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Pour que chacun puisse connaître l’histoire des saints des Vosges, l’ouvrage du chanoine Laurent “Ils sont nos aïeux” (Ed La vie diocésaine de Saint Dié, 1980) a fait l’objet d’une saisie complète pour le site du diocèse. Merci au chanoine-défunt pour son érudition qui trouve un prolongement sur internet et merci à Astrid Ficher pour la saisie.

Les saints sont présentés ci-dessous selon un ordre chronologique

Avertissement
Nous publions ici selon un ordre chronologique les biographies de nos aïeux dans la foi d’après l’ouvrage du Chanoine André Laurent publié en 1979.
Vous trouverez parfois des références ou allusions à des articles qui suivent celui que vous lisez.


12/02 /11 Saint Romary (Témoins vosgiens)



Fondateur de Remiremont

Tout comme Saint Dié, d'abord ermite au Val de Galilée, Saint Romary, dans ce même VIIe siècle, amorçait l'évangélisation des Vosges méridionales. Et la postérité leur a rendu hommage, en attachant leur nom aux deux villes les plus importantes de la Montagne vosgienne.

Avant de résumer l'existence de Saint Romary, il n'est pas sans intérêt de noter qu'ici nous avons affaire à un personnage parfaitement historique. La « Vie » du Saint — et c'est une chance pour des temps aussi reculés — a été écrite au Saint-Mont par un disciple, témoin des faits et gestes qu'il rapporte, de façon d'ailleurs assez succincte.

Une première lacune tient à la date de la naissance ; on s'accorde toutefois à la situer aux environs de 580. De même, c'est par une tradition plus tardive que l'on sait le nom de ses parents. Romulphe et Romulinde. On vénérait encore au XVIIIe siècle, dit Georges Durand, en l'église de Remoncourt, la tombe de ces deux personnages considérés comme saints et, en 1642, la Doyenne Anne de Stainville en avait fait transférer des ossements à l'abbatiale de Remiremont. Cette tombe disparut à la Révolution et des fouilles opérées dans le chœur à la recherche d'une crypte, au début de notre siècle, n'ont donné aucun résultat.

Quoi qu'il en soit, Saint Romary naquit en Austrasie d'une famille de leudes vivant à la cour de Metz, et Saint Grégoire de Tours, dans son Histoire, cite Romulphe en racontant la lutte engagée par Clotaire II contre Brunehaut.

C'est donc sur cette scène dramatique où se bousculaient, dans les intrigues et le sang, les grands de ce temps, qu'apparaît Saint Romary. Son biographe nous le présente comme un homme de haute taille, élégant et plein d'affabilité. Disposant de grandes ressources, il se plaisait à venir en aide aux églises, aux monastères et surtout aux pauvres. Sans se dérober aux moindres exigences de la cour, il menait en fait la vie d'un religieux.

Sa vocation se précisa par la rencontre d'un autre leude, Saint Arnould. Liés d'affection par un commun idéal, ils songeaient à demander leur admission au monastère de Lérins, qui, depuis près de deux siècles, trouvait des recrues en Austrasie ; Saint Loup, enfant de Toul, et futur évêque de Troyes, y était entré avec son frère Saint Vincent, vers 410. Le projet fut bouleversé par l'élection de Saint Arnould au siège de Metz ; mais la Providence se réservait de les regrouper plus tard dans la solitude vosgienne.

Un instant dérouté de se retrouver seul avec ses pensées, Saint Romary, approchant alors de la quarantaine devait voir s'ouvrir la voie qu'il recherchait. Nous savons comment Saint Eustaise avait, de son voyage d'Italie, ramené Saint Amé à Luxeuil. Celui-ci allait, dans des conditions aussi curieuses, recruter un nouvel adepte à la cause monastique.

Lors d'une mission que son Abbé l'avait, en 617, envoyé prêcher à la cour de Metz, il advint que le prédicateur fut invité un soir à la table du leude Romary. A la vue de tout ce luxe de serviteurs et de vaisselle précieuse, le missionnaire qui avait eu vite fait d'acquérir le style de Saint Colomban, commenta, en guise de toast, la parole de l'Évangile : « Malheur à vous, riches, qui goûtez ici-bas votre consolation. Votre or et votre argent seront rongés par la rouille et cette rouille rendra témoignage contre vous ! ». Tandis que les convives étaient là, le nez dans leur assiette, Saint Romary accusa le coup si bien qu'il retint l'homme de Dieu quelques jours auprès de lui. Pieux colloques, dont on devine le résultat. Le temps de liquider les affaires, de distribuer aux pauvres le patrimoine, et Saint Amé, nanti bien sûr, des délais de route appropriés, rentrait à Luxeuil avec sa conquête. Magnifique retour de mission !

Mais la grande abbaye, apparemment du moins, ne devait pas en profiter longtemps. Car Romary reporta aussitôt sur son maître l'affection qu'il avait pour l'évêque de Metz, ce qui lui permit sans peine de le reconvertir au goût de la solitude. Luxeuil comptait alors plus de 500 moines et, dans cette ruche, Romary semblait retrouver, certes en une tout autre ambiance, le complexe de la vie en société, qu'il avait connu à la cour, jadis.

De son côté, Saint Amé gardait la nostalgie de sa grotte alpestre. D'autres colloques reprirent donc, qui n'allaient pas tarder à aboutir, car, dans sa clairvoyance et son souci d'apostolat. Saint Eustaise ne demandait qu'à favoriser l'expansion du mouvement colombaniste. Au reste, connaissant bien son monde et son temps, il était sûr que nos deux solitaires invétérés se trouveraient bientôt à la tête d'un nouveau monastère. Et comme ils étaient deux, ce monastère sera même double ! Il leur donna volontiers l' « exeat » les autorisant à s'enfoncer dans la forêt vosgienne, à 7 lieues de Luxeuil.

Dans la liquidation de son patrimoine Romary s'était en effet réservé un domaine sur la Haute Moselle, aux confins de l'Austrasie, où les leudes aimaient chasser l'aurochs. Nous serions tentés de voir dans cette réservation une sorte de repentance, comme chez le jeune homme de l'Évangile. Non ! Car le biographe nous précise que c'était dans l'intention d'en faire une bonne action.

L'essentiel du domaine consistait en une villa, sise sur le Mont Habend, massif isolé, dominant le vaste bassin où la Moselotte venait se jeter dans la Moselle. La voie romaine de Bâle à Metz traversant ce bassin, les conquérants n'avaient pas manqué de fortifier la position, en y installant un castrum en vigie, pour la surveillance des vallons confluant de partout à la ronde. Voyageant en ces lieux, en 1690, Mabillon dit y avoir encore aperçu des vestiges de sculptures romaines.

C'est donc sur ces ruines antiques que les deux moines de Luxeuil venaient en l'an 620 planter leur tente. Alors que Saint Amé entendait s'aménager une grotte sous les sapins, son compagnon, lui, songeait à la bonne œuvre. Il avait quelque scrupule à jouir pour lui seul d'un pareil domaine, où il risquait d'ailleurs de voir reparaître, avec leurs meutes, ses amis d'antan. Et puis il n'avait pas complètement rompu avec Metz, ne fût-ce, à titre de propriétaire, qu'avec les gens du fisc (ils sont de tous les temps!). En sorte que peu à peu l'idée lui vint de fonder là un monastère ouvert à des femmes. Il savait, par expérience de la vie de cour, qu'au sein de cette barbarie dissolue, il existait des veuves, des jeunes filles, ferventes chrétiennes, perpétuellement exposées à la brutalité des mœurs, et qui aspiraient à plus haut service.

En pleine maturité, solide et entreprenant, Saint Romary jeta donc les bases de cette nouvelle fondation, ou affluèrent aussitôt des adeptes, nobles dames d'Austrasie, femmes du peuple, voire même esclaves affranchies qui allaient, dans la paix du cloître, retrouver la réhabilitation idéale.

Leur fonction première serait de chanter la gloire de Dieu, par la louange perpétuelle. Il se trouve qu'au Saint-Mont — nous l'appellerons ainsi désormais — cette « laus perennis », institution colombaniste importée d'Irlande, était renforcée par l'autorité de Saint Amé, car les moines d'Agaune avaient eux-mêmes adopté cette tradition venue de l'Orient. Et ce n'est pas la moindre gloire de ce haut-lieu vosgien d'avoir été ainsi, à sa naissance, marqué par un double rayon émané des deux pôles de l'univers chrétien.

L'œuvre prospérant, bientôt un autre problème se posa au fondateur. A ces moniales, au nombre d'une centaine, il fallait des prêtres pour la direction spirituelle et l'administration des sacrements. Pas question de recourir à un clergé local, encore inexistant dans toute la forêt vosgienne. Précisons d'ailleurs que Saint Romary, demeuré par humilité simple frère convers à Luxeuil, n'était pas encore prêtre et que Saint Amé assura seul, dans les débuts, le ministère sacerdotal, ce qui ne pouvait durer. D'où la création sur ce sommet d'un couvent de moines. Ici encore, Saint Romary restait dans la tradition colombaniste, car ces monastères doubles constituent la grande innovation des moines irlandais, comme cela se vérifie par la suite à Faremoutier, à Jouarre, à Chelles, etc..

La construction des deux monastères, comme leur administration temporelle, incomba à Saint Romary.

En raison de leur destruction totale, il est extrêmement difficile aujourd'hui de reconstituer l'implantation des bâtiments, plusieurs fois démolis et relevés. L'abondance des documents permet toutefois de s'en faire une idée. A la pointe du sommet, l'église principale des Religieuses fut dédiée à Saint Pierre, vocable suggestif à plusieurs titres : d'abord par référence à Luxeuil ; de plus, le leude austrasien entendait faire du solide, « supra firman petram », avec ces pierres qu'avaient déjà maniées les Romains !

D'après une tradition par Dom Calmet, il aurait également construit, autour de la grande église, six autres chapelles, destinées aux moniales assurant la louange perpétuelle par groupe de douze, chapelles ayant pour titulaires la Sainte Vierge, la Sainte Croix, Saint Michel, Saint Jean-Baptiste, Saint Etienne et Saint Laurent. En 1641, le Pape Urbain VII accordera aux visiteurs des 7 chapelles du Saint-Mont les mêmes indulgences qu'aux pèlerins de Saint-Pierre de Rome. Il est curieux de noter que Sainte Salaberge, d'abord religieuse au Saint-Mont, devait fonder également à Laon, ces 7 chapelles de la « laus perennis », sous des vocables presque identiques. Lors des fouilles exécutées en 1953, en compagnie de Mgr Rodhain, nous avons eu la surprise d'exhumer les fondations d'un édicule, qui, par son orientation parfaitement liturgique et ses dimensions adaptées aux groupes susdits, pourrait bien être l'une de ces chapelles.

Par suite de l'exiguïté des lieux, les deux monastères devaient être assez rapprochés. Les religieux vivant sous la règle de Saint Colomban avaient aussi leur église, dédiée à Notre Dame. C'est par eux qu'on demeurait en liaison étroite avec Luxeuil. Souvent d'ailleurs, dans l'esprit de leur ordre, ils descendaient dans la vallée, qui se peuplait de plus en plus, par attraction du Saint-Mont et par la remise en état de l'antique voie. Saint Romary donnait l'exemple, s'adonnant à la prédication, prodiguant les miracles, que le biographe se plaît à raconter.

Saint Amé, plus âgé d'une dizaine d'années, devait mourir en 629. Saint Romary, devenu prêtre, lui succéda au titre de second Abbé du Saint-Mont. Deux ans plus tard, il avait la joie d'accueillir Saint Arnould, venu le rejoindre, réalisant, au décor près, le rêve de leurs jeunes années : les sapins noirs et de la neige, au lieu des oliviers de l'île ensoleillée !

