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Une culture de Salut

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Le chant, la danse, le théâtre : autant de pratiques qui favorisent le salut social, intellectuel et spirituel. Elles sont en plein réveil dans les Vosges. Dès la fi n du XIXe, des patrons protestants venus d’Alsace ont promu les activités sportives et culturelles dans le textile.

Aujourd’hui, collectivités, écoles et associations s’efforcent de soutenir l’accès à la culture au plus grand nombre. Suivant l’exemple de passionnés, comme l’abbé Ory à Fontenay, des institutions comme le Conseil Général et le Conservatoire Gautier d’Épinal épaulent la formation au chant choral, activité très vivante dans le département.

A Épinal, la culture contribue au rapprochement entre les confessions, ainsi que le démontre l’affluence aux conférences de “Culture et Foi”. Mais des divisions - pas seulement géographiques - continuent à nuire au rayonnement de la culture aux quatre coins du département.






Pionnière de la culture pour tous

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La Ville d’Épinal recueille les fruits de sa politique d’accès à la culture par une affluence, unique dans la région, à une pléiade de manifestations. Entretien avec Jacques Grasser, adjoint à la culture.

Classe le matin, sport l’après-midi : Épinal a été un pionnier. Quel bilan aujourd’hui ?
Aujourd’hui, le nombre d’écoles en “horaires aménagés” à Épinal est le même qu’à l’origine. L’idée revient sur la scène avec le colloque de Luc Châtel sur le temps scolaire. Philippe Séguin voulait faire en sorte que tous les enfants puissent accéder à tous les sports - y compris ceux dits d’élite, comme le golf, le cheval, l’escrime - quelle que soit leur condition sociale, en profitant des subsides de l’État. Après avoir essayé tout un tas d’activités, ils ont le pied à l’étrier pour en choisir une pendant les vacances.

Le système a été critiqué, notamment par des parents qui ont dénigré “le manque de qualification” des animateurs !
L’équipe éducative a approuvé cette initiative à l’unanimité, ainsi que 70% des parents, qui, s’ils ne sont pas d’accord, peuvent toujours remettre leur enfant dans une école aux rythmes traditionnels. La limite du système, c’est le financement. Les subventions ne sont pas illimitées, le budget de la ville non plus. Nous avons été obligés de supprimer une demi-journée d’ATE et de nous séparer d’animateurs à la suite de l’adoption de la semaine de quatre jours. Elle est pourtant dénoncée par les chronobiologistes.

Pour l’école de musique, certains déplorent son prix plus élevé pour les enfants extérieurs à Épinal
On ne peut cumuler tous les avantages… chaque enfant inscrit à l’école de musique coûte 2500€ par an à la Ville d’Épinal. Et il y a 750 élèves. A l’origine, l’inscription était gratuite ; on faisait payer seulement les pianistes, des “bourgeois” ! Le problème, c’est le coût des instruments. On prête la première année, et c’est renouvelable une deuxième fois en cas de problèmes sociaux. Le prix d’une flûte, d’une clarinette, c’est un frein.

Recueilli par J-P.V






Le sillon d’Alain Cuny

Ex-étudiant et séminariste épris de philo, d’histoire et de littérature, l’animateur de “Culture et Foi” suscite le débat entre différentes confessions et religions, pour favoriser leur rapprochement.

À Épinal, les salles de conférence ne désemplissent pas. On a trop peur de rater, sans bourse délier, des intervenants d’une qualité rare. Noël Copin, Mickaël Lonsdale et Françoise Verny sont venus quand il était encore temps. Antoine Sfeir vient encore de faire le plein en traitant du dialogue avec l’islam. Gérard Staun a fait passer un frisson métaphysique sur une assemblée captivée par sa synthèse des dernières découvertes scientifiques éclairant l’origine de l’univers.
Le dramaturge Novarina vient de combler des amateurs exigeants du théâtre contemporain, qui ont parfois découvert, non sans sur¬prise, son engagement chrétien. L’association “Culture et Foi” multiplie les “coups” sans autre but qu’éthique, en poursuivant le dialogue avec les scientifiques, les artistes, les écrivains et théologiens. Seule l’intégrité tient lieu de sésame aux organisateurs, catholiques et protestants.

Jazz et Pagnol

Alain Cuny s’est toujours intéressé à la philosophie. Étudiant, il constitue un groupe dans la mouvance d’un courant contemporain. Séminariste, il fréquente les conférences du club “Confrontation”, sur Nietsche par exemple, les abbés Poirson et Perrin. Professeur de philo à Abidjan, il anime un groupe de poésie africaine d’expression française et monte le Topaze de Pagnol avec quelques professeurs.
Éclectique, il découvre le jazz au grand séminaire, Julien Green, Mauriac, Bernanos et Faulkner au foyer culturel, participe au Ciné-Club, au festival de Théâtre de Nancy, se nourrit de chanson contemporaine. Nommé à Épinal, il creuse son sillon : il s’associe au pasteur Malcom White pour lancer un cycle annuel de cinéma chrétien au “Palace”, avec le soutien jamais démenti de Denis Blum et de Jacques Grasser.

