jeune noble austrasien de famille païenne, qu'il avait sans doute connu jadis comme gouverneur, se laissa gagner par l'exemple et l'éloquence de l'évêque. Bientôt baptisé, il entra dans les ordres et mourut deuxième abbé de Bobbio, successeur de Saint Colomban.
Mais à ce train de vie, Saint Arnould s'effarouchait, dans son humilité, d'un prestige croissant et d'une sainteté qui rayonnait, pour ainsi dire à son insu. Pour tenter d'y échapper, on le voyait quitter parfois sa ville épiscopale pour une détente, une retraite fermée, dirions-nous, dans une villa des environs d'Epinal, propriété de sa femme et qui, appelée Dodiniaca villa, est devenue Dogneville.
Cette recherche de la solitude, qui avait déjà hanté sa jeunesse, le reprit d'autant plus que Romaric venait, à l'instigation de Saint Amé, de quitter la cour de Metz pour se retirer chez nous au Saint-Mont. Ce qu'un grand d'Austrasie, son diocésain, venait de réaliser, pourquoi lui, évêque, ne le ferait-il pas ?
En dépit des protestations alarmées de tous les fidèles, Saint Arnould résolut en 629 de se démettre de sa charge. Il distribua tous ses biens aux pauvres et, en guise d'adieux, il éteignit d'un signe de croix un violent incendie qui dévorait le palais en plein cœur de la ville. Cet ultime miracle est demeuré célèbre et il n'en fallut pas moins pour fléchir Dagobert, jusqu'alors farouchement opposé à ce départ.
C'est donc sous les sapins des Vosges que nous rejoignons Saint Arnould pour la dernière tranche de sa vie. Malgré l'attrait que présentait pour lui l'amitié de Saint Romaric, récemment installé au Saint-Mont, il préféra gagner le sommet de la montagne voisine du Fossard, à un endroit figurant encore sur nos cartes sous le nom de « Mort-homme ».
Toutefois, pour rendre service à son ami, il consentit à se faire le « maître des novices » de deux jeunes moines, Saint Germain de Grandval, dont nous étudierons la vie et Saint Adelphe, le futur abbé du Saint-Mont, successeur de Saint Romaric. Le pieux ermite, qui avait fui le monde et son diocèse même, continua pourtant à s'intéresser aux lépreux, qui, attirés, par son don des miracles, le relançaient par les sentiers escarpés de la montagne. Pour eux, il ouvrit, près de son ermitage, une léproserie, considérée comme le berceau de la célèbre maladrerie qui s'établit à la Madeleine de Remiremont, lorsque le monastère du Saint-Mont essaima dans la vallée.
Il y avait plus de dix ans déjà que Saint Arnould vivait ainsi dans une solitude relative, lorsqu'il sentit ses forces décliner. On vit alors Saint Romaric repasser plus souvent le fameux Pont des Fées, toujours debout, qui enjambait la gorge séparant le Saint-Mont du Mort-homme. Le vieil anachorète avait besoin du réconfort de son ami pour paraître devant le Souverain Juge, attendu, disait-il, « qu'il n'avait rien fait de bon en ce monde ». C'est dans ces étonnantes dispositions d'humilité que Saint Arnould rendit son âme à Dieu, le 16 août 640.
Sa dépouille fut ramenée au Saint-Mont et inhumée à l'entrée de l'église abbatiale. La nouvelle de sa mort ne tarda pas à provoquer à Metz une campagne de revendications, qui décida son successeur Saint Goëry à venir à Remiremont chercher le corps du saint Evêque, en juillet 641. Tout au long de la voie romaine de Bâle à Metz, le long cortège descendit la Moselle jusqu'à la cité messine qui l'accueillit en triomphe. Les « Trois Evêchés » lorrains étaient déjà là, puisque les évêques de Toul et de Verdun avaient accompagné Saint Goëry. Le corps fut déposé en une châsse dans la basilique des Saints Apôtres, située hors les murs, à l'emplacement de la gare actuelle. Sous la floraison de nombreux miracles, elle ne tarda pas à changer de nom et Saint Léon IX devait en 1049 y consacrer une nouvelle église. Tous les princes de la Maison de France, Carolingiens ou Capétiens, tinrent à honneur de doter richement, au cours des siècles, le tombeau de leur aïeul, à l'abbaye bénédictine, la plus renommée de la ville, jusqu'au jour où elle fut détruite de fond en comble, pendant le siège de Charles-Quint en 1522. On avait réussi toutefois à transférer à temps la châsse à l'abri des remparts, chez les Dominicains, mais elle ne put, hélas ! échapper au vandalisme révolutionnaire.