Au bout de dix ans, l'évêque-ermite le quittait à son tour. Demeuré seul à la tête de l'oeuvre sur la sainte montagne, il continua sa tâche magnifique, servi par la vigueur de son tempérament, tout entier au service des âmes. C'est ainsi qu'à 72 ans, il entreprit le voyage de Metz, pour conjurer un danger qui menaçait ses compatriotes. Sa mission remplie, il tint, au retour, avant de gravir pour la dernière fois les pentes du Saint-Mont, à visiter les chrétiens de la vallée, qu'il avait évangélisés.

Le dimanche 8 décembre 653, après Matines, aux premières lueurs de l'aube, Saint Romary s'éteignait au milieu de ses moines. La scène, dont on sent que le biographe fut le témoin, nous est contée avec une simplicité émouvante. Au terme de sa vie, le Saint se retrouvait grand seigneur : après avoir reçu le Viatique et béni ses fils, et, à distance, ses filles dans leur grande église, il ferma de ses propres mains ses paupières, à l'instant du dernier soupir.

Ses funérailles prirent l'allure d'un triomphe et on l'inhuma aux côtés de ses deux amis, dans l'église Notre-Dame. A dater de ce jour, le Saint-Mont devenait comme le reliquaire monumental des fameux « corps saints », dont le culte collectif a si fortement marqué la piété de nos pères par toute la région. C'est une histoire de douze siècles où transparaît tout le passé chrétien de Remiremont. Disons seulement que le corps de Saint Romary se trouve actuellement dans la grande châsse qui domine le maître-autel de l'église abbatiale.

Laissons donc ces restes vénérables, auprès de Notre Dame du Trésor et à la garde des paroisses de Remiremont. Il serait de même fort intéressant de remonter au Saint-Mont, pour suivre, du haut de ce belvédère de l'Histoire, la destinée singulière de l'oeuvre de Saint Romary. Tandis que, sur la montagne, les Religieux tiendraient jusqu'à la Révolution, les Moniales, descendues très tôt dans la vallée, allaient donner naissance au célèbre Chapitre des Dames et Chanoinesses, qui illustre, de façon parfois fastueuse, tant de pages de l'Histoire lorraine. On n'y retrouverait certes pas toujours le rayonnement spirituel de Saint Romary. Aussi nous sera-t-il meilleur de le rechercher dans la bonne ville, née au pied de son tombeau, et dans la chrétienté d'alentour, dont il fut vraiment le père en Dieu.

Sur sa lancée, ses fils ont en effet évangélisé la contrée au fur et à mesure qu'elle s'ouvrait à la vie, au travers de la forêt patiemment défrichée. Au pied même du Saint-Mont, voici naître des paroisses, dont les titulaires sont précisément ceux des deux dernières chapelles mentionnées plus haut : Saint-Etienne, Dommartin, et une troisième à Celles, qui deviendra Saint-Amé. De là, l'Évangile se répercute au fond des vallées : c'est le ban de Longchamp (Rupt) et de Ramonchamp sur la Moselle, celui de Vagney sur la Moselotte, avec une antenne sur la Cleurie, le ban du Tholy. Ces bans constitueront d'immenses paroisses, qui, étroitement dépendantes du Saint-Mont au spirituel, du Chapitre au temporel, essaimeront à leur tour aux XVIIe et XIXe siècles. Gigantesque arbre de Jessé, dont les deux tiges bourgeonnantes portent en fleuron terminal Notre-Dame du Ballon à Saint-Maurice et Notre-Dame du Chastelat à La Bresse.

Au cours des âges et sous la féodalité par le jeu des alleux notamment, des paroisses plus lointaines entrèrent dans le domaine du Chapitre et reçurent Saint Romary comme titulaire de leur église : La Chapelle-aux-Bois, Grandvillers, La Neuveville-sous-Montfort et Uxegney. Par là se prolongeait, et elle continue toujours mystérieusement, la mission du grand apôtre des Vosges.

Revenant à Remiremont, nous voyons, dans les deux siècles qui ont suivi l'installation, dans la vallée, du monastère et des reliques, un pèlerinage prendre naissance, qui fut très fréquenté. Les annales parlent de processions, de veillées de prière devant la châsse, et souvent de miracles.

Mais, à partir du XIe siècle, où apparaît Notre-Dame du Trésor, le culte du Saint fondateur s'en trouve quelque peu éclipsé. C'est vers la Mère de Dieu, infiniment plus puissante, que monteront désormais les suppliques, surtout lors des grandes calamités. On n'oublie pas Saint Romary pour autant, qui se charge des requêtes personnelles des pèlerins. Discrimination qui risque de nous faire sourire, tant nous réalisons mal la familiarité avec laquelle nos pères se comportaient vis-à-vis des Saints du Paradis.

Les Dames, de leur côté, furent également fidèles au culte de Saint Romary. Il avait son autel au fond du chœur, devant lequel, pendant douze siècles, un cierge a brûlé tous les dimanches. A maintes pages, le Rituel capitulaire y assemble les chanoinesses en manteau de chœur. C'est pour faire à l'autel Saint-Romary un cadre plus digne, dans le style du Grand Siècle, que l'Abbesse Catherine de Lorraine fait ériger le retable monumental, œuvre de Jessé Drouin, exécutée de 1616 à 1623 et toujours en place.

Que de témoignages, curieux et touchants, il y aurait à rapporter de la piété des Dames et des fidèles, jusqu'à cette fatale vigile de la Saint Romary, le 7 décembre 1790, où le procureur syndic Poullain de Grandprey vint, à la sortie de la messe solennelle, signifier l'expulsion des Dames et apposer les scellés ! C'en était fait du Chapitre huit fois séculaire et, deux ans plus tard, dans l'église saccagée, la statue de la liberté trônera sur l'autel Saint-Romary.

Quant à la ville de Remiremont, elle s'est toujours honorée de porter le nom de son fondateur. Négligeons la folie passagère de la Révolution, qui l'affubla d'un sobriquet-pastiche : Libremont. L'origine du vocable « Romarici montis » apparaît pour la première fois dans un document de 870, se référant précisément à l'année où les Moniales descendirent s'installer dans la vallée.

La cité est non moins fière de porter les clefs de Saint Pierre dans ses armes « de gueules à deux clefs d'argent en sautoir », lointain souvenir de la première dédicace de l'église du Saint-Mont. On sait que les vocables du sommet furent transférées aux deux églises de la ville. Celle à l'usage du Chapitre fut continûment jusqu'en 1790 la Collégiale Saint-Pierre. C'est en devenant paroissiale, en 1802, qu'elle prit le titre actuel de la Nativité de Notre-Dame, transféré d'ailleurs de l'église annexe sise à proximité et disparue aujourd'hui.

Rappelons d'un simple mot les fêtes grandioses qui ont marqué, les 5 et 6 septembre 1953, le XIIIe centenaire de la mort de Saint Romary. Tout avait contribué à leur parfaire réussite : l'apport humain d'une cité laborieuse, où survit encore quelque chose de la grâce patricienne d'antan, l'apport surnaturel du Saint-Mont avec son potentiel de mystère et de poésie.

La puissance et la brillante longévité du Chapitre ont valu à Saint Romary une iconographie beaucoup plus riche que pour les autres Saints de son époque. La variété même nous révèle l'esprit qui a animé tour à tour ses filles, des Moniales aux Chanoinesses.

Les plus vieux documents le représentent toujours en costume monastique. Tel le sceau apposé sur un parchemin de 1266, et dont la matrice a, par bonheur, été conservée. Assis en majesté, le Saint Abbé porte la crosse et le livre de la Règle. On le voit, toujours en moine, sur une gravure allemande (1518), dans la série des Saints de la famille de Maximilien d'Autriche. Détail significatif, car, à cette époque, le Chapitre qui se recrutait dans tout la noblesse d'Occident, se plaisait surtout à voir dans son fondateur le leude de cette Austrasie, devenue le berceau de la dynastie carolingienne.

C'est pourquoi on le verra désormais en grand manteau d'hermine, couronne en tête, portant d'une main le sceptre, de l'autre l'église Saint-Pierre en miniature. Quelques exemples : bas-relief sur bois du XVIIe de la collection de Mme Dussaux ; tableau de l'Hôpital de Remiremont avec, à ses pieds, l'Abbesse Béatrix de Lillebonne (1715). Deux pièces classées Monuments Historiques offrent une particularité : la jolie statuette d'albâtre de La Neuveville-sous-Monfort le représente en gentil-homme du temps de Charles-Quint, et dans le tableau de Saint-Etienne, il est accosté de Saint-Arnould, en évêque, bénissant à ses pieds Mme de Raigecourt. Plus près de nous, de Pierre-Dié Mallet, une image fort intéressante, encore qu'encombrée de détails historiques, habile compromis entre les deux tendances.

Signalons, pour finir, que Saint Romary paraît, toujours en costume royal, sur le croix du Chapitre que portaient, pendue à un ruban bleu, les Chanoinesses du XVIIIe siècle. Délicat bijou en or, dont la croix à huit branches s'inscrit dans un ovale d'émail bleu, semblable à l'insigne de l'ordre royal de Saint-Louis. Et la dernière Abbesse de Remiremont qui l'a portée, au moment où disparaissait ce Chapitre, l'un des plus célèbres de l'Europe, n'était autre que la Princesse Louise-Adelaïde de Bourbon-Condé, lointaine descendante de Saint Louis, Roi de France.

05/02 /11 Saint Amé (Témoins vosgiens)



Premier Abbé du Saint-Mont

Quoique issus d'horizons très différents, Saint Romary et Saint Amé sont, dans l'Histoire, étroitement associés aux origines du Saint-Mont, qu'ils ont fondé de concert ; sympathique duo, par quoi a retenti pour la première fois le message évangélique en nos Vosges méridionales.

Il s'ensuit que l'un et l'autre nous sont connus par des documents sérieux, la Vie de Saint Amé ayant été rédigée par un contemporain, qui pourrait bien être Jonas, cité ici à maintes reprises à propos des grands Colombanistes. Editée pour la première fois par Mabillon en 1668, cette Vie a, depuis lors, trouvé audience auprès de tous les historiens.

Amé, que certains auteurs écrivent Aimé, par traduction littéraire du latin « Amatus », descendait d'une famille de la noblesse gallo-romaine du Dauphiné. Il naquit à Grenoble vers 570. Son père, Héliodore, étant représenté comme un homme très pieux, on en conclut, sans autre détail sur son enfance, que le jeune Amé reçut au foyer une éducation chrétienne. Mais pour la parfaire, Héliodore envoya son fils à Agaune, sur le Rhône, dans le Valais suisse actuel. La célèbre abbaye de Saint-Maurice, fondée depuis peu sur la tombe des Martyrs de la Légion Thébéenne, se doublait, comme la plupart des monastères, d'un centre de culture ouvert à la jeunesse. Amé, d'abord simple étudiant, travailleur et distingué, se sentit bientôt appelé et entra comme novice au monastère.

Devenu prêtre, il s'intéressa avec une ferveur particulière à la pratique de la prière perpétuelle, la « laus perennis ». Celle-ci s'y était instaurée dès le début, car on en trouve la mention précise dans une homélie de Saint Avit, archevêque de Vienne, au VI° siècle, l'abbaye d'Agaune se situant alors dans les limites de son vaste diocèse. Une trentaine d'années, Amé vécut ainsi en moine exemplaire, avec un attrait remarqué pour la vie mystique, ce qui, à la longue, le détermina à réaliser un exploit tout à fait singulier.

