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Quel langage pour appeler aux vocations ?

A l'occasion de la messe chrismale, les prêtres et diacres du diocèse de Saint-Dié sont appelés à un temps de rencontre et d'échange. Le 7 avril 2009, à Gérardmer, rendez-vous avait été donné à Paule Zellitch Membre de l'équipe pastorale du Service National des Vocations et rédactrice en chef d'Eglise et vocations pour un temps d'explications et de mise en perspective sur le thème des vocations. Paule nous propose ici de retrouver le fil conducteur de son intervention. Passionnant.

Question : quel langage trouver aujourd’hui pour appeler ?

L’intelligence […] s’arrête à la limite fixée par les mots (Hilaire de Poitiers, De Trinate II, § 10,) Vaste et belle question ! J’ouvrirai notre rencontre en disant quelques mots du thème donné par Benoît XVI pour la JMV 2009, « Confiance en l’initiative divine et réponse humaine » qui est devenu pour notre campagne pour la JMV « Confiance, lève-toi il t’appelle ! » Mc 10, 49 Ensuite je partagerai avec vous quelques pistes de réflexions, liées aux conditions de l’appel, venues de certaines de mes observations. Je ne cherche pas à être exhaustive, rassurez vous, mais à concourir à l’ouverture de nouveaux chemins par le questionnement de nos représentations pour l’appel aux vocations spécifiques.

Réfléchir à nos modes de communication Si nous prenons la question de l’appel au sérieux, nous ne pouvons pas ne pas réfléchir à la forme et au fond de nos modes de communication, à leur adéquation et à ce qu’ils rendent ou non possible. Nous devons prendre position. Que voulons-nous pour l’Eglise du Christ ? Voulons-nous tenir son universalité à l’échelle du monde, et le moins possible dans nos communautés ? Dans ce cas chacun peut continuer à s’adresser à un petit noyau de fidèles, là où il se trouve. Voulons-nous être signe de l’universalité, là où nous sommes ? Dans ce cas nous sommes convoqués à revisiter non seulement ce que nous faisons et ce que nous disons mais, plus profondément encore, certaines de nos représentations ; ce sont elles qui courent sous les discours que nous tenons et qui disent ou non la vérité de notre engagement dans notre parole. Nous sommes ainsi contraints de penser, ce qui nous réunis ici aujourd’hui, la manière dont nous, membres de l’Eglise, communiquons en matière de vocation spécifique. Comment lire « la » vocation et « la » donner à penser dans la vérité, comme réalité et non pas comme produit de pure subjectivité, intime et/ou communautaire ? Evalue-t-on, pour favoriser le déploiement des vocations spécifiques, le poids des facteurs historiques, afin de tenir une juste distance entre coutumes héritées et modernité en travail ? Mais aussi, comment articule-t-on une anthropologie de l’engagement, premier degré de la réponse, à une anthropologie de l’évolution de la personne engagée ?

Confiance en l’initiative divine et réponse humaine

La « Confiance », est le présupposé à partir duquel il est possible d’envisager la « réponse ». L’homme qui accepte cette affirmation « confiance en l’initiative divine » est un homme qui non seulement croit que Dieu a l’initiative, mais qui fonde sa foi sur une expérience articulée à une tradition ; il la comprend comme une succession d’événements dans lesquels l’Eglise voit, décrypte, un « vouloir », une intention divine. Un tel homme fait confiance à l’Auteur de l’initiative et à la communauté des croyants. Cependant, dans notre culture, tout esprit curieux, en quête d’un minimum de rationalité, aimerait comprendre sur « quoi » fonder précisément une telle confiance. Au fond, il s’agit pour lui de savoir si le croyant fait une lecture seulement subjective et idéologique des événements. L’homme moderne de bonne volonté veut bien aller jusqu’à penser « l’expérience », mais il veut savoir, non seulement comment le croyant en rend compte, mais aussi comment il investit son expérience, en somme comment il l’analyse et comment il la vit. Comme vous le savez, les manières de penser, d’envisager le rapport au monde, ne sont pas étanches. Il n’est donc pas possible d’éluder ces deux types de postures face à la question de la vocation.

