Pâques symbolise l’émergence de la lumière au bout du tunnel. Le Christ a traversé la mort pour atteindre une autre forme de vie. L’espérance ne consiste pas à croire que “s’il pleut aujourd’hui, demain il fera beau”, souligne l’abbé Pierre-Jean Duménil : elle ouvre au croyant un Royaume à la dimension parfaite de l’amour. Témoignages dans ce numéro.
Le paradoxe de Roger Grandjean
“Je ne me l’explique pas : plus mon état s’aggrave, plus j’ai la foi”, dit ce cheminot retraité perclus de douleur et atteint d’une maladie incurable. Avec sa femme Marguerite, il témoigne.
Comment expliquer qu’on garde l’espérance quand tout va mal ? Reclus dans son fauteuil roulant, Roger Grandjean répond en chœur avec son épouse : “On n’attend pas la guérison, on attend une aide pour pouvoir assurer chaque jour.”
La maladie, proche de la sclérose en plaques, est apparue au bout de six mois de mariage : “J’avais des fourmis dans la main gauche et n’arrivais plus à m’habiller ; je suis allé voir le médecin de la SNCF Michel Sibille fin 67. À Nancy, le docteur Jean-Bernard Dureux a diagnostiqué une syringomyélie.”
Un monde meilleur
D’emblée, Marguerite a mesuré la gravité de cette maladie orpheline, évolutive et sans remède. Depuis 44 ans, le couple se bat pied à pied au quotidien : la paralysie n’a cessé de progresser, les douleurs et brûlures de se multiplier, la dépendance d’augmenter. Aujourd’hui, Roger ne peut manger ou boire seul. Marguerite ne s’accorde qu’une sortie le samedi pour faire les courses et la messe le dimanche : “J’ai besoin de croire qu’il y a un monde meilleur que celui dans lequel je vis aujourd’hui.
La passion du Christ, on ne peut pas se la représenter si l’on ne prend pas le recul nécessaire pour savoir ce qu’est mourir sur une croix”, confie le grand invalide qui a aujourd’hui 67 ans : “J’ai essayé de l’aider, je lui ai expliqué que j’avais besoin de croire pour me soutenir face aux problèmes quotidiens », renchérit Marguerite : “Elle a la foi du charbonnier, l’envie Roger, qui a traversé une “tempête” durant l’adolescence : “On prête au curé d’Ars cet aphorisme : “je crois en Dieu, mais si Dieu n’existe pas, j’aurai été bien trompé”. Tous les croyants en sont là : il y a toujours le doute ; il permet de réactiver la machine !”
“Le positif dans le négatif”
Roger met en garde contre la dérive qui consiste à se réjouir de sa maladie : “Jean-Paul II a déclaré inacceptable toute complaisance envers de la douleur. On peut se rendre heureux bien qu’on soit malade et handicapé, on n’est pas heureux d’être malade et handicapé.” Pour Marguerite, il faut simplement chercher le positif dans le négatif : “Ne pas regarder ce qu’on aurait pu faire hier, voir aujourd’hui et ne pas penser à demain. Vivre sa foi, c’est la vivre au quotidien : prier le Seigneur chaque jour, être proche de tous ceux qu’on aime, se reconnaître humblement comme pécheur et se réconcilier avec le Seigneur avec le sacrement de pardon”.
Rendre grâce
Pour Roger, “Dieu est amour : je n’ai jamais pensé que ma maladie était une punition, comme on le disait autrefois”. “Quand tout va mal, je fais une prière de demande : “Tu ne peux pas me laisser tomber !” Roger intervient : “On ne peut pas être toujours dans une position de demandeur !” Marguerite approuve :“Non, il faut savoir rendre grâce, discerner l’aide pour rendre grâce”. Et cette aide, Marguerite l’a perçue alors même qu’elle a appris être atteinte par la maladie : “C’est une leucémie qui se soigne bien : je peux tout faire sur place, aujourd’hui j’ai de bons résultats”.