Un beau matin, il disparut du monastère. Trois jours durant, on le chercha en vain, pour le découvrir finalement blotti dans une anfractuosité de la montagne qui surplombe, en falaise abrupte, l'abbaye. Invité à réintégrer le bercail, il n'en fit rien. « Laissez-moi, répondit-il à ses frères, pleurer mes péchés dans ce lieu resserré. » Cette fugue, digne d'un collégien, semble peser toujours sur sa mémoire, car aujourd'hui encore, aux yeux des Religieux d'Agaune, notre Saint fait figure d'original fieffé.

Le Supérieur d'alors fut pourtant moins sévère. Sagement, il décida de ne pas contrecarrer le dessein de Dieu sur l'âme marquée à ce point pour la pénitence dans la solitude. Il chargea même Frère Bérinus d'assurer le ravitaillement de l'ermite, qui, du reste, simplifia le service. « Du pain et de l'eau tous les trois jours, je ne veux rien de plus ! »

De ses propres mains, il aménagea la grotte et construisit un oratoire dédié à Notre-Dame des Martyrs, où il célébrait la messe, s'unissant de loin à l'Office monastique, annoncé par les cloches qui tintaient tout le jour à 90 mètres plus bas. Résolu de livrer au diable un vigoureux combat, il multipliait les austérités les plus dures, couchant sans paillasse à même la roche, se privant de sommeil, refusant tout secours, toute visite, hormis celle de son Abbé ou celle de l'Evêque voisin, qui, de Sion, montait jusqu'à lui pour s'édifier en sa compagnie.

Cette réclusion durait depuis trois ans, lorsqu'eut lieu l'entrevue curieuse que nous relatons dans la vie de Saint Eustaise. Nous nous bornons à souligner ce qu'a d'inattendu, de vraiment original, une telle détermination. Quoi ! Voilà un moine qui, en dépit de la règle, s'enfuit du monastère, pour vivre dans une grotte et qui, subitement, se jette sur les routes, pour réintégrer, à la suite d'un Abbé de passage, l'abbaye de Luxeuil, à cent lieues de là ! C'est au travers de ces apparentes incohérences que le Seigneur destinait aux Vosges un de leurs apôtres, Saint Amé lui-même n'en savait rien ; il lui suffisait de suivre aveuglément les impulsions de l'Esprit, comme Abraham jadis, qui n'a l'air d'un aventurier que par sa foi magnifique et totale.

L'épisode, du moins, nous familiarise utilement avec le Saint, qui nous réserve encore d'autres surprises.

Au moment où il quitte sa grotte, qu'on visite aujourd'hui sous le nom de Notre-Dame de Scex (saxum), signalons que des fouilles archéologiques ont permis, en 1958, de retrouver sous la chapelle plus vaste édifiée au XVIIe siècle, les vestiges de la cellule primitive et de l'oratoire, absolument conformes aux traditions érémitiques de l'Orient.

De nouveau cloîtré à Luxeuil, au milieu de centaines de frères, Saint Amé simplement s'adapta vite aux exigences nouvelles de la règle colombaniste, sous le regard paternel de Saint Eustaise, suivant de près cette étonnante recrue, non par défiance prudente – le Père Abbé d'Agaune l'avait pourtant prévenu – mais pour en déceler toutes les ressources.

C'est ainsi qu'il ne tarda pas à découvrir dans ce petit homme affable, tout appliqué à mériter son nom, un zèle ardent, mûri dans le silence et la contemplation, une parole brillante et facile, en un mot, toute l'étoffe d'un excellent prédicateur.

Peu de temps après, il l'envoya donc en Austrasie, inaugurant avec ce moine étrange une forme de pastorale qui lui tenait à cœur et que nous appellerions aujourd'hui les missions paroissiales. Pour éviter ici encore la redite d'un épisode récemment raconté, rappelons seulement que, de la mission de Metz, notre prédicateur ramenait à Luxeuil Saint Romary, qui ne devait plus le quitter.

Nouvelle fugue, cette fois avec la permission du Supérieur. Le noviciat du leude messin à peine terminé, les voilà qui arrivent ensemble au Saint-Mont pour y fonder leur œuvre. Dans cette entreprise « en commandite », dirions-nous, l'un et l'autre se complétèrent merveilleusement. A Saint Romary, qui en eut l'initiative et qui, à titre de propriétaire, en fournit le domaine, revenaient le soin de la construction et la gestion matérielle. Saint Amé eut, pour sa part, la direction spirituelle du double monastère. Très attaché à la règle de Saint Colomban dans sa rigueur première, il entendait, pour ses ouailles, la tempérer de spiritualité bénédictine, empruntée à l'abbaye d'Agaune.

Dans cet esprit, il n'eut pas de peine à gagner ses moniales à la pratique exaltante de la « laus perennis », se déroulant dans les sept chapelles que leur édifia la diligence de Saint Romary. Ainsi, le Saint-Mont, filiale remarquable de Luxeuil, devenait une nouveauté en Lorraine, avec cette pointe d'originalité, bien dans le style de Saint Amé.

Désormais, toute une vie de pénitence et de prière chantante s'épanouissait au sommet de la montagne, illustrée de miracles que le chroniqueur se plaît à nous conter : guérison du boiteux, miracle des abeilles, d'une fraîcheur toute évangélique. Par la sagesse de son gouvernement abbatial, notre Saint a donc mérité pleinement le titre de premier Abbé du Saint Mont que lui a gardé l'Histoire.

Il n'empêche que, sans y déroger en quoi que ce soit, Saint Amé, demeuré ermite dans l'âme, se laissa reprendre par le goût de la solitude au contact de la forêt vosgienne. Ayant repéré, au bas de la montagne sur son flanc sud-est, une roche creuse, il décida d'y établir sa résidence habituelle et vint s'y installer, ce qui est une façon de dire. Par une longue corde glissant le long de la paroi, le monastère d'en-haut lui servait sa maigre pitance.

Reprenant tout à son aise ses austérités d'antan, Saint Amé s'imposait pourtant de remonter par des sentiers abrupts jusqu'au sommet, pour assurer chaque dimanche la prédication aux religieuses, en des homélies toutes simples où passaient son âme méditative et le fruit de ce perpétuel cœur à cœur avec Dieu dans le silence des grands sapins.

Dans cette grotte, si semblable à celle du Valais, le Saint devait passer les huit dernières années de sa vie.

Pareille mortification, accentuée par la rudesse du climat vosgien et l'humidité de la roche, provoqua à la longue une maladie osseuse qui le fit bien souffrir, sans altérer le moins du monde ni sa sérénité, ni sa douceur.

Aux approches de la mort, il se fit étendre sur un lit de cendres. Après avoir fait sa confession publique en présence des frères accourus à son chevet, il pria l'un deux de lui lire la lettre du Pape Léon à Saint Flavien, admirable profession de foi catholique. C'est au chant des psaumes qu'il s'éteignit le 13 septembre 629.

Il fut inhumé au sommet du Saint-Mont, à l'entrée de l'église Notre-Dame et non à l'intérieur, comme Saint Romary l'eût désiré. Le cher compagnon avait en effet déjà fait creuse sa tombe, le dernier dimanche où il avait pu remonter, avec l'épitaphe de sa main, dont voici un extrait : « Homme de Dieu qui entres pour prier en ce saint lieu, si tu mérites d'obtenir ce que tu sollicites, daigne implorer la miséricorde du Seigneur pour Amé, pénitent ici enseveli... » Touchante imploration, toute de gentillesse et d'humilité, qui le dépeint tout entier.

Mais le peuple chrétien contrevint aux dernières volontés de l'ermite. Devant l'affluence des pèlerins, force fut, l'année suivante, de déplacer la tombe à l'intérieur de l'église, où, dix ans plus tard, viendra le rejoindre le corps de Saint Arnould, en attendant le retransfert à Metz.

Quant à la grotte, elle fut soigneusement conservée par les religieuses du Saint-Mont et devint à son tour un lieu de pèlerinage. Au pied de la roche, on aménagea un assez vaste terre-plein, où, par la suite, devait s'élever l'église paroissiale de Celles, berceau de la paroisse actuelle de Saint Amé. Bien avant l'an mil en effet, plusieurs hameaux étaient nés en couronne au pied du Saint-Mont. Nous avons déjà mentionné Saint-Etienne et Dommartin. Elle avait campé ses installations rurales, à l'abri des inondations, sur les buttes rocheuses que franchit aujourd'hui la route de Gérardmer. Et il est surprenant que la chrétienté de Celles ait tenu à avoir son église, perchée dans la montagne, à un kilomètre de la route. Tant on attachait de prix à se tenir le dimanche sur les lieux mêmes qu'avait sanctifiés le patron de la paroisse, à reposer près de la grotte après la mort. Jusqu'au XVIIIe siècle, en effet, le cimetière occupa la quasi-totalité du terre-plein.

Pendant cette longue période, le service de l'église fut assuré par les chanoines du Chapitre de Remiremont. Une chapelle de secours se voit encore au bord de la route, où se célébraient les messes en semaine. Ce n'est qu'au début du XVIIIe siècle, en raison du peuplement de la vallée se portant surtout vers l'agglomération de La Nol, que le centre paroissial se transféra, changeant de vocable, à l'emplacement actuel de Saint-Amé. L'église qu'on y voit fut terminée en 1725 et, le 22 août 1732, Monseigneur Scipion-Jérôme Bégon, évêque de Toul, venait la consacrer avec maître-autel. Le parchemin et le coffret des reliques, soit dit en passant, viennent d'être retrouvés intacts dans la table de pierre, lors de l'installation actuellement en cours d'un monumental autel de granit.

Mais retournons au « Vieux Saint-Amé » ; c'est le nom donné depuis lors à l'antique enclos paroissial. Plusieurs églises se sont, au cours des âges, succédé là. De la dernière en date, d'intéressants vestiges (trois bases de colonnes et une croisée d'ogives du XVIe siècle) ont été encastrés dans la petite chapelle bâtie à 20 mètres de la grotte, en 1882. Celle-ci, en partie obstruée par les gravats tombés de la montagne, fut reconstituée pour la circonstance : simple niche en pierres de taille, fermée d'une grille protégeant une statue du Saint ermite agenouillé.

Dans ce cadre magnifique, auquel on accède par un chemin rocailleux, se déroule chaque année, le 13 septembre, le pèlerinage traditionnel de Saint Amé. En 1941, Monseigneur Blanchet tint, à cette occasion, à en consacrer l'autel de granit rose. Deux pèlerins insignes sont montés également au Vieux Saint-Amé : le 11 juin 1933, c'était Monseigneur Burquier, Evêque-Abbé de Saint-Maurice d'Agaune, et le 29 juin 1953, Monseigneur Haller, son successeur. Tous deux, invités aux fêtes d'Epinal (érection de l'église Saint-Maurice en basilique, puis millénéraire de la Ville), ont voulu, en compagnie de l'Evêque du Diocèse, rendre cet hommage à l'illustre moine d'Agaune.

Outre la paroisse, née au XVIIIe siècle et à laquelle il a donné son nom, Saint Amé en patronne encore deux autres, dépendant jadis du doyenné de Remiremont, à savoir Plombières-les-Bains et Raon-aux-Bois. Ainsi, cette dernière se trouve-t-elle bien marquée par l'influence de Luxeuil, puisqu'elle est déjà, nous le verrons, un centre de culte en l'honneur de Saint Desle.

