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Accompagner en gériatrie

1- Introduction _
_Partage d’expérience et d’idées. Pas de réponse à toutes les questions. La vieillesse, c’est nouveau. C’est une formidable chance, source de joie et d’espérance…
— Or cela fait peur…contradictoire…
— Nouveauté: les très très vieux et leur nombre
— Ce devrait être vécu comme une formidable chance mais…
— Pour preuve, la différence de regard dans la définition de 2 spécialités - pédiatrie = branche de la médecine qui s’occupe des maladies infantiles - gériatrie = branche de la médecine qui s’occupe de la vieillesse [ vieillesse = maladie et être vieux = être malade.
_De plus, aujourd’hui, on meurt quand on est au bout du rouleau de sa vie, ce devrait être aussi une formidable chance par rapport aux siècles derniers ou à d’autres pays…mais, non, notre société traduit cela par vieillir = mourir donc ne pas mourir = ne pas vieillir… _Contradiction actuelle: tout est fait pour que l’on vive longtemps et nous nous interdisons de + en + de vieillir. on en arrive à une absurdité où certains aimeraient supprimer la dernière période de la vie pour ne pas mourir et où on assimile le vieux à un malade!
2- Image du vieillard _
Autrefois: personne honorable regardée avec les yeux de l’amour. Aujourd’hui: personne avec une maladie mortelle regardée avec les yeux du dégoût …comment ne pas se sentir mis au placard…? Il y a de quoi oublier le monde dans lequel on vit, se sentir angoissé, désécurisé, et essayer de remonter à des choses anciennes, des souvenirs anciens, enfouis dans son intériorité, + rassurants
3- Le « naufrage sénile »_ _
Naufrage sénile = perte de mémoire Naufrage soit par trou dans le bateau cMaladie d’Alzheimer Naufrage soit par tempête c tempête existentielle des vieux car non reconnus, phénomène d’aliénation . _J’en arrive à la perte de mémoire, si fréquente chez les très vieux, à la M. d’Alzheimer et ses copines (DCL, Vasculaire, DFT…) à ce qui est parfois appelé « naufrage sénile »
_Dans ma pratique quotidienne, je travaille beaucoup avec les psychologues, nous accompagnons beaucoup de personnes désorientées et nous nous interrogeons très souvent sur la nature de cette désorientation car pas un ne se ressemble dans l’expression de cette désorientation, les étiquettes de telle ou telle maladie ne nous semblent pas justes… _J’ai entendu récemment en conférence Mr Maisondieu (psy qui a écrit « le crépuscule de la raison ») et il a émis une hypothèse intéressante que j’aimerais vous partager. _Maladie d’Alzheimer ou ses copines = « trou dans le cerveau », lésions réelles a traitement par rustine : c’est à dire ;médicaments, 20% de répondeurs seulement (et pour cause…) _Tempête existentielle = réduction de la voilure, repli dans la coque du bateau a je ne veux plus que l’on me stimule, je ne veux pas penser à aujourd’hui en maison de retraite ou ailleurs où on me considère comme malade, ni à demain dans le cercueil puisque c’est inconcevable dans ce monde…psychiquement (ce n’est pas conscient), plus on me demande de sortir de moi-même, plus je m’enfonce en moi même.
4- Phénomène d’aliénation?
Semblables/différents Notion de FRATERNITÉ Risque du jeunisme… …aller vers un ailleurs…
La mémoire est aux ordres du cœur (de l’affectif), nous oublions ce dont nous ne voulons pas nous souvenir Y aurait-il des oublis volontaires, même s’ils sont inconscients…?
Allons un peu plus loin dans l’explication de ce phénomène d’aliénation ou de non reconnaissance.
— Est-ce que nous sommes semblables? Ou différents? Ou semblables avec des différences? Ou différents avec des similitudes?
— On dit souvent que les autres sont nos semblables, nous appartenons à la même espèce…et qu’ils ont des différences avec nous: couleur des yeux, des cheveux, de peau…idées ou culture différentes [ c’est ce qui fait que je suis moi et que l’autre n’est pas moi _A ces 2 paradoxes sont liés entre eux par la FRATERNITE (lien entre les êtres humains considérés comme membre de la même famille avec conscience de ce lien): c’est un lien d’espèce dont je suis conscient et qui s’impose à moi, que je ne choisis pas, je ne peux rompre ce lien, l’autre est mon semblable, que je le veuille ou non. _D’ailleurs la devise française: « liberté, égalité, fraternité »…espérons que dans le débat actuel sur la dépendance.. et attention à l’âgisme (discrimination ou ségrégation à l’encontre de personnes du fait de leur âge)… Genèse, chap 4 : question du Seigneur à Cain: « Qu’as-tu fait à ton frère? »…je crois, aujourd’hui encore, nous avons à répondre à cette question Tertullien, écrivain juif de la fin du 2ème siècle (197), disait des chrétiens: « voyez comme ils s’aiment, voyez comme ils sont prêts à mourir les uns pour les autres »…il parlait certainement des 1ères communautés chrétiennes _Or le problème aujourd’hui, dans notre société qui idéalise le jeunisme (tendance à exalter la jeunesse, ses valeurs et à en faire un modèle obligé) quand je vois cet autre, ce vieux en face de moi…il altère mon être car il me rappelle que je suis mortel et, ça, c’est possible, c’est pas soutenable… _Comme je ne peux pas délier le fait qu’il est mon semblable, je vais le nier…. - « je ne peux plus le voir en peinture! » la vue - « je ne peux plus le sentir » le toucher - « je n’ai plus envie de lui parler » la parole Ä quelqu’un qu’on ne regarde plus, que l’on ne touche plus, à qui l’on ne parle plus…que l’on met à l’écart en fait…que fait-il?...il rentre dans sa coquille, il oublie le monde dans lequel il vit pour un ailleurs…
5- Travail du « Care » _ Prendre soin: 2 dimensions _-Agir sur le pathologique: « to cure » je te soigne = je te guéris