A.Depuis la fin du XXème siècle, deux grandes thèses s’affrontent :

la sécularisation comme processus inhérent à la modernité et le retour du religieux comme protestation contre la modernité. Un constat s’impose, la sécularisation se déploie grâce à un véritable consensus social et en occident, dans un contexte politique précis, celui de la démocratie. La société fait sienne les actions et un certain nombre de valeurs venues de l’Eglise ; elles perdent ainsi leur spécificité pour prétendre, progressivement, à l’universel ; elles sont disjointes de la profession de Foi en Christ sauveur qui, longtemps, les a sous tendues. L’Eglise se trouve ainsi dépossédée d’une part de ses marqueurs identitaires et sociaux élaborés au fil des siècles. Une voie, parmi d’autres s’offre à elle, dans la droite ligne de la théologie de la création et de la co-responsabilité : celle de l‘inventivité. Non pas raconter des histoires, mais redonner souffle, pour rendre manifeste la pertinence du message du Seigneur. Les chrétiens devraient se réjouir de voir que, peu à peu, l’occident ait fait siennes des valeurs éminemment chrétiennes comme celles des droits de l’homme, de la solidarité, de l’assistance aux plus faibles, de l’éducation pour tous, de l’affranchissement des personnes, de l’égalité en droits comme en devoirs des hommes et des femmes, aidées en cela par des institutions démocratiques ! N’est- ce pas là le fruit bienvenu de siècles d’évangélisation ?

"voir pour croire"

Je prendrai pour illustrer ce malaise identitaire, un petit exemple, celui d’un certain type de discours contemporain sur la vie religieuse. Il est moins question de l’agir du religieux que de son « être », sa présence au monde, entendus comme témoignage du Christ. Rude tâche et belle ambition, mais difficile à tenir 24 h sur 24 h, vous en conviendrez ! Mais, entre-nous, connaissons-nous un seul être humain qui ne soit pas convoqué à « être » ? Ici, ce qui est qualifié de « spécificité » est plutôt à la croisée du personnel, du subjectif et de l’universel. Or, le monde veut « voir pour croire ». Si nous reléguions la figure de Marthe du côté du monde et des services sociaux qui dirait le « faire » du Christ ? Or tenir de tels propos ne rend pas justice à la vie religieuse, et en particulier dans sa forme apostolique ; ils risquent de lui couper les ailes Pensons, par exemple, aux jeunes qui entrent, par la porte des ONG, dans la voie de l’engagement ! Je ne m’attarderais pas sur le champ de la subjectivité, tant décrié. Cependant, comment parler de foi sans être du côté de la subjectivité ? De l’aube du XVI ème siècle, au siècle des lumières, deux siècles ont étés nécessaires pour fonder le socle de l’édifice de la modernité que nous connaissons. L’avènement du sujet, aussi critiquée soit-elle, n’est en rien contraire à l’évangile. Toute la bible s’intéresse, à la fois, au particulier, à la communauté, et à l’universel. Peut-on parler de foi sans être, pour une large part, du côté de la subjectivité personnelle et communautaire ? Ainsi, une des difficultés de l’appel consiste à tenir ensemble ses deux éléments. Je suis rencontré, alors je crois, je m’engage, je collabore à partir de ce que je suis ; voilà ce que proclame non seulement le converti, mais la Bible toute entière ! La foi est de plus en plus une expérience en quête de vocabulaire et de moins en moins un habitus qui serait du côté de la sociologie. Aussi l’entrée dans la « culture de l’Eglise » demande que chacun s’approprie le langage de la foi, une des grandes richesses mises dans des tonalités nuancées, à la disposition des fidèles en quête d’intelligence de la foi .

