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Pour que chacun puisse connaître l’histoire des saints des Vosges, l’ouvrage du chanoine Laurent “Ils sont nos aïeux” (Ed La vie diocésaine de Saint Dié, 1980) a fait l’objet d’une saisie complète pour le site du diocèse. Merci au chanoine-défunt pour son érudition qui trouve un prolongement sur internet et merci à Astrid Ficher pour la saisie.

Les saints sont présentés ci-dessous selon un ordre chronologique

Avertissement
Nous publions ici selon un ordre chronologique les biographies de nos aïeux dans la foi d’après l’ouvrage du Chanoine André Laurent publié en 1979.
Vous trouverez parfois des références ou allusions à des articles qui suivent celui que vous lisez.


08/02 /12 Saint Gauzelin (Témoins vosgiens)

Évêque de Toul

Pour nombre de nos lecteurs, ce nom n'évoque sans doute pas grand-chose ; il est, de fait, beaucoup moins populaire en Lorraine que celui de Saint Epvre ou de Saint Gérard.
Il n'empêche que pour l'Histoire, Saint Gauzelin ouvre la série des grands évêques de Toul qui, pendant trois siècles, autour de l'an mil, vont faire de la Lorraine une des régions bien vivantes, sinon prospères de la Chrétienté.

Précisons tout de suite qu'il s'agit d'un personnage historique. Si les débuts de sa vie ne nous sont connus que d'une façon fragmentaire, son activité épiscopale a été relatée avec précision par Adson, écrivain contemporain, dont il devait d'ailleurs singulièrement favoriser le talent.
Issu d'une noble famille franque, vers la fin du IXe siècle, Gauzelin, élevé chrétiennement et devenu prêtre, se distingua très vite par son intelligence, son sens pratique et sa piété. Il pouvait approcher de la trentaine lorsqu'il entra, le 13 août 913, comme notaire à la chancellerie royale. On sait qu'en ces temps barbares, les souverains ne faisaient guère appel qu'à des clercs pour leur administration.

En 920, l'évêque de Toul, Drogon, venant à mourir, le roi Charles le Simple qui, selon la coutume, disposait des nominations épiscopales, proposa son notaire comme successeur. Le choix était heureux et le clergé toulois l'élut comme évêque à l'unanimité. C'était là comme une nouveauté : particularité juridique, essentielle aux yeux du nouvel évêque qui avait à cœur d'échapper ainsi à l'asservissement de l'Église par le pouvoir civil.

Gauzelin fut sacré, le 17 mars 922, par son métropolitain, Roger, archevêque de Trèves, assisté des évêques de Metz et de Verdun. A noter ici la rencontre, fortuite, des trois Évêques qui allaient être célèbres dans l'Histoire.
Au moment où Gauzelin prenait possession de son vaste diocèse, la Lorraine était l'enjeu d'un conflit politique, obscur et complexe, qui mettait aux prises la Francie et la Germanie.

Dans la première était censé régner Charles le Simple, un des derniers descendants de Charlemagne, déjà supplanté par la dynastie naissante des Capétiens, au cœur du Bassin parisien.
En Germanie, Henri Ier, dit l'Oiseleur, venait d'être élu empereur en 919, avec le titre suggestif de « roi des Saxons et des Francs ». D'une énergie remarquable, il s'employa aussitôt à maîtriser les Hongrois, dont les raids infestaient l'Occident, (Nous avons plusieurs fois mentionné celui de Remiremont en 917).

Il se trouva dès lors que l'Église vit en lui comme un successeur de Charlemagne. Avec l'appui des archevêques de Mayence, de Cologne et de Trèves, Henri Ier devait en effet assurer la couronne à son fils, Otton Ier le Grand, qui donna son nom à la dynastie des Ottonides. Ainsi s'instaura, devant l'impuissance des derniers Carolingiens, une centralisation romaine et impériale, qui devait conduire à la fondation du Saint Empire romain germanique, tranche quasi millénaire de l'histoire européenne, titre, à la longue, purement honorifique, auquel devait mettre fin... la bataille d'Austerlitz, en 1804. Dans ce contexte, la Lorraine, résidu de la Lotharingie du traité de Verdun de 843, se trouvant prise entre deux feux, allait, bien que française de langue et d'esprit, basculer en 925 et pour de longs siècles dans la mouvance germanique.

Gauzelin, français d'origine, joua franchement le jeu, par discipline d'abord, puisqu'il dépendait de l'archevêque de Trêves, son consécrateur, par sagesse politique aussi, la Lorraine étant pour lors trop éloignée et hors de portée des Capétiens, qui la rattraperont par la suite, à partir de Jeanne d'Arc.
Il s'ensuivit aussi ― qu'on nous permette ce détail en passant ― que notre art religieux portera la marque de l'option audacieuse de l'évêque de Toul. La plupart de nos églises romanes en Lorraine sont typiquement rhénanes, dans leur architecture comme dans leur décoration.

En se tournant ainsi vers l'Empire, en tant qu'évêque lorrain, Saint Gauzelin semblait faire preuve d'ingratitude envers Charles le Simple qui l'avait promu à l'épiscopat. Mais ce dernier, qui ne se faisait aucune illusion sur sa propre fragilité, ne tint pas rigueur au jeune évêque de cette décision courageuse et, personnellement, désintéressée.

Saint Gauzelin d'ailleurs n'eut qu'à se louer de la confiance qu'il témoignait à Henri Ier. C'était pour lui un moyen efficace de sauvegarder le temporel de l'évêché de Toul, dont il était responsable et qui était perpétuellement malmené par les raids hongrois et par les entreprises des barons turbulents. On assistait alors, ne l'oublions pas, aux débuts de la féodalité, née de la décrépitude carolingienne, au grand dam des pauvres gens dans les campagnes.
Non content de reconnaître et de garantir l'intégrité des possessions de l'Église de Toul, l'Empereur accorda, par une charte datée de Mayence le 28 décembre 927, à Gauzelin et à ses successeurs, tous les droits régaliens sur la ville de Toul et le territoire du diocèse, érigé en comté. Désormais, dans les textes, évêché et comté de Toul sont synonymes. Mais ce n'est que bien plus tard, au XVe siècle, que les évêques s'attribueront le titre de comte de Toul, qu'ils garderont jusqu'à la Révolution.

Saint Gauzelin assurément n'eut cure d'un tel titre ; il n'en bénéficia pas moins, par le prestige qui s'y attachait, dans ses relations avec les seigneurs de son territoire.
Ce long préambule historique nous a semblé utile pour situer dans son cadre ce grand évêque et dégager son authentique sainteté. En optant pour l'Empereur, fut-ce intimement à contre-coeur, en acceptant d'entrer, pour le temporel, dans le système féodal, Saint Gauzelin n'eut en vue que l'intérêt supérieur de son Église de Toul et de ses ouailles. C'était, dirions-nous, une manière de présence au monde de son temps.

S'il fait honneur, en ce premier aspect de sa mission épiscopale, à ses capacités de juriste et d'administrateur acquises jadis à la chancellerie, son grand esprit de foi le conduisit à s'appliquer davantage encore à la rénovation spirituelle de son diocèse.
Ainsi le voit-on assister et prendre une part active à plusieurs conciles régionaux : à Verdun en décembre 947, à Mouzon (Ardennes), en janvier et à Ingelheim (Palatinat) en juin 948.

A plus forte raison s'était-il intéressé, dès ses débuts, aux graves problèmes qui se posaient dans sa ville même. L'abbaye de Saint-Epvre, fondée vers 507 par l'évêque de ce nom, était bien déchue de la ferveur qui s'était soutenue pendant plusieurs siècles. Le désordre et le relâchement s'y étaient établis à la suite des malheurs du temps (guerres, invasions, pillages).
Par expérience, il savait qu'une œuvre de ce genre ne subsiste que par la bonne administration des supérieurs et par une parfaite observance des statuts. Aussi commença-t-il à placer un moine exemplaire, Archambaud, à la tête de l'abbaye, puis à doter celle-ci de revenus et d'un domaine, pris sur le comté de Toul et suffisants pour la subsistance décente de quarante religieux.

L'esprit bénédictin des premiers siècles de l'abbaye s'étant fort dégradé, Saint Gauzelin prit son bâton de pèlerin pour aller à la source. L'abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, encore vivante aujourd'hui, était alors un monastère-pilote de l'idéal monastique. Il en rapporta constitutions et directives, qu'il eut le talent de faire accepter et de remettre en honneur dans son abbaye touloise.

