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Saint Pierre Fourier : "Ne nuire à personne, être utile à tous !

Pour en savoir plus encore sur Saint Pierre Fourier : retrouvez ici des Extraits de « Les Demeures où ils vécurent », Marcel Cordier, éditions Pierron, 1981.

"Ceux qui ne veulent jamais rien hasarder ne sont pas pour faire de grands exploits", écrivait Pierre Fourier dans une de ses 1.500 lettres que nous avons conservées (toute une œuvre littéraire encore mal exploitée, comme son œuvre sociale). Ce genre de certitude, qui fait les héros, les poètes ou les saints, me rappelle une remarque de de Gaulle dans Le Fil de L'Epée : "Ceux qui accomplirent quelque chose de grand durent souvent passer outre aux apparences d'une fausse discipline". J'aime aussi cette autre phrase: "Dans toute la Lorraine, je n'ai rencontré qu'un homme: le curé de Mattaincourt". Elle est de Richelieu (1585-1642). Et quand on sait tout ce qui séparait les deux contemporains de Louis XIII (sur le plan religieux et politique), on mesure encore mieux la portée de l'affirmation du cardinal.

Celui qu'on surnomma "le surintendant moral de la Lorraine" ou "Le Bon Père" et auquel on attribua l'invention du tableau noir dans les écoles, est né à Mirecourt, petite bourgade vosgienne plus célèbre pour ses dentelles et ses violons que pour avoir donné le jour à notre Pierre Fourier (dont Charles Fourier, philosophe et sociologue né à Besançon en 1772, se voulait être un lointain parent). L'étroite ruelle qui le vit naître, aujourd'hui porte son nom. Elle descend vers le discret Madon, dans un quartier sombre et pauvre qui ne donne pas envie d'y vivre; tout y est mort, d'ailleurs. Des pavés gris et roses, inégalement usés, risquent de vous faire trébucher; c'est tout de même mieux que le goudron. Neuf marches de grès bigarré (semblable à celui qui entoure les fenêtres de l'église toute proche) mènent à la porte étroite et close du n° 5. Sur la triste façade, les restes d'une enseigne en fer forgé et une "pierre" de granit noir aux lettres jadis dorées "restaurée le 3 juillet 1965". On y déchiffre le condensé de ce qu'il faut savoir sur le plus grand saint lorrain après Jeanne d'Arc: "Saint Pierre Fourier, curé de Mattaincourt, instituteur de la congrégation de Notre Dame, réformateur et Général de la Congrégation des chanoines réguliers de Notre Sauveur, est né dans cette maison le 30 novembre 1565, mort à Gray en Franche-Comté le 9 décembre 1640, canonisé par N.S.P. le pape Léon XIII le 27 mai 1897".

C'est là, dans le diocèse de Toul (l'un des trois fameux évêchés) et le baillage de la Vosge, que Dominique Fourier, avec son épouse qui lui donnera quatre enfants (Pierre, Jacques, Jean, Marie), tient commerce de draps. On peut le considérer comme un notable ; il sera d'ailleurs anobli en 1591. Comme Jeanne d'Arc, Pierre Fourier "appartient donc à cette classe moyenne française qui est la pépinière de toutes les aristocraties" (Marie-Madeleine Martin). Ses ancêtres étaient de riches paysans (l'un d'eux mourra à 120 ans) originaire de Xaronval (comme le théologien jésuite Nicolas Abram 1589-1657), petit village de la vallée de Colon, affluent du Madon, près de Marainville." y a vraiment des lieux où souffle l'esprit.

Sa vie sera encadrée par deux événements importants: le pacifique concile de Trente (1545-1563) qui veut faire contrepoids aux nouvelles idées du Protestantisme, et l'affreuse guerre de Trente Ans (1618-1648) gravée dans le cuivre de nos mémoires par le Nancéien Jacques Callot (1593-1635) qui meurt l'année où le conflit devient particulièrement dur pour la Lorraine. Richelieu veut la soumettre. Pierre Fourier, fidèle à son Duc, prendra le maquis puis le chemin de l'exil (en avril 1636, l'année du Cid de Corneille). Patriote et pédagogue, notre saint héros ! Un vrai Lorrain !