_Agir sur le potentiel de vie: « to care » je prends soin de toi = je t’aide à agir et choisir jusqu’au bout Care: terme difficile à traduire en français, ce pourrait être prendre soin, en complémentarité avec le cure. Prendre soin a en fait 2 dimensions:-

1- Agir sur le pathologique « to cure » je te soigne = je te guéris je suis garant de ta guérison mais si tu meurs, c’est une partie de moi qui part aussi…-

— C ’est la culture médicale française, je suis soignant (médecin surtout, IDE, AS…) pour guérir… Donc là il y a un problème avec la vieillesse, que l’on considère comme maladie dans notre société, mais on ne la guérit pas car on ne guérit pas de la mort… se produit ce que je vous expliquais tout à l’heure: les vieux, on ne les regarde pas, on ne leur cause pas et on ne les touche pas, on ne les montre pas même…car cela rappelle la mort.-

D’ailleurs qu’est-ce que l’on entend qd on dit qu’on travaille en gériatrie à d’autres soignants ou des amis… -- tu as bien du courage, je ne le ferais pas – -- c’est une vocation que de travailler avec les vieux --
— On oublie complètement le 2ème volet du prendre soin
—  2- Agir sur le potentiel de vie « to care »: Car, là, c’est abandonner sa toute puissance de soignant, c’est abandonner le pouvoir de guérir et agir sur ce qui est sain, ce qui va bien, sur les capacités restantes, dit-on souvent. C’est prendre soin de l’autonomie de la personne, l’autonomie étant la capacité à faire ses choix (≠ de la dépendance), c’est tout mettre en œuvre pour qu’elle puisse le plus possible agir et choisir elle-même jusqu’au dernier jour.
6- Comment…?
_ En « humanitude » Par les voies sensorielles Fraternité = action et relation avec tendresse …Confidence…
_Maintenant que nous avons défini le prendre soin, je repose la question du comment, concrètement… _Comment je prends soin de ce vieux, plus ou moins désorienté, dans la durée, en le reconnaissant comme mon semblable, comme être humain à part entière? Nous sommes en plein apprentissage du comment concrètement car, plein de vieilles personnes qui nous arrivent avec des besoins spécifiques et des choix spécifiques, ± désorientées ou en pleine tempête existentielle… c’est nouveau… _Ce que nous savons c’est que la mémoire affective ou émotionnelle est préservée jusqu’au bout: il est donc important de passer par les voies sensorielles, le regard, la parole, le toucher… _Pour une maman c’est naturel de mettre son bébé en humanitude, de le reconnaître comme être humain, en le regardant d’une certaine manière, en lui parlant d’une certaine manière, en le touchant d’une certaine manière, en utilisant ses odeurs d’une certaine manière… _Pour nous, adultes actifs, nous sommes maintenus en humanitude, reconnus comme êtres humains, par les milliers de regards, de paroles, de touchers que nous échangeons constamment avec nos semblables… _Pour les vieux, ceci n’est plus fait, comme je vous disais tout à l’heure: on ne les regarde plus, on ne leur parle plus, on ne les touche plus avec tendresse mais uniquement de manière utilitaire…faîtes-vous petite souris dans nos hôpitaux et institutions, même à domicile et observez le nombre de fois que …. _Difficile pour eux d’avoir le sentiment d’être reconnu comme être humain…
Alors regardons-les avec tendresse, parlons-leur en faisantla question et la réponse si nécessaire ( la réponse correspondant à ce que nous observons de leurs émotions), touchons-les avec tendresse et pas en pince…et ils mourront debout, en être humains
— Apprenons à les observer, les écouter et à décrypter les choix et besoins… c’est possible, nous l’expérimentons tous les jours, c’est loin d’être parfait mais on avance
— Regarder avec tendresse: c’est être à la même hauteur (et pas en dominant, c’est à dire, en regardant par-dessus) ni en regardant de travers de manière suspicieuse..
— Toucher avec tendresse en offrant ses bras ou ses mains à l’autre, en le prenant dans ses bras si besoin…