Cette réussite l'engagea à relever pareillement de corps et d'âme les autres établissements religieux du diocèse. Et son exemple fut contagieux chez les évêques voisins ; à Metz Adalbéron Ier et Bérenger à Verdun entreprirent la même tâche de rénovation.
Au cours de cette « opération monastique », qui lui tenait à cœur, il fit une sorte de conquête, en obtenant de l'empereur Otton Ier juridiction sur Moyenmoutier, jusqu'alors abbaye royale. Réel enrichissement pour le patrimoine de son diocèse, qui d'ailleurs ne devait pas durer. Comme toutes les grandes abbayes vosgiennes, situées sur le territoire du diocèse, Moyenmoutier devait par la suite s'émanciper de la tutelle des évêques de Toul.

La réforme monastique, qui était apparue à Saint Gauzelin comme une urgente besogne d'assainissement, allait pratiquement occuper la plus grande partie de son épiscopat.
Nos grandes abbayes vosgiennes furent tout de suite après celle de Saint-Epvre, l'objet de sa sollicitude. De Toul il envoya, dès 938, Einold relever Senones de sa déchéance. Ce dernier, par une sorte d'heureuse réaction en chaîne, put charger un de ses religieux senonais, Adalbert, d'entreprendre à Moyenmoutier et à Saint-Dié la même œuvre de restauration.

L'opération réussit fort bien dans le monastère de Saint-Hydulphe, du fait peut-être que l'abbaye, naguère royale et richement dotée, jouissait d'une certaine solidité matérielle, excellente base de départ. Seuls l'esprit et la piété des moines, à quoi Saint Gauzelin tenait essentiellement, laissaient à désirer. On y porta remède sans brusquerie.
Par contre, en arrivant au Val de Galilée, Adalbert trouva le monastère en fort mauvaise posture. L'abbé n'ayant pas su administrer le temporel, les moines de Saint-Dié vivaient dans une extrême misère ; il s'ensuivit des désordres tels qu'il fallut faire appel au pouvoir civil. Frédéric Ier, duc de Haute Lorraine et suzerain du Val de Galilée, dut intervenir « manu militari ». Il chassa l'abbé incapable et dispersa ses moines, les remplaçant par des chanoines séculiers, constitués en Chapitre, sous la direction d'un grand prévôt. C'est donc vers 954, sous l'épiscopat de Saint Gauzelin et bien contre son gré, que l'abbaye, fondée au VIIe siècle par Saint Dié, quittant l'idéal monastique, opérait cette singulière mutation, qui ouvrait une page nouvelle dans l'histoire de notre diocèse.

Tout en jouant, avec ses monastères de l' Est, la « carte germanique » dans les perspectives de sa diplomatie. Saint Gauzelin portait grand intérêt aux avant-postes de son diocèse, tournés vers la France.
Il y en avait là-bas, une curieuse enclave, le Blaisois, inséré entre les diocèses de Châlons, Langres et Troyes, rattaché cependant au territoire de Toul, avec la puissante abbaye de Montier-en-Der, fondée en 672. Entre celle-ci et le vieil évêché, les liens devaient se renforcer singulièrement, grâce à deux moines d'élite que Saint Gauzelin eut le mérite de s'attacher.

C'est en effet de l'abbaye Saint-Epvre, si heureusement reformée tantôt, qu'il envoya Albéric réaliser la même entreprise salutaire à Montier-en-Der. Entre-temps, il avait fait venir Adson, savant moine de Luxeuil, pour le nommer écolâtre de son abbaye touloise. Or, Albéric, devenu abbé de Montier-en-Der, sollicita le concours de son ami Adson, qui par la suite lui succédera à la tête de cette abbaye « de pointe », installée en pleine Champagne.
Adson, né dans le Jura, entre à l'abbaye de Luxeuil, où il se distingue par sa piété et son étonnante érudition. A ce titre, il se lie d'une amitié durable avec un autre savant, Gerbert, le futur archevêque de Reims, qui deviendra Sylvestre II (999-1003), le pape de l'an Mil, le premier pape français. C'est sous l'abbatiat d'Adson que sera construite la magnifique église de Montier-en-Der, dont la nef est parvenue intacte jusqu'à nos jours ; détruite, hélas ! par la guerre en 1940, elle vient d'être parfaitement restaurée.

Mais c'est comme écolâtre de Toul qu'Adson nous intéresse plus spécialement. En allant le quérir à Luxeuil, Saint Gauzelin faisait vraiment une précieuse recrue. Soucieux de ramener l'abbaye Saint-Epvre à la pureté de la règle bénédictine, l'évêque entendait approfondir sa spiritualité et accroître son rayonnement par l'ouverture d'une école monastique. Celle-ci, organisée par Adson, constituerait à la fois un séminaire assurant un recrutement de qualité pour les monastères et un centre de culture, qui remettait en honneur cette Renaissance carolingienne, brillante, mais éphémère, qui s'était bien assoupie, au cours du siècle écoulé, depuis la mort du grand empereur.

Sous la double impulsion de l'évêque et de son écolâtre, l'école touloise connut une ère de réelle prospérité. Adson composa un grand nombre d'ouvrages, en liaison avec Gerbert et les principaux écrivains et savants de son temps. Il se fera le biographe de Saint Mansuy et des premiers évêques de Toul, tirant parti de documents dont il déplore lui-même la faiblesse et la rareté. Il recueille aussi les traditions qui circulent oralement, car il croit sincérement que la voix du peuple est la voix de l'histoire ! Ce qui ne l'empêche pas de cribler tout cela avec le souci déjà d'une certaine critique et dans un style harmonieux et clair, tout à fait surprenant pour l'époque. Nous lui devons une foule d'indications précieuses sur les événements, les mœurs de cette période, sur la topographie de la région, sur la vie même de Saint Gauzelin, auquel il survivra près de trente ans. Il mourut en effet en 992, au cours d'un pèlerinage en Terre Sainte et fut inhumé dans l'île d'Astypalée, l'une des Cyclades. Pour tout dire, Adson est considéré, de nos jours, comme l'un des auteurs les plus remarquables de ce Xe siècle.

Son prestige et son activité avaient attiré à Toul de nombreux élèves : tel ce Widric, historien dont « le style est d'une latinité qui fait honneur à l'école touloise » ; tel ce Jean de Vandières, qui, promu à Gorze, fera de cette abbaye le foyer intellectuel de la région messine.
Un dernier trait apporte à l'école de Saint-Epvre un lustre inattendu dans le domaine littéraire. C'est à Toul qu'aurait été composé, entre 930 et 940, un curieux poème, authentique ancêtre latin de notre « Roman de Renart », qui aura grande vogue deux siècles plus tard. « C'est assez dire que les moines lorrains ne se piquaient pas seulement de théologie et savaient s'abaisser à de plus modestes sujets, avec un sens humaniste qui pour l'époque, n'est pas sans mérite. » ( « Hist, de l'Église », Fliche et Martin, VII, 506.) On imagine que si jamais le bon évêque, au cours de quelque visite à l'école, eut connaissance du fameux poème, il dut sourire devant cet innocent jeu d'étudiants, trop heureux de constater l'excellent travail qui s'y faisait par ailleurs sous la conduite de son ami Adson.

Quoi qu'il en soit, la Lorraine doit à Saint Gauzelin ce privilège, qui frappe les historiens, de n'avoir pour ainsi dire pas connu « le siècle de fer » sinistre page qu'on retrouve un peu partout dans l'histoire de l'Occident.
Tout en sauvegardant de la sorte les valeurs humaines de la civilisation, Saint Gauzelin, chez qui une tendre piété allait de pair avec la maîtrise des affaires temporelles, rêvait de doter son diocèse d'un haut lieu de prière en l'honneur de la Sainte Vierge.

Nous savons, toujours par Adson, qu'il envisagea d'emblée de réaliser ce rêve au cœur de son diocèse, sur la butte de Sion. Celle-ci était pour lors l'enjeu de luttes féodales, en raison de sa valeur stratégique. L'affaire n'aboutit pas et c'est son successeur, Saint Gérard, qui, nous le verrons, reprendra le projet et lancera le pèlerinage demeuré cher aux Lorrains.

Saint Gauzelin, reportant son choix ailleurs, allait réaliser à Bouxières-aux-Dames l'œuvre qui lui tenait à cœur. A quelques kilomètres en aval de Nancy, s'élève toujours ce petit village pittoresque, accroché à un éperon rocheux, alors couvert de buis, d'où son nom latin de « Buxeriæ», attesté sur une charte de 780. Une modeste chapelle mariale jadis très fréquentée était à l'abandon. C'est à ces ruines que s'attacha Saint Gauzelin, au hasard d'une tournée pastorale en 935. Dès l'année suivante, il y fondait une abbaye de Religieuses bénédictines, spécialement vouée au culte de Notre Dame. Toujours pratique et fort de l'expérience de Saint-Epvre de Toul, il tint à doter l'œuvre naissante d'un temporel, pris sur son patrimoine épiscopal : vaste domaine de bois, de champs et de vignes s'étendant alors sur Champigneulles et Pixerécourt, jusqu'aux portes de Nancy. En échange de quoi, il demande qu'à perpétuité les Religieuses l'assurent, chaque jour, d'un « De profundis » et d'un « Pater » et qu'elles brûlent un cierge de deux livres « la Chandeleur. Tout cela est précisé dans la charte de fondation, aujourd'hui à la Bibliothèque Impériale de Vienne.