Après presque vingt ans d'études, à la toute jeune et florissante Université de Pont-à-Mousson (où il entre à treize ans) ou à l'abbaye de Chaumouzey (à l'ouest d'Epinal, disparue), il veut être tout simplement curé de village, au service des plus pauvres et des plus pervertis, dans sa terre natale. Il choisit Mattaincourt, surnommé "la petite Genève" tant la décadence de la religion catholique y est grande, à côté de Mirecourt, et non à Pont-à-Mousson ou Nomeny - paroisse plus facile - qu'on lui proposait aussi. Il prend tout de suite trois résolutions: ne plus quitter cette paroisse, ne pas avoir de bâbette à son service, se passer du mobilier superflu. D'après M. Bedel, à trente-trois ans il a "une taille richement haute et puissante à proportion, le nez un peu aquilin, les yeux bien taillés et un visage égaiement parsemé de lys et de roses".

L'église néo-gothique actuelle du village a été consacrée en 1853, le 7 juillet, jour de la fête du bienheureux ; l'ancienne faisait 30 mètres sur 10. Le presbytère, lui, n'a guère changé. Après être passé devant la margelle où "le 31 mai 1620 saint Pierre Fourier ressuscita une petite fille noyée dans ce puits", sonnez et visitez le musée et la pièce austère donnant sur le jardin, le Madon et son île ombragée.
Dans cette chambre-bureau-chapelle est née l'idée de former une nouvelle congrégation (celle des sœurs enseignantes de Notre Dame) et d'en réformer une autre (celle des chanoines réguliers de Notre Sauveur). Cela n'a pas été sans mal. D'abord le Bon Père "se passait de feu tout l'hiver et ne mangeait d'ordinaire qu'après le coucher du soleil. Il dormait sur un banc, avec un in-folio pour oreiller et son manteau pour couverture. Sa nuit la plus longue était de trois heures" (Léonce Pingaud). Ensuite les autorités civiles et religieuses se lièrent contre lui: on n'a jamais aimé les purs qui sont un miroir sévère pour les médiocres et les tartuffes, surtout quand ils se mêlent de vouloir faire réfléchir ceux qu'on préfère tenir dans une ignorante obéissance. Vincent de Paul (1581-1660) et Jean Baptiste de la Salle (1651-1719) n'étaient pas encore passés par là.

Dans l'église envahie par les ex-voto, devant l'autel, vous pourrez voir la pierre tombale sculptée à l'effigie du bienheureux barbu (dont le cœur avait été conservé par les Graylois mais le corps rendu aux Mattaincurtiens) et lire: "Les précieux ossements du B.P. Fourier (...) ont été tirés avec solennité de ce tombeau le 30 août 1732 par Monseigneur Scipion Gérôme Begon évêque de Toul". La châsse qui contient les reliques se trouve au-dessus d'un gisant dans la chapelle voisine. Sept vitraux modernes illustrent la vie du saint: pour commencer, saint Augustin et la Vierge Marie se penchant sur le berceau, avec, au fond, le baptistère de Mirecourt où il fut baptisé... Ajoutons, entre autres, quatre guérisons miraculeuses: celle des deux enfants de Toul écrasés par un tonneau de vin, celle de Pierre Poirson chirurgien à Nancy, celle de Catherine Colas d'Adompt et celle de deux enfants de Dompierre.

A gauche de l'église, entre deux fenêtres-arrière du bureau de postes, une pierre gravée porte la date de 1719. L'orthographe du texte est assez pittoresque: "Ici est le berceau du sacré institut qui a pour fondemement le zèle du salut il y a 120 q dans ce peti lieu la congrégation de la m de Dieu das ce jardi fermé ou étoi sa maon comaca fervmt ses divin leçons". Bref, c'est là qu'Alix Leclerc, première sœur enseignante, commença à faire la classe gratuitement (depuis on voudrait que les enseignants soient de véritables religieux). De 1599 à la mort du fondateur, 38 écoles seront ouvertes en Lorraine et au-delà de ses frontières, soit une moyenne d'une école par an environ... Le bon grain meurt, mais germe.