Quant à Plombières, sa première église fut dédiée à Saint Amé, alors qu'elle n'était encore qu'une annexe de Bellefontaine. Depuis lors, elle a gardé fidèlement sa mémoire et ses reliques, ce qui lui a valu, ces dernières années, une protection spéciale. Comme à chaque fête patronale, la châsse était exposée dans le chœur, le dimanche 17 septembre 1944, tandis que les Allemands, subrepticement, vidaient les lieux. Le lendemain, il y eut devant la châsse abondance de cierges, car la 36e Division américaine faisait, sans coup férir, son entrée dans la cité. Tant de paroisses vosgiennes, hélas ! ont payé dans les ruines et le sang la grâce de leur libération. Plombières, privilégiée, a marqué sa gratitude à Saint Amé par l'ex-voto de marbre qu'on peut voir auprès de son autel dans le transept sud.


Sans être à vrai dire très riche, l'iconographie de Saint Amé apparaît assez variée. Songeons aussi que la destruction totale du Saint-Mont et le pillage, en 1790, de l'Abbatiale de Remiremont, nous ont privés d'une multitude d'œuvre du Moyen Age.

Tout un lot de gravures des XVIe et XVIIe siècles, conservées soit à la Bibliothèque nationale de Paris, soit dans les collections privées de Remiremont, représentent l'ermite dans sa grotte d'Agaune ou du Saint-Mont. L'une d'elles, gravée par le célèbre Jacques Callot, illustre à la page du 13 septembre l'ouvrage édité en 1636 « Les Saints et Saintes de l'année ».

La statuaire vosgienne compte quelques pièces intéressantes. La plus ancienne pourrait être celle du Musée de Remiremont, provenant de la grotte du Saint-Mont. Elle est en bois, assez endommagée, comme le Saint lui-même, avons-nous dit, par un trop long séjour à l'humidité. Trois autres le représentent en abbé, dans un costume... bénédictin, la tête sous le capuchon relevé, le livre de la Règle entre les mains. Celle qu'on aperçoit à la chapelle du Saint-Mont est en pierre de la fin du XVIe siècle. La physionomie très jeune esquisse un sourire ; aux pieds, la mitre de confrérie de premier abbé du monastère. Détails identiques dans la statuette de confrérie de Raon-aux-Bois. L'église de Saint-Amé en conserve deux, également en bois du XVIII° siècle, où le Saint figure dans l'exercice de son ministère ; sur l'une, il est en prédicateur avec surplis et rabat, sur l'autre, on croirait un pontife, en crosse, mitre et chape ; pour bien montrer toutefois que Saint Amé ne fut point évêque, l'imagier, qui connaissait ses rubriques, lui a croisé l'étole sur la poitrine.

A la diligence de M. l'Abbé Lucas, pasteur zélé et historien, qui a tant fait pour le culte de Saint Amé, nous devons deux œuvres modernes : la statue de pierre qui surmonte l'autel du Vieux-Saint-Amé et celle en fonte qui accueille le visiteur dans le jardin paroissial. De part et d'autre de la grande allée, tous les Saints du Saint-Mont lui font cortège, évoqué chacun par un médaillon de bronze fixé à une stèle de granit brut : à gauche, Sainte Perpétue, Sainte Gébétrude, Sainte Claire 653, Saint Romary 653 ; à droite, Saint Emmon, Saint Adelphe 670, Sainte Mactefelde 623, Saint Arnould 640.

Toujours à Saint-Amé, on voit enfin, dans le vitrail axial du chœur, refait en 1946, l'ermite agenouillé avec l'inscription ; « Gentil Sire Amé, priez pour nous. » Délicate invocation caractérisant bien l'attachante figure de ce moine, tour à tour ermite, missionnaire et directeur d'âmes, venu jadis allumer le flambeau de la foi dans nos Vosges méridionales.

Quant à ses reliques, que nous avons laissées en l'église Notre-Dame du Saint-Mont, elles entrèrent dans le culte collectif des « Corps Saints de Remiremont », demeuré célèbre dans toute la région. Sorte de légende dorée, typiquement vosgienne, dont on suit le déroulement à travers d'innombrables pièces d'archives, compulsées naguère avec ferveur par M. Bernard Puton.

Pendant près de deux cents ans, on vénéra au sommet de la montagne les ossements des deux fondateurs, Saint Romary et Saint Amé, auxquels furent réunis par la suite les corps de plusieurs personnages morts en odeur de sainteté dans les deux monastères, et notamment Saint Adelphe, troisième Abbé du Saint-Mont, que nous retrouverons au propre de septembre.

Lorsqu'en 870 les Religieuses quittèrent la montagne pour venir s'installer dans la vallée sur le Rang Sénéchal, cœur du vieux Remiremont, nous assistons à une première translation des Corps Saints. On devine, en effet, que les Moniales ne pouvaient se séparer d'un aussi vénérable palladium.

Relevés presque intacts, assure-ton, les corps furent donc couverts d'aromates et d'étoffes précieuses, puis déposés en des châsses individuelles. Une majestueuse procession, présidée par l'Evêque, avec un grand concours de clergé et de fidèles, descendit de la montagne. Le chroniqueur se plaît à nous conter la splendeur de ce cortège à travers la campagne fleurie, entre autres l'épisode charmant des colombes.

Saint Romary et Saint Amé avaient une prédilection marquée pour ces gracieux volatiles, tradition continuée par les Religieuses. Et voilà que, mues par un instinct pieux, les colombes se joignirent au cortège, voltigeant autour des châsses. Celles-ci une fois installées sur leurs autels, les colombes, renonçant au Saint-Mont, élurent domicile sous le toit de la nouvelle église de Remiremont, et depuis lors elles s'y perpétuent fidèlement, à la joie des pèlerins, entrant du même coup dans l'iconographie de Saint Romary.

Devant l'invasion des Hongrois ravageant la Lorraine à la fin du siècle, les Religieuses remontèrent au Saint-Mont pour y chercher refuge, emportant, bien sûr, les Corps Saints avec elles. L'aventure fut en somme bénéfique, car venues avec trois châsses, elles redescendirent avec une supplémentaire. Pendant le séjour là-haut, on avait en effet retrouvé les restes de Sainte Gébétrude, quatrième Abbesse, laquelle eut désormais sa fête de l'Invention inscrite au 17 septembre.

L'alerte passée, on s'était réinstallé tant bien que mal dans le monastère saccagé. Le culte reprit aussitôt aux abords de l'an mil et dans des proportions telles qu'on conçut le projet d'une vaste église capable de satisfaire la piété à la fois des Moniales et des fidèles. Bientôt érigé, l'édifice fut solennellement consacré par le Pape Saint Léon IX, le 14 novembre 1049. La veille, le Pontife avait procédé à une cérémonie qui était alors l'équivalent d'une canonisation. Les reliques des Saints Romary, Amé, Adelphe et de Sainte Gébétrude étaient liturgiquement identifiées et scellées dans leurs châsses, en présence d'Hugues, archevêque de Besançon, d'Udon, primicier de Toul, dont Saint Léon était encore évêque, d'Oda, abbesse de Remiremont, de Gérard, abbé de Luxeuil, de Lanfranc, abbé de Saint-Etienne de Caen. Ces fastes historiques nous sont attestés de deux manières : par un magnifique parchemin du XIe siècle, longtemps inclus dans la châsse de Saint Amé, aujourd'hui à la Bibliothèque nationale, puis par une lettre que Lanfranc, devenu archevêque de Cantorbéry, adressait à ce sujet à son ami Jean de Bayeux, savant liturgiste.

Ainsi, le Rituel du Chapitre, qui fêtait déjà le 17 mai le souvenir de la première translation, s'enrichit d'une double commémoration : le 13 novembre, dernière translation, et le 14, dédicace de l'église, dont la crypte demeure encore aujourd'hui un magnifique témoin. Celle-ci dut à la robustesse de sa construction en sous-œuvre d'échapper aux incendies qui, en 1057 et en 1145, anéantirent l'église et le monastère.

Sans se démonter, les Religieuses rebâtirent l'église à la gloire de leurs fondateurs, encouragées par deux bulles papales (Innocent IV le 19 septembre 1243, Nicolas IV le 13 septembre 1290) accordant indulgences et privilèges aux pèlerins des Corps Saints. Ces dates nous permettent d'assigner à la fin du XIIIe siècle la belle église d'influence champenoise, dont s'enorgueillit encore Remiremont.

Ce siècle marque d'ailleurs une orientation toute nouvelle de l'antique monastère. Quittant la règle bénédictine, les Religieuses s'érigèrent alors en Chapitre noble de Dames chanoinesses. Et leur Abbesse fut reconnue Princesse du Saint Empire par décret de Rudolphe de Habsbourg en 1290. Un tel changement constituait une dérogation évidente à l'esprit des fondateurs et le culte des Corps Saints, demeuré très populaire auprès des fidèles, s'entoura d'honneurs féodaux par suite de la condition nouvelle de ces Dames.

C'est ainsi que les Ducs de Lorraine étant tenus de venir tous les ans faire visite à l'Abbesse se prêtaient de bonne grâce à rendre, à cette occasion, hommage aux Saints de Remiremont. La première démarche faite par Ferry III en 1295 se renouvela régulièrement pour tous ses successeurs jusqu'au Duc Henri II en 1616. Le cérémonial en honneur pendant plus de trois siècles enjoignait au Duc « chacun an de porter en procession solennelle, le jour de la Division des Apôtres (fête propre au Chapitre le 15 juillet) les glorieux Corps Saints de ladite église de Remiremont ». S'agissant en fait de plusieurs châsses, c'est toute la cour ducale qui participait ainsi à la procession au milieu de l'allégresse générale, en sorte que tous les grands noms de Lorraine figurent comme pèlerins d'un jour dans les annales du Chapitre.

La rançon, pour nos Saints, de cette gloire peut-être trop humaine, fut que leurs reliques partagèrent les vicissitudes tragiques qui ont désolé la Lorraine pendant la guerre de Trente Ans. Lors d'un raid du triste Mansfeld en 1622, force fut, Remiremont n'étant qu'une bien faible citadelle, de mettre les Corps Saints à l'abri des remparts d'Epinal, à la garde des Chanoinesses de Saint Goëry.

En réparation de tous ces dérangements, la générosité des Dames et des nobles de Lorraine s'exprima en donations somptueuses. Tandis que l'Abbesse Catherine de Lorraine, fille de Charles III, érigeait le monumental retable, spécialement conçu pour la présentation permanente des reliques, de nouvelles châsses étaient offertes dans le goût fastueux de l'époque. Tapissées de cuir bleu de Cordoue, elles s'ornaient de bas-reliefs et de statuettes en argent ciselé, de candélabres dorés. L'ensemble était inauguré en 1634 par Philippe de Lignéville, grand Prévôt du Chapitre de Saint-Dié.

Comme bien on pense, la piété des fidèles y trouvait son compte et les nombreuses fêtes, prévues au Rituel, étaient l'occasion de pèlerinages très fréquentés. Il s'y mêlait d'ailleurs, avec les « Kyriolés », un aspect folklorique charmant. Tous les ans, le lundi de la Pentecôte, les paroisses relevant du Chapitre étaient tenues d'apporter à l'Abbesse un hommage symbolique. A grand renfort de bannières, elles arrivaient en procession, portant des branches fleuries : Saint-Nabord, des églantines ; Dommartin, des genévriers ; Saint-Etienne, du cerisier ; Vagney, du sureau ; Saulxures, du saule ; Raon-aux-Bois et Rupt, du genêt ; Plombières et Bellefontaine, de l'aubépine. La Communauté de Saint-André brandissait des branches de lilas, en chantant une naïve supplique dont texte et musique nous ont été conservés. Saint-Maurice se distinguait, non sans peine, à certaines années chaudes, avec ses hottées de neige, recueillies dans les creux du Ballon de Servance.

