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L’avenir sous un verger
Ils sont une dizaine de jeunes cadres chrétiens à se réunir régulièrement à Épinal, en présence de l’abbé Alain Cuny, aumônier de l'équipe MCC Jeunes Professionnels d’Épinal. Rencontre
20h30. Il fait encore jour durant cet estival printemps. Ce mois-ci, on s’est donné rendez-vous chez David et Stéphanie à Chantraine. L’ambiance est résolument à la bonne humeur. D’abord, les pommiers sont en fleurs ; ensuite, les gens ici réunis tissent des liens d’amitié depuis quelques années déjà.
Présents à la souffrance
Première et seule question : “Où l’Église est-elle attendue ?” La réponse fuse : “Où elle n’est pas attendue, c’est plutôt la question ! Elle n’est absolument pas attendue”, fait valoir Aurélie. Marie précise : “Le message de l’Église permet d’amener un peu de paix et de fraternité là où elle n’est pas suffisamment attendue.”
De fait, observe Alain Cuny, “l’Église est pas mal attendue sur les lieux de souffrance”. Et l’entreprise en fait partie. Le prêtre accompagnateur des jeunes cadres chrétiens rappelle l’initiative historique de l’évêque Jean Vilnet. Au début des années quatre-vingts, il a défilé à Saint-Dié en tête du cortège des ouvriers Boussac licenciés : “Sa venue était attendue, même si son geste était inattendu !”, commente l’abbé Cuny.
Cohérence avec soi-même
Symptôme contemporain des souffrances dans le milieu du travail, les suicides chez France Telecom. En cause, une carence d’esprit collectif dans l’entreprise : “Des personnes s’isolent tellement qu’elles font l’amalgame entre leur vie, qui est sacrée, et leurs difficultés professionnelles”, analyse Marie.
Face à des injonctions économiques toujours plus aiguës, la pression face aux tâches augmente. Dès lors, la question se pose pour les jeunes cadres du MCC : Comment se comporter en tant que chrétiens ? Comment surmonter, par exemple, des contradictions entre pratique dominicale et exigences professionnelles de la semaine ? “Si le Christ était là parmi nous ce soir, se demande Henri-Louis, quelle question poserait-il ?” “Et quelle question aurait-on à lui poser, pour avoir un regard évangélique des situations ?”, ajoute Alain Cuny.
Ingénieurs qualité de vie
Ingénieur qualité oui, mais qualité intérieure aussi : “Productivité, qualité, sécurité : on est là pour avoir un regard chrétien un peu compatissant, ne pas vivre une coupure entre le dimanche et le boulot”, témoigne Henri-Louis. “Nous tentons de nous mettre à la place de celui qui est en face de nous, de nous montrer plus solidaires, plus indulgents”, ajoute une participante.
“Nous essayons d’amortir un peu la pression dans l’entreprise, de ne pas transmettre les directives telles quelles, d’adapter notre discours pour ne pas communiquer uniquement du stress, d’être attentif aux aspects personnels et privés des collègues.” Karine, qui est professeur, le souligne à son tour : “Dans l’enseignement, la bienveillance est importante aussi !”
Dans le cadre de l’entreprise, les relations avec les clients et les fournisseurs, on peut aussi aborder les questions qui touchent à la foi et à l’Église”, témoigne Jérémie. “On fait parfois des rencontres qui tiennent de la Providence. J’ai accueilli une stagiaire assistante sociale qui était catho, souligne Marie. Je vois l’Église comme un grain de sel. Les grains de sel, c’est nous.” Alain : “ Le sel donne du goût, il aide à vivre ; il ne se voit pas, il se dissout. Le chrétien offre une autre facette, celle de la lumière.”
Dieu au chômage
Dans un monde gagné par l’incroyance, le MCC invite à reconnaître l’Esprit à l’œuvre. Né en 1965, il pose trois principes : se faire disciple du Christ, construire une société solidaire, vouloir une Église ouverte au monde. Il approuve l’initiative privée, mais souligne la nécessité d’une régulation politique pour sauvegarder le bien commun. Face aux impératifs de la performance, il affirme une exigence de solidarité dans l’entreprise.
Son action ? Elle s’articule autour d’échanges d’expériences. Elle part des questions auxquelles les membres s’affrontent dans les entreprises. Il s’agit de rester en cohérence avec les valeurs chrétiennes. Et de témoigner de l’Évangile au cœur des réalités économiques et sociales. Les équipes, fortes d’une dizaine de membres, se réunissent autour d’un accompagnateur spirituel appelé par le mouvement. L’échange se poursuit sur un sujet choisi ou sur les situations vécues, éclairé par un temps de prière sur des partages d’Évangile ; lors des rencontres, sont aussi abordées des questions sociales et économiques : “Dieu a-t-il déserté nos entreprises ? Dieu est-il lui aussi au chômage ? Comment dévoiler et signifier Sa présence, si le visage unique de la personne n’est pas perçu et ne provoque aucun émerveillement ?”
La confiance qui Bouscule
André Romary a été aumônier de prison : “ce qui m’a frappé dans le contact avec le détenu, c’est de voir de quoi il est capable quand on lui fait confiance. l’important n’est pas ce qu’il a fait mais que dieu l’aime. on lui demande de trouver une autre voie.”