Examinons brièvement cette autre affirmation, récurrente : Le champ religieux serait une protestation face à la modernité. Encore faudrait-il nous accorder sur le sens de ce mot. A ce vocable, je préfère celui de contemporanéité, moins idéologique et plus propice à une approche apaisée, chaque époque ayant ses succès et ses faiblesses. Donc le religieux proteste. S’il proteste de la présence de Dieu, de son amour pour les hommes qui s’en plaindra ? Mais le fond de la question n’est pas vraiment là. Le religieux semble protester de ne plus être un des acteurs majeurs de l’organisation sociale, de la pensée, de la morale, sans percevoir toujours qu’il a parfois lui-même déserté ces terrains, enivré par ses propres constructions. Or, quand un discours perd en pertinence, ou n’est plus reçu, « le monde » ne manque pas d’hommes et de femmes qui se lèvent pour proposer d’autres formulations, voire d’autres approches. L’Eglise a, elle aussi, besoin d’hommes et de femmes qui s’attachent à renouer les fils de la communication, du sens, là où ils paraissent distendus, voire rompus. L’Eglise cesserait-elle d’être, dans les sociétés occidentales, une force de proposition ? Je ne le crois pas ! L’Eglise a su traverser des crises, mais notons le, dans des sociétés dont l’organisation n’était pas profondément dissemblable à la sienne. L’Eglise n’était pas perçue comme tout à fait « différente », bien que les fondements sur lesquelles elle repose soient du côté de la radicalité évangélique. Dans la sphère occidentale, le modèle d’organisation sociale, économique et politique a changé. Dans ces conditions penser tenir en maintenant des systèmes opératoires en d’autres temps, semble plutôt risqué. En somme, est-il raisonnable de parier sur des schémas de développements parallèles, Eglise/monde ? Comme chacun d’entre vous le sait, en bonne géométrie, des parallèles ne se rejoignent pas. Or, notre finalité, notre spécificité chrétienne est rien de moins que l’Annonce, élargie, de la Bonne Nouvelle aux nations. Les Apôtres ont été avant tout des hommes de foi, donc de communication. En phase avec le monde, mais libres des esclavages du monde ; ils ont appelé, à l’instar de leur Maître. Il nous faut donc penser, et réévaluer sans cesse notre place dans le monde, notre communication pour le Christ, non pas comme un accessoire parmi d’autres, une manière de séduire, mais comme un impératif vital. Nous sommes sommés, en qualité de chrétiens, d’être d’abord contemporains des hommes, comme Jésus et ses apôtres l’ont été, mais tendus vers l’éternel

la religion sans culture

Pour l’instant, certains surfent sur la vague de la religion sans culture. Des jeunes, hommes et femmes, souvent sans mémoire, ni habitus religieux, adhérent à une religion perçue comme un système de valeurs dont ils attendent cohérence et réponses. Ces adhésions sont souvent vécues comme des ruptures et trouvent leur logique dans une société dans laquelle chacun est convoqué à « accomplir son destin ». Les récits de conversions, de vocations que nous entendons, font dans les premiers temps, parfois assez peu de place à la communauté, aux médiations. Dans mes différentes rencontres, parmi les nombreuses difficultés que les formateurs disent éprouver face à un jeune qui s’engage dans un protocole de vocation spécifique, ils relèvent une tendance à chercher des sécurités du côté du passé, plutôt qu’à l’interroger. Le concept de tradition est parfois difficilement mis en perspective ou questionné par la raison et par l’histoire. La tradition évolue sans cesse, passée au crible de la transmission. Elle n’est pas l’ennemie de la modernité en quête de vérité, car la tradition, si elle est chrétienne, n’est jamais foncièrement étrangère au siècle mais en compagnonnage dialectique avec lui. Ainsi, si certains de nos contemporains se détachent des grands systèmes, d’autres se tournent vers des modèles élaborés à partir d’une subversion du sens d’un donné existant. Le paradoxe de cette subversion réside souvent dans une lecture fondamentaliste des textes, parfois articulée à une importance, hors de proportion et décontextualisée, donnée à la coutume. C’est ainsi qu’un glissement subreptice a lieu : une coutume, fixée, est alors qualifiée de manière tout à fait abusive de tradition, et cela selon des critères qui échappent à la raison critique, donc à toute réactualisation. Le sujet risque d’être alors conduit à se renoncer. Un être qui renonce à tout appareil critique est-il capable d’une parole authentique ? Dans une telle configuration, peut-on encore tenir la vocation, comprise comme appel et réponse, dans son lien inextricable, en saine théologie, avec l’idée d’homme, de sujet, qui s’engage ? Au fond comment penser et vivre encore l’Alliance ou contrat passé entre Créateur et créatures, libres, attentifs et inventifs, sans un appareil critique suffisant pour aller de l’avant ?

B. Appel, incarnation et Eglise universelle

Peut-être faudrait-il continuer notre réflexion sur le langage de l’appel par un travail d’élucidation, à la fois intérieur et personnel. Quelle idée nous faisons nous de l’Incarnation ? Quel rapport me direz-vous, avec la question de l’appel ? La manière dont nous comprenons le sens de l’Incarnation du Fils, imprime notre manière d’être, consciente et inconsciente, face à la question de l’appel. Pensons-nous que l’Incarnation du Fils, dans l’histoire, est pleine et entière ? Qu’elle a eu lieu dans une société telle qu’elle était et non pas idéale ? Croyons-nous vraiment que nous sommes aimés et que le Fils est venu pour chacun ?