Tout cela disparut dans la tourmente révolutionnaire ; les châsses elles-mêmes et tout le riche mobilier devinrent la proie des Jacobins, pour échouer à la Monnaie de Metz. Toutefois, avant l'effraction, les reliques purent être sauvées et mises à l'abri par les soins d'une douzaine de familles de Remiremont, dont les noms ont été retenus. Il convient d'ajouter qu'une partie de ces ossements, garés personnellement par Mme de Monspey, la dernière Doyenne du Chapitre, qui se réfugia sur ses terres du Lyonnais, sont encore en possession de ses héritiers au château de Montchervet (Rhône).

Par décision du 16 février 1801, le Conseil municipal ayant décidé la réouverture comme église paroissiale de l'antique collégiale du Chapitre, les reliques y reprirent place dans des châsses de fortune. La reconnaissance canonique faite par M. Georgel, Vicaire général, le 7 mars 1803, marqua la reprise du culte traditionnel des Corps Saints.

Malheureusement, deux incendies assez reprochés, 29 janvier 1871 et 8 juillet 1886, ravagèrent l'église et son mobilier, reconstitué au cours du siècle. Les reliques ne furent qu'en partie sauvées, puis replacées dans les châsses en bois doré que l'on voit aujourd'hui sur les alvéoles du grand retable. Une procession solennelle, présidée par Mgr de Briey, Evêque de Saint-Dié, les avait au préalable portées à travers les rues de la ville, cérémonie qui eut sa réplique en 1953, lors des fêtes du XIIIe Centenaire de la mort de Saint Romary.

Il est certain que, de nos jours, le culte des Corps Saints n'a plus retrouvé sa ferveur d'antan. Et les raisons en sont multiples. Les pauvres Saints, dans leurs reliquaires, sont perdus bien haut dans ce décor qu'on aimait au Grand Siècle ! Et Notre-Dame du Trésor, si avenante avec son Petit Jésus, sollicite de préférence, comme il se doit, la prière de quiconque pénètre dans l'église de Remiremont. De surcroît, la récente réforme liturgique, qui vient de réduire considérablement le sanctoral, semble sanctionner la désaffection de la spiritualité contemporaine à l'égard des Saints, auxquels nos aïeux portaient un attachement aussi naïf que sincère, une confiance totale, intéressée parfois, et toujours émouvante en ses manifestations.

Cette longue évocation historique des Corps Saints, pour sommaire qu'elle soit, n'avait d'autre but que d'en garder au moins le souvenir.

17/01 /11 Saint Desle (Témoins vosgiens)



Saint Desle nous intéresse au titre de disciple le plus proche de Saint Colomban, et aussi parce que son culte est demeuré en honneur à la lisière sud de notre diocèse, et spécialement dans la région de Remiremont.

Comme Saint Colomban, Saint Desle naquit en Irlande, l' « Ile aux Saints », qui a été, jusqu'au seuil du Moyen Age, la grande pourvoyeuse d'apôtres de tout l'Occident, sorte de Palestine océanique qui a répercuté, avec une fidélité extraordinaire, le message évangélique parti des rives du Jourdain.
La date exacte de sa naissance n'est pas connue ; on sait seulement qu'elle se situe pendant le pontificat du Pape Vigile (538-555).

Entré tout jeune à l'Abbaye de Bangor, « la Vallée des Anges », sur la côte nord-est de l'Ile, Saint Desle vécut pour ainsi dire dans le sillage de Saint Colomban. De ce fait, la plupart des détails biographiques leur sont communs.

Disons seulement que, très attaché à son maître en sainteté, Saint Desle suivit Saint Colomban dans les pérégrinations aventureuses qui aboutirent à Luxeuil. Il y passa les vingt années de sa maturité, de 590 à 610. Vie de silence et d'abnégation héroïque, sous une règle qui se distinguait de toutes les autres alors en honneur « par son caractère énergique et son austère saveur ». Jeûne quotidien, mortifications continues, travail de l'atelier et des champs, rien ne rebutait la ferveur de Saint Desle qui retrouvait la détente et la joie à chanter, avec ses trois cents frères, les louanges divines dans la vaste église abbatiale où ils se regroupaient pour la messe et les différentes heures de l'office.

Peut-être notre saint avait-il même l'impression d'être là trop heureux tant Dieu peut se permettre d'exigences surprenantes à l'égard des âmes qu'Il a appelées à la perfection et qu'Il soutient de Sa grâce toute puissante.

Vint en effet la terrible épreuve. Victime des remous politiques qui, en ce siècle de fer — au paroxysme de l'ère mérovingienne — agitaient les confins de la Bourgogne et de l'Austrasie, toute l'Abbaye de Luxeuil fut bientôt dispersée, et ses moines expulsés du domaine dont ils avaient fait, en moins de vingt ans, un admirable foyer de culture et de civilisation. Au printemps 610, la caravane monastique prit le chemin de l'exil, le long de la voie romaine conduisant à Besançon.


Mais à peine avait-on fait une lieue que Saint Desle s'écroula épuisé, suppliant son maître de le laisser là pour ne pas compromettre le sort de ses compagnons fugitifs. Ce fut pour tous un arrachement douloureux, et le vieillard se jeta aussitôt dans la forêt, tant pour échapper à la poursuite des sicaires de la reine Brunehaut que pour découvrir une retraite à sa fatigue. Le lieu était propice : sous le nom de Vepræ, il évoquait un canton de cette immensité boisée qui couvrait alors tout le bassin supérieur de la Saône, et dont notre forêt de Darney constitue encore un remarquable vestige.

Cette forêt, à son tour, fut propice à la légende qui, à ce moment critique, semble prendre le relais de l'histoire. Le pieux narrateur se complaît en effet à nous conter le jaillissement d'une source miraculeuse sous le bâton de Saint Desle, la rencontre du berger qui le guide jusqu'à une chapelle dédiée à Saint Martin, près de laquelle le Saint se construit une cabane. Il peut tout à loisir y prier Dieu dans le silence de la nuit, puisque les portes s'ouvrent par la main des Anges, dès qu'il en approche.

Il est intéressant de souligner au passage cette chapelle dédiée, dès ce temps-là, au grand apôtre de la Gaule, à proximité de la même voie romaine Besançon – Toul qui en comporte une autre chez nous, près d'Escles et de Vioménil, aux sources du Madon.

Au travers des persécutions dont Saint Desle triomphe à coups de miracles, Dieu poursuivait son dessein. S'Il avait permis l'accident survenu au départ de Luxeuil, c'était précisément pour en assurer la relève. Retrouvant, avec ses forces physiques, toute sa jeunesse d'âme et le caractère entreprenant de son maître, Saint Desle allait jeter les bases d'un nouveau monastère. Celui-ci, né, comme Luxeuil vingt ans plus tôt, au cœur de la forêt, fit place, sous l'impulsion du fondateur et des nombreux religieux, aussitôt accourus, à la vaste clairière où se développa par la suite la ville de Lure.

Aidé d'abord par la générosité de Berthilde, une pieuse châtelaine du voisinage, Saint Desle attira bientôt, par sa bienfaisance et sa sainteté, l'attention de Clotaire II, le père de Dagobert. Trop heureux d'expier les excès qui avaient marqué son règne. Clotaire dota le monastère naissant d'un vaste domaine et de franchises fort appréciables en ces temps de misère.

En souvenir de Luxeuil, le fondateur de Lure dédia son église abbatiale à Saint Pierre, et devant l'afflux des moines et de la population, en bâtit une autre en l'honneur de Saint Paul.

En bon moine colombaniste, il reprit la règle de Luxeuil, mais — et c'est là une marque de son caractère — en atténua certaines rigueurs, se rapprochant ainsi de la règle bénédictine qui gagnait alors tout l'Occident.

Quoique âgé et perclus d'infirmités, il entreprit le voyage de Rome. L'histoire ne nous dit pas s'il passa par Bobbio, sur la tombe de Saint Colomban, décédé en 615. Le Pape reçut le vénérable Abbé de Lure avec bonté, approuva pleinement sa règle, le comblant par surcroît de reliques et de présents.

Ce fut sa dernière joie. Après avoir confié la crosse à son filleul Saint Colombin, il s'éteignit le 18 janvier 625, et fut inhumé, sur sa demande, dans l'oratoire de la Sainte-Trinité — ne serait-ce pas en souvenir de Saint Patrick et de sa lointaine Irlande ? — contre lequel il avait établi sa demeure à côté de l'Abbaye.

Il va de soi que Lure a voué de tout temps un culte de gratitude à son fondateur, gratitude d'ailleurs perpétuellement entretenue par la protection miraculeuse accordée à la ville tout au long de l'histoire : au cours des siècles du Moyen Age, pendant les guerres de Religion, et spécialement lors de l'invasion des Suédois.

Ses reliques, précieusement conservées, comme le « palladium » de la cité, ont été l'objet d'une vénération particulière et d'un pèlerinage fort en renom. Passant à Lure en 1361, Rodolphe IV, duc d'Autriche, s'en fit remettre quelques fragments qu'on vénère encore dans le trésor de la cathédrale de Vienne.

A l'encontre de tant de Saints dont les reliques ont totalement disparu en 1789, les restes de Saint Desle échappèrent au vandalisme révolutionnaire grâce à l'astucieuse audace des habitants. On peut les voir aujourd'hui encore, avec celles de son disciple Saint Colombin, dans la belle châsse conservée à l'autel latéral de l'église paroissiale.

De nombreux prélèvements opérés au cours des siècles jalonnent l'extension du culte à travers le diocèse de Besançon, dont plusieurs paroisses l'invoquent comme patron.

On sait que 25 paroisses vosgiennes, étirées sur les limites de la Haute-Saône — du Val d'Ajol à Châtillon-sur-Saône — faisaient partie, jusqu'en 1789, du diocèse métropolitain de Besançon. Si aucune d'elles ne se trouve dédiée à Saint Desle, il est curieux, par contre, de constater que son culte s'est répandu dans une région qui a toujours appartenu au diocèse de Toul. Hâtons-nous de dire qu'il s'agit de l'arrondissement de Remiremont, ce qui s’explique. Le Saint-Mont, berceau de Remiremont et foyer de chrétienté de cette portion du massif vosgien, est historiquement une filiale de Luxeuil. Nous l'avons vu à propos de Saint Amé.

Sous une forme ou sous une autre (oratoire, autel, statue, confrérie ou reliques), Saint Desle est fidèlement invoqué à Bellefontaine, Gerbamont, Hadol, Plombières-les-Bains, Ramonchamp, Raon-aux-Bois, Remiremont, Sainte Amé, Saint-Nabord, au Val d'Ajol. Il suffit de consulter les registres, même actuels, de ces paroisses, de s'attarder dans leur cimetière à déchiffrer les tombes, pour trouver souvent le prénom de Del (Delle au féminin). Sans doute est-ce là une pratique authentiquement chrétienne, alors qu'on voit de nos jours trop de parents affubler, au baptême, leurs enfants de prénoms fantaisistes ou païens. Ce qui contraint Monseigneur à leur improviser un autre prénom, valable, quand on les présente à la Confirmation!

Mais il y a plus : une marque de confiance et comme un appel. Donner au nouveau-né le nom de Saint Desle, c'est le placer sous la protection d'un thaumaturge qui, dans la région qui nous préoccupe, a miraculeusement préservé ou guéri des convulsions de nombreux enfants en bas âge. Il est certain que les progrès de la médecine, sinon une baisse de confiance dans le pouvoir des Saints guérisseurs, ont considérablement réduit le champ d'activité de notre Saint. Quoi qu'il en soit et jusqu'au début de ce siècle, la chronique de deux localités, Raon-aux-Bois et Gerbamont, est particulièrement suggestive à cet égard, et le pèlerinage de Saint Desle, le 18 janvier, y est toujours fidèlement en honneur. Raon-aux-Bois accueille chaque année un groupe imposant de pèlerins, qui justifie les vastes proportions données à son église lorsqu'on l'a bâtie en 1866. L'intérêt du pèlerinage se double d'un aspect peut-être plus terre à terre et néanmoins touchant : on y bénit du sel et de l'avoine destinés aux bestiaux que Saint Desle accepte de prendre en charge et de défendre eux aussi de leurs misères, sans préjudice aucun pour les bébés.