Terminons en mentionnant qu'en 1892 Mirecourt dressa une statue au bienheureux Pierre Fourier pas encore canonisé. Elle s'élève en bas de la ruelle natale, sur la gauche, à côté de vieilles maisons abandonnées... Due au parisien D. Puech, elle représente le prêtre montrant le livre où est écrit: "Constitutions de Nostre Dame 20 janvier", allusion à cette nuit du 19 au 20 janvier 1598 où le curé de Mattaincourt eut la vision claire de la congrégation à constituer. Sur le socle, entre deux croix de Lorraine significatives, est gravée sa devise reprise à saint Ambroise: "Ne nuire à personne, être utile à tous", qui se passe de commentaires. (1)

Pour terminer, je vous inviterai à vous rendre à la petite chapelle ronde, de style néo-classique, que la postérité éleva au Bon Père sur la rive droite du Madon, à Mattaincourt. Elle est construite à mi-pente de la colline, au bout d'un chemin bordé de tilleuls. C'est là que le brave curé, dit-on, venait méditer; c'est là qu'on comprend mieux quelles pouvaient être ses idées: larges, à l'image de la vallée; nuancées, comme les couleurs de la palette du paysage; mais aussi imprégnées d'exigence que le sol ne l'est d'eau (Vittel n'est pas loin !). A côté, contre le mur du cimetière, la fontaine - qui porte le nom de Pierre Fourier - distille son éternel murmure qui se mêle aux mélodies des merles. Et regardez la statue du saint, plus modeste mais moins austère que celle de Mirecourt. Son visage - ce qui en reste ressemble à celui d'un malicieux Belmondo souriant dans sa barbe. Les dernières gelées lui ont cassé la figure, au sens propre; toute la partie droite est tombée mais notre personnage s'en moque. Il sait que les grandes âmes ne se forgent que sous les coups de poings du climat et les griffes des petits esprits, doublement acceptés. Le curé de Mattaincourt savait aussi que son Dieu ne manque pas d'humour.

Marcel Cordier

(1) "Pierre Fourier est un type achevé de prêtre lorrain à la fois actif et plein de foi, pratique et pieux, ardent lorrain et ardent catholique, plein de bon sens et de sang froid", Louis Madelin, de l'Académie Française, Croquis Lorrain, préface de Maurice Barrès. La couverture de l'édition de 1928 est dessinée par Victor Prouvé. Cet ouvrage a été en grande partie écrit à Raon-I'Etape, dans les Vosges natales de l'historien. Il est né en effet à Neufchâteau en 1871.


SUR LES PAS DE PIERRE FOURIER

Pour qui sait regarder, l'œuvre de Pierre Fourier reste vivante et voyante. Les demeures où vécut le futur saint sont parfois en ruines, depuis longtemps (Chaumousey, Belchamps), mais les paysages ont conservé leurs formes, leur allure, leurs grandes lignes, leur atmosphère. L'esprit des lieux n'est pas un mythe barrèsien et, de Mirecourt ou de Belchamps, avant Maurice Barrès, Pierre Fourier a pu poser son regard sur « la colline de Sion-Vaudémont, faible éminence sur une terre la plus usée de France, sorte d'autel dressé au milieu du plateau qui va des falaises champenoises jusqu'à la chaîne des Vosges ». Oui, « il est des lieux qui tirent l'âme de sa léthargie, des lieux enveloppés, baignés de mystère, élus de toute éternité pour être le siège de l'émotion religieuse ». On peut rappeler aussi quelques phrases de Lamartine, chantre de Jeanne d'Arc: «La prédestination de l'enfant est la maison où il est né. Son âme se compose surtout des impressions qu'il y a reçues ». Nous commencerons donc notre pèlerinage aux sources par une visite à Mirecourt.

