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Sainte Libaire

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Vierge et Martyre

Comme Saint Pierre Fourier que nous étudions plus loin, la Sainte que nous abordons est entièrement vosgienne, ayant terminé sa courte vie sur les lieux mêmes de sa naissance, au pays de Meuse. Sainte Libaire présente de surcroît cet autre intérêt de nous reporter à l'aube même du christianisme dans notre région.
Elle naquit, en effet, et mourut à Grand, aux confins du diocèse et du département, où les historiens se plaisent à retrouver le plus ancien et le plus important foyer de civilisation des Vosges.

D'intéressantes trouvailles, fortuites le plus souvent, ont été, de tous temps, faites à Grand ; le XIXe siècle amena la découverte de la mosaïque la plus vaste que l'on connaisse en-deçà des Alpes, et des fouilles, actuellement en cours, mettent à jour un temple de proportions considérables consacré à Apollon.
Tout cela confirme l'hypothèse des archéologues du siècle dernier, selon laquelle Grand fut, après la conquête romaine, un centre de culte païen particulièrement actif, un lieu de pèlerinage très fréquenté, au point que sept voies romaines en divergeaient en étoile.

Lorsque, avec l'Édit de Milan en 313, l'Église obtint droit de cité dans tout l'Empire, on assista à un déclin progressif du paganisme. Suivant une disposition providentielle, il se trouva que les cendres de culte païen devinrent les premiers points d'insertion du christianisme, grâce au zèle des pionniers de l'Évangile, qui s'attaquaient précisément à ces citadelles de l'idolâtrie. Rappelons-nous Saint Paul à Ephèse, à Corinthe.
C'est ainsi que nous trouvons à Grand l'apparition du culte chrétien, dès le premier tiers du IVe siècle. Et Sainte Libaire en est le plus lointain et le plus vénérable témoin, au sens fort du terme.

Sans doute est-il malaisé pour les historiens de discerner, dans la nuit des temps, les premières lueurs de l'aube chrétienne qui s'est levée sur ce coin de Lorraine. On ne saurait prétendre posséder là-dessus les précisions incontestées qui se réfèrent aux Saints de Rome ou de Lyon.

Nous ne connaissons Sainte Libaire — comme bien d'autres « Saints de chez Nous » déjà vus ou encore à voir — que par une « Passion » écrite au XIe siècle, c'est-à-dire 700 ans après les événements !
Puisque nous parlons aujourd'hui de la « doyenne » de nos Saintes du Diocèse, ne serait-ce pas le lieu de faire, une fois pour toutes, le point sur ces « Vies », sur ces « Passions », qui foisonnent dans la littérature chrétienne, à partir de l'an mil ?

Tous ces écrits sont encombrés de longueurs, de clichés, de faits miraculeux qui se répètent étrangement, à la manière de scénarios, d'une oeuvre à l'autre. Il y a pourtant, au sein de toute cette gangue, une part appréciable d'histoire vraie. Que le rédacteur de telle « Vie » ait, dans un but d'édification et pour satisfaire au goût du merveilleux, enjolivé son récit au détriment de l'exactitude objective, cela ne nous autorise nullement à rejeter en bloc le contenu de sa narration. Par ailleurs, il convient de se garder d'une précipitation quelque peu iconoclaste qui scandaliserait les fidèles plus que la légende elle-même ne scandalise les historiens. C'est le cas des traditions régionales, reçues de temps immémorial et appuyées par les manifestions d'un culte permanent.

Dans le texte même de l'office concédé récemment par la Congrégation des Rites, se trouve donc authentiqué le fait du culte de Sainte Libaire.
De sa « Passion », copieusement enluminée par le pieux narrateur du XIe siècle, nous relèverons seulement un trait qui a passé dans l'iconographie et d'autres qui reviennent souvent, sans être plus vérifiables, dans la vie des Martyrs des grandes persécutions.

D'après la légende, Sainte Libaire aurait été une bergère. Notons d'abord que ceci l'apparente de façon bien sympathique à Sainte Jeanne d'Arc. Et puis, il n'y a rien d'invraisemblable, si l'on songe qu'aujourd'hui aux alentours de Grand, comme dans toute la région de Neufchâteau, abondent ces maigres landes où ne prospèrent que les genévriers, où les troupeaux de moutons font partie du paysage.