Quoique de moindres proportions, le pèlerinage de Gerbamont est fort attachant à d'autres titres. Imaginez une agreste chapelle accrochée au bas des pentes boisées, sur la rive gauche du Bouchot. Erigée, ou plutôt reconstruite, en 1716, elle se trouve être le seul édifice de notre diocèse consacré à Saint Desle. Typiquement vosgienne avec ses allées couvertes de dalles de grès fruste, avec ses bancs faits de poutrelles de sapin grossièrement équarries et sans dossier.

Dédaigneux du confort — c'est, après tout, un lieu de pèlerinage — les bâtisseurs et les pèlerins avaient réservé tous leurs soins pour l'ornementation. Oh ! Ce n'est certes pas du grand art, que cet autel où trône dans sa niche une originale statue de bois du Saint Abbé de Lure. Tout le parement de l'autel, toute la statuaire, sont de la même veine savoureuse, au point que les Beaux-Arts en envisagent le classement.

Longtemps, comme Raon-aux-Bois, Gerbamont fut un centre fréquenté du pèlerinage « curatif » en faveur des petits enfants. Deux ravissantes statuettes en bois doré, sur l'autel, attestent que Saint Desle, nullement jaloux de son exclusivité, tolérait jadis que sa chapelle servît de succursale à deux collègues du Paradis : Saint Hubert qui guérissait de la rage, et Saint Marcoul, des écrouelles.

Et la foi des braves gens répondait à cette complaisante bonté de nos vieux Saints. Si leur intervention ne se justifie plus autant à ce titre, il reste que les chrétiens d'aujourd'hui ont toujours besoin, pour leur âme, de s'inspirer de leur exemple et d'implorer leur secours.

C'est pourquoi d'ailleurs, en dépit de certaines déviations contre lesquelles Monseigneur, en 1955, a mis en garde les pèlerins de Gerbamont, on voit chaque année, au matin du 18 janvier, les fidèles de Ban-de-Vagney, cheminer sur les pentes neigeuses, se signant devant maintes vieilles croix de pierre où Saint Desle, crosse en main, les bénit au passage.

17/01 /11 Pierre Prévot du Burkina Faso (Témoins vosgiens)



Pierre Prévot nous écrit de Fada N'Gourma du Burkina Faso :

Pour moi, l'année qui se termine a plutôt été bonne...
Dans mon travail c'est la routine si j'ose dire. J'ai fait quelques progrès en Gurmencema, mais je suis loin d'être satisfait de mes médiocres performances.

Il y avait une grande réunion des responsables rédemptoristes d'Afrique et présence du Père Général, pour réfléchir sur notre vie en Afrique. On en a profité pour solenniser les premiers vœux de nos dix novices qui se sont engagés le 28 août.

L'année agricole est semble-t-il bonne dans l'ensemble du pays, avec bien sûr les inévitables trous dans la pluviométrie, y compris dans la région de Fada : certains ont semé des terrains pas assez mouillés et les semences n'ont pas germé.

Du point de vue politique, le pays vient de reconduire Blaise Compaoré pour 5 ans de présidence. Cela lui fera 28 ans de présidence ! Tout est sous sa coupe et celle de son parti.

Les Evêques, à l'occasion de 50 ans d'indépendance, viennent de sonner l'alarme : appauvrissement des populations, progrès réservé à une certaine élite, justice défaillante, menace sur la démocratie, corruption, etc.
L'opposition divisée n'est qu'un fantôme. Vu de l'extérieur, sans être partie prenante, tout est bloqué, verrouillé. L'inflation est galopante, d'où l’appauvrissement général.
L'aide que j'apporte reste modeste et concerne surtout les aides pour payer la scolarité ou des médicaments, parfois des situations de famines.
Je ne fais que redistribuer une partie de ce que vous me donnez. Merci pour eux.

Les généreux donateurs des organismes d'Église que j'ai sollicités et sur les quels je comptais, sont muets, même si pour l'un il y a quelques espoirs. Cela exerce à la patience. Même quand on leur demande une réponse, "quelle qu'elle soit" rien! C'est déprimant...

Le diocèse prépare pour 2011 le 75ème anniversaire du commencement de la mission en 1936 par les Pères SMA de Lyon.
Je connais bien Sœur Marie-Odile Gigant qui est à Diabo, à 50 km d'ici et j'y vais de temps en temps.
Transmettez mes vœux à toute l'équipe de Coopération Missionnaire et dites-leur qu'ils sont présents dans ma prière.

Fraternellement.

Pierre Prévot

10/01 /11 Roselyne Vançon : “parlez d’eux !” (Témoins vosgiens)


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Franche comme la terre qui l’a vue naître parmi une grande fratrie de 10 enfants, Roselyne Vançon n’ignore rien du sens du partage. De ses ancêtres, de ses parents, agriculteurs, elle a conservé la sagesse et la modestie de ceux qui se lèvent le matin en lorgnant plus vers les couleurs du ciel que vers le miroir du besoin de paraître.

Son engagement au sein d’Amitiés Chrétiennes va vers ceux que l’on désigne différents. “C’est d’eux tous qu’il faut parler, c’est eux qui ont tous les mérites !”
Son regard se teinte d’une profonde tendresse lorsqu’elle évoque Jean-Marie, son frère handicapé, décédé à 50 ans. Chaque être humain est unique, pourtant Roselyne sait bien en son cœur qu’elle retrouve toujours un peu Jean-Marie en ceux avec qui elle passe du temps. “J’ai beaucoup de chance, car sans la compréhension de Daniel, mon mari, il est bien évident que je n’aurais pas été en mesure de m’investir autant, si je fais quelque chose il a aussi sa part !”

Couturière retraitée, Mme Vançon va vers les autres. Trente ans de catéchèse pour les 9 à 12 ans à l’Institut médico-pédagogique, Roselyne a également trouvé bien des satisfactions à La Feuillée. S’occuper d’un groupe en paroisse et animer des moments d’aumônerie mobilise. Des formations ont intéressé Mme Vançon appelée à devenir permanente au service diocésain.

En 1994, une lettre de mission est arrivée avec pour ordre de promouvoir la catéchèse dans les établissements spécialisés des Vosges “Connaître et créer des groupes de caté, on ne fait rien tout seul, j’ai rencontré des gens extraordinaires” confie-t-elle.

Soutenir les équipes, la pédagogie, les rencontres... dans la région, mais aussi en France, la tache ne manque pas. C’est tout naturellement que Roselyne Vançon s’est rapprochée du groupe Rencontres Amitiés Chrétiennes de Saint-Amé. Il en existe deux sur le département, l’autre évolue à Épinal.

Depuis plus de 20 ans, une quinzaine d’adultes, porteurs d’un handicap mental participent aux Rencontres. Tous ayant été catéchisés dans leur enfance. Employés du CAT de Saint-Amé, ces hommes, ces femmes vivent au foyer Tremplin géré par l’ADAPEI. D’autres restent chez leurs parents. Portés par l’espoir, ils attendent du travail. “C’est un vrai bonheur de vivre quelque chose avec eux ! Mais attention, on a intérêt à être authentique ! Car, si l’on vient là pour la frime, ils le sentent tout de suite !”

Avides de rencontres vraies

Les rencontres s’effectuent mensuellement les samedis après-midi et autour d’une équipe qui évolue au fil des ans. Mme Vançon ne veut jamais se mettre sur le devant de la scène. Il y a eu Louis, Agnès, Yvonne, le Père Bexon, ensuite Roselyne, Madeleine, Annette, Bernadette, Monique... “Nous sommes toujours impressionnés par la volonté de bien vivre de ces adultes avides de rencontres vraies...”

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Le partage des nouvelles du mois où les joies et peines de chacun sont prises en compte. Tous ont la parole. Roselyne est admirative. “Ils s’écoutent et montrent un immense respect, les uns des autres !” On rit beaucoup, on pleure aussi quelquefois.
Toutes les dimensions sociales, familiales, professionnelles, sportives ou spirituelles se développent au fil de deux heures qui passent bien vite. L’équipe aborde ensuite le texte de l’Évangile du prochain dimanche. “Avec l’aide du livre, La Parole parmi nous, d’Anne-Marie Aitken, nous mâchons la Parole de Dieu...” Le mime, le chant, le dessin, le silence, les prières... se révèlent des instruments précieux.

Un goûter et voilà l’heure de se séparer qui sonne déjà. Mais, avec à l’esprit des souvenirs forts, comme ceux du week-end passé ensemble, dans la joie, à Ramonchamp. Une animation symbolisait alors le Semeur de l’Évangile. “Nos amis ont compris qu’il ne fallait pas s’arrêter aux multiples obstacles de la vie, mais toujours repartir d’un bon pied. À leur exemple, semons la Bonne Nouvelle ! Semons avec largesse !”

Josée Tomasi-Houillon

Cet article a été publié dans le magazine « Eglise dans les Vosges ». En vous abonnant , vous soutenez l’information et le dialogue dans le diocèse.

09/01 /11 Saint Colomban (Témoins vosgiens)



Abbé, fondateur de Luxeuil

En vertu d'une longue tradition, Saint Colomban figurait au Propre de notre diocèse, quand il en fut exclu, lors de la révision de 1915, avec plusieurs autres Saints, censés n'avoir pas de relations spéciales avec le diocèse de Saint-Dié. Jugement bien sommaire, voire erroné, quand il s'agit d'un Saint Colomban !

A y regarder de plus près, il apparut que « restaurer le souvenir de ce grand Saint dans la région des Vosges était un véritable acte de justice, en raison de l'énorme influence de Luxeuil ». C'est en ces termes que la Commission pontificale nous rendit Saint Colomban en 1957.
Si nos Saints de Grand et du Xaintois furent, dès le IVe siècle, les apôtres de la Plaine, c'est par l'entremise de Saint Colomban que la Montagne allait, deux siècles plus tard, recevoir à son tour l'Evangile. Les Vosges méridionales furent, en effet, des premières à bénéficier du rayonnement exceptionnel de ce grand pionnier de la civilisation chrétienne en Occident.

Déjà, sur la vie des Saints Desle, Eustaise et Germain, les illustres moines de Luxeuil qui seront étudiés, nous verrons se profiler sa majestueuse silhouette. Pour la détailler de façon plus précise et pour camper, sur le fond sombre des temps mérovingiens, cette haute figure de lumière, nous avons la chance de disposer d'une Vie, historiquement très valable, écrite par Jonas, compagnon fidèle et témoin attentif de Saint Colomban. Le biographe, toutefois, ne nous dit mot de sa première enfance, mais celle-ci nous est connue par les traditions irlandaises et fut récemment reconstituée par la remarquable étude de Mademoiselle Dubois, professeur à la Sorbonne.

Saint Colomban naquit vers 540 en Irlande, dans cette « Ile aux Saints » qui a joué un tel rôle dans l'évangélisation de l'Europe. Située à la pointe nord, en vigie sur l'Océan, elle était, dès le Ve siècle, et grâce à Saint Patrick, un ardent foyer de chrétienté. En sorte que « la palme du zèle missionnaire et de l'attachement à la foi ne pourra jamais être enlevée à Irlande ». (Message de S.S. Jean XXIII du 17 mars 1961).