La cité, célèbre pour ses dentellières, a perdu ses remparts d'autrefois mais elle s'étale toujours « dans une position qui ne manque pas de charme, aux flancs d'un coteau dont les pentes rapides vont mourir dans les eaux du Madon » (1). Au milieu de la cascade de ses toits roux, jaillit la flèche grise et acérée du clocher de l'église où le petit Pierre reçut le baptême. Ce doigt pointu indique toujours aux hommes le seul chemin à suivre: celui des hauteurs.

Parmi les vieilles ruelles perpendiculaires à la rivière somnolente, l'une d'elles porte le nom de celui qui y poussa ses premiers cris. Une ruelle étroite, sombre, escarpée descend en escalier à la partie basse de la ville: elle mène à la porte étroite et close du n° 5 ; sur la façade, les restes d'une enseigne en fer forgé et une «pierre» de granit noir aux lettres jadis dorées (2). On y déchiffre un raccourci de la vie du Bon Père « né dans cette maison le 30 novembre 1565».

Plus bas, la statue du saint inaugurée en 1892 grâce à la générosité de Madame Carrière née Aubry (3). «Elle représente le prêtre montrant le livre où est écrit: « Constitution de Nostre Dame, 20 janvier », allusion à cette nuit du 19 au 20 janvier 1598 où le curé de Mattaincourt eut la vision claire de la congrégation à constituer. Sur le socle, entre deux croix de Lorraine significatives, est gravée sa devise reprise à saint Ambroise : «Ne nuire à personne, être utile à tous ». Dans une de ses nombreuses lettres aux religieuses de Mirecourt, Pierre Fourier fait l'éloge de la dentelle: « Je suis extrêmement édifié et tout ensemble consolé de la très belle, très raisonnable, très opportune, très profitable, très nécessaire et très saine résolution que vous avez prise unanimement d'employer désormais votre précieux temps, vos doigts bénis de Dieu et vos fuseaux que je tiens comme miraculeux, à la dentelle pour en gagner du pain... II me serait impossible de vous exprimer la joie et la consolation toutes grandes que le frétillis de vos fuseaux m'apporte quand je me trouve en esprit sur le seuil de votre saint ouvroir... N'ai-je pas bien dit que leurs carreaux étaient de petits champs miraculeusement fertiles... »

Proches de Mirecourt, trois communes conservent le souvenir de leur grand homme: Mattaincourt bien sûr, Poussay et Xaronval. Ce dernier village est situé entre Mirecourt et Charmes, dans la vallée heureuse du Coulon, affluent du Madon. Dominique Fourier, futur marchand de draps mirecurtien, y vit le jour et « y vécut jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans, dans les tranquilles labeurs de l'agriculture ». Le dessus du porche voûté de l'ancienne ferme est orné d'une piéta et d'une plaque mentionnant: «Maison des ancêtres de saint Pierre Fourier». Nous sommes ici au cœur du triangle inspiré qui vit naître aussi Barrès, Claude Gellée, les ancêtres de Victor Hugo, de Charles de Foucauld et des trois frères Crevoisier, barons de Vomécourt. Au XVIIe siècle, Xaronval n'avait pas d'église et ses habitants devaient se rendre à celle du proche Vomécourt par le «chemin des morts». Pierre Fourier, grand marcheur devant l'Eternel, dut l'emprunter plus d'une fois. Ses aïeux reposaient dans le petit cimetière qui invite au recueillement. Les tombes de l'époque ont disparu mais le silence de la voûte romane est encore plein des prières ferventes jaillies du cœur du futur saint qui, à BeIchamps, le 19 juillet 1630, se souvient du «beau bled» (blé) de Vomécourt (orthographié Omécourt à la manière du XVIe siècle).

C'est à Mattaincourt évidemment que nous retrouverons le plus facilement l'âme du Bon Père. II y vécut presque quarante ans. Voici comment apparaissait le presbytère en 1897, l'année de la canonisation : « Elle existe encore, la petite maison du bon curé, transformée, élargie, mais non remplacée, dans le grand bâtiment que les bourgeois de Mattaincourt ont construit au siècle dernier pour les Chanoines réguliers. On y retrouve les pièces basses, si froides et nues au temps où Pierre Fourier en était le maître, lui qui pensait que la pauvreté était le plus bel ornement d'une habitation ecclésiastique; pièces d'ailleurs bien vite garnies de meubles, de linge et de provisions par les paroissiens reconnaissants, lorsqu'ils savaient des hôtes à leur Père» ...

