Un cœur fidèle
A l’épicentre du tourbillon de la société, la famille demeure un pôle stable, contesté et convoité. Famille monoparentale, homoparentale, composée, recomposée : les praticiens qui veillent quotidiennement au chevet des familles vosgiennes en difficulté y perdent leur latin. Peu ou pas de familles qui soient épargnées par le divorce, la séparation, les naissances hors mariage. Et le mouvement ne fait, semble-t-il, que s’accélérer. Échaudés par l’exemple de leurs proches ou de leurs propres parents, la plupart des jeunes hésitent à s’engager. D’autant que la dislocation des foyers s’accompagne fréquemment d’un cortège de souffrances morales et financières.
Renouveau chez les jeunes
Les statistiques le confirment : dans les ZUS (zones urbaines sensibles) des Vosges, on recensait en 2005 deux fois et demie plus de familles monoparentales qu’ailleurs : 28,6% au lieu de 12% en moyenne. Avec une aggravation analogue du chômage 27,1% contre 12,3%. Dans ces quartiers, on relève un bien plus grand nombre de personnes non diplômées, non imposées sur le revenu, bénéficiaires de la CMU, d’origine étrangère et âgées de moins de 25 ans. Cela dit, l’Insee observe que l’arrivée des familles monoparentales a “produit un gain” de 823 personnes dans les Vosges : “Un territoire rural qui, comme la Meuse, accueille plus de familles (couples avec enfants) qu’il n’en part.”
Ici, le pacs est “à la noce”, comme ailleurs. Le succès du “pacte citoyen” recouvre le recul de l’engagement spirituel, à dimension religieuse. Sans concerner exclusivement les unions de couples homosexuels, comme initialement dénoncé. Simultanément, les mariages “classiques” connaissent un regain de faveur : en 2008, leur nombre a cessé de baisser à Épinal et a même augmenté à Saint-Dié. Le mariage reste considéré comme un projet plus riche et durable : il s’agit, selon le voeu du sociologue Xavier Lacroix, d’assumer de front “engagements conjugal et parental, de redécouvrir le sens du don (du corps, du temps et du service), tout en gardant une respiration sociale : la famille gagne au pluralisme.”
Transcender les égoïsmes
L’enjeu est aussi sociétal : “Sans famille heureuse, pas de société vertueuse”, martèle Michel Godet. Le modèle familial permet à la société de dépasser le corporatisme des générations, les intérêts catégoriels de différentes tranches d’âge : “L’accumulation des richesses n’est pas une fin en soi”, note l’économiste humaniste. Nos actions sont d’abord motivées par la création de liens et pas seulement de biens. Des exemples ? Dans les couples de la nouvelle génération, les pères s’investissent davantage dans l’éducation des enfants. Ils prennent plus volontiers en charge les tâches ménagères. Quant aux femmes, elles continuent à incarner les piliers de la famille, en dépit d’une présence au travail désormais aussi importante que celle des hommes.
L’épanouissement de l’enfant
L’idéologie réactionnaire du “retour à la terre” qui masquait bien des injustice et hypocrisies a durablement disqualifié les valeurs de la famille. Nul besoin de regretter une autorité patriarcale parfois violente et tyrannique, rarement à l’écoute des problèmes des enfants, voire de l’épouse confinée aux tâches ménagères. Le carcan d’un conformisme étroit avait inspiré le fameux “Familles, je vous hais” de Gide.
Pastorale familiale : mieux coordonner
Préparations au baptême, au mariage : des tâches menées à bien, mais en ordre dispersé, par les équipes des bénévoles de la pastorale familiale du diocèse. D’où l’idée de mieux coordonner les mouvements familiaux du département. Pour la préparation au mariage des couples chrétiens, une équipe de sept personnes s’est constituée autour de Marie-Hélène Sesmat, d’un médecin, d’une assistante sociale ... Elle se réunit une fois par trimestre à la maison diocésaine : “Que pourrait être le rôle de la pastorale familiale ? Nous voudrions recenser, connaître l’action de tous les mouvements familiaux du diocèse”, explique Mme Sesmat. Il s’agit de faire remonter de bonnes initiatives, prises spécifiquement par des équipes isolées.
Les équipes de bénévoles ont besoin de partager, de dialoguer entre elles pour unifier leur action. Souvent, elles attendent une formation renforcée pour mieux répondre aux questions des familles. “Les équipes de formation au mariage se sont déjà réunies le 9 octobre à la maison diocésaine, récapitule Mme Sesmat. Pour la préparation au baptême, tout reste à faire.” Des équipes fonctionnent déjà très bien. A Épinal, par exemple, sept couples assurent la préparation au mariage. Face à l’évolution de la société, des bénévoles souhaitent être mieux armés, pour respecter à la fois les règles de la religion catholique et mieux définir les attentes des couples d’aujourd’hui.
