Moine de Moyenmoutier
Il s'agit à vrai dire, d'un personnage assez peu connu dans le diocèse et nous le présentons avec Saint Hydulphe.
La vie de Saint Spinule s'inscrit, en effet, entièrement dans celle de son maître et sa sainteté, comme son culte, ne fait que refléter, à la manière d'un satellite, la personnalité rayonnante du fondateur de Moyenmoutier.
Saint Spinule, dont l'existence n'est pas contestée, n'a cependant fait l'objet d'aucune biographie particulière. Nous ne le connaissons que par des mentions occasionnelles dans les trois Vies de Saint Hydulphe souvent citées dans l'article le concernant.
Saint Spinule, originaire de la région, apparaît dans la cohorte des tout premiers disciples qui accoururent auprès de l'ermite venu de Trèves et qui le contraignirent à fonder Moyenmoutier.
Lorsque ce monastère, nous l'avons vu, dut rapidement « éclater », Saint Hydulphe confia à son fils de prédilection la charge d'organiser l'importante filiale, « celle », la plus proche de Moyenmoutier. Elle se situait au confluent même du Rabodeau et de la Meurthe, faisant office de trait d'union avec l'abbaye d'Etival.
Ce territoire était une donation récente d'un seigneur nommé Bégon ; en souvenir de quoi la nouvelle fondation fut appelée Bégoncelle jusqu'au Xe siècle où prévalut le nom de Saint-Blaise ; c'est l'annexe actuelle de la paroisse de Moyenmoutier.
A en croire les annales de l'abbaye, une chapelle y fut aussitôt élevée en l'honneur de la Sainte Croix, par Saint Hydulphe lui-même. Déjà à la tête de quatre chantiers d'église, disposant peut-être de moines qualifiés, il se serait ainsi lancé dans une entreprise de plus.
Quant au vocable de la Sainte Croix, il appelle une double remarque. L'église de l'abbaye voisine de Saint-Dié, en liaison si étroite avec Moyenmoutier, portait à l'origine ce même vocable, concurremment avec celui de Saint Maurice, avant de devenir la collégiale, puis la cathédrale Saint-Dié. Une « celle », plus lointaine dans le temps et le lieu, au XIe siècle et à Portieux, comme nous le verrons, aura son église pareillement dédiée à la Sainte Croix.
Combien de temps Saint Spinule fut-il à la tête du prieuré de Bégoncelle, quels furent les traits marquants de sa vie, nous ne le savons absolument pas. C'est seulement à sa mort et par la suite que cet humble religieux a retenu l'attention des chroniqueurs de Moyenmoutier, à la faveur des miracles relatés avec précision.
Saint Spinule, de santé chétive, avait toujours souhaité reposer au milieu de ses frères avec lesquels il avait fait profession, et il devait mourir en présence de Saint Hydulphe accouru à son chevet. Le lendemain un long cortège, formé des deux communautés, ramena le corps de Bégoncelle à Moyenmoutier à travers la forêt. Un orage terrible s'éleva soudain, déracinant les grands sapins, sans parvenir toutefois à éteindre les cierges de cette procession chantante.
Outre que Saint Spinule était pour Saint Hydulphe le fils préféré en qui il avait fondé beaucoup d'espoir, cette mort prématurée en odeur de sainteté décida l'abbé à inhumer son corps dans la chapelle Saint Grégoire. Ce jeune moine inaugurait ainsi la chapelle funéraire où Saint Hydulphe devait le suivre quelques années plus tard.
Le privilège devait se confirmer de façon si éclatante que les chroniqueurs désormais nous renseignent abondamment sur Saint Spinule. La chapelle Saint-Grégoire vit affluer un grand nombre de malades, de paralytiques qui, subitement guéris, laissaient là leurs béquilles en ex-voto. Avec le temps l'affluence fut telle que Saint Hydulphe commença à s'inquiéter. Car, comme bien on pense, tout ce pèlerinage, s'il profitait à la gloire de Dieu et au rayonnement de Moyenmoutier, s'accompagnait de beaucoup de bruit, voire de désordres, la superstition et le négoce y trouvant leur compte, déjà en ce temps là. Et la vie du monastère s'en trouvait gravement troublée.
Un jour, n'y tenant plus, Saint Hydulphe monta à la chapelle en singulier pèlerin. Agenouillé sur la tombe du cher disciple, le vieil abbé lui adressa cette prière, rapportée par dom Belhomme : « Nous remercions Dieu, ô notre frère, de ce qu'il vous a reçu dans l'éternel repos et nous savons que vous êtes puissant près du Seigneur. Mais vous n'ignorez pas le motif qui, nous arrachant au tumulte des peuples, a conduit nos pas vers la solitude. Ayez pitié de vos frères ballotés sur les flots du monde et en danger de périr. Les foules continuent-elles à nous importuner ? C'en est fait de notre vocation ; car si d'une part, grâce à la divine bonté, nous recevons des pèlerins les aumônes nécessaires à la vie corporelle, de l'autre, nos âmes sont en péril. C'est pourquoi , ô frère, délivrez-nous des bruits qui envahissent notre désert et faites qu'à l'abri des nécessités temporelles, nous gardions fidèlement les vœux de notre profession monastique. »
Sans contester certes que Saint Hydulphe ait pu faire une telle prière, on peut supposer qu'il s'agit là d'un texte savamment arrangé suivant les principes de rhétorique du XVIIIe siècle. Quoi qu'il en soit, cette prière en forme de sommation fut exaucée ; les miracles cessèrent brusquement et le calme revint comme aux premiers temps de la fondation. Miracle que la tradition a porté au crédit des deux Saints, attestant en particulier que Saint Spinule demeurait, là-haut dans la gloire, aussi humblement soumis à son maître qu'il l'avait été de son vivant.