A la tête de l'abbaye, il plaça Mère Rothilde, femme remarquable, qui recruta aisément une trentaine de novices en une communauté fervente et assura la reprise du pèlerinage marial. L'évêque fondateur se réserva la joie de consacrer solennellement leur église en présence, comme naguère à son sacre, des évêques de Metz et de Verdun, la veille de la Saint-Denis.

Le pèlerinage connut une vogue qui se soutint jusqu'à la Révolution. Nous le savons par dom Calmet qui, avant de venir à Senones, se mêlait aux pèlerins, alors qu'il était, à trois kilomètres de là, prieur de Lay-Saint-Christophe, où les Bénédictins assuraient une garde de prières, au village natal de Saint Arnould, l'ancêtre de Charlemagne. Comme il était fréquent alors, des guérisons miraculeuses entretenaient la ferveur parfois intéressée des pèlerins. Un muet y ayant un jour retrouvé la parole, les religieuses décidèrent d'adopter en permanence un pauvre muet, qui logeait à l'hôtellerie et qui, le jour de la Saint-Gauzelin, passait le premier à l'offrande, devant l'abbesse.

En gage d'attachement à ce pèlerinage, nous voyons vint-cinq ans plus tard Urson, notable de Mirecourt, faire don d'une manse à l'abbaye de Bouxières et le diplôme d'Otton 1er, confirmant cette donation, se trouve donner, en 960, la plus ancienne mention de Mirecourt. Guncardis, dame de Domjulien, fera le même geste en 966.

A noter enfin que, vers le milieu du XVe siècle, l'abbaye bénédictine de Bouxières se transforma en chapitre noble, exactement comme les Dames de Remiremont, d' Epinal et de Poussay. Certes Saint Gauzelin, pas plus que Saint Romary, n'eût prévu ni approuvé cette dérogation grave à l'intention première de la fondation. Pareille mutation confère cependant à la Lorraine cette particularité rare de compter quatre chapitres nobles de Dames, dont les annales apportent à notre histoire régionale une contribution des plus brillantes sur le plan humain. Au demeurant les Dames de Bouxières sont restées très fidèlement au service de la Vierge Marie, tout comme celles de Remiremont auprès de Notre-Dame du Trésor. Elles furent aussi, pendant huit siècles, les gardiennes vigilantes et très pieuses de la tombe de leur fondateur. Car le saint Évêque avait, dès le début, décidé de reposer, non dans sa cathédrale de Toul, mais sur cette colline mariale.

Une longue et douloureuse maladie, sans altérer sa douceur proverbiale, devait le clouer sur son lit pour les quatre dernières années de sa vie. Il mourut en sa bonne ville, le 7 septembre 962, laissant le souvenir d'un grand évêque, suscité par Dieu pour conduire pendant quarante ans l'Église de Toul à travers les remous de ce rude Xe siècle. Dom Calmet a recueilli cet éloge d'un contemporain de notre Saint : " Gauzelin fut le pasteur et l'amour de son troupeau. Ami dévoué de l'Église et protecteur déclaré des moines, il l'emporta sur la plupart des évêques de son temps, par le don de la science divine et humaine. Sa bienveillance et sa bonté ne lui attiraient pas moins les cœurs que la sérénité de son visage, le charme de ses discours, son assiduité à la prière et sa charité pour les malheureux."

Après la mort de Saint Gauzelin, sa dépouille avait été, suivant ses dernières volontés, ramenée de Toul à Bouxières, où les Religieuses aménagèrent par la suite une crypte et un tombeau. La reprise du pèlerinage marial, voulue par le Saint Évêque, fut doublement bénéfique, car les fidèles ne redescendaient jamais de la colline sans avoir prié sur sa tombe. Les miracles, y fleurissant aussitôt, déterminèrent son successeur, Saint Gérard, à relever ses restes pour les placer dans une châsse, geste qui authentiquait officiellement son culte.

Dans les manifestations de piété qui firent, au long des siècles, la célébrité de Bouxières, il est parfois malaisé de distinguer ce qui allait à la Sainte Vierge et ce qui revenait à son pieux serviteur.
Ainsi l'église consacrée par Saint Gauzelin, menaçant ruine, fut entièrement reconstruite au début du XIIIe siècle, grâce, en partie, à une bulle d'indulgences accordée en 1244 par le pape Innocent IV. Les reliques furent promenées à travers le diocèse, comme on faisait dans le même temps pour celles de Saint Goëry en faveur de l'église des Dames d'Epinal. On a la preuve qu'une douzaine d'évêques recommandèrent l'œuvre de Bouxières à la générosité des fidèles, non seulement en Lorraine, mais jusqu'à Arras et à Cambrai, voire à Spire et à Worms, car la mémoire de l'évêque toulois avait gagné les bords du Rhin.

La permanence et la vitalité du culte qu'on lui vouait sont attestées par une série de châsses de plus en plus riches, avec une reconnaissance des reliques à chaque translation. Celle qui datait des origines dut être mise à l'abri des remparts de Nancy, chez les Franciscaines, lors des incursions des Suédois en 1635. Au retour, on en refit une plus belle, offerte par l'abbesse Anne-Catherine de Cicon ; nouvelle châsse somptueuse en 1734, due aux largesses d'une abbesse mosellane, Anne-Marie d'Eltz.

Parmi la foule qui gravissait continuellement la colline, il n'est pas sans intérêt de signaler quelques pèlerins notables. Le duc René Ier, fait prisonnier par les Bourguignons à la bataille de Bulgnéville, le 2 juillet 1431, et incarcéré cinq ans à Dijon, vient en pèlerinage à Bouxières, avant même de faire sa rentrée à Nancy (1486, Siège de René II).

Au début du XVIIe siècle, nous y trouvons Saint Pierre Fourier qui eut une dévotion spéciale et très confiante envers Saint Gauzelin. Il vénérait certes Saint Epvre, le vieil évêque de Toul, patron de Mattaincourt, mais il lui préférait Saint Gauzelin, à bien des titres, singulièrement actuels à son sens. Voilà un Saint qui vivait déjà en des temps de misères et de troubles, modèle accompli de sainteté à laquelle il s'exerçait lui-même : dans sa tâche pastorale, dans son souci de raviver l'idéal monastique des religieux, dans ce goût de l'humanisme, puisé jadis à l'Université de Pont-à-Mousson, dans ce sens pratique qu'il convient d'apporter aux affaires même spirituelles, dans sa piété envers Notre-Dame, dans cette fondation, enfin, d'une nouvelle congrégation de Religieuses.

C'est précisément à l'époque où il posait, en compagnie de Mère Alix, les fondements de son nouvel institut à travers la Lorraine, que le Bon Père se fit pèlerin de Saint Gauzelin. On sait que de 1612 à 1615, il multiplia les démarches auprès de l'évêque de Toul et du primat de Lorraine, Mgr de Lenoncourt, protecteur de la Congrégation naissante. Il passa donc un jour par Bouxières ; l'abbesse Françoise du Haultoy l'accueillit avec joie et déférence, mais il se déroba aux honneurs qu'on s'apprêtait à lui rendre, pour aller à la crypte célébrer la messe et se recueillir devant la châsse, longuement agenouillé sur la dalle du tombeau. Depuis lors, il incita souvent ses Religieuses à invoquer spécialement Saint Gauzelin dans leurs difficultés (Rogie, « Hist. de Saint Pierre Fourier, I, 287 ).

Parmi les autres « pèlerins d'un jour », on relève, au XVIIIe siècle , comme parrains et marraines des cloches fondues à Bouxières, le duc Léopold et sa femme Elisabeth-Charlotte, le baron d'Eltz, écolâtre de la cathédrale de Spire, Elisabeth-Charlotte, abbesse de Remiremont, Mlle d'Isches-Choiseul, etc.

Dans les temps de calamités, sécheresses ou inondations, les abbés de Saint Mansuy et de Saint Epvre apportaient de Toul en procession les châsses de leurs patrons respectifs à l'église de Bouxières « pour implorer la clémence divine par l'intercession de la Vierge et de Saint Gauzelin », comme pour faire violence au Ciel avec la « coalition » des trois saints Evêques de Toul !