Un public fidélisé

Il devient correspondant d’un service appelé “art, culture et foi” au point de vue national. Avec l’abbé Philippe Baldacini, il organise des conférences sur Péguy, Claudel, sur l’art, et noue des relations excellentes avec des pasteurs : “On a fidélisé un public de 100 à 600 personnes à la Louvière”. Et ce n’est pas fini. “On essaie toujours d’anticiper et d’être d’actualité !”

J-P.V






Les harmonies de l’abbé Ory

“La musique m’a épanoui”, dit avec un large sourire le responsable diocésain de la musique liturgique, qui a formé des générations de Vosgiens à l’orgue et au chant choral. Rencontre.

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À 80 ans, Armand Ory garde la musique vrillée dans l’âme et la peau. Langage universel, elle lui a permis de transmettre sa foi et de multiplier rencontres et contacts privilégiés avec artistes et gens de tous milieux. Au répertoire de ses amitiés, figure en point d’orgue un voisin de Bruyères, l’immense compositeur Gaston Litaize. Par sa ferveur stimulante et sa pédagogie exigeante, l’ancien curé de Longchamp, Dignonville et Fontenay a converti des centaines d’élèves à la beauté de l’orgue et du chant choral. Il évoque avec une légitime fierté la trajectoire de certains qui sont devenus des organistes professionnels de très haut niveau, de classe internationale. Ceux-là sont devenus professeurs de conservatoire ; mais d’autres ont fait d’excellents organistes paroissiaux après une formation de deux à trois ans : leur jeu rehausse les offices de Jeuxey, Long-champ, Romont et Darnieulles.

La porte de la musique

Organiste, chef de chœur et directeur d’une revue internationale d’art sacrée fondée à Toulouse en 1874, le père Ory s’est aussi consacré à la formation de nombreux choristes. Avec une méthode résolument personnelle et originale : “il faut faire aimer aux enfants ce qu’on leur demande de chanter. C’est par l’oreille que la musique rentre, pas par les yeux ! Il ne faut surtout pas commencer par le solfège ! On a vécu pendant des siècles sans savoir écrire la musique ! Et le rythme reste toujours à inventer : chaque organiste va interpréter la Toccata en ré mineur selon sa sensibilité: même partition, mais interprétation différente.”
Tout commence par l’éducation de l’oreille et de la voix : “Il faut que physiquement, les élèves sachent quoi faire avec la langue, les dents, la respiration, avec des vocalises, et toujours sous forme de jeu. Les exercices de pose de la voix, ça les amuse follement”. Un enseignement vivant : “La voix doit monter au dessus des yeux, là haut, faire résonner toutes les cavités de la figure. Sa force ne vient pas de la gorge, mais du ventre, du diaphragme”.

Trop vite

Il faut croire que l’on survivait aux rigueurs de la “méthode Ory”, puisque le maître a formé trois générations successives de chanteurs et organistes : “Les enfants comprennent tout de suite, ils sont malléables et ont une mémoire phénoménale. Je sais ce que je veux, ce qu’ils sont capables de faire ; certains peuvent apprendre beaucoup de choses, mais on n’en fera pas des chefs de chœur ; d’autres ont au contraire trop de tempérament”.
Le résultat est étonnant : “Les enfants chantent du latin, de la musique ancienne et moderne. On leur explique comment ça fonctionne, on leur montre combien c’est beau. Le résultat n’est pas immédiat, il faut travailler dans la durée ”.






Le secours du chant

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Les élèves d’aujourd’hui restent ouverts à toutes les musiques : “Je connais des jeunes de 17-18 ans qui ont atteint un niveau de connaissances très élevé, et qui font leurs devoirs scolaires en écoutant de la pop. Pour eux, c’est un bruit de fond”, s’amuse le chef de chœur, qui a toujours bénéficié du soutien des instituteurs de son secteur : “ils n’avaient pas le temps - ou les connaissances - pour enseigner la musique à l’école”. Les communes ont également joué leur partition pour l’aide au fonctionnement de l’association ou à l’acquisition d’instruments, comme les orgues de Fontenay ou plus récemment de Longchamp.
Pour l’abbé Ory, la société contemporaine “n’est pas déchristianisée, mais a été mal christianisée” : “Il y a une nouvelle évangélisation à faire, le pape a raison. Dans cet esprit là, la musique et le chant peuvent être d’un précieux secours.”

Le chant de la lavandière

Formé au petit séminaire, repéré pour ses dons au grand séminaire par l’abbé Paul Farinez, professeur de liturgie, de chant et d’orgue, Armand Ory s’est formé à la direction de chorale à Rambervillers, où il a été nommé vicaire en 1956 : “Je me suis lié d’amitié avec les ouvriers de la manufacture d’orgue, ils avaient un savoir-faire phénoménal, j’ai beaucoup appris auprès d’eux.”
Mais son coup de foudre pour la musique, il le doit à son arrière grand-mère alsacienne : “Elle avait une voix superbe. Quand elle chantait en lavant son linge, les hommes se cachaient derrière la fontaine pour l’écouter !”