Croire de tout notre être en l’absolue gratuité du Don de Dieu, devrait nous rendre déliés, donc déliants. Plus de protections, de masques, nous sommes enfin libérés des tentatives mortifères d’échapper aux blessures narcissiques, tapies au cœur des représentations binaires qui tuent la vie d’être irréalistes. Conscients de la présence du bien et du mal en chacun et d’abord en soi-même, organiser le monde sur ces modes réducteurs n’est plus opératoire : méchants/gentils, purs/impurs, chrétiens/monde ! Nous pouvons alors, sereinement, appeler.

Quand l’interpellation ne se « surimprime » pas, de manière plus ou moins heureuse, sur un ensemble de propositions hétéroclites, quand elle est envisagée, elle est souvent perçue par les individus appelés comme un « possible parmi d’autres possibles ». Aussi, n’imaginons pas que notre parole soit un oukase ou une parole magique. Nous avons le droit et le devoir, en toute simplicité, d’approcher toute personne qui nous semble dire « quelque chose du Christ » pour lui proposer le service de l’Eglise, pour le monde.

Parmi les thèmes qu’il faut aborder, s’agissant de l’appel des jeunes, intéressons-nous brièvement à la famille. Les jeunes qui intègrent les nouvelles communautés, type St Martin, les légionnaires du Christ, l’Emmanuel, ne viennent pas tous de familles dites « classiques ». Les propédeutiques, les séminaires, les communautés religieuses, reçoivent eux aussi, et couramment, des candidats dont les parents sont divorcés, parfois alcooliques, certains ont connu la maltraitance, etc. En somme tous les candidats ne proviennent pas de familles conformes aux postulations idéales. Il conviendrait ici de réfléchir à l’impact des décalages entre notre imaginaire, notre langage, et la réalité sociale ; ces écarts encombrent le terrain, au point de barrer parfois, notre capacité à envisager la vocation de ces jeunes, dans le contexte affectif qui est le leur, aussi baroque soit-il. Malgré la différence des codes, les valeurs sont très largement présentes dans l’ensemble de la jeunesse. Savons-nous déceler, parmi les candidats, atypiques selon nos critères, les pasteurs de demain ? Sommes-nous capables de penser des cursus qui leur soient adéquats et qui participent à la croissance de l’Eglise ? Relevons que de tels décalages entre représentation et réel sont tout aussi présents dans d’autres sphères que celles regardant la famille. Ce qui serait à mesurer en priorité : ce que ce candidat a fait de ses souffrances. Les résilients sont souvent de magnifiques témoins du Christ.

Ces distorsions du discours agissent comme de véritables refus de l’incarnation, que nous ne repérons pas toujours comme tels. En effet quand nous parlons en Eglise de la famille, nous le faisons de fort belle manière ; nous manions avec une virtuosité héritée de la tradition de grands concepts, dont il nous arrive d’oublier qu’ils sont plus de l’ordre de l’idéal que de la réalité. Avoir un idéal et le faire connaître n’est certes pas condamnable. Cependant, dans la construction de l’identité, dans la relation de personne à personne, quelque chose d’essentiel échappe. L’idéal, pour rester du côté du vivant, du désir, a besoin d’être envisagé comme une tension, un chemin. Et ce chemin est lui même inscrit non seulement dans l’histoire avec un grand H mais aussi dans l’histoire des lignées familiales qui se sont combinées, en amont de l’histoire personnelle d’un sujet susceptible d’engagement. Chaque personne est une somme qui ne cesse de devenir et doit être envisagée comme telle. Les chrétiens sont les seuls à être affrontés à l’événement de l’Incarnation du Fils. Il s’est incarné dans un peuple, dans une histoire, pour chacun et pour tous dans une tension vers l’universel. Paradoxe des paradoxes, dans un monde ou les notions d’universel et de particulier se croisent, il semble que le danger de la « mêmeté » en Eglise ne soit pas suffisamment repéré. Vous savez comme moi, que nous nous rassemblons d’eucharisties en eucharisties pour « aller annoncer aux nations », donc pour aller au-delà de la famille et de la communauté, du même.