C'est toujours par référence à la bonté compatissante de notre Saint qu'on appelait « pains de Saint Gauzelin » les brioches offertes le Jeudi-Saint, par l'abbesse, à douze enfants pauvres du village, après qu'elle leur eut lavé les pieds à la cérémonie du « mandatum ». Ainsi firent, au cours des siècles, trois de nos compatriotes, figurant dans la liste des abbesses : Agnès de Thuillières 1356, Claude de Lignéville 1522, François-Gabrielle de Lignéville 1655.

A l'exemple de leur fondateur, les Dames ne manquaient pas de sens social, entretenant un hôpital et une école, laquelle fonctionne encore avec les Sœurs de la Doctrine de Nancy. Dès 1070, l'abbaye avait fait construire un pont sur la Meurthe, œuvre d'utilité publique qui, de surcroît, favorisait les pèlerinages. Ce pont eut son heure de célébrité, les Lorrains y taillant en pièces les débris de l'armée bourguignonne, au lendemain de la bataille de Nancy, 5 janvier 1477.

Huit siècles avaient passé, depuis que l'abbaye veillait ainsi au culte de Saint Gauzelin, lorsqu'en 1786, le cardinal Loménie de Brienne, commissaire apostolique, prononçait le transfert de la communauté à Notre-Dame de Bon-Secours, à la sortie est de Nancy. Mais les événements ne permirent pas de réaliser cette « déviation ». Vint la Révolution, qui dispersa les Religieuses et ruina de fond en comble l'abbaye de Bouxières, au point qu'aujourd'hui il ne subsiste plus rien de l'église, ni des maisons canoniales. Une ruelle pittoresque dite « rue des Dames-Chanoinesses » s'est frayée au travers de ces ruines et une simple plaque, sur un pan de muraille, rappelle l'emplacement du tombeau de Saint Gauzelin. Spectacle de désolation, qui contraste avec le magnifique panorama de Nancy qu'on découvre de ce belvédère de Beauregard !

Saint Gauzelin n'est titulaire d'aucune église sur tout le territoire de l'ancien diocèse de Toul. C'est là une anomalie que nous avons déjà constatée pour Saint Colomban au diocèse de Besançon.
On lui a cependant dédié une chapelle, la première à droite en entrant à la cathédrale de Nancy. De même l'Institut des Sourds-Muets de la Haute-Malgrange à Nancy, fondé au XIXe siècle, a été placé sous son patronage, en souvenir de son miracle et de la charitable pratique des Dames de Bouxières, que nous avons rapportée.

Dans notre diocèse, le culte de Saint Gauzelin est attesté seulement par une amélioration liturgique d'ailleurs récente. On n'en faisait jadis qu'une simple mémoire au 3 septembre. En 1900, Mgr Foucault obtint pour le bréviaire une leçon historique, cette fois, à la date du 7 septembre, « dies natalis », en la veille de la Nativité de Notre Dame. Et la dernière réforme de 1957 nous accordait les trois leçons, exactement comme au diocèse de Nancy.

On sait que bien des Saints, dont l'existence même est contestée (Saint Georges par exemple) jouissent d'une popularité et, de ce fait, possèdent une riche iconographie. C'est tout l'inverse pour Gauzelin qui n'a vraiment guère inspiré les artistes. Et c'est encore à Bouxières qu'il faut remonter pour en trouver les deux seules représentations connues. Les Dames chanoinesses le portaient en effigie, sur leur croix d'or et d'émail, appendue à un ruban bleu liseré de rouge. Dans la modeste église, élevée au XIXe siècle, au bas du village, un tableau du XVIIIe siècle, de 3 m sur 2, nous montre Saint Gauzelin agenouillé devant la Sainte Vierge et lui offrant son église de Bouxières ; tout autour, une série de médaillons rappellent les divers épisodes de cette fondation. A côté de cette toile, signalons aussi la fort belle statue de Notre Dame, en pierre du début du XVe siècle, laquelle, sur la colline, avait accueilli tant de pèlerins en son sanctuaire.

A cette maigre iconographie il y a tout de même une sorte de compensation. Nous voulons parler d'un ensemble de pièces d'orfèvrerie d'une qualité exceptionnelle, faisait partie de ce qu'on appellerait aujourd'hui la « chapelle épiscopale », objets ayant été à l'usage du Saint Évêque, lorsqu'il officiait, voilà mille ans, dans sa cathédrale de Toul. L'inventaire officiel, fait à Bouxières en 1473, mentionnait une trentaine de ces objets liturgiques. Beaucoup ont disparu à la Révolution et furent vendus à l'encan : mais la cathédrale de Nancy est d'autant plus fière de conserver encore l'essentiel du Trésor de Saint Gauzelin. Il comporte : l'Évangéliaire, du IXe siècle, sur parchemin enluminé, dans une reliure d'or rehaussée de pierres précieuses ; le calice avec sa patène en or massif, du Xe siècle ; l'anneau pastoral et le peigne liturgique en ivoire.

Cet ensemble prestigieux occupait toute une vitrine à l'Exposition du Louvre « Les trésors des églises de France », Paris, 1965, suscitant l'admiration de milliers de visiteurs, évoquant, avec un brin d'émotion et de fierté pour ceux venus de Lorraine, le souvenir de ce grand Évêque, dont nous avons tenté d'esquisser la silhouette, imposante et sympathique, en plein « siècle de fer ».

08/02 /12 Saint Hubert (Témoins vosgiens)

Évêque

Ce Saint, fort populaire en Lorraine, n'a, à vrai dire, aucune attache avec notre diocèse, ni par sa vie, ni par son apostolat. Il offre, à cet égard, beaucoup d'analogies avec Saint Goëry, son aîné : l'un et l'autre, comtes présumés d'Aquitaine, venus se fixer en Austrasie et y finissant comme évêques. Et c'est uniquement à leurs reliques qu'ils doivent ce culte séculaire qui en a fait vraiment des « Saints de chez nous ».

Dans la vie de Saint Hubert, il y a lieu de distinguer deux époques, de part et d'autre de sa conversion. Jusqu'à celle-ci comprise, c'est le domaine de la pure légende, évidemment la plus goûtée du Moyen Age, comme des artistes et des chasseurs, au point que ce serait défigurer Saint Hubert de ne pas nous y arrêter un instant.
La légende fait donc naître Saint Hubert des comtes d'Aquitaine, tout naturellement. Car si, de nos jours, nous avons une instinctive sympathie pour les héros et les saints, sortis du peuple et ne devant qu'à eux seuls toute leur gloire, le Moyen Age, lui, n'admettait pas volontiers qu'un personnage illustre fût issu de parents obscurs.

Les hasards de l'ère mérovingienne si tourmentée amènent le jeune comte à la cour d'Austrasie, où il exerce les fonctions de connétable. Homme du monde et brillant cavalier, il a, comme tous ses contemporains, la passion de la chasse. Or un jour — on nous précise que c'est à la Noël 683 — il fait bon marché de l'église et de ses offices pour s'en aller avec sa meute dans la forêt d'Ardennes.

Au cours d'un hallali passionnant, voilà que ses chiens cernent un magnifique cerf que l'on poursuivit depuis le matin. Soudain, le dix-cors s'arrête net, se retourne et fait front. Entre les deux cornes, apparaît le Christ en croix brochant sur une nuée étincelante. Bouleversé, le chasseur saute à terre et s'agenouille, tandis qu'une voix se fait entendre : « Hubert, Hubert, jusqu'à quand poursuivras-tu les bêtes des forêts ? Jusqu'à quand la passion de la chasse te fera-t-elle oublier ton salut ? ». — Et la voix : « Va à Maestricht vers mon serviteur Lambert : il te dira ce que tu dois faire ».

Somme toute, on n'a fait ici que transposer la légende antique, rappelant l'apparition du cerf miraculeux à un officier païen du IIe siècle, devenu Saint Eustache. Il faut reconnaître qu'à défaut d'imagination, l'auteur, naïf et astucieux, possédait bien son Nouveau Testament, car la mise en scène et les paroles sont exactement celles de la conversion de Saint Paul sur le chemin de Damas.
Nous pouvons quitter là-dessus notre conteur et prendre à présent relais de l'histoire. La première Vie de Saint Hubert, admise sans difficulté par la critique, nous le montre comme originaire de la contrée et vivant dans l'entourage de Saint Lambert, évêque de Mæstricht, aujourd'hui à la pointe Sud des Pays-Bas. A l'école de ce grand prélat, Hubert se distingue par son intelligence, son esprit d'initiative et sa piété.

Victime d'un sicaire de Pépin d'Héristal auquel l'évêque, tel Saint Jean-Baptiste à Hérode, reprochait son inconduite, Saint Lambert est assassiné le 17 septembre 708. Les suffrages du clergé et du peuple se portent aussitôt sur le jeune homme. Sacré évêque de Mæstricht, il reprend d'une main ferme la houlette de son maître.