Jalons de soleil
Personne ne comprend mieux les handicapés qu’un autre handicapé, disait le père François, fondateur de la Fraternité des Malades. Dans ce combat, Roger a trouvé une raison de vivre : “Tu t’es toujours battu pour l’intégration des handicapés à Épinal”, rappelle Marguerite à son mari, légitimement fier d’avoir obtenu Philippe Séguin et Michel Heinrich comme alliés dans son combat pour l’accessibilité des lieux publics.
Le cheminot amoureux de son travail se félicite également du soutien déterminant du docteur Durupt, médecin neurologue et chef des maladies infectieuses, qui lui a permis de continuer à travailler à la SNCF malgré son handicap. Il se réjouit des efforts consentis par son ancien employeur en faveur de l’accès de la gare pour les handicapés : “Le 2 juin 2007, le chef de gare d’Épinal m’a fait prendre l’ascenseur pour l’arrivée du premier TGV via Remiremont ! J’ai eu une reconnaissance pour mon travail à la SNCF, et “L’Est Républicain”, dont j’ai été le correspondant pendant près de 50 ans, a été une autre famille pour moi”
Contre l’illusion du défaitisme
Face au mal, la prière possède une efficacité “qui n’est pas de l’ordre humain”, dit l’abbé Luc Fritz. Malgré toutes les épreuves, l’Esprit Saint relève l’homme et lui rend sa dignité d’Enfant de Dieu.
Eglise dans les Vosges (EDV) : L’horreur tient la une de l’actualité. Les conséquences du tremblement de terre au Japon, les massacres perpétrés en Libye et ailleurs, plongent le monde dans les ténèbres. Devant ce déchaînement du mal, comment ne pas être tenté par le découragement ? Comment ne pas être conduit, impuissant, à baisser les bras ?
Luc Fritz (LF) : L’actualité est effectivement accablante et nous pouvons être tentés par le découragement. Mais c’est là, comme vous le dites, une tentation. L’illusion, c’est le défaitisme, c’est de croire qu’on ne peut pas agir. Pour y faire face, souvenons-nous que nous sommes le corps du Christ, que l’humanité forme un tout dont les membres sont solidaires les uns des autres. Par conséquent, s’il est vrai que la souffrance d’un membre affecte le corps entier, il est également vrai que la bonne santé d’un membre soutient et vivifie tous les autres. Il importe que nous fassions nôtre cette réalité spirituelle car elle signifie qu’il est toujours possible de faire bouger les choses.
EDV : Comment cette possibilité se traduit-elle concrètement ?
LF : Les événements que nous avons évoqués se déroulent loin d’ici et dépassent, par leur ampleur, nos capacités individuelles de réponse. Néanmoins, je suis convaincu, précisément parce que l’humanité forme un seul corps, que les gestes d’amour que je pose ici au quotidien participent au renversement du mal aussi lointain soit-il. Tout ce qui relève de l’amour - la patience entre époux, par exemple -, contribue au bien du corps du Christ qui est l’Église. Il importe par ailleurs que nous croyions en l’efficacité de la prière. Sa portée est effective, même s’il ne nous est pas donné d’en percevoir les fruits, ni d’obtenir à la manière dont nous le souhaiterions. Les pensées de Dieu ne sont pas celles des hommes : elles sont pure bonté. Notre esprit est tellement déformé qu’il nous est difficile, voire impossible sans la grâce de Dieu, d’accepter cette relation de bonté simple, sans arrière-pensée.
EDV : Vous venez d’évoquer l’Église, comment la concevez-vous ?
LF : L’Église, c’est l’assemblée de ceux qui aiment. “Celui qui aime est né de Dieu” écrit saint Jean. Tout le monde peut intégrer l’Église, appartenir au Christ, à tout moment de sa vie, même au seuil de la mort. Il suffit de consentir à l’amour. Telle est la ligne de démarcation fixée par le Seigneur lui-même : “C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que l’on vous reconnaîtra pour mes disciples”. L’Église en tant qu’institution a pour mission de guider l’humanité sur ce chemin d’amour. À cette fin, elle se doit d’être exigeante avec elle-même et de mener une vie cohérente avec l’Évangile.
