Je l’ai écrit avant. Comme disait Kafka très joliment, les écrivains sont des bêtes qui ont des antennes sur la tête et qui sentent l’odeur de feu avant qu’on ne voie l’incendie. On m’invite souvent dans les écoles pour parler aux jeunes. Et je me suis rendu compte que le feu couvait. J’ai commencé à écrire il y a quelques mois. Au moment où je corrigeais les épreuves avec mon éditeur, j’apprends le massacre à Charlie Hebdo. Parmi les victimes, mes chers amis de 40 ans, Wolinski, Cabu…
Malraux avait bien vu les choses : le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas. Aujourd’hui, au nom de la religion, on tue. Les actes antisémites et antijuifs explosent. Et après les événements récents, on regarde les musulmans avec méfiance. Tout ça fait le jeu des djihadistes. Ce qu’ils veulent, c’est créer une animosité envers l’islam pour que tous les musulmans fassent bloc derrière eux. Et c’est là que pourrait commencer une guerre de religion.
Chacun de nous s’impose en s’opposant, disait Sartre. On a tous besoin d’un ennemi pour exister. Le communisme a disparu, et l’idéologie en face aujourd’hui, c’est le djihadisme. Qu’est-ce que le Komintern disait à l’époque : si vous devenez communiste, vous êtes l’égal de tous les autres communistes. Et que disent l’État islamique ou Daech aujourd’hui : devenez musulman et venez combattre pour un monde égalitaire. Les jeunes qui partent faire le djihad en Syrie, en Irak pensent œuvrer pour un monde meilleur. Mais à la première déviance, c’est le coup de fouet. C’est une pensée totalitaire, mais celui qui y adhère a l’impression de rentrer dans une société égalitaire.
On n’a rien à leur proposer aujourd’hui. Quel jeune ne rêve pas d’aventures ? Moi je suis moins jeune, mais je rêve quand même d’aventures. Et le jour où je cesserai de rêver, je meurs ! Et c’est pour ça que nous sommes en danger. Car en face, on leur vend du contenu, le djihad. Et si ce contenu doit aboutir à des têtes coupées- nous on l’a bien fait pendant la Révolution française-, ils le feront ! Alors on dépense un argent fou sur le net (NDLR : campagne anti-djihadiste) pour dénoncer leurs mensonges. On a tout faux ! Il faut mettre des érudits musulmans en face d’eux pour leur expliquer qu’ils font fausse route.
Peut-être que ce mot est exagéré. Je pense qu’il a voulu réveiller la société française. Quand on veut réveiller quelqu’un, on lâche un pétard, et là, vous sursautez ! Du coup, il y a eu un débat, et l’essentiel, c’est que tout le monde admet qu’il y a une ségrégation en France.
Mais pas du tout, pas du tout ! Il faut seulement expliquer ce que c’est. On n’a pas besoin, comme le dit notre ministre de l’Éducation, une fille adorable par ailleurs, d’introduire une journée de la laïcité à l’école. On s’en fout ! Qu’elle aille à la télévision et qu’elle explique ce que c’est la laïcité ! C’est simple. C’est le respect de toutes les croyances, de toutes les religions dans le cadre de la loi républicaine. Être laïc, ce n’est pas être agnostique ! Le pape François m’a dit qu’il était laïc. Ça veut dire quoi ? Juste qu’il accepte les autres religions. Ici en France, on pense laïc = antireligieux.
Finalement, une autre menace émerge discrètement, c’est le nationalisme…
Quand on a une maladie, on se soigne. Mais il arrive parfois qu’on se trompe de médicaments. Souvent, on sort la bonne vieille aspirine, et là c’est le nationalisme ! On se replie sur soi, on ferme les frontières, car le mal c’est les autres. Et la haine de l’autre vient souvent de l’ignorance. On voit ça partout…
Ce que je reproche, c’est que certains essayent d’expliquer le passage à l’acte des terroristes. On dit, ah il était pauvre, il était à la rue, orphelin, ou il n’avait pas de travail… On cherche des raisons psychanalytiques ou économiques pour expliquer son geste. Mais quand on commence à expliquer, on justifie. Et ça me fout vraiment en rogne ! Si un enfant qui a souffert avait le droit de se venger sur la société, eh bien en arrivant en France, j’aurais pu de poser des bombes partout !
Je ne sais pas… C’est ce que je disais un jour à Golda Meir, une femme formidable (NDLR : Premier ministre d’Israël de 1969 à 1974), Dieu ne m’a pas parlé. Mais je tire une leçon de ma propre vie. Quand on a eu la chance de sortir du ghetto de Varsovie, survivre, devenir un écrivain plutôt connu, se faire entendre par les grands de ce monde, on a une mission. Ou alors vous ramassez des trésors et vous ne savez pas quoi en faire !
C’est une évidence. Les femmes ne jouent pas le rôle qu’elles devraient jouer dans nos sociétés modernes. Sans elles, rien n’existerait ! Les hommes ont confisqué leurs droits, et maintenant, elles les réclament à juste titre.
Je suis gêné quand on se moque de choses qui sont sacrées pour certains, comme de Mahomet ou de Jésus. Je ne vois pas l’intérêt. Les caricatures de Charlie Hebdo, c’est leur droit, mais moi je ne les aurais pas faites. Et je l’avais dit à mon ami Cabu.
Bien sûr ! Mais avec Dieudonné, c’est autre chose. Pour lui, c’est devenu une cause, un combat qu’il a mis en scène sur le net, une sorte d’arène où on jette les juifs en pâture pour qu’ils soient mangés par les lions.
Propos recueillis par Hakima BOUNEMOURA