Le vaste diocèse s'étend aux confins de la Germanie, dont les peuplades sont difficiles à gagner : défiantes d'instinct contre tout ce qui est romain, elles ont, de plus, peine à comprendre, dans leur culte de la force, l'idéal évangélique, tout de charité, de mansuétude et de paix.
Pour les attirer davantage et pour mieux administrer son diocèse, Saint Hubert prend le parti de transférer le siège de son évêché de Mæstricht à Liège, où Saint Lambert venait de verser son sang. Liège, dont Saint Hubert se trouve être le fondateur et le premier évêque, n'est alors qu'une simple bourgade ; mais elle se situe au coeur de la grande vallée de la Meuse, artère vitale du diocèse, assurant l'unité des plaines du Brabant et du massif forestier de l'Ardennes.

Saint Hubert s'attache particulièrement à cette portion la plus déshéritée de son diocèse, aux grandes abbayes fondées au siècle précédent, comme foyer d'évangélisation à Stavelot, à Malmédy par Saint Sigisbert, et à celle d'Andage toute récente et dont nous parlerons plus loin.
Un des actes les plus marquants de son épiscopat sera le transfert du corps de Saint Lambert, de Mæstricht à Liège, ceci par souci de pastorale autant que par piété filiale, en raison de l'attraction des miracles au tombeau du Saint et du courant de piété que cela entraînait auprès de ces âmes simples. La translation se fit de façon fastueuse à dessein, avec la participation des évêques de Cologne, Reims, Amiens, Arras, Tournai et Utrecht. L'événement, et plus encore la personnalité et la sainteté du jeune évêque, ne tardèrent pas à faire de Liège une opulente cité, un foyer rayonnant de christianisme, « Sancta Legia, Romanæ Ecclesiæ filia — Liège, la Sainte, fille de l'Église romaine », comme dit la fière devise de son sceau.

A l'évêque, si totalement dévoué aux humbles, la postérité donnera le titre non moins glorieux de Refuge des veuves et de Père des orphelins. Il n'hésite pas à recommander à ses ouailles, encore bien terre à terre, une forme de piété, certes intéressée, mais qui peut être source de grâces. Il se fait l'apôtre des processions à travers la campagne pour la protection des récoltes. Prélude des Rogations qui se pratiquaient déjà dans la vallée du Rhône et qui ne seront introduites à Rome qu'à la fin du siècle, sous le pontificat de Saint Léon III.

C'est à l'occasion d'une consécration d'église en Brabant que Saint Hubert, déjà très affaibli, contracta la fièvre qui devait l'emporter, le 30 mai 727, à l'âge de 70 ans.
On ramena son corps à Liège pour l'inhumer au pied de la châsse de Saint-Lambert. Il ne devait pas y séjourner longtemps, car, sous la pression, peut-on dire, des miracles qui se multipliaient aussitôt sur la nouvelle tombe, on dut relever les restes de Saint Hubert pour les placer dans un reliquaire. Cette cérémonie — l'équivalent alors d'une canonisation — eut lieu en présence de Carloman, duc d'Austrasie, le fils de Charles-Martel, le 3 novembre 743.

Une autre translation, définitive cette fois, devait se faire en 825 à l'Abbaye d'Andage, sous la présidence de Walcand, 6e évêque de Liège, et de l'Empereur Louis le Débonnaire. Et c'est à dater de ce jour que l'abbaye prit le nom, désormais célèbre, de Saint-Hubert-d'Ardennes.
On saisit ici le point de départ de l'extrême popularité du Saint, à la fois comme céleste guérisseur de la rage et comme patron des chasseurs. Sans doute, est-il redevable de ce dernier titre à la fameuse légende. Mais l'église ayant retenu, pour l'inscrire au calendrier des Saints, le 3 novembre, jour de l'élévation de ses reliques, tous les veneurs ont apprécié la coïncidence de cette date avec l'époque la plus favorable aux grandes chasses d'automne.

Il est plus malaisé d'expliquer pourquoi la sainte Étole de Saint Hubert, conservée à l'abbaye, fut employée, dès le IXe siècle, comme un remède infaillible contre la rage, moyennant l'observation du pratiques mi-rituelles, mi-chirurgicales assez curieuses, comme le Répit et la Taille. Toujours est-il qu'au dire des chroniques, on n'avait pas souvenance qu'un seul pèlerin de Saint Hubert atteint de la rage en ait jamais péri.

L'évocation de la vie et du culte de Saint Hubert nous a donc constamment retenus bien loin des Vosges. Ce sont encore des reliques qui vont, cette fois, nous ramener à Autrey.
Ce magnifique domaine monastique, le seul du Département qui ait encore gardé pratiquement intacts ses bâtiments et son église, vient justement de marquer un centenaire le 17 octobre dernier. On sait que l'abbaye Notre-Dame d'Autrey, fondée sur ses terres par un évêque de Metz, le Cardinal Etienne de Bar, vers le milieu du XIIe siècle, fut entièrement désaffectée à la Révolution. Après bien des vicissitudes, elle fut rachetée, en 1858, par Mgr Caverot, évêque de Saint-Dié, pour y établir un Petit Séminaire et pour être le mémorial diocésain de l'Immaculée Conception. Après deux années consacrées à la remise en état, la Maison ouvrait ses portes, le 17 octobre 1860, à 85 élèves.

L'abbaye d'Autrey, confiée dans sa fondation aux Chanoines Réguliers de Saint Augustin et dont l'église fut consacrée, à peine finie, par un Cardinal Légat du Pape, semble avoir eu une prédilection pour le saint évêque de Liège. Un acte de mars 1285 nous apprend en effet que Conrad Probus, évêque de Toul, y érigea trois autels à divers Saints, dont un à Saint Hubert.
L'église primitive ayant été ravagée lors des guerres du Téméraire, Claude Stévenay, abbé d'Autrey, en reconstruisit toute la partie Est. Il traita avec une particulière somptuosité la chapelle de Saint Hubert, élevée de 1537 à 1545 par deux maîtres d'oeuvre spinaliens. Parfaitement intacte, avec sa voûte à caissons, ornés de grosses fleurs, elle est le plus remarquable monument de la Renaissance que nous possédions dans les Vosges.

C'est là qu'affluèrent de plus belle les pèlerins et les malades. Voici, d'après les notes de Monsieur le Chanoine Bontems, Supérieur du Séminaire quelques détails de ce pèlerinage :
« De temps immémorial, l'abbaye possédait un reliquaire renfermant une phalange de Saint Hubert ; les Religieux l'emmenaient avec eux, pour quêter dans les évêchés voisins. D'où un conflit avec les Bénédictins de Saint-Hubert-d'Ardennes, qui prétendaient posséder le corps entier. Après bien des péripéties auxquelles Rome fut mêlée, il fut décidé, en 1513, que les Chanoines d'Autrey continueraient à quêter dans le Val de Galilée, dans les évêchés de Strasbourg, Bâle, Constance et Lausanne, mais non plus dans les Trois-Evêchés.
« Chaque jour, on voyait à Autrey des pèlerins ; mais à certaines dates, la foule était particulièrement dense. Le 3 novembre, le lundi de Pentecôte, le jour de l'Ascension, on débitait sur place jusqu'à 40 charrettes de pains et 100 mesures de vin, et l'église était trop petite.

Les gens y venaient pour être guéris, en action de grâces ou par mesure préventive ; on y amenait des malheureux " inquiets, troublés ou mal tymbrés de cervelle ". Un prêtre, spécialement chargé de la Chapelle Saint-Hubert, présidait aux prières, procédait aux exorcismes, recevait des offrandes en argent, en cire ou en nature, bénissait le pain, le sel, l'avoine pour les troupeaux, prescrivait les règles à observer pendant une quarantaine de jours, " les abstinences Monsieur Saint Hubert ", et portait les noms des confrères sur le registre.

« Celui-ci, tenu à jour, nous renseigne sur le nombre, l'origine, la qualité des pèlerins. De 1727 à 1747, 1.700 personnes furent inscrites ; ils viennent des environs, de la Haute-Moselle, du Val de Galilée et de la région de Sarrebourg.
« Restée dans la Chapelle Saint-Hubert à la Révolution, la relique fut enlevée par le curé constitutionnel de Rambervillers, ancien novice d'Autrey, le 14 octobre 1792, et transportée en grande pompe à l'église paroissiale. »

Le reliquaire, en forme de bras, en bois doré, y demeura jusqu'en 1950, où il fut restitué solennellement au Séminaire, le 3 novembre, pour la fête de Saint Hubert. Ainsi, la Révolution mit pratiquement fin au pèlerinage séculaire.
Précisons d'ailleurs que, dans l'intervalle, Pasteur, avec sa géniale découverte, était venu relever le bon évêque de Liège, en service depuis près de mille ans auprès des « enragés ». En souvenir de quoi, il n'est pas rare de nos jours, qu'en sortant à l'Institut Pasteur, les malades guéris viennent encore brûler un cierge à Saint-Hubert-d'Ardennes.