Église dans les Vosges (EDV) : Comment êtes-vous venu à vous occuper des détenus ?
André Romary (AR) : A mon retour du Brésil, en 1995, alors que j’étais curé de Neufchâteau, on m’a demandé si je voulais être aumônier de la maison d’arrêt d’Épinal. J’ai accepté, car cela m’apparaissait dans la continuité de l’action en faveur des plus pauvres, lancée après la guerre par Mgr Rodhain, le fondateur du Secours Catholique. Le Christ a dit : “J’étais en prison et vous m’avez visité” comme “J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger”.
EDV : Pour vous, pauvreté et prison sont intimement liés ?
AR : J’ai découvert que la majorité des détenus que j’ai rencontrés étaient les plus pauvres de la société. Au moins 50% sont issus de l’immigration. J’étais allé au Brésil au nom de l’option préférentielle pour les pauvres de l’Église d’Amérique latine. J’y ai vu des prisonniers vivant dans une misère invraisemblable : quarante personnes entassées dans une cellule, couchant sur des hamacs. Rien à voir avec la France. Mais pour moi, il y avait à faire ici aussi. La majorité des détenus ont moins de 40 ans. Beaucoup n’ont pas eu le témoignage de l’affection, de la tendresse.
EDV : Un reproche courant est que l’on s’occupe davantage des agresseurs que de leurs victimes…
AR : Je l’ai souvent entendu. Les aumôniers ne sont pas toujours bien vus. Mais notre rôle est différent : les familles des victimes vivent en liberté, dans la société ; nous allons vers les détenus, en qui il faut reconnaître le visage du Christ. L’homme ne se réduit pas à son délit, à son crime. Aucun de nous ne se réduit à son crime, à son péché. La personne a droit au respect, la dignité de l’homme doit être respectée, quel qu’il soit.
EDV : Spontanément, on n’est guère tenté de rendre visite à des prisonniers !
AR : J’ai un très bon souvenir de cette mission. Elle est enrichissante et utile. On touche le fond du panier, mais on sait qu’il faut peu de chose pour que ces “braves gens” puissent se retrouver, se réinsérer. Il m’est arrivé de servir d’intermédiaire à quelques-uns pour aller demander pardon à leur victime. D’autres s’en sont sortis car ils ont retrouvé confiance en eux. Je fréquente aussi les surveillants dont le travail est très difficile. L’aumônier respecte l’homme tel qu’il est. Il est le seul à pouvoir visiter le détenu dans sa cellule. Ce que j’ai le plus apprécié, c’est le lien personnel avec lui. Je ne lui ai jamais demandé ce qu’il avait fait, il me l’a dit parfois de lui-même. Son problème, c’est qu’il paie sa peine, et plus au-delà. S’il se sent accueilli comme il est, on découvre une personne avide d’intériorité, de spirituel.
EDV : L’important n’est pas la réinsertion ?
AR : Ni argent, ni famille, ni boulot : “Vous me reverrez !”, m’a lancé un détenu à sa sortie de prison. Le secours catholique a créé SOS prison. On aide les sortants de prison à prendre contact avec des organismes, des administrations, des patrons susceptibles de les embaucher. On veille à ce qu’ils soient accueillis humainement par des équipes locales.
L’Église défend la dignité de l’homme car tout homme est fils de Dieu. Elle est appelée à être témoin de la miséricorde, du pardon, de la réconciliation. Elle est témoin de l’espérance et participe à la réinsertion.
Plus fort que la haine
L’abbé Romary garde le souvenir des messes célébrées en prison : “Je disais des messes avec sœur Christiane. Des détenus y venaient, certains n’étant même pas baptisés. Il y avait même des musulmans. Ils voulaient sortir de l’ambiance des cellules ou ils cherchaient Quelqu’un d’autre.”
Dans le silence profond de la messe de minuit, se détache la force de la prière : “On dit à Dieu ce qu’on veut dire.” Reconnaître dans le détenu le visage du Christ : la démarche est exigeante : “Il nous appartient de le respecter, de répondre à sa demande s’il a la foi.” Des réussites ? L’aumônier cite le cas de Tim Guénard, un ancien détenu, invité comme témoin à la maison d’arrêt d’Épinal : “Son message, en langage cru, est bien passé.” Marié et père de famille, Tim, auteur du livre “Plus fort que la haine”, accueille à présent des “paumés” près de Lourdes.
Avec le personnel pénitentiaire, l’ancien aumônier entretient aussi des liens privilégiés : “J’avais cinq surveillants dans ma paroisse, l’un était membre du conseil pastoral, l’épouse d’un autre était catéchiste. J’ai célébré le mariage d’une jeune directrice de la maison d’arrêt, une personne très humaine dont j’ai baptisé les trois enfants.”
L’Église doit aller chez les plus petits
Pour viviane lorange, permanente à la joc, l’église doit être présente dans les quartiers, là où les gens vivent, là où des besoins s’expriment. et le retour est immense.