Chrétienne de la première génération, vivant dans le milieu païen de son opulente cité, il se trouva qu'un jour Sainte Libaire fut arrêtée et sommée d'adorer les divinités officielles. Toujours dans le but de grandir notre Sainte, la légende la fait comparaître devant l'empereur Julien l'Apostat qui, après de multiples interrogatoires, coupés de miracles et de conversions de soldats romains, la condamne à mort par décapitation en 361. Cette intervention de l'empereur à Grand même est historiquement fausse, pour des raisons de simple chronologie. Sainte Libaire aurait été plutôt victime de quelque proconsul bien en cour ou d'un ambitieux, ennemi du christianisme et sûr de son impunité.

Quoi qu'il en soit, le martyre de cette jeune fille, premier exemple dans la région, était un trop grand événement pour ne pas frapper l'imagination populaire et ne point survivre dans le souvenir des générations, demeurant attaché à des lieux que l'archéologie nous aide à préciser.
Le martyre aurait donc eu lieu sur la voie romaine, près de la deuxième borne milliaire, en direction de Soulosse. Les fidèles ramenèrent son corps pour l'inhumer avec honneur aux portes de la ville, là où s'élève la chapelle, inscrite à l'Inventaire des Monuments Historiques.

L'édifice actuel, héritier de plusieurs chapelles antérieures, date de la fin du XVe , et le cimetière s'était constitué tout autour, de préférence à l'église paroissiale ; simple fait, à l'encontre de toute coutume et qui est encore un hommage : la chrétienté de Grand tenait à reposer auprès de sa Patronne, pour ressusciter avec elle au dernier jour !

Le plus ancien document historique touchant le culte de Sainte Libaire remonte au XIe siècle. Lors de la consécration, en 1090, du maître-autel de l'abbaye Saint-Mansuy à Toul, l'évêque Pibon tint à y inclure des reliques de la première Martyre de son Diocèse.

Quatre cents ans plus tard, renouvelant à une heure grave le même geste de vénération, un autre évêque de Toul transférait en entier le corps de Sainte Libaire en sa ville. Grand subissait alors, comme toute la Lorraine, pendant une des Guerres de Religion, les ravages de bandes conduites par Frédéric, Comte Sauvage du Rhin (c'est le titre dont il se paraît !).
Les reliques furent sauvées de justesse et conduites à Toul par le Cardinal Charles de Vaudémont, en 1587 et déposées à l'abri des remparts dans l'église abbatiale Saint-Léon. Par un curieux destin, le précieux dépôt devait y demeurer deux siècles, à l'exception du fragment restitué à Grand par Mgr de Thyard de Bissy (1692-1704).

En 1719, tandis qu'une sécheresse exceptionnelle désolait la contrée, cette relique fut amenée processionnellement à Neufchâteau et exposée à la vénération des fidèles. A la fin de la neuvaine de prières, où se relayaient auprès de la châsse toutes les paroisses des environs, la pluie se mit à tomber. Heureux temps où l'on croyait si simplement à la vertu des Rogations comme au pouvoir d'intercession des Saints Locaux !

Voici un autre geste de la piété traditionnelle des gens de Grand, qui se situe en 1792. En pleine Révolution, ils allèrent à Toul revendiquer la totalité des reliques, se faisant fort de les garder plus sûrement dans leur village, que ne pourraient le faire les Toulois, devant les injonctions des spoliateurs jacobins. Ils eurent gain de cause et tinrent parole.
Imitant, sans le savoir, les Spinaliens que nous évoquions à propos de Saint Goëry, ils firent aussitôt faire une châsse de bois doré, qui demeura dans la chapelle jusqu'en 1851, où Mgr Caverot transféra les reliques à l'église paroissiale dans une nouvelle châsse. Pour confectionner celle-ci, il semble que l'orfèvre s'inspira d'un ravissant reliquaire portatif en argent, du XVe siècle, classé par les Beaux Arts.

Dans la grande châsse, on déposa, à côté des ossements, divers objets fort rares et également classés comme datant du XIe siècle. Citons notamment un peigne liturgique et une chaîne en cuivre ouvragé, offerte en ex-voto, ornée d'un bijou en émail d'une remarquable finesse, reconnu récemment supérieur à celui de même style que porte la fameuse statue en or de Sainte-Foy-de-Conques, en Aveyron.