La cathédrale de Metz ne conserve plus qu'un fragment du chef de Saint Arnould et son anneau, à la fois matrimonial et pastoral, sauvé par la piété d'un officier de la Monnaie de Metz en 1793. L'intérêt de ce bijou tient à une jolie légende, qu'il nous plaît de rapporter, car elle fournit le thème iconographique si cher aux imagiers. Paul Diacre l'a d'ailleurs recueillie de la bouche même de Charlemagne. Alors qu'Arnould était encore gouverneur, passant un jour sur le pont, il jeta, dans un geste de dépouillement — ce ne pouvait être avec une arrière-pensée de divorce — son anneau d'or à la Moselle. Le dit anneau fut retrouvé par la suite dans le corps d'un poisson que préparait le cuisinier de l'évêché. Tout heureux le Saint en fit son anneau pastoral, le Seigneur semblant reconnaître, par ce miracle, ses nouvelles épousailles avec l' Eglise de Metz.
Le culte de Saint Arnould est demeuré fort en honneur à Metz : il est le patron de ville, avec sa pittoresque rue Sous-Saint-Arnould dans les vieux quartiers ; dans le diocèse, il est titulaire des églises d'Arry, sur la Moselle en amont et de Silly-sur-Nied à l'est de Metz.
Chez nous, aucune paroisse ne lui est dédiée, mais deux chapelles existaient en son honneur : celle du « Mort-homme », mentionnée par Dom Calmet qui y venait en pèlerin, et celle de Dogneville, dans l'ancienne église, démolie pour faire place à l'actuelle édifiée en 1873, et de nouveau détruite à la dernière guerre.
Le nom de Saint Arnould s'attache encore à quelques lieux-dits de Deyvillers, Saint-Amé et Saint-Etienne, par référence évidente à Dogneville et au Saint-Mont.
Le Chapitre noble de Remiremont, fidèle au souvenir de son berceau, avait deux fêtes de Saint Arnould : le16 août, date de sa mort et le 18 juillet, anniversaire de la translation. C'est encore par dévotion pour son ancêtre que Charlemagne aurait visité Remiremont, occasion par ailleurs de chasser l'auroch dans le massif du Fossard. Jusqu'à la Révolution, les Dames se sont également honorées d'avoir reçu de l'Empereur des cheveux de la Sainte Vierge, à lui remis par le Pape Adrien en 774 et que l'on conservait dans un reliquaire en cristal appendu au buste de Notre-Dame du Trésor.
Signalons, pour finir, que Saint Arnould est le patron traditionnel des brasseurs lorrains. Cela se réfère au miracle de la bière, survenu pendant le transfert de ses reliques. Le biographe rapporte en effet que, lors d'une halte, la provision de cervoise se trouva épuisée : « Il n'y avait plus qu'un reste au fond d'un vase. Ni vivres, ni rafraîchissements pour restaurer une si grande multitude. » Le duc Nothon, chef du cortège, adjura Monsieur Saint Arnould de pourvoir à la subsistance de son monde. Et la petite provision de cervoise de se multiplier miraculeusement. On parvient sans peine à désaltérer tout le monde, et ce soir-là et le lendemain. Or on était au mois de juillet. Le lieu du miracle est bien moins précisé ; on sait seulement que c'était dans le Chaumontois, vaste « pagus » de la cité des Leuques, embrassant, jusqu'à leur confluent, les deux vallées de la Moselle à partir de Remiremont et de la Meurthe en aval de Saint-Dié.
C'est encore aujourd'hui par excellence le pays des brasseries. A cet égard, la crypte de Remiremont conserve une statue du XVIe siècle qui, en dépit de graves mutilations, fait songer à Saint Arnould. Il esquisse de la droite un geste de bénédiction ; à ses pieds, un tonnelet, analogue à ceux qu'utilisent encore les brasseurs. On peut voir à Xertigny, en matière d'iconographie, un vitrail en son honneur exécuté en 1953, où il apparaît entouré de petites scènes évoquant la fabrication de la bière à travers les âges. En plein cœur du Chaumontois, et toujours sous le même patronage, la moderne statue de Saint Arnould par Lambert-Rucki, érigée en bordure de la Route nationale dans la traversée de Charmes, accueille de sa main bénissant voyageurs et touristes passant par la Lorraine.