Chez nous, on l'invoque et le fête aujourd'hui d'autre sorte. A l'initiative de Monsieur le Supérieur, Autrey est devenu, à chaque automne, le rendez-vous des chasseurs. La messe de Saint-Hubert est toujours rehaussée par un groupe de trompes de chasse en grande tenue et l'acoustique de l'église de se prêter à merveille aux puissantes harmonies des cors, soutenus par le bel orgue dont la générosité des fervents d'Autrey a doté récemment l'antique église.
De la sorte, la devise gravée à l'entrée, reprend tout son sens, même sur le marbre mutilé par la bataille de 1944 : « Entre maintenant, ô voyageur, et adore le Seigneur par qui revit tout ce qui était mort ». D'autant que l'Abbaye, huit fois séculaire, assure aujourd'hui la relève sacerdotale du Diocèse, sous la protection de Notre-Dame et de Saint-Hubert.

Le culte si longtemps populaire du Saint Évêque de Liège a laissé un peu partout au travers du Diocèse nombre de souvenirs.
Hormis l'abbatiale d'Autrey, aucune de nos églises n'est dédiée à Saint Hubert, alors qu'il y en a 6 au diocèse de Nancy et 21 à celui de Metz. Notons en passant que la densité est fonction de la distance par rapport aux Ardennes. La remarque vaut aussi pour Saint Lambert, dont le culte en Lorraine va de pair avec celui de son disciple.

Nous avons retrouvé la trace ou l'existence de Chapelles-Saint-Hubert à Blémerey, Châtenois (signalée en 1710), Clefcy (1711), au Chastel dominant la vallée de Straiture, Dommartin-sur-Vraine, chapelle et confrérie, fondée en 1478 ; Épinal, Saint-Maurice, chapelle et confrérie, fondée en 1478, par l'Abbesse Adeline de Menoux. Une messe des chasseurs était dite le 3 novembre à la chapelle Saint-Auger ; Girecourt-sur-Durbion et Ville-sur-Illon.
Une mention spéciale pour la Chapelle de l'église de Charmes. Élégante construction de 1537, où les traditions gothiques de l'architecture se mêlent aux nouveautés décoratives de la Renaissance. En bas-relief, la légende du cerf.

Quant à Urville, la Chapelle était le siège d'une confrérie érigée en 1679, à la demande instante des habitants, par Mgr de Fieux, évêque de Toul : « L'expérience des années passées justifiant que l'institution de la confrérie du glorieux et admirable Saint Hubert est un favorable moyen pour obtenir de la majesté divine un préservatif singulier contre les accidents de l'effroyable rage, les soussignés supplient Monseigneur de leur permettre d'ériger une confrairie en l'honneur de ce grand Saint. ».
Le séminaire d'Autrey présente une statue de Saint- Hubert (bois du XVIIe siècle), et une autre en pierre offerte pour l'autel de la Chapelle par Monseigneur de Briey, en 1886.

Sur l'autel de Saint Desle, à Gerbamont, se voit une ravissante statuette en bois doré du XVIIIe siècle, voisinant avec celle, identique, de Saint Marcoul, le céleste collègue, spécialiste des écrouelles.
Celle d'Offroicourt, en pierre, offre cette particularité d'un Saint Hubert en évêque avec l'étole miraculeuse et le cerf à ses pieds.

A Saint-Prancher, statue équestre du Saint, classée Monument Historique. A Longchamp-sous-Châtenois, et à Vouxey, bas-relief de la légende, encastré dans le mur d'une maison et provenant sans doute d'une chapelle disparue.
Saint Hubert figurait également à Domèvre-sur-Durbion sur la croix de chemin, fort mutilée à la dernière guerre, en compagnie de trois autres Saints cavaliers : Saint Georges, Saint Martin et Saint Maurice.

Citons, pour finir, l'intéressante image de Pellerin, haute en couleurs, avec, en marge, un cantique spirituel et une oraison pour demander spécialement la protection contre la rage. La vente de cette image d’Épinal était très populaire, au point que les colporteurs, dans les villages, s'appelaient « les montreurs de Saint Hubert ».

08/02 /12 Saint Sigisbert (Témoins vosgiens)

Roi, Confesseur

Pas plus que Saint Desle, Saint Sigisbert n'intéresse directement notre diocèse. Toutefois, s'il figure au calendrier de l'Église de Saint Dié, c'est en raison du culte que lui a voué le diocèse de Toul, dont les Vosges ont fait partie jusqu'en 1777. L'esquisse sommaire de cette vie nous reporte, comme pour le fondateur de Lure, au cœur de l'ère mérovingienne, Saint Sigisbert étant, à la cinquième génération, le descendant direct de Clovis.

Son nom appelle d'abord une petite précision, car, à côté de Sigisbert, vocable qui a prévalu, on trouve, dans les textes, Sigebert, traduction allégée de Syggebertus, signature authentique qui se lit dans trois documents d'archives. Notons d'ailleurs en faveur du premier nom, que Sigebert désigne aussi deux autres Saints de la même époque : un roi anglais et un moine de Luxeuil.
Sigisbert est le fils aîné de Dagobert Ier et de Ragentrude, qu'on croît être princesse austrasienne. Né en 630, il fut baptisé par Saint Amand, évêque d'Orléans et futur évêque de Maestricht.

Dans une intention politique qui traduit les mœurs curieuses du temps, Dagobert prit le parti d'élever, dès l'âge de trois ans, son fils sur le trône d'Austrasie, vaste contrée s'étendant de la Champagne à la Thuringe, avec comme axe vital la vallée du Rhin en son entier, prélude d'un démembrement que Dagobert, seul roi de la grande Gaule, voulait envisager à temps.
Il s'agissait, en attendant, d'élever le petit roi ; et son père, dont la conduite n'était rien moins qu'édifiante, entendait bien faire les choses. Sur les conseils de Saint Eloi et de Saint Ouen, alors ses ministres et futurs évêques de Noyon et de Rouen, il confia le jeune Sigisbert à Saint Amand. Ce fait illustre le rôle considérable joué par les évêques sous les Mérovingiens. A ces rois encore barbares qui se succédaient à travers les révolutions de palais et souvent par le meurtre, les évêques s'imposaient d'emblée par leur prestige. Héritiers, dans ce chaos politique, de la sagesse romaine, témoins de l'idéal évangélique, ils impressionnaient les grands par leur ascendant mystérieux sur le monde des âmes. Tous les historiens s'accordent à voir dans ces évêques les défenseurs de la cité, les princes des siècles barbares qui vont de la chute de Rome à l'avènement des Capétiens.

Ainsi Dagobert prédestinait-il, sans trop le savoir, son fils à la sainteté, car c'est l'éducation qui a toujours fait l'homme et le saint.
Saint Amand, comme le fera plus tard Bossuet pour le Dauphin, composa pour son élève cette admirable instruction ou « Exhortation au roi des Francs », qu'a retrouvée, à la Bibliothèque Vaticane, le Cardinal Maï, célèbre philologue du XVIII° siècle.
Lorsque Sigisbert atteignit sa majorité — assez tôt, sans doute — il vint prendre possession de Metz, sa capitale. Ici, encore, la sollicitude de son père lui adjoignit comme ministres Saint Cunibert, archevêque de Cologne, et le bienheureux Pépin de Landin, maire du palais d'Austrasie et père de Sainte Gertrude.

Mais une rude épreuve allait inaugurer le règne de Sigisbert. La rébellion de la Thuringe le contraignit à guerroyer de l'autre côté du Rhin. Le jeune prince — il n'avait que douze ans — fit preuve d'habilité et de courage, parvenant, après des vicissitudes diverses, à ramener les révoltés à la raison et à rétablir la paix, qui désormais allait, jusqu'à sa mort, régler en Austrasie. A la faveur de quoi Sigisbert se consacra tout entier au bien de son peuple, aux exercices de charité, s'efforçant de mettre un peu plus de moralité dans son gouvernement. Il avait hâte d'être lui-même, de suivre les aspirations de son âme contemplative. Au dire des chroniqueurs, il faisait figure de moine au sein même des fêtes de la cour de Metz comme à son foyer. Il avait en effet épousé Himnehide, qui lui donna plusieurs enfants, dont un fils, Dagobert II.
A ce sujet, certains historiens ont reproché à Sigisbert d'avoir, pour plusieurs années, compromis la succession de son fils, faute de réagir contre les menées ambitieuses d'un de ses maires du palais, Grimoald. Il semble, en effet, que, par bonté d'âme et trop dégagé des choses temporelles, Sigisbert ait ici manqué de prudence et de fermeté, mais finalement l'affaire s'arrangea, puisque Dagobert, après un interrègne agité, put recueillir sa succession. Nous retrouverons ce même jugement sévère à l'égard de Saint Louis qui, par loyauté, réputée faiblesse, conclut tel traité de Paris (1259) avec l'Angleterre qu'il avait pourtant vaincue à Taillebourg. Tant il est difficile pour un Saint d'être diplomate, au sens où l'entend trop souvent l'Histoire !