Toute cette histoire des reliques témoigne de l'ancienneté et de la ferveur du pèlerinage de Grand. Mais il est un autre hommage impressionnant rendu à Sainte Libaire : le nombre et la dispersion des églises qui lui sont consacrées.
Déjà, dans notre Diocèse, Sainte Libaire est la patronne de Bayecourt, Grand, Lépanges, Ménil-sur-Vair, Padoux, Rancourt et Rambervillers.
Cette dernière paroisse s'honore d'avoir dédié à la Vierge de Grand sa belle église du XVe siècle et, plus récemment, son école libre de filles. Toujours, elle lui a gardé un culte fidèle, alors même qu'elle dépendait du temporel des Évêques de Metz. Ceci lui valut de recevoir de Mgr Caverot, le 6 juin 1851, plusieurs fragments notables d'ossements, conservés dans un reliquaire qu'on expose à la fête patronale.

Nous retrouvons notre Sainte, titulaire en maintes églises d'autres diocèses, certains fort éloignés.
- NANCY : Affracourt, Bralleville, Damelevières (Domina Libaria), Hammeville, Serres.
- STRASBOURG : La Brocque, de notre diocèse avant 1871.
- LANGRES : Courcelles-sur-Blaise.
- CHALONS-SUR-MARNE : Sainte-Livière, Vannault-le-Châtel.
- ARRAS : Ayette.

Il convient de faire une mention à part pour le diocèse de Meaux, dont une paroisse porte le nom de Condé-Sainte-Libaire (à 10 km de Meaux, sur la Marne). Désireuse de posséder des reliques de sa Patronne séculaire, elle envoya, en août 1700, une délégation à Toul. La requête agrée, ce fut, l'année suivante, l'occasion de grandes fêtes. Bossuet les présida le 25 octobre 1701, en célébrant la Messe pontificale au cours de laquelle il prononça le panégyrique de Sainte Libaire. Le texte n'en figure malheureusement pas dans les oeuvres complètes de l'illustre orateur ; on n'en connaît que le canevas écrit de sa main et conservé aux Archives de Meaux. Citons, à défaut, un extrait du procès-verbal de cette translation, scellé ce jour-là dans la châsse :

« Après l'adoration du T.S. Sacrement et notre prière faite devant la châsse que nous avons baisée en toute révérence, Nous avons expliqué au peuple, attiré de toutes les paroisses voisines à cette solennité, les causes de notre venue, pour exposer au culte public les sacrées reliques de Sainte Libaire, Vierge et Martyre, Patronne de ce lieu, enfermées dans cette châsse ... Puis Nous estant revêtu des ornements pontificaux, Nous avons assisté à la procession solennelle à laquelle la Sainte Relique a esté portée par les prêtres dans la grande rue de la Paroisse et dans la cour du Chasteau.... et Nous avons célébré pontificalement la Messe de la feste des Saintes Reliques …

† JACQUES-BENIGNE, Evêque de Meaux .»

On aimerait savoir si les paroisses indiquées ont conservé, outre ses reliques, quelques représentations de Sainte Libaire. Dans notre Diocèse, si souvent ravagé, peu d'objets d'art en subsistent.
Sans prétendre être complet, citons deux statuettes en pierre, du XVIe siècle : au tombeau de Saint Elophe et sur le calvaire de Viocourt. La Sainte y figure avec sa quenouille et des moutons à ses pieds.

La plupart des paroisses, dont elle est titulaire, ont son vitrail du XIXe siècle. De même, Rambervillers à sa statue réalisée par Dié Mallet, un enfant du pays.
L'art moderne est représentée, en vitrail, dans l'église de Bayecourt et à la basilique de Mattaincourt, parmi les principaux Saints du Diocèse.

Pour finir, il nous plaît de constater que chez nous demeure le culte de cette Sainte, notre douce aïeule dans la Foi, qui, du fond des âges, a rayonné bien loin à travers la France et à qui le grand Bossuet a rendu si bel hommage, au soir de sa vie.
Et cela nous console de savoir si peu de choses de la vie terrestre de notre première Martyre.

Publié le 31/10/2010 par Alice.