Appel et mêmeté, un risque pour l’annonce de l’Evangile

En matière d’appel, il y a des chemins qui portent encore du fruit et qui ont pour particularité, et là est le piège, d’être plus aisés à mettre en œuvre. Discerner parmi les jeunes qui fréquentent les groupes scouts, les servants d’autels, les chrétiens en grandes écoles, etc. les futurs serviteurs de l’Eglise n’est pas insurmontable, vous en conviendrez. Certains parmi vous pensent, peut-être, que je désavoue ces manières de faire ? Il n’en est rien ! Je pointe seulement une question de fond qui touche à la manière dont l’Eglise communique , donc à la problématique du langage. A quels jeunes s’adressent les discours tenus en Eglise ? Pour dire les choses autrement, les contenus des discours et des propositions s’adressent à un segment de la jeunesse, qui tend à être de moins en mois varié sociologiquement. Cela ne peut pas ne pas avoir de conséquences ecclésiales et ecclésiologiques dommageables à terme. S’il est certain qu’il ne faut pas négliger cette fraction de la population qui nous est plus habituelle, il est urgent de s’intéresser aux autres segments de la jeunesse, pour prendre en compte l’ensemble de la réalité sociale. Le Christ est venu pour tous. Mais sommes nous encore « équipés » pour cette aventure ? Remarquons que le constat que nous pouvons faire au sujet de la jeunesse vaut pour d’autres tranches d’âges et d’autres milieux. Etre du Christ ce n’est pas chercher seulement le semblable, le proche, mais le lointain, le différent ; c’est vivre le coeur enraciné, une existence en exode. Comme Jean le Baptiste, appelons, sans cesse et à l‘instar du Christ allons, sans aucun lieu ou reposer notre tête car, dans le temps de l’histoire, c’est le monde qui est notre maison. Nous appelons ; le reste ne nous appartient pas.

Transportons nous maintenant dans un tout autre univers, celui des jeunes gens qui n’entrent pas, par déficit de « bénéfice narcissique », dans la connivence des grands groupes médiatisés. Ou pour dire les choses autrement, tous ceux qui ne trouvent pas leur place dans cet univers de connivence triomphante. Je pense d’abord à ceux qui vivent dans des conditions matérielles de grande précarité et dans une solitude sociale extrême ; ils ne comptent pas ou peu comme personnes ; leur identité, leurs désirs ne sont pas pris en considération. Dans le meilleur des cas, ils reçoivent quelques subsides, souvent pour garantir la paix sociale. Il ne faut pas s’étonner de les voir se réunir autour de codes qui leurs sont particuliers, de tenter d’obtenir les biens pensés pour d’autres, mais présentés comme promis à tous. Soyons attentifs à ne jamais annoncer l’Evangile de la sorte ! Peut-être serez vous étonnés d’entendre que nous observons parfois, parmi ceux qui se présentent comme porteurs potentiels d’une vocation spécifique, une certaine proximité avec ce premier groupe. Il arrive qu’un même déficit narcissique soit présent, certes orienté différemment. Ne nous laissons pas aveugler par les diplômes de certains d’entre eux ! Les diplômes ne disent pas la qualité humaine d’une personne, pas plus qu’ils ne révèlent une identité, une conscience. Des philosophes, des ingénieurs, ont été « d’excellents » exterminateurs de juifs au XX ème siècle. Certains de nos candidats attendent de leurs accompagnateurs, voire de leurs supérieurs, des recettes à appliquer sans réappropriation personnelle, évitent toute pensée qui serait dialectique ou source de tensions intérieure et ils s’attachent prioritairement à la forme. Soyons attentifs des glissements possibles, des lectures, à la limite du contre sens, de la notion obéissance. Ces jeunes personnes ne sont-elles pas, elles aussi, des victimes de l’image et de l’uniformisation des discours ? Nous savons tous, qu’à l’épreuve du réel et avec l’aide de la grâce ils auront à faire, comme nous l’avons tous fait, des réajustements, mais tous y parviendront-ils ?

