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Saint Sigisbert

Roi, Confesseur

Pas plus que Saint Desle, Saint Sigisbert n'intéresse directement notre diocèse. Toutefois, s'il figure au calendrier de l'Église de Saint Dié, c'est en raison du culte que lui a voué le diocèse de Toul, dont les Vosges ont fait partie jusqu'en 1777. L'esquisse sommaire de cette vie nous reporte, comme pour le fondateur de Lure, au cœur de l'ère mérovingienne, Saint Sigisbert étant, à la cinquième génération, le descendant direct de Clovis.

Son nom appelle d'abord une petite précision, car, à côté de Sigisbert, vocable qui a prévalu, on trouve, dans les textes, Sigebert, traduction allégée de Syggebertus, signature authentique qui se lit dans trois documents d'archives. Notons d'ailleurs en faveur du premier nom, que Sigebert désigne aussi deux autres Saints de la même époque : un roi anglais et un moine de Luxeuil.
Sigisbert est le fils aîné de Dagobert Ier et de Ragentrude, qu'on croît être princesse austrasienne. Né en 630, il fut baptisé par Saint Amand, évêque d'Orléans et futur évêque de Maestricht.

Dans une intention politique qui traduit les mœurs curieuses du temps, Dagobert prit le parti d'élever, dès l'âge de trois ans, son fils sur le trône d'Austrasie, vaste contrée s'étendant de la Champagne à la Thuringe, avec comme axe vital la vallée du Rhin en son entier, prélude d'un démembrement que Dagobert, seul roi de la grande Gaule, voulait envisager à temps.
Il s'agissait, en attendant, d'élever le petit roi ; et son père, dont la conduite n'était rien moins qu'édifiante, entendait bien faire les choses. Sur les conseils de Saint Eloi et de Saint Ouen, alors ses ministres et futurs évêques de Noyon et de Rouen, il confia le jeune Sigisbert à Saint Amand. Ce fait illustre le rôle considérable joué par les évêques sous les Mérovingiens. A ces rois encore barbares qui se succédaient à travers les révolutions de palais et souvent par le meurtre, les évêques s'imposaient d'emblée par leur prestige. Héritiers, dans ce chaos politique, de la sagesse romaine, témoins de l'idéal évangélique, ils impressionnaient les grands par leur ascendant mystérieux sur le monde des âmes. Tous les historiens s'accordent à voir dans ces évêques les défenseurs de la cité, les princes des siècles barbares qui vont de la chute de Rome à l'avènement des Capétiens.

Ainsi Dagobert prédestinait-il, sans trop le savoir, son fils à la sainteté, car c'est l'éducation qui a toujours fait l'homme et le saint.
Saint Amand, comme le fera plus tard Bossuet pour le Dauphin, composa pour son élève cette admirable instruction ou « Exhortation au roi des Francs », qu'a retrouvée, à la Bibliothèque Vaticane, le Cardinal Maï, célèbre philologue du XVIII° siècle.
Lorsque Sigisbert atteignit sa majorité — assez tôt, sans doute — il vint prendre possession de Metz, sa capitale. Ici, encore, la sollicitude de son père lui adjoignit comme ministres Saint Cunibert, archevêque de Cologne, et le bienheureux Pépin de Landin, maire du palais d'Austrasie et père de Sainte Gertrude.

Mais une rude épreuve allait inaugurer le règne de Sigisbert. La rébellion de la Thuringe le contraignit à guerroyer de l'autre côté du Rhin. Le jeune prince — il n'avait que douze ans — fit preuve d'habilité et de courage, parvenant, après des vicissitudes diverses, à ramener les révoltés à la raison et à rétablir la paix, qui désormais allait, jusqu'à sa mort, régler en Austrasie. A la faveur de quoi Sigisbert se consacra tout entier au bien de son peuple, aux exercices de charité, s'efforçant de mettre un peu plus de moralité dans son gouvernement. Il avait hâte d'être lui-même, de suivre les aspirations de son âme contemplative. Au dire des chroniqueurs, il faisait figure de moine au sein même des fêtes de la cour de Metz comme à son foyer. Il avait en effet épousé Himnehide, qui lui donna plusieurs enfants, dont un fils, Dagobert II.
A ce sujet, certains historiens ont reproché à Sigisbert d'avoir, pour plusieurs années, compromis la succession de son fils, faute de réagir contre les menées ambitieuses d'un de ses maires du palais, Grimoald. Il semble, en effet, que, par bonté d'âme et trop dégagé des choses temporelles, Sigisbert ait ici manqué de prudence et de fermeté, mais finalement l'affaire s'arrangea, puisque Dagobert, après un interrègne agité, put recueillir sa succession. Nous retrouverons ce même jugement sévère à l'égard de Saint Louis qui, par loyauté, réputée faiblesse, conclut tel traité de Paris (1259) avec l'Angleterre qu'il avait pourtant vaincue à Taillebourg. Tant il est difficile pour un Saint d'être diplomate, au sens où l'entend trop souvent l'Histoire !

Les richesses que ses ancêtres et son père même dépensaient en plaisirs, en un luxe extravagant et grossier, Sigisbert les consacra aux pauvres, aux malades, aux orphelins. Demeuré grand seigneur, sous l'apparence d'un moine « laïc », il se plut à doter magnifiquement douze monastères, spécialement les grandes abbayes de Stavelot et de Malmédy, fondées par Saint Remacle, disciple de Saint Eloi, et dont il entendait faire des foyers d'évangélisation à l'orée de la forêt d'Ardennes où sévissait encore le paganisme.
De santé plutôt chétive, Saint Sigisbert mourut à la fleur de l'âge, le ler févier 656 ou 658. Le contraste entre la précision du jour et l'incertitude de l'année est un fait commun en hagiographie et que nous signalons une fois de plus. Peu soucieux de critique historique, les documents négligent de dater avec notre exactitude la mort d'innombrables personnages de ces temps lointains. Par contre, ils notent avec soin le jour et le mois pour les saints, dont le « dies natalis » fixait toujours leur fête au calendrier.