Un besoin de formation
“Les candidats au mariage sont prêts à entendre l’Église, mais on ne sait pas toujours quoi leur proposer”, note Marie-Hélène Sesmat. Comment faire un bout de chemin avec eux, voir où ils en sont ? On voudrait trop leur donner d’un coup”, poursuit-elle dans son autocritique : “On a un problème d’écoute et de formation. On ignore notre marge de manœuvre.” La démarche de renouveau se pose comme une entreprise indispensable, mais délicate. Il convient à la fois de s’adapter sans décourager les personnes qui font preuve d’un remarquable dévouement.
La part du rêve
Nourriture, vêtements : les associations doivent toujours répondre aux besoins basiques des familles en détresse, observe Michel Langloix. Explication.
Comment se fait-il que le Secours Catholique, le Secours populaire, les Restos du coeur doivent suppléer les défaillances d’un système de solidarité éprouvé ? La question interpelle. Responsable de la politique sociale du Département, Michel Langloix fait état des progrès constants des aides accordées à des familles en difficulté de plus en plus nombreuses : “La fréquentation des permanences sociales du Conseil général a augmenté de 15 à 20% en un an.” Une aggravation due aux pertes d’emplois, mais aussi aux séparations et déchirements familiaux, eux-mêmes provoqués, parfois, par des difficultés financières. “Pourtant, les gens sont quasiment logés gratuitement, grâce à l’APL payée par la CAF, observe le viceprésident du Département. Le seul problème résiduel, celui des charges, comme l’électricité, est résolu désormais par l’intermédiaire du Fonds solidarité logement.”
Le quotidien oublié
Depuis début 2009, le Département a en charge les bénéficiaires de l’allocation parents isolés, et des fonds exceptionnels sont alloués aux familles en très grande difficulté. Alors, que reste-t- il à faire en faveur des plus démunis ? “Le problème qui se pose, c’est que la protection sociale va plus vers les soins (à travers la CMU), plus vers le logement que pour la vie de tous les jours”, analyse Michel Langloix. “On n’a pas assez d’outils“ au ras des pâquerettes”.
Les associations caritatives amènent les moyens de manger et de s’habiller. Mais la question, c’est aussi que les dépenses ne sont pas toujours bien adaptées.”
Solidarité réelle
La famille cristallise les problèmes de la société. Et l’élu d’évoquer le détournement de l’aide scolaire de rentrée par des parents peu soucieux de la réussite scolaire de leur enfant, l’abandon des adolescents le jour même de leurs 18 ans, et celui des parents au moment venu de payer la maison de retraite : “Nous sommes obligés de nous porter devant le tribunal”. La solidarité familiale a des limites, mais elle se manifeste aussi de manière éclatante : “Prenons garde de ne pas noircir le tableau !”
L’Église et la famille
Lors de la dernière session évêques/ prêtres de l’Est de la France en octobre dernier Anne Lannegrace – directeur adjoint pour le département “Famille” de la Conférence des Évêques de France - a partagé ses recherches en qualité de psychologue et psychanalyste. État des lieux : le nombre de couples qui se constituent et ont des enfants en dehors de toute inscription sociale et civile s’accroît constamment. Il en va de même des ruptures et des divorces, des familles monoparentales, des familles recomposées.
La famille comme institution est malmenée. Mme Lannegrace évoque les nouvelles modalités de la mise en couple, les fondements du couple, les raisons les plus fréquentes de la crise du couple. Elle s’interroge : “la plupart des mariages se termineront-ils par un divorce ?” ; Elle observe : “on assiste actuellement à une redécouverte de la valeur du mariage et du couple stable par les jeunes couples, encore à peine perceptible”. Les questions actuelles de société concernant la famille sont également évoquées : l’éducation à la vie de couple, le soutien à la parenté ou à la “parentalité”, le statut du beau-parent, le bien de l’enfant, le travail du dimanche, l’homoparentalité, les mères porteuses.
Actuellement, la question de la conception de la famille est essentiellement abordée sous l’angle de la politique familiale : “l’État se veut solidaire des individus en valorisant leurs désirs propres mais la famille comme lieu prioritaire d’apprentissage de la fraternité, de la solidarité et du bien commun n’est pas suffisamment envisagée”. L’approche anthropologique n’a pas été absente de la réflexion : que reste-t- il d’incontournable pour que l’homme reste humain ?
Aujourd’hui, il n’est peut-être pas superflu de rappeler que pour naître, un enfant a besoin d’une mère et d’un père ; pour grandir, il aura toujours besoin d’une communauté humaine. Quelques propositions d’accompagnement que l’Église peut initier, encourager : l’éducation sexuelle et affective des jeunes, l’éducation et la préparation à la vie de couple et à la conjugalité, la mise en place de lieux de vie, d’accueil, d’écoute dans le but d’aider les jeunes couples à construire ce qu’ils ont commencé à vivre mais aussi dans un but de prévention ou de conciliation au moment des crises.