Nous ne sommes plus en 1897: une partie du bâtiment fut vendue, défigurée et subit en 1984 un grave incendie criminel ; heureusement, à la fin de cette même année, le presbytère et la basilique furent inscrits à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques. Le musée est aujourd'hui restauré et rénové.

Dans notre promenade édifiante à Mattaincourt, « grande et belle bourgade située sur les bords du Madon » (Vicomtesse de Flavigny), n'oublions pas de nous rendre à la basilique mais aussi « à la petite chapelle ronde, de style néo-classique, que la postérité éleva au Bon Père sur la rive droite du Madon. Elle est construite à mi-pente de la colline, au bout d'un chemin bordé de tilleuls. C'est là que le brave curé, dit-on, venait méditer; c'est là qu'on comprend mieux quelles pouvaient être ses idées: larges, à l'image de la vallée; nuancées, comme les couleurs de la palette du paysage. A côté, contre le mur du cimetière, la fontaine - qui porte le nom de Pierre Fourier distille son éternel murmure qui se mêle aux mélodies des merles». La chapelle ronde date de 1836, année où le monastère Notre-Dame fut relevé de ses ruines. Ces deux œuvres pieuses sont dues à l'énergique talent d'un prêtre, Léopold Baillard, le héros de La Colline inspirée de Barrès. «C'est durant son séjour à Favières que Léopold prononça le fameux Panégyrique du B. Pierre Fourier, à Mattaincourt, le 7 juillet 1837 ; l'orateur se plut à célébrer, dans le saint curé, l'homme social par excellence, le bienfaiteur de la Lorraine au XVIIe siècle, le créateur d'établissements d'éducation et de philanthropie » (Joseph Barbier).

Transportons-nous plus en aval au «port» de Poussay, chanté naguère par le mirecurtien Martin de Briey dans La Maria Fosca, roman dont l'action se déroule au temps du duc Charles IV. « Sur un des coteaux de la vallée de Madon, à une lieue de Mattaincourt, s'élevait l'abbaye de Portas, aujourd'hui Poussay, portus suavis, port de délices, d'après l'étymologie. C'était un nom prédestiné (...) La première école de la Congrégation de Notre-Dame s'ouvrit à Poussay aux premiers jours de juillet 1598. Les élèves affluèrent ». Parmi les premières enseignantes, Alix Le Clerc, le bras droit de Pierre Fourier, comme Jeanne de Chantal fut celui de François de Sales. Proche de l'église de Poussay, le bâtiment qui abrita la toute première école de la Congrégation naissante est toujours debout, indiqué par une pancarte en bois. Non loin de là, sur la place principale, « on voit encore aujourd'hui un vieux puits, seul vestige du cloître de Poussay, entièrement disparu. Il est de dimensions énormes et frappe par son originalité. Ce qui étonne le mieux est une puissante roue greffée sur un arbre en bois et qui permettait de puiser l'eau jusqu'à une profondeur de 100 pieds (28 m 60). Riche en débit, le puits suffisait à alimenter tous les propriétaires des maisons canoniales et même une partie des habitants de Poussay» (Aimé Gaugué). Rappelons que Montaigne, le 15 septembre 1580, fit un détour pour aller voir les religieuses de Poussay, avant de se rendre à Plombières, via Epinal qui «est une belle petite ville sur la rivière de Moselle ». A cette époque, depuis deux ans, Pierre Fourier était élève à l'Université toute jeune (1572) des Jésuites de Pont-à-Mousson. En route pour les bords bleus de la Moselle !