J-P.V






L’action méconnue du département

Alors que les fonds pour la culture diminuent et que les bénévoles se font moins nombreux, le départe¬ment soutient la formation et encourage les projets intercommunaux communs.

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C’est la crise. Dans ce contexte, la culture est souvent sacrifiée par les élus au profit d’autres priorités. Elle participe pourtant à la lutte contre les inégalités. La culture, ce n’est pas seulement la diffusion, les concerts de stars et autres spectacles de prestige. C’est aussi la création artistique, ainsi que la transmission de précieuses traditions, la relève des bénévoles essoufflés et la formation de professionnels appelés à prendre le relais et à fédérer des projets communs. Depuis août 2004, la loi de décentralisation a attribué de nouvelles compétences aux départements. Parmi celles-ci, l’organisation des enseignements artistiques. Dans les Vosges, un schéma départemental améliore le cadre des activités de musique, danse et théâtre sur l’ensemble du territoire. Il soutient quelque 60 acteurs de petites harmonies et fanfares disséminées dans le département. Les rangs des anciens musiciens qui assuraient bénévolement la formation des plus jeunes s’éclaircissent à grande vitesse. Ils remplissaient pourtant une sorte de service public.

Pas une priorité

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Le Conseil général accompagne les communautés de communes qui souhaitent investir dans la formation de cadres des écoles de musique. Il travaille actuellement en réseau avec les communautés (d’agglomération et de communes) d’Épinal, Senones, Bruyères et Vagney. C’est ainsi qu’est née l’école intercommunale de musique, danse et théâtre du Val de Vologne à Bruyères. Il a fallu trois ans de réflexion et efforts conjugués pour aboutir à ce résultat. Surmonter les divisions, souvent politiques, qui entachent les relations entre collectivités ’est pas une mince performance. S’y ajoute le contexte économique dépressif. Celui-ci gonfle les dépenses sociales, l’APA et l’APH (personnes handicapées), domaines de compétence obligatoire du Département. La crise ampute aussi les moyens de l’Éducation Nationale, qui rogne chaque année les enveloppes qui relèvent de l’enseignement et de l’animation artistiques. Malgré ces restrictions, l’association du Rabodeau a réussi à maintenir cette année un pro¬gramme de chant choral, conduit avec une conseillère pédagogique.

Partage des tâches

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En matière de culture, les seules compétences obligatoires du Département sont les archives et la bibliothèque. S’y ajoute une dynamique destinée à permettre à l’ensemble des Vosgiens de pouvoir accéder à la musique, à la danse et au chant choral. Avec l’arrivée du théâtre, son partenaire sur le terrain, l’AVDAM (Association Vosgienne de Développement des Activités Musicales et chorégraphiques) s’est rebaptisée “Vosges Arts Vivant”. Concrètement, l’association forme les directeurs d’établissement et les épaule dans la promotion de programmes collectifs. Département et Éducation ont œuvré de concert à la mise en place d’un cursus de chant choral au conservatoire Gautier d’Épinal : les professeurs travaillent à mi-temps pour le Conservatoire et pour le départe¬ment. Ils peuvent accompagner les chefs de chœur, qu’ils ouvrent à un répertoire élargi et qu’ils incitent à rejoindre des programmes collectifs. Pas moins de six chorales et cinq écoles de musique réunies ont ainsi présenté leur travail en commun, en novembre, à Granges-sur-Vologne.

Tradition populaire

Pour favoriser l’accès de la musique au plus grand nombre, le département finance l’acquisition d’instruments de musique depuis quinze ans. Il en prête une cinquantaine par an. Une heureuse initiative dans une région riche depuis plus d’un siècle, grâce au paternalisme industriel, d’une forte tradition musicale et de chant choral, ainsi que d’un tissu associatif très dense : “Un des plus grands fleurons français, c’est le théâtre du peuple à Bussang, qui mêle professionnels et amateurs depuis plus d’un siècle.” Les patrons protestants venus d’Alsace, les Pottecher, les Léderlin, ont misé sur le sport et la culture pour élever la condition et l’âme des salariés du textile. La fanfare de Thaon reste l’héritière de cette tradition, ainsi que l’extraordinaire tissu sportif dans les Vosges. On assiste aujourd’hui à une renaissance du théâtre avec Bussang et “Scènes Vosges”, qui forme des amateurs et privilégie la création avec Cécile Baeckès, ainsi que du chant choral. “Les enseignants ont compris qu’on peut faire des choses extraordinaires en faveur des enfants avec peu de moyens, souligne Bernard Houot, ancien directeur du CDDP : 250 enfants ont chanté dernièrement sur le parvis de l’église de Senones des chansons du Moyen-âge avec allant et entrain.” De la musique savante jouée avec la voix, un instrument à disposition de chacun !

J-P.V

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Publié le 12/07/2010 par Alice.