EDV : Dans “Les dieux ont soif”, Anatole France stigmatisait le silence d’un Dieu d’amour tout puissant, face au mal…
LF : Pourquoi le Seigneur laisse-t-il champ libre au mal ? La question est difficile. L’Apocalypse de saint Jean dit que Dieu a accordé un temps à l’Adversaire, à Satan. Dieu laisse faire ! Pourquoi cela, puisque le mal est insupportable à Dieu lui-même ? Cela fait partie du mystère de Dieu. C’est comme si celui-ci était lié par Sa parole et qu’il ne veut la reprendre.
EDV : Comment retrouver confiance dans une société qui privilégie l’argent, l’individualisme, l’instrumentalisation de l’autre et de Dieu ?
LF : En plaçant notre confiance en Dieu, et en lui seul. Baptisés, nous sommes nous aussi attirés par l’argent, sujets à l’individualisme et tentés d’instrumentaliser les personnes qui nous entourent. Il importe de ce fait de nous laisser guider par l’Esprit Saint qui nous libère de l’illusion et nous introduit à une compréhension profonde des réalités que nous vivons. L’Esprit ne nous épargne pas les difficultés, mais il nous aide à les traverser. Il encourage, fortifie, relève. Il rend à l’homme sa dignité d’enfant de Dieu en dépit de la misère qui le touche, il lui donne plénitude de vie quand bien même règne la mort.
Arrivée de l’abbé luc fritz
L’abbé Luc Fritz a été nommé en février dans le diocèse de Saint-Dié. Né en 1963 à Strasbourg, il a été ordonné dans l’Essonne, en banlieue parisienne, où il a été en paroisse. Il a été assomptionniste pendant 25 ans. Ancien élève de l’École Supérieure de Gestion à Paris, il a enseigné la patristique de 1998 à 2006 à l’Institut Catholique de Paris dans un cycle pour laïcs. Il a créé un site Internet, fort visité, consacré aux Pères de l’Église.
Il a également été responsable de la formation des jeunes qui entraient dans la Congrégation de l’Assomption - des jeunes venus de tous pays. Il a collaboré à “Prions en Église” au sein du groupe Bayard Presse pendant deux ans. S’intéressant à la vie pastorale, il a la fibre d’enseignant, “le goût de partager ce qu’il a découvert”, et s’attache actuellement à faire connaissance avec le département qui l’a accueilli, tout en rendant divers services à la paroisse Saint-Goëry. Bienvenue !
Porter sa souffrance seul, c’est lourd !
Annie Conter est aumônier du Centre Hospitalier de Vittel, un hôpital à orientation gériatrique. L’équipe d’aumônerie essaye au mieux de témoigner de l’Espérance chrétienne. Mais quelle espérance devant des corps amaigris, des regards semblant éteints, attendant pour certains… la fin ? Témoignage.
Ce n’est pas facile d’encourager, d’être jour après jour en contact avec la douleur, la souffrance, mais le Seigneur nous accompagne. Il accompagne toutes les inquiétudes, les craintes et les découragements de chaque malade, des familles et du personnel soignant. Le plus dur est d’avoir assez de patience vis à vis de soi-même, mais aussi vis-à-vis de l’autre. En effet, il ne s’agit pas d’une situation statique, mais d’une lente évolution vers un plus. Être leur “compagnon d’espérance”, ce n’est pas apporter des mots ou des explications, c’est simplement les rejoindre là où ils en sont, pour faire ensemble un bout de chemin, un chemin de vie.
Porter sa souffrance seul, c’est lourd !