La mère du petit Colomban veilla de tous ses soins à l'éducation chrétienne, comme si elle avait eu le pressentiment d'une destinée exceptionnelle. Au reste, l'enfant, plein de vie et de fougue, se familiarisait, comme les camarades de sa caste, avec les jeux de chevalerie, la chasse et la nage. Familier des forêts, il y puisait les leçons de la nature et s'ouvrait à la poésie. Tout cela contribua à lui meubler l'esprit, à lui forger un tempérament de fer. C'était un superbe adolescent, dont Jonas nous a laissé le portrait. « Silhouette élancée, souple chevelure, le regard clair et profond, le geste vif et la démarche altière. »

Sous la direction d'un clerc, il avait appris les rudiments du latin, l'Ecriture sainte, et les belles lettres. Doué et studieux, éminemment artiste, il atteignit très jeune un haut degré de savoir.

Il semblait par là destiné à la plus brillante carrière dans le monde, quand sonna pour lui l'heure de la grâce. Illuminé par une foi exaltante, subitement, le jeune Irlandais passa outre aux exigences de sa piété filiale, comme aux objurgations de ses amis et même aux offres de mariage. Détestant les demi-mesures, il prit sur-le-champ des résolutions extrêmes. La simple prêtrise lui semblant insuffisante, il embrassa l'état religieux et vint frapper à la porte du monastère de Cluain-Inis, perdu dans une île sur les côtes de l'Ulster.

Il y fit, au cours de trois années, un rude noviciat où se mêlaient la prière, les études, le travail manuel, dans une discipline rigoureuse, qui semblait répondre aux aspirations de sa nature toute d'une pièce.

Lorsqu'il eut fait profession, il fut dirigé sur Bangor, au fond d'une baie dénommée « La Vallée des Anges ». Son supérieur, en effet, n'avait pas hésité à se priver du religieux le plus austère de Cluain au profit d'une abbaye mieux adaptée encore à ce sujet d'élite. Bangor comptait alors près de trois mille religieux, qui en faisaient une véritable république monacale, foyer laborieux où régnait une vie mystique intense. Saint Colomban, devenu prêtre, s'y jeta avec son impétuosité native, se préparant, sans trop le savoir encore, à devenir l'un des missionnaires les plus célèbres du haut Moyen Age.
De sa cellule souvent il regardait la mer, et à la longue, il y entendit comme l'appel du large, devinant, par delà, le champ immense des âmes au service desquelles il pourrait enfin dépenser toutes les ressources de sa vitalité.

Pour éprouver cette vocation insolite, l'abbé de Bangor feignit de s'y opposer, évoquant ces mirages que Satan fait naître pour la perte des présomptueux, fustigeant l'instabilité des moines gyrovagues. Puis, voyant ce fils, d'ordinaire si obéissant et si humble, persister dans son dessein, le supérieur se rendit. Mieux encore, il accepta de lancer dans l'aventure douze moines de la même trempe (Saint Desle était du nombre). Investi abbé de cette troupe itinérante, Saint Colomban reçut au départ le livre de la Règle et la « cambutte », sorte de bâton pastoral à bout recourbé attribut fameux avec lequel il devait sillonner l'Europe.

Le navire aborda la côte Nord de la Cornouaille anglaise, qu'on ne fit que traverser. Deux localités toutefois, Columb Major et Minor, en gardent le souvenir. On passa ensuite la Manche, pour débarquer en Bretagne, à l'Est de Saint-Malo, exactement sur la plage de Saint-Coulomb, où une croix de granit commémore l'événement.
Ayant ainsi pris pied sur la terre de France, la petite troupe erra d'Ouest en Est, un peu au hasard, ce qui est bien dans le style de Saint Colomban, sorte de « conquistador », avant la lettre, au service du Christ. On suit son itinéraire par Rouen, Noyon, Reims, en marche vers les Vosges méridionales, pour s'arrêter enfin à Annegray, à 3 kilomètres de Faucogney. On était en 575.

L'humble hameau, qui se blottit aujourd'hui parmi les collines dévalant du Ballon de Servance, n'était alors qu'une immense forêt. La clairière pratiquée par les Irlandais marque vraiment le berceau de l'œuvre colombaniste sur le continent.
On peut se demander pourquoi Saint Colomban voulut planter là sa tente. Outre que Dieu sans doute, comme à Sainte Jeanne d'Arc, lui faisait sa route, on a l'impression que, sans avoir fait « Sciences Politiques », Saint Colomban avait trouvé d'instinct le point névralgique où son apostolat avait chance d'être le plus efficace.

Il était là, aux confins des deux royaumes d'Austrasie et de Burgondie encore inconsistants, que se disputaient Sigebert et Gontran, le premier dominé par la célèbre Brunehaut. Ces familles royales vivaient dans le meurtre et la dépravation. A leur exemple, la brutalité des mœurs et la barbarie avaient étouffé chez les grands toute espèce de religion et les notions les plus élémentaires d'humanité. Quant au peuple, ayant perdu les principes du christianisme reçus aux IIIe et IVe siècles, il était retourné à ses habitudes païennes, au culte des fontaines et des arbres, à la magie et à la sorcellerie.

C'est ce monde mérovingien qu'entendait affronter Saint Colomban, faisant par la fougue de sa nature et de sa formation, figure de je ne sais quel prophète d'Israël.

Mais il commencera par donner à ce monde un vivant exemple de la paix évangélique. Dans les cabanes de branchages, ses moines, vêtus d'une robe blanche, serrée d'une ceinture de cuir, pieds nus dans des sandales, vivaient dans la pauvreté, la prière et le travail. Première prédication qui ne tarda pas à porter ses fruits.

Bientôt des disciples affluèrent de partout à Annegray, sans compter les malades attirés par les miracles du saint thaumaturge. Ainsi, le désert fertilisé devenait trop étroit pour contenir la famille monastique groupée autour du petit noyau irlandais.
Force fut donc, quinze ans plus tard, d'émigrer vers l'aval, à Luxeuil, petite cité gauloise, installée sur des thermes romains et qu'Attila avait complètement détruite sur son passage.

L'abbé avait su gagner à son projet un voisin influent. Cognoald, dont le fils sera moine colombaniste et mourra évêque de Laon, était le commensal de Childebert II. Le roi, pour l'instant débonnaire, concéda un beau domaine à ces Irlandais, qui aménageaient si bien ce coin du royaume.
Bientôt, un monastère de vastes proportions, en beau grès des Vosges, cette fois, s'édifia sur les ruines des temples et des remparts. L'église abbatiale fut consacrée à Saint Pierre, à l'emplacement de la basilique actuelle qui n'a pas changé de titulaire.

Saint Colomban y instaura la prière perpétuelle, la « laus perennis », suivant le rite importé d'Irlande. L'office s'allongeait ou s'abrégeait suivant les saisons et les obligations du travail manuel. Le nombre des moines, qui à Luxeuil dépassa bientôt trois cents, permit de les diviser en sept groupes qui se succédaient à l'église. Ce nombre de sept, par allusion au verset du Psaume 118 : « Septies in die laudem dixi tibi — Sept fois le jour je chante tes louanges ». Rappelons qu'en vertu de ce rite, notre Saint-Mont fut doté de sept chapelles où se célébrait l'office, et dont on a retrouvé les vestiges.

Ce particularisme irlandais devait, sur le plan liturgique, avec la date de Pâques, notamment, mettre l'abbé en difficulté avec les évêques du voisinage. Ceux-ci le suivaient en effet d'un oeil respectueusement inquiet, mais ils ne lui tinrent pas trop rigueur de ces divergences, trop heureux – et par là ils rejoignaient le point de vue de Childebert - de voir Luxeuil les aider puissamment dans leurs tâches apostoliques.

Outre la prière, le fondateur organisa la vie de ses moines, telle qu'il l'avait pratiquée à Bangor. Pour chacun d'eux et suivant ses aptitudes, les heures du jour étaient consacrées soit aux travaux extérieurs, en forêt, dans les champs, soit aux occupations intellectuelles ou artistiques, en ateliers de manuscrits et d'orfèvrerie.

Il ouvrit de même une école pour l'instruction des novices et des jeunes gens de toute la région. Il y donnait tous ses soins, au point d'en faire un foyer de culture, qui, avec son successeur, Saint Eustaise, prit les proportions d'une université.
Les novices continuant d'affluer à Luxeuil, une nouvelle fondation s'imposait. Saint Colomban la fixa en un vallon verdoyant, qu'il appela Fontaine, à 7 kilomètres au Nord. Malgré la prédilection qu'il portait à Luxeuil, il séjournait tout à tour à Fontaine et à Annegray, qu'on n'avait nullement abandonné, veillant partout à l'observation de la discipline étonnamment rude, au maintien du zèle et de la piété chez ses fils.

A la fois vénéré et redouté des rois, ce grand moine s'imposait souvent à eux par l'étendue de ses connaissances et le prestige de sa sainteté. Jamais peut-être celle-ci ne se manifesta avec plus de force et de majesté qu'au colloque d'Epoisse. Pour avoir, en des termes qui rappellent ceux de Saint Jean-Baptiste à la cour d'Hérode, refusé de bénir les bâtards de Thierry II, que lui présentait Brunehaut, il encourut la haine inexpiable de cette femme. Plus ou moins régente, elle entreprit par décrets le blocus des trois abbayes, en vue de les exterminer par la famine, Saint Colomban se dressa alors de toute sa taille pour tenir tête à l'orage et épargner ses fils. Il put un instant faire rapporter les décisions de la sinistre douairière, en intervenant auprès du roi, dont il avait, au fond, toute l'estime. Mais Thierry était un faible, par surcroît dissolu, et Brunehaut eut finalement le dernier mot.

En 610, vingt ans après la fondation de Luxeuil, Saint Colomban en était expulsé par la force. A l'âge où les vieillard aspirent au repos, le grand moine ressaisissait sa cambutte, pour en faire à nouveau son bâton de pèlerin

« Qu'il retourne en Irlande !», avait dit Thierry aux soldats chargés d'expulser Saint Colomban de Luxeuil. Il s'imaginait pas que le moine allait être plus gênant pour lui sur les routes que dans son abbaye.

On l'achemina donc, en compagnie d'une douzaine de moines, par Besançon et Autun, en direction de la Loire, qu'on descendit par le coche d'eau. Mais voilà que l'exode tourna très vite au voyage triomphal, tant la foule se pressait à chaque escale, pour voir et pour entendre cet étonnant missionnaire qui, tout en prêchant l'Evangile, guérissait les malades et prédisait les drames qui allaient exterminer sous peu la dynastie burgonde

Comme par ailleurs, sur la Loire, on naviguait en Neustrie, la prophétie vint aux oreilles d'un rival de Thierry. Et le roi Clotaire II de stopper aussitôt le convoi à Nantes et de mander le proscrit à Meaux, où il tenait sa cour. On vit alors Saint Colomban, indomptable, reprendre à 70 ans sa carrière et susciter en Brie, par sa parole, une pléiade de futurs Saints, qui allaient, dans son sillage, féconder pour le Christ cette vieille terre à blé.

Puis ce fut au tour de Théodebert, autre rival de Thierry, d'appeler Saint Colomban en Austrasie. Metz, Coblence, Strasbourg, Bâle et Constance l'accueillirent successivement. Autant de postes par lesquels le vieux moine – c'était de bonne guerre ! – semblait investir par trois côtés la Burgondie qui l'avait rejeté. Nous connaissons par Jonas toutes les péripéties de cet itinéraire, au long duquel son maître stoïquement continuait sa mission, prêchant comme Saint Paul, au hasard des étapes, opérant des miracles, recrutant des novices qu'il dirigeait sur Luxeuil, toujours debout sous la houlette de Saint Eustaise.