7- La juste proximité, la juste distance
_ Capacité à accueillir les échanges et admettre mes propres peurs . Différent de : distance entre soi et l’autre. Différent de : froideur, blindage, insensibilité... Egale distance vis-à-vis de mes propres peurs et permettre à l’autre d’être.

_La juste proximité est une notion très importante quand on accompagne dans la durée sinon on souffre.-

3 questions se posent:
— _comment rester une personne humaine, sensible à la souffrance de l’autre, à ses difficultés, à ses pertes (tous les deuils qu’une PA a à faire d’autant plus qd entrée en institution), sans se perdre dans cette souffrance?
— _Comment rester proche sans s’identifier (effet miroir, très fréquent face à un vieux)?
— _Comment ne pas me couper de ma propre résonance intérieure face aux questions profondes face à la souffrance de l’autre, à la désorientation? [ DEVENIR CONSCIENT DE CE QUE JE FAIS La Juste Distance repose sur ma capacité à accueillir l’intimité des échanges et ma capacité à admettre mes propres peurs, mes propres zones de vulnérabilité (si vous ne les connaissez pas…).

_Ce n’est pas écouter (ou accompagner) qu’avec le cerveau intellectuel (froideur) _Ce n’est pas non plus écouter qu’avec le cerveau émotionnel (je prends tout comme si cela m’appartenait, je ne suis pas là pour porter la misère du monde sur mes épaules ou alors je vais tomber)

_Ce n’est pas non plus combler mes manques affectifs (j’offre mes bras à l’autre qui en a besoin mais pas moi, je ne l’oblige pas à se blottir dans mes bras parce que cela me fait plaisir ou parce que j’aurai l’impression d’avoir bien fait mon travail..) _Ce n’est pas la distance physique entre moi et l’autre, c’est une distance vis-à-vis de mes propres affects, sans les nier, en les connaissant…quand l’autre parle de ses propres peurs, ce ne sont pas les miennes, les miennes je les connais donc je ne « confusionne » pas… _Une écologie de l’esprit, un travail de décollement de ma part afin que je n’investisse pas dans l’autre une image de grand père ou grand-mère que je ne pourrai plus quitter…
La Juste Distance, c’est permettre à l’autre: - de dérouler sa propre parole, - de verbaliser ses propres doutes, - de trouver ses propres réponses, - d’exprimer avec ses mots ou ses attitudes, son comportement ce dont il a besoin ou ce qu’il a envie d’exprimer(c’est cela que nous avons à apprendre en gériatrie: les laisser s’exprimer et traduire), - donc de se sentir reconnu comme être humain à part entière La Juste Distance est une dynamique de va et vient en permanence, fluctuante d’un jour à l’autre en fonction de comment je suis moi, accompagnant Nous ne sommes pas toujours au top, c’est bien normal, et nous mettons en place des moyens de défense (ou de protection) quand c’est trop difficile
8- Les moyens de défense
_ Fréquents, automatiques et inconscients Ils baissent les tensions, la peur, l’angoisse Engendrés à notre insu Fonction adaptative Ils sont fréquents, automatiques et inconscients (la réponse part toute seule) Ils ont pour but de diminuer nos tensions intérieures, nos peurs et notre angoisse Ils sont engendrés à notre insu Ils revêtent une fonction adaptatrice, ils nous préservent d’une réalité vécue comme intolérable car trop douloureuse, en fait ils nous arrangent bien en nous libérant de la parole ou de la présence angoissante de l’autre Les médecins sont les champions des mécanismes de défense…

9- Les familles
__ Comment on devient aidant désigné ? La bulle autistique ? Démarche éthique de l’aide aux aidants ?