Les richesses que ses ancêtres et son père même dépensaient en plaisirs, en un luxe extravagant et grossier, Sigisbert les consacra aux pauvres, aux malades, aux orphelins. Demeuré grand seigneur, sous l'apparence d'un moine « laïc », il se plut à doter magnifiquement douze monastères, spécialement les grandes abbayes de Stavelot et de Malmédy, fondées par Saint Remacle, disciple de Saint Eloi, et dont il entendait faire des foyers d'évangélisation à l'orée de la forêt d'Ardennes où sévissait encore le paganisme.
De santé plutôt chétive, Saint Sigisbert mourut à la fleur de l'âge, le ler févier 656 ou 658. Le contraste entre la précision du jour et l'incertitude de l'année est un fait commun en hagiographie et que nous signalons une fois de plus. Peu soucieux de critique historique, les documents négligent de dater avec notre exactitude la mort d'innombrables personnages de ces temps lointains. Par contre, ils notent avec soin le jour et le mois pour les saints, dont le « dies natalis » fixait toujours leur fête au calendrier.

Le pieux roi fut inhumé dans l'église abbatiale de Saint-Martin, qui, aux portes de la capitale, avait bénéficié de ses largesses et de sa piété. De cette abbaye, il ne reste plus la moindre trace, mais le souvenir en demeure sous le nom de Ban-Saint-Martin, commune de la banlieue de Metz, sur la rive gauche de la Moselle.
Le tombeau devint aussitôt un centre de pèlerinage, et la générosité que le Roi avait exercée, le Saint, de là-haut, la traduisit en de nombreux miracles, toujours en faveur de ses amis, les affligés et les malades. Le moine Sigebert de Gembloux, historien de Saint Sigisbert, en a consigné plusieurs dont il avait été témoin, lorsqu'il enseignait à Saint-Vincent-de-Metz.

C'en fut un autre que de découvrir, lorsqu'en 1063 l'autorité religieuse ouvrit sa tombe, le corps absolument intact et sans trace de corruption. On le déposa dans une châsse d'argent, à taille d'homme, qui fut placé sur un autel, cérémonie qui, de ce temps-là, consacrait la canonisation officielle.

Quand, cinq siècles plus tard, Charles-Quint, en lutte contre Henri II, assiègea à grand renfort d'artillerie, la ville de Metz, défendue farouchement par François de Guise, l'abbaye de Saint-Martin fut totalement détruite, dans l'hiver 1552-1553. La châsse échappa au désastre et fut ramenée à l'intérieur de la ville, dans l'église du prieuré Notre-Dame.
Ce transfert ne fut, en somme, que provisoire, car, en 1602, le duc de Lorraine Charles III fondait à Nancy, sa capitale, un chapitre primatial. Or, il se trouve qu'à la tête de ce chapitre, le duc nomma son propre fils, le cardinal Charles de Lorraine, déjà évêque de Metz. Par piété, disons filiale, ce dernier déposséda son prieuré messin de la châsse, comme avait fait jadis Thierry de Hamelant avec les reliques de Saint Goëry, en faveur d'Epinal. En sorte que l'église primatiale de Nancy devint désormais le centre du culte de Saint Sigisbert.

Ce n'est qu'un siècle plus tard qu'on éleva, sur les plans de Jules-Hardouin Mansart, le génial architecte de Versailles, la grande église actuelle Notre-Dame de l'Annonciation, qui deviendra plus tard cathédrale en 1777, lors de l'érection du diocèse de Nancy.
Vint la Révolution, si funeste par toute la France aux reliques des Saints. Celles de Saint Sigisbert furent, en 1793, tirées de la châsse, foulées aux pieds, et finalement brûlées sur la place de l'Alliance. Toutefois, grâce à une pieuse complicité et à la faveur du désordre, quelques ossements échappèrent à la destruction. Ceux-ci, la paix revenue, furent replacés en 1803 dans la châsse d'ébène sculptée à Milan, qu'avait offerte jadis Antoine de Lenoncourt, deuxième Primat de Lorraine. Bien que dépouillée par les Jacobins de ses incrustations d'or et d'argent, on la vénère aujourd'hui encore dans la première chapelle de la cathédrale, à droite en entrant.

Nancy la Ducale, dont Saint Sigisbert est liturgiquement le patron, n'a cessé depuis 1603, de lui vouer un culte populaire. Noblesse oblige. Devenue capitale de Lorraine, elle se devait de prendre auprès des restes de Saint Sigisbert le relais de Metz, capitale de l'Austrasie disparue.
Au cours des siècles, à l'occasion des calamités et notamment en 1914-1918 sous le bombardement de la grosse Bertha, terrée aux abords de Château-Salins, on exposait solennellement la châsse au milieu des cierges et des fleurs.

S'il est normal que le jeune diocèse de Saint-Dié ne comporte aucune église dédiée à Saint Sigisbert, on est surpris de n'en pas trouver une seule aux diocèses de Nancy et de Metz. Pour celui de Nancy, cela tient au fait que les paroisses avaient déjà leur titulaire, au transfert des reliques. Mais peut-être — et ce nous semble souhaitable — Saint Sigisbert patronnera-t-il quelque jour, outre le beau collège du Cours Léopold, l'une des églises nouvelles qui vont s'ériger dans la grande banlieue de Nancy...

L'iconographie du Saint est de même assez pauvre. A noter cependant que Saint Sigisbert figure parmi les Saints et Saintes de la famille de Maximilien d'Autriche, grand-père de Charles Quint, ensemble de cent pièces gravées en 1519 et conservées à la Bibliothèque Mazarine de Paris. On ne voit d'ailleurs pas très bien — casse-tête pour les généalogistes — comment cet authentique mérovingien a pu être annexé à la famille impériale d'Autriche !

Plus accessibles sont, pour nous Lorrains, les deux grands tableaux du chœur de la cathédrale de Nancy, représentant le couronnement de Saint Sigisbert et le repas qu'il aimait à servir aux pauvres. Les artistes, dit-on, ne font pas grand cas de ces toiles de Claude Charles, réputées médiocres. Qu'importe ! Le second tableau, relevant ce trait d'une douceur toute évangélique, résume bien l'essentiel de cette courte vie qui apparaît comme une lueur inattendue dans la nuit des Temps Mérovingiens.

08/02 /12 Saint Bodon (Témoins vosgiens)

Evêque de Toul

Avec ce Saint nous abordons le premier des évêques de Toul, dont nous avons à retracer l'histoire ; en effet, cinq d'entre eux, figurant à notre propre diocésain, seront évoqués parmi « les Saints de chez nous » : Epvre, Gauzelin, Gérard, Léon IX et Mansuy.

Disons tout de suite que ce Saint, au nom bizarre et peu connu, intéresse pourtant notre diocèse à un titre particulier que ne présente aucun des saints évêques susdits.

Saint Bodon nous reporte à l'ère mérovingienne ; si, de ce fait, il est malaisé de reconstituer sa vie, nous savons pourtant qu'il est un personnage historique. Il figure dans les plus anciennes listes des évêques de Toul, de plus son nom est souvent cité dans la Vie de sa soeur Sainte Salaberge, écrite par un moine de Luxeuil, leur contemporain.

Son nom déjà ne contribue pas à éclaircir les choses, car on l'appelle tantôt Bodon, tantôt Leudin. Quoi qu'il en soit, il naquit vers 625 dans un des domaines que le leude Gondoin, son père, possédait sur les confins du Bassigny. On s'accorde à fixer sa naissance à Meuse, prés de Montigny-le-Roi, aujourd'hui village, bien nommé », du diocèse de Langres, à la source de ce fleuve international.

On peut remarquer, à ce propos que les grands leudes austrasiens, très riches, avaient l'humeur voyageuse et passaient d'une résidence à l'autre. C'est ainsi que Sainte Salaberge avait vu le jour à Gondrecourt, alors que le benjamin naissait en Bassigny.

Quand il fut en âge, il épousa la noble et pieuse Odile, dont il eut une fille qu'on appela Thiéberge. Ensemble ils allèrent s'établir au nord de la Champagne dans la région de Laon. La famille restait en relation suivie avec l'abbaye de Luxeuil, avec Saint Valbert notamment, que Bodon avait choisi comme directeur spirituel. Nous savons par ailleurs que Sainte Salaberge, mariée elle aussi, était ensuite entrée en religion du plein consentement de son mari qui en avait fait autant.