Le cousin de Pierre Fourier, Jean Fourier (1559-1636), était entré dans la compagnie de Jésus et fut professeur de théologie à la faculté de Pont-à-Mousson, puis recteur de l'Université. Il y accueillit son jeune parent dont il fut le directeur de conscience. Il vécut ses dernières années à Saint-Mihiel où il reçut la visite de Pierre Fourier en 1634. Ce dernier fit donc deux séjours au pied de la butte de Mousson. De 1578 à 1585, il fréquenta la faculté des Arts; puis, après avoir été ordonné prêtre à Trêves, de 1589 à 1595, il suivit les cours de la faculté de Théologie. Une partie des anciens bâtiments reçoivent maintenant les élèves du lycée Jacques Marquette. En face, l'église gothique Saint-Martin possède une chapelle dédiée à celui qui y fut auxiliaire en mai-août 1595. L'élève du fameux Père Jacques Sirmond était aussi l'ami de «jeunes religieux appelés à un grand avenir ecclésiastique: Didier de la Cour, futur réformateur des bénédictins, Servais de Lairuels, futur réformateur des prémontrés. C'est à ce moment que trois amis, réunis sous le même toit, devisaient de leurs espoirs et de leurs projets de renouveau monastique» (René Taveneaux). Ce toit était celui d'un bourgeois mussipontain, nommé Munier, dans la Grand'rue Saint-Martin, aujourd'hui 21 rue du Camp. Une plaque est apposée sur la façade.

Dans la « géographie cordiale» de Pierre Fourier émergent quelques pôles privilégiés, comme le dit si bien le Professeur Taveneaux qui n'oublie pas Saint-Mihiel, « ville de judicature et de couvents dont le rôle fut grand et souvent décisif dans la dynamique des idées: sa situation géographique et sa société à dominante cléricale et bourgeoise devait faire d'elle, à l'époque moderne, la porte d'entrée dans les duchés, des grands courants idéologiques venus de France, humanisme, protestantisme, jansénisme, cartésianisme (...) » Pierre Fourier eut toujours conscience du rôle exceptionnel de Saint-Mihiel, de la ville et de la communauté. Il en parle dans beaucoup de ses lettres en termes enthousiastes, parfois lyriques. Ainsi dans l'une de ses dernières lettres adressée de Gray aux religieuses de Saint-Mihiel, le 28 septembre 1640. Déjà en juillet 1635, « renfermé dans un tout petit lieu », il évoquait avec amour et humour « le lieu où je prends mon repos ». Sur les rives de la Meuse endormeuse, la ville natale de Ligier Richier mérite à plus d'un titre qu'on s'y arrête.

Très différents parce qu'abandonnés - ou presque - se présentent les sites de Chaumousey et de Belchamps. Les âmes romantiques y trouveront leur compte d'émotion. Surtout quand l'automne décore de ses cuivres et de ses ors les ruines de l'abbaye au bord de l'étang Saint-Jean, Chaumousey nous rappelle les deux malheureux séjours que fit Pierre Fourier chez les chanoines réguliers de Saint-Augustin, l'un en 1585, l'autre dix ans plus tard. La maison de Chaumousey, située à quatre lieues de Mirecourt, entre Dompaire et Epinal, avait été fondée en 1093 par un saint anachorète. Quand notre novice y arrive, il n'y trouve que vices! «L'oubli de la règle était devenu complet (...) La cuisine pour dortoir, des os pour nourriture, comme occupation la vaisselle à laver et les cloches à sonner: telle était la dure condition des derniers venus. Jamais une parole d'instruction religieuse n'élevait leur âme vers Dieu...» Comme d'autres, Jean Bedel gémit en voyant « un si beau diamant caché sous la mousse et une fleur odorante parmi les ronces et les épines». Au même chanoine, nous devons ce beau portrait de son ami: « Pierre Fourier avait une taille richement haute et puissante à proportion, le nez un peu aquilin, les yeux bien taillés et un visage également parsemé de lis et de roses » (4). Lors du second séjour, «les souffrances que le jeune Chanoine endurait à Chaumousey se changèrent bientôt en un réel martyre, car plusieurs de ses confrères, animés d'un esprit vraiment diabolique, osèrent attenter aux jours du juste dont la sainteté était pour eux un reproche vivant. A deux reprises, ils lui présentèrent du vin mélangé de poison... » (Mme de Flavigny) (5). Puis ce fut, en mai 1597, la nomination à la cure de Mattaincourt. Un quart de siècle plus tard, Pierre Fourier entreprendra la réforme des chanoines réguliers de Lorraine: il savait bien ce qu'il faisait !