Aidant principal: le conjoint naturellement si conjoint il y a proximité géographique pour les enfants et la disponibilité professionnelle Au départ sans en avoir conscience, de façon naturelle Puis le souci de l’autre grandit progressivement jusqu’à penser aux choses qui seraient bien pour l’autre devenu dépendant Puis « il faut que tu comprennes que c’est pour ton bien que je t’ai acheté le déambulateur ou que je te mets la barrière de lit ou… » Puis la PA ne comprend plus ce qui se passe et essaye de faire comprendre son désarroi à sa manière… …arrivée des professionnels quand aidant au bord du gouffre, il demande alors aux prof de faire comprendre à l’aidé que ce serait bien qu’il accepte ce que l’aidant veut pour lui car c’est pour son bien L’aidé est alors étiqueté « malade » et l’aidant comme « aidant désigné », interlocuteur principal-

Ce couple malade/aidant désigné est alors dans une bulle (bulle autistique), bulle basée sur l’agir c’est à dire tout mettre en place pour que cela tienne, que rien ne change….cette bulle va mettre le reste de la famille à l’écart Le mode de fonctionnement devient progressivement pathologique « en miroir » oscillant entre valorisation et critique d’un coté comme de l’autre (ma fille est gentille, elle m’aide bien mais, quand même, elle me force à venir ici en accueil de jour; ma mère je l’aime bien, je ferais tout pour elle mais elle fait exprès de ne pas vouloir manger, de faire pipi partout….) -

L’aidant ne lâche que quand il est au bout du rouleau et il lâche complètement…personne ne comprend plus rien à ce qui se passe…situations de maltraitance car le malade est considéré comme non pensant et lui, se sentant non pensant, va devenir actif (tempête existentielle de tout à l’heure), il va rentrer dans sa coquille et faire des bizarreries (considérées comme des bizarreries de notre part)

Démarche éthique pour accompagner les familles: Travailler la relation aidant/aidé, ouvrir cette relation pour casser la bulle Respect des principes d’humanité (dignité, être unique persistant jusqu’au bout) et d’autonomie (liberté de choix): comment penser l’autre comme pensant alors que je n’ai pas les outils pour le prouver? Quel espace pour sa liberté de choix, comment décoder (l’handicapé, c’est moi car je n’ai pas le décodeur)? En effet nous devons faire attention à différentes dérives dans l’aide aux aidants:
— La manipulation: il est très facile d’influencer quelqu’un qui est en demande, risque de dérive par application à la lettre de consignes directives jusqu’à de véritables situations de maltraitance
— L’abus de pouvoir: vouloir tout déterminer pour le couple aidant/aidé
— Ne pas entendre la réelle demande de l’aidant, pris nous-mêmes dans des conflits de loyauté envers l’aidé
— Ne pas vérifier l’impact de notre intervention: par définition, l’aide est quelque chose de ponctuel. Or peut-on encore parler de ponctualité quand celle-ci dure parfois 10 ans? Quant à la notion d’accompagnement, elle contient l’idée de compagnon, c’est à dire celui que l’on mène à un terme connu: si nous connaissons l’issue pour l’aidé, qu’en sera-t-il pour son aidant quand le malade l’aura quitté?
10- Conclusion
Accompagner en gériatrie: Démarche de résistance Démarche d’humilité Démarche d’humanité Démarche d’ouverture
Démarche de résistance face au rejet économique et social dont sont victimes les vieux, d’autant s’ils sont dépendants à la rigidité ou la maltraitance de certaines institutions. _ Démarche d’humilité, de reconnaissance et d’acceptation d’une certaine impuissance, d’un non-savoir et de notre propre vulnérabilité face à ces vieux parfois déroutants Démarche d’humanité, l’autre demeurant toujours un être humain à part entière, ne cessant jamais d’être notre frère en humanité. _ Démarche d’ouverture vers l’amour au-delà de nos compétences professionnelles ou d’écoute

« L’amour ne connaît qu’un seul but lorsqu’il te rencontre: lui-même. Venir au monde encore une fois à travers toi. Se donner à travers toi une chance de plus. Tu es convié à aimer et à servir pour que sur la terre soient l’amour et le service. Tu es convié. Tu n’es pas obligé. Un simple service d’honneur. Voilà tout, Ni plus ni moins. » Christiane Singer

Journée de formation des visiteurs en hôpital et SEM; - Intervenante Christine Cornement

Publié le 23/09/2011 par Paulette Vuidel.