Au-delà de Constance, le voyageur marqua un arrêt de trois ans à Bregenz, à l'entrée du Voralberg autrichien. Ce fut pour y organiser sur le modèle de Luxeuil, un monastère, qui dut essaimer à son tour. L'Irlandais Saint Gall, compagnon de la première heure, s'enfonça en Suisse pour y fonder, en 613 l'abbaye fameuse qui porte encore son nom.

Eut-elle vent que, dans ces conditions, Saint Colomban se risquerait à reparaître à Luxeuil ? Toujours est-il que Brunehaut, dans sa haine implacable, exaspérée au surplus par une sorte de crainte obsidionale, entreprit de le menacer à nouveau jusqu'à Bregenz.

Pour échapper à la poursuite de cette femme autre « fléau de Dieu », Saint Colomban n'hésita pas à passer les Alpes. De Bregenz, une importante voie romaine, remontant le Rhin supérieur, franchissait la chaîne au col de Septimer, à 2 300 mètres. Sur ces pentes escarpées, notre routier se révéla solide alpiniste et lorsque, parvenu au col, il vit dans le soleil s'étaler à ses pieds l'immense plaine lombarde, il retrouva toute sa forme. Si douloureux qu'il fût pour lui de paraître abandonner ses fils en Gaule, il se réjouit de se rapprocher ainsi de Rome et de gagner, en terre lombarde, d'autres âmes au Christ qui, depuis la lointaine Irlande, visiblement, avait guidé ses pas.

Longeant le lac de Côme, la petite troupe atteignit Milan. Accueil chaleureux des populations, beaucoup plus réservé de la part du roi et de certains évêques, gagnés à l'arianisme. Par bonheur la reine Théodelinde, princesse d'une éminente piété, allait arranger les choses et faire oublier à Saint Colomban les sévices de Brunehaut. _ Pour lui, il prit aussitôt position et, de Milan, entama une vigoureuse polémique avec l'évêque de Côme, composant pour la défense de l'orthodoxie un traité « tout plein de science fleurie », selon l'expression de Jonas. Rome à son tour ne tarda pas à être informée, de la présence du turbulent missionnaire. Sa lettre à Boniface IV, pour le mettre en garde contre l'expansion de l'arianisme, a cette hardiesse et cette véhémence qui caractérisent l'attachement des Irlandais envers l'Eglise romaine. « Timide matelot — l'apostrophe s'adresse au Saint Père — j'ose m'écrier :” Veillez , car déjà l'eau s'infiltre dans la barque de Pierre et la met en péril ”.»

Tout en donnant la mesure de son talent d'apologiste, Saint Colomban entendait rester missionnaire. Aussi bien la Lombardie, gravement atteinte par l'hérésie, s'ouvrait à lui comme un terrain de choix. Ce n'est plus à des barbares qu'il aurait affaire, mais, ce qui est pire, à des chrétiens déviés. Il ne changera pas de méthode pour autant : des monastères !

Secondé par Théodelinde, il se mit à la recherche d'un lieu propice à une nouvelle fondation. Autant pour l'obliger que pour s'en défaire, le roi Agilulf lui indiqua, au-delà du Pô, les ruines d'une ancienne basilique dédiée à Saint Pierre, évocation fortuite de Luxeuil. Il s'agissait de Bobbio, sur les bords de la Trévie, non loin du champ de bataille où Annibal, avait, en 218, mis en déroute les Romains. Il décida donc d'édifier un monastère en ce lieu où les collines verdoyantes des Bas-Apennins lui rappelaient sa première fondation au pied des Vosges.

Comme toujours, l'afflux des disciples à la fois fournit la main d'?uvre et peupla le jeune monastère. C’est au cours de la construction que se situe le miracle de l’ours. La bête sauvage s'étant jetée sur le boeuf qui, de la forêt, ramenait des poutres au chantier, l'abbé accourut : « Ours, lui dit-il, tu as péché contre le Seigneur ! Prends immédiatement la place du boeuf que tu as tué ! » Et l'ours de se laisser atteler aux brancards de la carriole. Si, entre tous les miracles relatés par Jonas, nous ne retenons que celui-là, c'est qu'il révèle bien au vif la physionomie de Saint Colomban. Ayant pris à la lettre l'Evangile, il trouve tout naturel, comme Saint François, de commander à la nature, contraignant en quelque sorte, par sa sainteté violente et pure, le Christ à tenir parole. « Je plains, dit à ce propos Mgr Calvet, les savants qui par un scrupule de rationalisme aujourd'hui dépassé, entreprennent d'amputer l'histoire de la poésie, c'est-à-dire de ce qu'elle a peut-être de plus vrai. »

Car cette personnalité, abrupte et fougueuse, de l'Irlandais rayonnait aussi de tendresse et de poésie. Il était poète à ses heures, sensible aux spectacles de la nature, à la beauté d'un paysage comme au labeur des hommes. Jonas nous a conservé le texte d'un rondeau, le « chant des rameurs », composé naguère par gentillesse pour ceux qui le promenaient sur le Rhin.

Doté d'un vaste domaine et solidement construit, le monastère de Bobbio prenait le style habituel des fondations colombanistes : asile de prière et centre missionnaire dans une lumière d'humanisme et de sainteté.

Un jour de l'an 614, il y eut une visite émouvante. Saint Eustaise, successeur de Saint Colomban à Luxeuil, venait en ambassadeur du roi Clotaire II, le prier de reprendre la tête de l'abbaye-mère. Pour l'y décider, il fit valoir le changement de climat, depuis la fin misérable de Thierry, de Brunehaut et de leur descendance. Nullement surpris, puisqu'il l'avait prédite, le Saint en fut pourtant fort attristé. Mais il se refusa à repasser les Alpes, et le messager ne rapporta au roi qu'une lettre de remerciements, lui enjoignant en termes vigoureux de continuer à ses fils bienveillance et protection.

Ses forces, d'ailleurs, déclinaient chaque jour. Souvent il se retirait à l'écart du monastère, dans un oratoire consacré à Saint Michel. C'est là qu'il voulut mourir, entouré de ses moines, après avoir désigné le bourguignon Attala pour successeur et reçu de ses mains l'Extrême-Oction. A l'aube du 23 novembre 615, la cloche de l'oratoire annonçait aux alentours que le grand moine venait d'entrer dans la paix du Seigneur.

Le corps, ramené à l'abbaye et veillé pendant trois jours, fut inhumé dans l'église même. La vénération dont il fut l'objet tant de la part des moines que des fidèles, les miracles fleurissant aussitôt sur son tombeau déterminèrent une canonisation « de facto », suivant la tradition de l'époque.

Bien loin d'oblitérer l'empreinte vigoureuse laissée sur le continent par Saint Colomban, sa mort lui donna même un relief extraordinaire. Il faudrait attendre cinq cents ans pour retrouver avec Saint Bernard un rayonnement comparable.

Les deux épicentres de l'orbite colombaniste, Luxeuil et Bobbio, vont exercer pendant douze siècles leur influence. Par la science et la sainteté des moines, le prestige de leurs écoles, la richesse de leurs bibliothèques, ils contribuèrent à sauver, durant les siècles de fer, le christianisme et tout ensemble la civilisation antique. Faut-il rappeler par exemple que quarante fils de Saint Colomban ont été canonisés ? Que tel traité de Cicèron, dont on avait perdu le texte, a été retrouvé sur un palimpseste de Bobbio en 1843.

Quant aux filiales, Saint Colomban les a multipliées comme des citadelles de résistance et de refuge sous le flot des barbares, comme des bases de départ pour l'évangélisation, dans les siècles à venir. Défricheur avant tout, il a frayé, à coups de hache, il le fallait bien, la voie au monachisme bénédictin, dont la règle plus humaine s'est progressivement substituée à la spiritualité irlandaise si austère : ainsi à Jumièges, à Saint-Wandrille, à Saint-Benoît-sur-Loire, tous fondés par les colombanistes.

Rappelons aussi, chez nous, le Saint-Mont, une des premières et des plus caractéristiques émanations de Luxeuil, comme nous le voyons mieux en étudiant la vie de Saint Romaric et de Saint Amé.

Si le colombanisme à l’état pur n'existe plus de nos jours, il est intéressant d'en noter une survivance chez les Missionnaires de Saint Colomban. Parti d'Irlande comme jadis, cet Institut est aujourd'hui répandu à travers le monde, en Extrême-Orient, en Australie, au cœur de New York même.
Il faut constater pourtant qu'en dépit d'une vie étonnante et des œuvres qui ont marqué si fortement son siècle, le prestige personnel de Saint Colomban subit une longue éclipse, au Moyen Age notamment. Est-ce par une sorte de réaction, inconsciente et naturelle : « Violentum non durat — La violence ne fait qu'un temps » ? C'est ce qui explique, simple indice, que le diocèse de Besançon ne compte pas une seule église dédiée à Saint Colomban, car Bains-les-Bains, enclave du diocèse de Toul, sous l'arcade des Faucilles jadis rattachée à la métropole bisontine, est la seule paroisse des Vosges à l'avoir pour patron.

Toutefois, le rayonnement des filiales ou le souvenir du passage eut pour effet de perpétuer le nom sur les cartes. Sous diverses formes, on le retrouve en Bretagne, en Lombardie, puis de façon plus nette, à Saint Colomban, au Comté de Nice et à Saint-Colomban-des-Villards, en Maurienne.
Depuis un siècle, le culte du Saint a retrouvé partout une ferveur nouvelle. A Bobbio, les ossements du patriarche furent solennellement exhumés en 1842 et placés sur l'autel de la crypte. Luxeuil en obtient en 1923 un insigne fragment qu'on enchâssa dans un reliquaire monumental. Heureuse initiative du chanoine Thièbault, curé du lieu, rénovateur en France du culte colombaniste. Il fonda de même l'Association Internationale des Amis de Saint Colomban.

C'est sous l'égide de celle-ci qu'eurent lieu en juillet 1950 les fêtes grandioses du XIVe centenaire, présidées par Mgr Roncalli, alors Nonce à Paris, puis Sa Sainteté Jean XXIII, en présence de personnalités venues du monde entier. Le souvenir nous est resté de ces trois jours fastes, avec ces offices pontificaux dans la basilique, ces représentations théâtrales (on joua un « Mystère de Saint Colomban »), ces concerts, ces conférences historiques, une vingtaine du plus haut intérêt, qui mirent en lumière la vie de l'apôtre des temps mérovingiens et son œuvre immense.

Autre trait récent et tout à sa gloire. Lors des fêtes commémorant en 1959 la bataille de Fontenoy, où un détachement irlandais contribue à notre victoire sur les Anglais (11 mai 1745), on entendit à Dublin un général français, délégué du Gouvernement, et le Président O'Kelly, de la République d'Irlande, évoquer la mémoire du moine prestigieux, qui avait scellé, voilà treize siècles, l'amitié des deux pays.
En raison de l'injuste destin signalé plus haut, l'iconographie de Saint Colomban se réduit à fort peu de choses, en France tout au moins. Le tombeau de Bobbio présente d'intéressants bas-reliefs, figurant diverses scènes de la vie, dont, bien sur, le miracle de l'ours, œuvre de marbre exécutée en 1480. Le chef du Saint est vénéré dans un buste d'argent à ses traits, réalisé par un artiste de Pavie en 1514.

C'est l'honneur de Luxeuil d'avoir érigé pour les fêtes la magnifique statue de bronze qu'on voit au parvis de la basilique. L'artiste y a campé son personnage dans l'attitude du lutteur aux prises avec la barbarie. Tout ici, les traits tendus sous une auréole de cheveux hirsutes, le geste de la main brandissant la cambutte, traduit d'impressionnante façon le zèle farouche et l'activité dévorante de ce Saint tout à fait hors série, en qui l'Histoire salue l'un des plus grands pionniers de la civilisation occidentale.