Le fait, digne de la Légende dorée, figurait traditionnellement dans les leçons du propre diocésain ; il n'a pas été retenu lors de la réforme de 1957. On le retrouve d'ailleurs pour d'autres Saints inhumés dans des monastères, par exemple pour Saint Gibrien à l'abbaye Saint-Rémy de Reims, et pour Saint Bernard lui-même à Clairvaux. Le cas le plus typique est celui de Sainte Hildegarde près de Mayence, dont l'archevêque, qui ne fut point canonisé, enjoignit à la sainte abbesse de cesser ses miracles ; elle obéit mais avec une réserve ; les pèlerins désormais n'obtinrent plus que des faveurs spirituelles. Ce qui suffit, non pas à stopper, mais à assagir le pèlerinage (Revue des Questions historiques 1883).
Pour accéder à la sainteté, Spinule avait reçu Bégoncelle comme champ d'activité. Pour le rayonnement de son culte, c'est dans une filiale éloignée de Moyenmoutier que nous allons le trouver et c'est Hugues qui en fut le fourrier. Épris de solitude à l'exemple de Saint Hydulphe, ce moine quittait Moyenmoutier en 1097 pour se retirer dans un vallon affluent de la Moselle, sur la rive droite, aujourd'hui près de Portieux.
Le seigneur de cette partie du Chaumontois était Gérard de Vaudémont, fils cadet de Gérard d'Alsace, fondateur de la première dynastie des Ducs de Lorraine. Ayant su la présence de cet ermite, il s'intéressa à lui et à son abbaye d'origine. Au retour d'une captivité, subie chez les Burgondes. Gérard fit don d'un beau domaine, nommé Belval, en l'honneur des Saints Hydulphe et Spinule, avec charge pour Hugues d'y établir un prieuré bénédictin.
Le nouveau prieur avait en effet une dévotion spéciale à Saint Spinule, son émule de la première génération. Il adressa en 1104 à Bertrice, abbé de Moyenmoutier, une supplique, appuyée par Gérard, pour obtenir le transfert à Belval du corps de Saint Spinule. Satisfaction ayant été donnée, Gérard fit faire une châsse ornée de plaques d'argent pour recevoir les précieuses reliques dans l'église qui s'édifiait alors. En 1108 Gérard s'y faisait inhumer et en 1134 Henri de Lorraine, évêque de Toul, la consacrait sous le patronage de la Sainte Croix et de Saint Spinule. La charte relatant l'événement fait état d'une grande basilique. Les deux remarquables chapiteaux romans, qu'on voit encore à Belval, aujourd'hui transformé en hospice (29 octobre 1869), donnent idée de l'ampleur de cette église bâtie par Hugues.
Belval devint ainsi le grand centre de pèlerinage à notre Saint. Selon Jean de Bayon. « des miracles innombrables éclatèrent à son intercession ; les relations véridiques des anciens ne laissent pas de doute à cet égard. Aujourd'hui les grâces ont complètement tari en ce lieu, à cause de l'indifférence des habitants ! ».
Par la suite, Belval se rallia, dans le sillage de Moyenmoutier, à la congrégation de Saint Vanne et Saint Hydulphe, décision confirmée, pour le cinquième centenaire de sa création par le pape Paul V, le 23 janvier 1607.
Les manifestations du culte de notre Saint se limitent strictement aux trois lieux dont nous venons de parler. Aucune église ou chapelle ne l'a comme titulaire. Un des martyrologes de France, cité par les « Petits Bollandistes », le mentionne curieusement au titre de Trèves, « domiciliation » qui se réfère de toute évidence à Saint Hydulphe, venu de Trèves à Moyenmoutier.
Cette abbaye conserve dans une belle châsse analogue à celle du fondateur des reliques de Saint Spinule, réservées lors de la translation de 1104.
A Saint-Blaise, rien n'en rappelle le souvenir, hormis un médaillon de vitrail du XIXe, représentant sa mort entre les bras de Saint Hydulphe. A signaler toutefois que le maître-autel en bois doré avec son parement très original, de style Louis XV, provient du même atelier que tout le mobilier de Moyenmoutier.
L'église paroissiale de Portieux, dédiée à l'Exaltation de la Sainte Croix, présente des reliques de Saint Spinule dans une belle petite châsse en bois doré, sous l'appellation locale de « Saint Spin ». Reliques et titre de l'église sont le seul héritage du Prieuré de Belval, détruit à la Révolution.
En fait d'iconographie, très pauvre, nous ne pouvons citer qu'une jolie statuette de confrérie, bois polychromé du XVIIe siècle, conservée dans une famille. Le Saint y figure très jeune en moine bénédictin. On le voit ainsi sur une image de Dié Mallet, dans la série des « Grands Saints de Lorraine ». A ce titre il est aussi dans un vitrail de la nef à la basilique de Mattaincourt.