“Et vous, qui dites-vous que je suis ?”
Sœur Régine du Charlat est intervenue mardi 18 janvier 2011 à la maison diocésaine d’Épinal sur le thème “annoncer Jésus-Christ aujourd’hui, comment passer de l’implicite à l’explicite ?”. Cette journée d’échanges et de réflexion avait rassemblé de nombreux laïcs en mission ecclésiale. Église dans les Vosges vous propose de découvrir un extrait du discours de Régine du Charlat. Parce que trouver sa propre parole de foi n’est pas évident, voici de belles idées.
Une nécessité et une responsabilité.
Les Évangélistes nous ont livré ce qu’ils ont retenu de leur rencontre avec la “Parole faite chair”. Ils ont écouté, ils ont entendu et retenu l’écho de la Parole qui leur était adressée. Paul, lui, n’a rencontré le Christ que dans l’expérience bouleversante de la foi. Tous - et avec eux bien d’autres disciples - ont eu à cœur de transmettre cette Parole, d’écho en écho, pour qu’en tous elle résonne et donne la vie.
“Et vous, que dites-vous ?” Cette parole, Jésus nous l’adresse aujourd’hui. Il l’adresse à l’Église, il l’adresse à chacun d’entre nous. Le premier écho en nous, c’est la foi. La Parole qui donne vie nous fait vivre à notre tour. Immense don de la foi ! Écho fondamental de la Parole de Dieu qui va nous donner d’en vivre et, à notre tour de le communiquer.
Un contexte difficile
Or, nous faisons l’expérience que cette communication est très difficile aujourd’hui, y compris en nous-mêmes. Il nous faut d’abord essayer de comprendre pourquoi. Le paysage culturel et religieux dans lequel nous nous inscrivons aujourd’hui est complexe.
Il y a d’une part ceux pour qui le langage religieux, tout particulièrement le langage de l’Église, est devenu étranger. Le temps n’est plus à l’hostilité ou au mépris, mais plutôt à la perplexité devant un discours dont on ne perçoit pas la pertinence et qui engendre très vite, en conséquence, une large indifférence devant une réalité sur laquelle on n’a aucune prise. Il ne s’agit nullement d’une indifférence les uns aux autres, à ce qui nous lie dans une commune humanité mais, à proprement parler, de l’indifférence religieuse. Le religieux est hors champ ; on n’est ni pour ni contre, on est ailleurs.
D’autre part, il y a ceux, de plus en plus nombreux aujourd’hui, qui développent une sensibilité religieuse nouvelle, sans rattachement à une tradition particulière. La tendance est plutôt souvent à l’adoption et l’utilisation libre de rites ou de paroles appartenant à des traditions spirituelles diverses. Les chrétiens font là une expérience douloureuse et paradoxale : ils s’éprouvent proches et fraternels de tous mais ils sont eux-mêmes éprouvés comme une tribu étrange, dès lors qu’ils se risquent à exprimer leurs raisons de croire et leurs raisons de vivre.
Il y a peut-être plus grave encore. Car l’Église a probablement elle-même marginalisé de très nombreux croyants, en leur proposant un modèle de chrétien trop exclusivement “militant” ou “savant”. Ils ne peuvent se reconnaître dans un tel modèle. Alors ils perdent confiance en leur propre foi. A la fi n, ils deviennent muets et se mettent à douter de ce qui vit peut-être encore en eux mais qu’ils ne peuvent plus nommer.
Une œuvre créatrice
Parler n’est pas répéter, même si parfois l’expérience peut nous le laisser croire. Une parole n’est jamais répétitive si elle est habitée. “Je t’aime” ou “bonjour” le prouvent s’ils sont vraiment habités.
Pour donner un écho à la Parole de Dieu, nous disposons certes du langage de la Tradition, de la théologie, de la liturgie, souvent aussi d’écrits ou de témoignages qui nourrissent notre foi. Ils pourront peut-être parler à d’autres si nous nous les approprions et les transmettons. Cela ne suffi ra pas si nous n’accomplissons pas l’œuvre de trouver notre propre parole de foi pour la livrer neuve d’avoir recueilli en nous l’écho de la Parole de Dieu dans son infatigable nouveauté.
La parole juste
Attention ! Exigeant ne veut pas dire inatteignable. Juste ne veut pas dire savant. L’exigence est dans l’invitation à œuvrer soi-même mais il n’est pas interdit d’utiliser des paroles empruntées si elles nous parlent. Pour autant, l’œuvre de parler ne sera pas faite à notre place. La parole juste se révèlera dans la double attention à être fidèle à l’Évangile, écouté dans la foi, et à entrer dans une véritable et vivante communication avec autrui.
N’oublions pas non plus qu’il n’y a pas que les mots pour parler. Il y a tout un art de vivre et même l’art tout court. La parole dans tous ses états : la voix, le chant et la musique, la table et le repas, le jardin, le vêtement, la couleur… et “par-dessus tout, la charité”. Enfin - mais il y aurait bien d’autres remarques à faire - n’oublions pas la dimension collective, sociale, institutionnelle de la parole de foi. Passer “de l’implicite à l’explicite”, comme le pro- posait récemment le diocèse de Saint-Dié, révèle bien le désir de donner un écho de l’Évangile, audible aujourd’hui et reçu vraiment comme Bonne Nouvelle.
Régine du Charlat