“Notre maison, on l’appelait la maison du bon Dieu”. C’est pourtant une habitation modeste des Cités nouvelles à Golbey. Dans la salle à manger de Viviane, la photo de Philippe, son mari trop tôt disparu, témoigne d’une présence toujours palpable. Philippe, ouvrier à la Trane à Charmes et militant de toujours à la JOC, ouvrait sa table et sa demeure à tous, y compris les plus pauvres. Le gîte et le couvert, mais aussi son oreille et son cœur. Des qualités d’humanité qu’il a transmises à sa famille élargie à des enfants confiés par la DASS, ainsi qu’à son épouse. Viviane a repris la flamme avec courage, après le décès de son mari, vaincu par la maladie, en juillet dernier.
“Le faux curé”
De Philippe, elle a aussi hérité la foi chrétienne, une foi tenace, renforcée par le contact avec les jeunes en difficulté. Elle va vers eux, et eux lui rendent cette attention au centuple, aux antipodes des clichés sur les habitants des “quartiers”. Pas question pour autant de chausser des lunettes roses pour se travestir la réalité. Mais Viviane trouve dans cette population délaissée des trésors d’humanité qui lui donnent une leçon de vie. Fidèles en amitié, les jeunes demandent écoute, respect et attention à leur problèmes : “Dès lors qu’ils ont confiance en vous, c’est gagné. Je parle aussi du Christ aux jeunes musulmans, mais ils voudraient aussi me parler du Coran. Pourquoi pas ?” “ça vaut le coup d’écouter et d’entendre tout être humain.”
En se portant à la rencontre des jeunes, dans la rue, dans leurs lieux de vie, à la Justice à Épinal, Viviane a obtenu d’être reconnue d’eux : Ils m’appellent “le faux curé”, dit la salariée du diocèse, qui est animatrice fédérale de la JOC et animatrice laïque en pastorale. “Mais je vais les voir sans mettre d’étiquette de la JOC !”
Les yeux du cœur
De quoi parlent-ils ? De leur quotidien : la difficulté à trouver un emploi stable et décent, suffisamment de ressources financières, un équilibre dans une famille souvent désunie. De l’oisiveté, du manque de projets et de perspectives. Des tentations et des réalités du jeu, de la drogue, de l’alcool aussi. Mais Viviane, comme naguère son mari, ne juge pas. Elle tente plutôt d’apporter une aide. D’abord écouter, au-delà des préjugés : “On fait le partage. Il n’a pas à manger, il est mal habillé ? Ce n’est pas l’enveloppe qu’il faut regarder, c’est ce qu’on a dans le cœur. Quelqu’un m’a dit : quand on discute avec toi, on a l’impression d’être en communion avec le Christ.”
Une piqûre de dignité
Partant de la vie des personnes qu’elle rencontre, Viviane en vient petit à petit à leur passer le message d’espérance de sa foi chrétienne : “Ils me disent d’abord : on est les exclus du quartier, les rejetés de la vie”, “on est la racaille, on n’a pas de boulot, on fume des joints, que faire d’autre ? On a l’impression qu’on ne sait rien faire.”
Fière de ses racines ouvrières, Viviane leur répond qu’ils sont capables de faire. Et réaffirme leur dignité : “Pour moi, le plus petit d’entre les petits dans les quartiers populaires, il est grand ! Mon mari m’a donné cette force, il me l’a transmise, et je suis portée par cette jeunesse derrière. Ils me disent que je peux compter sur eux, qu’ils ne me laisseront jamais tomber. Si vous creusez, vous trouvez une richesse insoupçonnée chez les jeunes.”
Le rituel éloigne les jeunes de l’Église. Pour septembre, Viviane prépare une célébration à Golbey où les jeunes s’exprimeront avec leurs mots. Pour dire leurs problèmes et leur espérance. Pas facile, dit-elle, de surmonter les réticences : “Une église, ce n’est pas qu’un toit. L’Église est partout”.
Le courage de dénoncer
Les jeunes jocistes revendiquent le droit à la dignité. 200 d’entre eux ont défilé à Metz le 8 mai pour cela. Ils veulent devenir des acteurs de la société mais aussi de l’Église. Ils revendiquent le droit à un emploi décent comme à une participation accrue dans la vie religieuse : “Quand nous voulons préparer une célébration, on ne nous demande pas d’être partie prenante. Certains croient que l’Église leur appartient, ils font obstacle à ce que les jeunes prennent des initiatives”, dit Viviane Lorange.
Ce que veulent les jeunes de la JOC ? “Prendre la parole, témoigner de leur difficulté de vivre dans la société actuelle : manque d’argent, manque de travail. Montrer qu’ils ont des idées, ne pas profiter de la société mais qu’on leur donne une chance.”
Le sondage réalisé auprès de plus de 6000 d’entre eux montre leurs exigences : amélioration d’une orientation défaillante, de formations stériles qui débouchent sur le chômage ; reconnaissance de leurs droits, même si la part de la population ouvrière diminue dans la société : “Les jeunes s’entendent pour survivre, prennent leur vie en main. Ils le disent à leur manière : Grâce à la JOC, on a grandi, on a pris le courage de dénoncer ce qui n’allait pas.”