Session inter-régionale évêques/prêtres
La famille résiste
Directeur de l’UDAF, organisme qui compte 15000 adhérents dans les Vosges, Bernard Rémy insiste sur le rôle d’amortisseur que continue à jouer la famille en temps de crise.A 52 ans, Bernard Rémy, fils d’un diacre et de la fondatrice de “Relais-Emploi-Service”, a vécu l’évolution de la famille, une structure qu’il continue d’accompagner au quotidien avec son équipe. Organisme non confessionnel et apolitique, l’Union départementale des associations familiales des Vosges propose des conseils juridiques, de consommation, de logement, de surendettement. L’an dernier, l’UDAF a lancé un questionnaire auprès de 4000 familles vosgiennes sur la fonction parentale. Le taux très élevé de réponses, 40%, montre à quel point le sujet passionne.
Que ressort-il de votre enquête ?
C’est un très gros travail, résumé dans un rapport de 81 pages. Dans cet “observatoire de la famille”, on constate que beaucoup de parents connaissent des soucis, notamment ceux qui sont confrontés à des pré-ados ou adolescents. Ils connaissent mal ou pas du tout les dispositifs d’aide et ne souhaitent pas toujours y recourir. Ils accepteraient de se rendre néanmoins à l’école, à la mairie ou dans une association pour parler ou s’informer de préférence avec un psychologue ou un médecin spécialiste. Centre social et travailleurs sociaux n’arrivent que bien après, car les parents ne veulent pas qu’on assimile difficultés parentales et sociales.
Comment voyez-vous évoluer la structure familiale dans les Vosges ?
Un mariage sur deux se termine par un divorce. Les départements ruraux arrivent au même niveau que les grandes villes il y a peu. Il ne faut pas se fier à la recrudescence du nombre des mariages.
Cela peut relever du phénomène de mode dans une société très médiatisée, où il suffit de deux ou trois mariages retentissants pour donner l’idée à certains de se marier ! Plus sérieusement, on assiste aussi à des officialisations de situations de vie commune. Après 15-20 ans de vie maritale, des couples régularisent, afin de donner un sens à leur vie, de bénéficier d’avantages juridiques.
La famille souffre de la crise, mais joue aussi le rôle d’amortisseur…
Heureusement que dans la société actuelle, elle existe encore. Elle constitue l’un des deux amortisseurs avec les associations. Il ne faut ni l’idéaliser ni la diaboliser. Elle est capable du meilleur comme du pire. Il y a des étapes difficiles, comme la disparition des parents, les problèmes de succession mal assumés qui peuvent la faire imploser. Mais on voit aussi des solidarités familiales extraordinaires, dans les familles nombreuses par exemple. Avec des handicaps au départ, des moyens financiers limités, une maison étroite, une maman qui travaille, on voit une osmose entre les frères et sœurs, une sœur aînée qui s’occupe des plus jeunes, des liens qui se traduisent par le plaisir de se retrouver ensemble en famille le dimanche.
Quand la mère est restée à la maison, cela lui permet de pouvoir donner une réponse sur le champ au jeune qui a envie de parler de ses problèmes. Il faut être là à ce moment-là ! La famille ne résiste encore pas trop mal. 68 avait annoncé sa mort, mais là où la famille est présente et active, les gens en difficulté arrivent à mieux s’en sortir. En cas de chômage et de mal-être, le jeune a des chances de s’en sortir. Si la famille est désorganisée ou n’existe pas, il va gravement souffrir du manque de repères.
Reconstruire les femmes en rupture de couple
Divorcées et victimes. Les adhérentes du groupement chrétien “Renaissance” se mobilisent pour une vraie reconnaissance de leur dignité.
L’histoire de cette Vosgienne est exemplaire. Son couple a mal tourné. Victime de violences de la part de son mari, cette mère de famille a choisi la séparation et ne le regrette pas : “Je suis partie la nuit avec un sac, pendant que mon mari était aux urgences psychiatriques et avant que ce bourreau ne revienne. Commence ensuite une autre vie, consacrée à l’éducation des enfants. Une existence difficile – pas le droit de tomber malade - dans une sérénité et une estime de soi retrouvées : “On se retrouve seule. Mais on prend conscience des valeurs qui nous sont propres, on mesure tout ce qu’on peut faire par nous-mêmes.”
Arrive la cinquantaine, l’heure d’un bilan contrasté. D’une part, l’échec d’un projet de couple, sanctionné par un divorce. D’autre part, la conviction d’avoir malgré tout réussi à construire quelque chose de positif, en affrontant de multiples incompréhensions. “Quand on divorce, le regard de l’Église nous chagrine. On a peur d’aller à l’office, on reste au fond de l’église, on a peur de prier.”
En se rencontrant dans la bonne humeur, lors de réunions régulières et conviviales, ces chrétiennes partagent leurs expériences et leur espérance. Celle de retrouver tout le respect auquel elles ont droit, malgré une atteinte au sacrement de mariage qu’elles n’ont pas souhaitée, mais subie.
Contact : XX.XX.XX.XX.XX