Le pieux roi fut inhumé dans l'église abbatiale de Saint-Martin, qui, aux portes de la capitale, avait bénéficié de ses largesses et de sa piété. De cette abbaye, il ne reste plus la moindre trace, mais le souvenir en demeure sous le nom de Ban-Saint-Martin, commune de la banlieue de Metz, sur la rive gauche de la Moselle.
Le tombeau devint aussitôt un centre de pèlerinage, et la générosité que le Roi avait exercée, le Saint, de là-haut, la traduisit en de nombreux miracles, toujours en faveur de ses amis, les affligés et les malades. Le moine Sigebert de Gembloux, historien de Saint Sigisbert, en a consigné plusieurs dont il avait été témoin, lorsqu'il enseignait à Saint-Vincent-de-Metz.

C'en fut un autre que de découvrir, lorsqu'en 1063 l'autorité religieuse ouvrit sa tombe, le corps absolument intact et sans trace de corruption. On le déposa dans une châsse d'argent, à taille d'homme, qui fut placé sur un autel, cérémonie qui, de ce temps-là, consacrait la canonisation officielle.

Quand, cinq siècles plus tard, Charles-Quint, en lutte contre Henri II, assiègea à grand renfort d'artillerie, la ville de Metz, défendue farouchement par François de Guise, l'abbaye de Saint-Martin fut totalement détruite, dans l'hiver 1552-1553. La châsse échappa au désastre et fut ramenée à l'intérieur de la ville, dans l'église du prieuré Notre-Dame.
Ce transfert ne fut, en somme, que provisoire, car, en 1602, le duc de Lorraine Charles III fondait à Nancy, sa capitale, un chapitre primatial. Or, il se trouve qu'à la tête de ce chapitre, le duc nomma son propre fils, le cardinal Charles de Lorraine, déjà évêque de Metz. Par piété, disons filiale, ce dernier déposséda son prieuré messin de la châsse, comme avait fait jadis Thierry de Hamelant avec les reliques de Saint Goëry, en faveur d'Epinal. En sorte que l'église primatiale de Nancy devint désormais le centre du culte de Saint Sigisbert.

Ce n'est qu'un siècle plus tard qu'on éleva, sur les plans de Jules-Hardouin Mansart, le génial architecte de Versailles, la grande église actuelle Notre-Dame de l'Annonciation, qui deviendra plus tard cathédrale en 1777, lors de l'érection du diocèse de Nancy.
Vint la Révolution, si funeste par toute la France aux reliques des Saints. Celles de Saint Sigisbert furent, en 1793, tirées de la châsse, foulées aux pieds, et finalement brûlées sur la place de l'Alliance. Toutefois, grâce à une pieuse complicité et à la faveur du désordre, quelques ossements échappèrent à la destruction. Ceux-ci, la paix revenue, furent replacés en 1803 dans la châsse d'ébène sculptée à Milan, qu'avait offerte jadis Antoine de Lenoncourt, deuxième Primat de Lorraine. Bien que dépouillée par les Jacobins de ses incrustations d'or et d'argent, on la vénère aujourd'hui encore dans la première chapelle de la cathédrale, à droite en entrant.

Nancy la Ducale, dont Saint Sigisbert est liturgiquement le patron, n'a cessé depuis 1603, de lui vouer un culte populaire. Noblesse oblige. Devenue capitale de Lorraine, elle se devait de prendre auprès des restes de Saint Sigisbert le relais de Metz, capitale de l'Austrasie disparue.
Au cours des siècles, à l'occasion des calamités et notamment en 1914-1918 sous le bombardement de la grosse Bertha, terrée aux abords de Château-Salins, on exposait solennellement la châsse au milieu des cierges et des fleurs.

S'il est normal que le jeune diocèse de Saint-Dié ne comporte aucune église dédiée à Saint Sigisbert, on est surpris de n'en pas trouver une seule aux diocèses de Nancy et de Metz. Pour celui de Nancy, cela tient au fait que les paroisses avaient déjà leur titulaire, au transfert des reliques. Mais peut-être — et ce nous semble souhaitable — Saint Sigisbert patronnera-t-il quelque jour, outre le beau collège du Cours Léopold, l'une des églises nouvelles qui vont s'ériger dans la grande banlieue de Nancy...

L'iconographie du Saint est de même assez pauvre. A noter cependant que Saint Sigisbert figure parmi les Saints et Saintes de la famille de Maximilien d'Autriche, grand-père de Charles Quint, ensemble de cent pièces gravées en 1519 et conservées à la Bibliothèque Mazarine de Paris. On ne voit d'ailleurs pas très bien — casse-tête pour les généalogistes — comment cet authentique mérovingien a pu être annexé à la famille impériale d'Autriche !

Plus accessibles sont, pour nous Lorrains, les deux grands tableaux du chœur de la cathédrale de Nancy, représentant le couronnement de Saint Sigisbert et le repas qu'il aimait à servir aux pauvres. Les artistes, dit-on, ne font pas grand cas de ces toiles de Claude Charles, réputées médiocres. Qu'importe ! Le second tableau, relevant ce trait d'une douceur toute évangélique, résume bien l'essentiel de cette courte vie qui apparaît comme une lueur inattendue dans la nuit des Temps Mérovingiens.

Publié le 08/02/2012 par Alice.