L’apport des sciences humaines et des nouvelles technologies

Il semble que nous renâclions encore à aller du côté des sciences humaines. Et lorsque nous le faisons nous les convoquons plutôt à valider nos pratiques qu’à les interroger. Imaginer approcher « les jeunes », sans comprendre les évolutions de la société et de la culture serait vain. Communiquer demande, a minima, un terreau commun, même non consensuel. Les informations échangées doivent pouvoir être décodées entre émetteurs ; il faut qu’un espace de culture, de connivence soit opérationnel pour que soient présents les conditions, minimales, de transmission et de réception. Mais notre monde, notre environnement paraissent plus éclatés que jamais. Les messages semblent de plus en plus brouillés et énigmatiques, non qu’ils seraient dénués d’intelligibilité mais, au contraire, ils empruntent à de multiples espaces les concepts qu’ils promeuvent à nouveaux frais. Les frontières, le rapport au temps, oscillent, générant parfois de profondes angoisses identitaires amplifiées par les multiples brassages culturels. Regardant les nouvelles technologies, deux mots sur internet le nouveau grand média. Les jeunes y sont manifestement chez eux. Certaines mouvances traditionalistes y sont depuis bien longtemps, et voici que l’Eglise « officielle », jusque là peu investie dans cet espace, commence à être vraiment opérationnelle et réactive. Il y a eu voici quelques mois une tentative du diocèse de Besançon pour donner visibilité au métier de prêtre. Quatre vidéos, ont été mises sur le web, à une semaine d’intervalle. En un mois, 360.000 visiteurs sont allés sur le site ; 20 % d’entre eux ne se déclarent pas catholiques. Ainsi, le temps de l’indifférence religieuse peut aussi être celui de la curiosité, voire de la disponibilité. Nous sommes dans un temps où, grâce à multiplicité des médias, les mots coulent, indistincts, comme l’eau d’un robinet Désormais une de nos questions devient : comment tenir un discours qui soit entendu et qui se distingue des autres logorrhées, à l’horizon de l’appel à suivre le Christ ?

Pour conclure rappelons qu’appeler, c’est dévoiler un « je ne sais quoi » de notre part de vérité Nous n’aborderons pas d’abord ici la problématique de ceux pour lesquels la rencontre avec le Christ est suffisamment forte pour réduire en eux la part d’incertitude, voire d’hésitations dans l’engagement. Le chrétien est un être en crise, du grec krisis car il n’est pas l’homme de la bipolarité, du pur et de l’impur. Nous tous, et je parle ici devant une assemblée de prêtres, savons que la loi comme la morale doivent être gravées sur des cœurs de chair et non être agent de la servitude des hommes. Nous savons aussi qu’il n’y a pas de statut qui mettrait à l’abri des aléas de l’existence. Combien parmi vous, dans la commune condition humaine, ont traversé des moments de profonde solitude, de doutes mais aussi de joie ? Sans votre engagement et celui des fidèles qui entendrait encore le nom de Jésus ? Que vous ayez été là pour le faire, et dans la fidélité, suffit à donner à votre engagement une vigueur incontestable. Vous êtes frères du Christ et à cause de cela frères des hommes. Et s’il vous arrive parfois d’approcher la profondeur de la miséricorde telle que Dieu seul sait la donner, vous laissez alors entrevoir ce « je ne sais quoi du Père » qui fait devenir fils. Jamais les hommes n’ont étés à ce point affamés d’entendre des paroles de miséricorde. Un regard, deux mots au détour d’une porte, une main sur l’épaule, ces myriades d’actes simples qui font une vie. Tous ceux que l’avenir de l’Eglise taraude oublient souvent à quel point il nous faut être et agir, accordés à ce pourquoi nous sommes faits ; ne sommes nous pas les collaborateurs du septième jour, co-créateurs dans l’histoire ?

Tenir l'essentiel

La confiance en l’initiative divine devrait nous donner tous les courages et toutes les audaces. Car il faut être audacieux pour vivre et pour aimer, aimer vraiment. Il ne faut pas craindre l’aventure qui naît de chaque acquiescement comme de chaque refus. Vivre c’est être agent de vie pour les autres. La réponse, notre réponse, peut-elle ne pas être joyeuse si elle est vraie ? Une telle joie n’est pas dans la négation du réel, mais dans une capacité donnée à tenir l’essentiel : l’amour de Dieu qui déborde largement son acte créateur. Créés par l’Amour, nous vivons et mourrons par et pour l’Amour. Ceux qui Lui répondent d’un « Oui spacieux » savent bien que leur voix est minuscule, comme perdue dans l’infini des voies empruntées ; mais ils savent aussi la force de leur si petite voix. Le consentement du prêtre, affronté à l’épreuve du temps et à la solitude, témoigne de la vie d’un homme saisi par le sens de l’Incarnation du Fils. Elle est signe, dans le partage de la vie des hommes, dans toute la largeur du terme. Dans ce mouvement de liberté, éminemment appelant, les raisons d’espérer sont aussi nombreuses que les étoiles dans le ciel.

Publié le 18/07/2009 par Christophe CHEVARDÉ.