En 1626, après sa rencontre avec Jeanne de Chantal (6), «Pierre Fourier quitta le séminaire de Pont-à-Mousson pour se rendre à Belchamps, où l'appelaient le comte de Vaudémont et l'évêque de Toul. Ceux-ci avaient obtenu que ce monastère, fondé au XIIe siècle dans le site ravissant d'où il tire son nom, consentît à recevoir la réforme» (Mme de Flavigny). Il y revint plusieurs fois, y fut élu Général de la Congrégation de Notre-Sauveur (sa fondation) après la mort du Père Guinet, y trouva refuge après le mariage historique du cardinal Nicolas-François, évêque de Toul, avec la princesse Claude de Vaudémont, sa belle-sœur (1634). Par sa précieuse correspondance, nous savons qu'il y est, au moins le 12 mars 1634 et du 21 avril au 24 août de la même année. Le chapitre général de l'Ordre des Augustins qu'il convoqua à Belchamps dura du 7 au 12 mai. Cinq ans plus tard, le 1er mai 1639, «un colonel allemand» incendiera le bâtiment des religieux. Le temps, la Révolution sans doute et l'incurie des hommes sûrement firent le reste: parmi les impassibles frondaisons ne subsistent qu'un haut portail d'entrée, les remises agricoles aux murs croulants, un vieux pigeonnier et, derrière la seule demeure habitée datant du XVIIe ou du XVIIIe siècle, la tombe d'une femme étrange qui voulu reposer dans son jardin. Sur ce tertre solitaire près d'Haussonville, entre Bayon et Lunéville, on se croirait moins chez Pierre Fourier que chez Alain-Fournier. «Ferme, château ou abbaye? », pourrait-on se demander avec le grand Augustin Meaulnes arrivant au domaine mystérieux.

Début mars 1636, « il y a tout plein de dangers aux environs» de Mirecourt. L'exil du résistant devient nécessaire. « Rien n'est maintenant assuré en pas un lieu du monde ». A son arrivée à Gray, autre « vieille ville espagnole », Pierre Fourier est accueilli dans l'hôtel de la famille Gauthiot d' Ancier, devenu la demeure du prévôt Charles de Bonhours. Une plaque est visible sous le porche d'entrée. Tout proche, la fameuse tour carrée. «Montez l'escalier de pierre qu'elle renferme. Au sommet, il se termine à une sorte d'échelle en spirale, contenue dans un tambour de chêne qui se meut avec elle sur un pivot de fer, et permet de la dérober à volonté. Elle aboutit à une chambrette de quatrième étage, grande d'un peu plus de six mètres carrés, pavée de briques, plafonnée en planches, éclairée de trois petites fenêtres, décorée d'une cheminée de pierre sculptée dans le goût de l'époque, avec l'inscription: Spes mea Deus. Là, Pierre Fourier vécut trois ans». Quand il ne sillonnait pas la ville ou les bords de la Saône..., « parcourant les rues, pénétrant dans les taudis, visitant les prisons, confessant, consolant, le général des Chanoines Réguliers était partout à la fois. Il y avait cependant un lieu où il s'enfermait rigoureusement avec son clerc. C'était l'église afin que l'on ne vît, ni ses extases, ni son don des larmes à l'autel» (Hélène Derréal). Dans cette église, proche du magnifique hôtel de ville, repose le cœur « qui a tant battu» du saint prêtre lorrain, décédé le 9 décembre 1640 (En France, cette année-là, on applaudissait Horace de Corneille, pièce qui dénonce la guerre civile). Au fond de l'édifice, une pierre gravée scellée dans le mur en indique l'endroit. Non sans peine, Charles IV lui-même dut intervenir pour qu'on pût ramener le corps à Mattaincourt.