La maladie, quelle qu’en soit les formes, est une blessure qui isole, mutile, remet en cause nos désirs, empêche de disposer de notre présent et de notre avenir. L’appel des personnes malades, cris de douleur et d’angoisse, devient un cri vers les autres pour faire de ce temps de ruptures, un temps de relation plus intense. Et puis, pour certains, c’est un cri de foi, de foi en ce Dieu compatissant.
Cependant, les mots ne suffisent pas toujours. Gestes et mots se complètent tels que dans la célébration des sacrements. N’oublions pas que la personne malade a aussi besoin d’une vraie parole : la Parole de Dieu qui libère ! Mais cette présence “habitée” peut également être silencieuse. La personne malade réclame de l’attention, à nous d’entendre ce qu’expriment ces silences. A nous de permettre, la parole libératrice en écoutant l’au-delà des mots.
La paroisse et le diocèse, de vrais soutiens
Cette présence d’Église en milieu hospitalier se doit d’être en lien avec toute la communauté paroissiale et l’église diocésaine, appelées à reconnaître le vrai visage de Dieu qui s’est révélé à l’homme en devenant solidaire de lui jusque dans la souffrance. Sur cette route vers Pâques, que l’Esprit Saint qui habite en nos cœurs, nous rendent témoins d’un Sauveur, qui nous arrache à la mort pour nous faire vivre en Lui afin que nous soyons des “acteurs d’Espérance” auprès des personnes souffrantes !
Bruno Konter est aumônier hospitalier à Neufchâteau. Espoir et amour pour l’homme, pour Bruno, c’est là que s’enracine sa mission. Témoignage.
A l’hôpital, je suis invité à rencontrer des personnes malades ou handicapées, des personnes âgées et à les écouter, les accueillir comme un don que Dieu me fait quel que soit leur état, leur âge ou la couleur de leur peau. D’abord, c’est une rencontre humaine. Cette rencontre peut s’ouvrir sur un Tout Autre, mais c’est avant tout la rencontre avec l’humain.
Accompagner une personne, c’est lui signifier “tu es quelqu’un pour moi, tu existes “ à l’image de Dieu qui dit “Tu as du prix à mes yeux et je t’aime”.
L’importance de la visite
Les visites sont importantes pour les personnes fragilisées par la maladie. Leur dire que nous les aimons, que nous ne les oublions pas dans nos prières représente un grand réconfort. A travers notre accueil, l’écoute de leur vérité et de leur souffrance, nous nous rendons proches d’elles.
Nous les reconnaissons comme personnes vivant quelque chose de fort, comme êtres de relation et de désir. Leur faire exprimer leurs projets, même quand tout peut sembler perdu, signifie qu’elles existent en tant qu’être humain. Xavier Thevenot, grande figure de la théologie morale, déclare qu’écouter quelqu’un c’est lui dire “J’espère en la vie et en toi, et c’est dans le même mouvement tenter de lui faire expérimenter qu’il n’est, de fait, pas déraisonnable d’oser cette espérance”.
Cela est bien de l’ordre d’aider à redonner sens à la vie, de l’ordre du service que permet la rencontre, la visite et c’est bien en ce sens qu’on peut parler du “sacrement de la rencontre”.
Chacun renferme une beauté
Il n’y a pas toujours à faire de grands discours, parfois le plus grand signe d’amour est d’être là, présent, dans le silence mais en osant regarder. Jésus nous invite alors à regarder ceux que nous rencontrons avec son regard, un regard d’amour. Dans chaque personne, il y a de la beauté, elle est vivante, elle continue sa vie, elle a une histoire même si elle est désorientée, perdue, absente.
A travers ces moments d’ombre et de lumière, la beauté existe et elle est traversée par la Croix. La vie donnée fait partie de la beauté de Dieu, elle est plus forte que la mort. A Pâques nous fêtons la lumière qui triomphe de la nuit, la vie qui triomphe sur la mort et où les flammes se reflètent sur les visages qui se sont adoucis à la vue de la lumière.