« Le pays qu'un grand homme a habité et préféré, pendant son passage sur la terre, m'a toujours paru la plus sûre et la plus parlante relique, de lui-même, une sorte de manifestation de son génie, une révélation muette d'une partie de son âme, un commentaire vivant et sensible de sa vie, de ses actions et de ses pensées (...) Ainsi de plusieurs écrivains ou grands hommes dont le nom ou les écrits ont fortement retenti en moi. J'ai voulu les étudier, les connaître dans les lieux qui les avaient enfantés ou inspirés; et presque toujours un coup d'œil intelligent découvre une analogie secrète et profonde entre la patrie et l'homme, entre la scène et l'acteur, entre la nature et le génie qui en fut formé et inspiré». Ainsi parlait Lamartine. Certes d'autres lieux que ceux par nous reparcourus furent aimés ou visités par Pierre Fourier, béatifié en 1730, canonisé en 1897. Ceux où nous nous sommes rendus nous invitent à d'autres pèlerinages, plus intimes peut-être, sur les pas du Bon Père.

Marcel Cordier

NOTES

1. Saint Pierre Fourier, par un chanoine régulier de Mattaincourt, Paris, éd. Desclée de Brouwer, 1897. Les citations sans nom d'auteur sont extraites de cet ouvrage. 2. Cf. Marcel CORDIER, Les Demeures où ils vécurent, Ed. Pierron, Sarreguemines, 1981 3. Désiré Carrière (1813-1853), poète, écrivain religieux, admirateur de Lamartine et ami de Lacordaire, est trop oublié, même dans la ville de Mirecourt où il repose. Le 7 juillet 1853, le R.P. Lacordaire prononça le célèbre panégyrique du Bienheu reux Fourier dans la basilique (nouvelle). 4. Jean BEDEL, La vie du Révérend Père Pierre Fourier..., Toul, 1674, t. 1, p. 12. 5. Voir aussi Jean BEDEL, op. supr. cit., p. 34. 6. Jeanne-Françoise Frémyot de Chantal, née à Dijon (1572-1641), repose à Annecy avec François de Sales. Tous deux furent co-fondateurs de l'ordre de la Visitation, et canonisés. Jeanne de Chantal est la grand-mère de Madame de Sévigné.

OUVRAGES CONSULTÉS

  • Saint Pierre Fourier en son temps publié par les archives départementales des Vosges,1991.
  • Mirecourt au temps de Pierre Fourier par l'Association des Amis du Vieux Mirecourt, 1991.
  • Joseph BARBIER, Les Sources de la Colline Inspirée de Maurice Barrès, Nancy, 1957.
  • Saint Pierre Fourier par un chanoine régulier de Mattaincourt, Paris, Desclée de Brouwer, 1897.
  • Ch. CHAPELIER, Le panégyrique du B. Fourier par le R.P. Lacordaire, Epinal, 1913.
  • Marcel CORDIER, Les Demeures où ils vécurent, Sarreguemines, 1981. Editions Pierron.
  • Hélène DERREAL, Grand saint et grand homme : Pierre Fourier, Paris, 1960.
  • Vicomtesse de FLAVIGNY, Le Bienheureux Pierre Fourier, Paris, 1873.
  • Dr Ch. LIEGEOIS, Saint Pierre Fourier et les médecins, Epinai, 1897.
  • Le Musardon publié par l'Association Madon, en particulier le N° 25 du 20 décembre 1988.
  • Un saint lorrain par les Pères de Benoîte-Vaux, (Meuse), 1942.
  • Léonce PINGAUD, Saint Pierre Fourier, Paris, 1898.
  • Jean ROGlE, Histoire du Bienheureux Pierre Fourier, Verdun, 1887-1888, 3 vol.
  • Pierre Fourier. Sa correspondance, 1598-1640, édit. Hélène Derréal et Madeleine Cord'homme. Préface de René Taveneaux, 5 vol, Nancy, P.U.N., 1986-1991.
  • Vieilles Maisons Françaises, (Vosges), N° 109, septembre 1985.

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Publié le 11/12/2011 par Christophe CHEVARDÉ.