A l'exemple de sa soeur et suivant les directives de Saint Valbert, Bodon résolut d'entrer dans un couvent de Laon, tandis qu'Odile tout à fait d'accord, prenait le voile dans l'abbaye voisine que venait précisément de fonder Salaberge.

Dans cette pieuse réaction en chaîne, le Seigneur, poursuivant son dessein, allait bientôt rapatrier Bodon dans sa province d'origine. Car la sainteté de ce dernier avait, bien à son insu, franchi les grilles du cloître. Le siège de Toul se trouvait alors vacant et le clergé, unanime pour élire Saint Bodon comme évêque.

Type de « reconversion », fréquent dans l'histoire de l'Eglise mérovingienne, nous le voyons avec Saint Romary et saint Arnould. Ce père de famille, devenu moine, puis évêque, se donna tout entier à la nouvelle tâche que lui confiait le Seigneur, avec cette disponibilité toute simple et généreuse qu'on retrouve chez les Saints.

En gage de bienvenue, il fit don à son église de Toul de plusieurs domaines de son patrimoine, y réservant, très large, « la part à Dieu » pour le soulagement matériel des malades et des pauvres, ses diocésains préférés. En dehors de quoi, on ne sait rien de son ministère épiscopal, car on n'a de lui aucune relation particulière, les dates elles-mêmes restant imprécises : entre 660 et 678.

A sa mémoire s'attache pourtant le souvenir d'une triple fondation, destinée à promouvoir dans son vaste diocèse la vie monastique et par elle l'évangélisation de régions forestières absolument déshéritées. Nous passerons vite sur deux d'entre elles, encore qu'elles soient voisines de notre diocèse.

La première se situait non loin de son pays natal, à Enfonvelle (Haute-Marne), à une lieue de Châtillon-sur-Saône : Abbaye qui disparut au XVIIe siècle.

A l'autre extrémité du territoire de Toul, Saint Bodon fonda une abbaye sous le patronage de Saint Pierre et appelée par la suite Bonmoutier (Bodonis Monasterium). Elle s'élevait à l'orée de la forêt du Donon dans la vallée de la haute Vezouze. Placée sous la direction de Thièberge, cette abbaye bénédictine fut transférée en 1010 à Saint Sauveur, où subsiste encore le choeur érigé au XVe siècle.

La troisième fondation nous ramène dans ce coin des Vosges, terre d'élection du monachisme primitif, à Etival où le Rabodeau se jette dans la Meurthe. C'est à ce titre uniquement que la Congrégation des Rites a maintenu Saint Bodon au propre de notre diocèse, lors de la réforme de 1957. Car jusqu'à la révolution qui devait l'exterminer, cette abbaye de la première génération fut un des éléments majeurs de notre patrimoine monastique, un centre de culture, émule durant un millénaire de Senones et de Moyenmoutier.

Il serait certes hors de propos d'en esquisser même la longue et riche histoire. Aux Bénédictins de la première heure vont succéder les Chanoines Réguliers au Xe siècle, puis les Prémontrés du XIIe siècle à la fin.

Au troisième siècle de l'histoire d'Etival se rattache le souvenir d'une Sainte qui figura jadis à notre propre : l'impératrice Sainte Richarde. Epouse répudiée de Charles le Gros, empereur germanique qui lui donna, pour sa retraite, le domaine d'Andlau en Alsace, elle y fonda une abbaye où elle mourut vers 894. Saint Léon IX, l'a canonisée par l'exhumation traditionnelle de ses restes, le 10 novembre 1049, soit quatre jours avant de venir à Remiremont pour en consacrer la crypte.

Par le jeu, aussi fréquent que complexe, des transferts de possessions, l'abbaye d'Etival au XIIe siècle dépendait d'Andlau et c'est l'abbesse d'alors, Mathilde, qui autorisa en 1146 les Prémontrés à s'y installer, le pape Eugène III confirmant cette mutation par bulle du 6 septembre 1147.

Ce sont donc eux qui édifièrent en arrivant la très belle nef romane et le transept encore debout et y développèrent le culte de Sainte Richarde : on trouve en effet la mention, mais plus aucune trace, d'objets d'art créés en son honneur. Elle figurait au propre du diocèse avec le rite double jusqu'en 1914 ; on n'en fit plus qu'une simple mémoire, laquelle disparut en 1957.

Quant à Saint Bodon, auquel il nous faut revenir, après cette parenthèse, il mourut à Toul probablement en 678. Inhumé auprès de Saint Mansuy, hors des remparts, son corps fut par la suite transféré à Laon ; ses reliques disparurent totalement à la Révolution.

On ne trouve à Etival, pas plus qu'à Toul d'ailleurs, aucune trace de culte à Saint Bodon ; anomalie qui n'est point ingratitude, car elle s'explique. L'abbaye d'Etival offre cette particularité, d'avoir, tout de suite après la mort du fondateur, échappé à la juridiction, tant spirituelle que temporelle, de l'évêché de Toul. Venus quatre siècles plus tard, les Prémontrés, oubliant Saint Bodon, trouvèrent une sorte de compensation en honorant Sainte Richarde, après Saint Pierre, bien sûr, patron de leur abbaye depuis sa fondation.

08/02 /12 Saint Germain (Témoins vosgiens)

Martyr

Dans notre nouveau Propre du mois de Janvier, Saint Germain, le 12, s'insère entre Saint Eustaise, le 10, et Saint Desle, le 19, en sorte que ce trio de Saints Abbés, émanés de Luxeuil, nous replace, au début de chaque année, en pleine atmosphère colombaniste, comme un retour aux sources de notre christianisme.
A vrai dire, ce phare spirituel, disons mieux, ce poste émetteur, que fut Luxeuil pour la diffusion du message évangélique, a englobé simultanément dans son orbite la Franche-Comté, le sud des Vosges et la Suisse ; régions qui délimitent précisément le cadre de vie, au VIIe siècle, de Saint Germain, tour à tour ermite, moine, abbé, et, finalement martyr. Notons cependant qu'il a, sur ses deux compagnons, l'avantage d'avoir séjourné quelque temps chez nous, au Saint-Mont. C'est donc à juste titre qu'il retrouve, dans notre liturgie, la place qu'il y occupait avant la révision de 1915.

Saint Germain était né vers 618 à Trèves, métropole de la Gaule Belgique 1ère, d'une famille sénatoriale. Il était donc de cette aristocratie chrétienne, qui avait, trois siècles plus tôt, donné à l'Église un de ses quatre grands Docteurs, Saint Ambroise.
A peine adolescent, il fut pris en amitié par l'Archevêque de la ville, Modoald, qui veilla à son éducation et le mit en quelque sorte sur le chemin de la sainteté. Ainsi, pressentant en lui une vocation monastique, il dut tempérer son ardeur juvénile. « Vos aspirations, mon fils, sont nobles et grandes, lui disait-il, mais prenez-y garde, le terrain sur lequel vous prétendez vous engager est bien glissant pour le pied encore inexpérimenté d'un jeune homme ». Cette phrase, la seule que nous citerons, est tirée d'une biographie qui, comparable à celles de Jonas, constitue un document fort apprécié des historiens de l'époque mérovingienne.

La vie de Saint Germain se trouve, en effet, consignée en entier dans un ouvrage de son contemporain, Bobolène, natif de Luxeuil où il fut moine et qui, devenu après Saint Colomban, 4e abbé de Bobbio, fit lui aussi de son monastère un centre intellectuel dont le rayonnement s'étendit jusqu'aux premiers humanistes de la Renaissance italienne.
Le jeune Germain mit à profit le délai qu'on lui imposait, pour s'initier à la culture profane si en honneur à Trèves, se préparant ainsi aux grandes choses dont il allait être l'instrument entre les mains de la Providence.

Lorsque l'heure lui sembla venue, l'Archevêque, avec l'accord des parents, autorisa son disciple à faire le geste décisif. Après avoir disposé de tout son patrimoine en faveur des pauvres, Saint Germain partit rejoindre dans la solitude des Vosges Saint Arnould, ancien évêque de Metz. Disons sans plus de détails — car nous l'avons vu en son temps — que Saint Arnould s'était retiré au sommet du Fossard, à proximité du Saint-Mont, où son diocésain Saint Romaric venait de fonder le célèbre monastère. Cette rencontre de l'Évêque messin et du jeune Trévire laisse deviner les relations de bon voisinage et d'amitié qui unissaient alors Metz avec Trèves, la métropole religieuse.

Sous la conduite de l'Évêque ermite, Saint Germain fit l'apprentissage de la rude vie de solitaire au cœur de la forêt vosgienne. En suite de quoi, il fut admis au monastère du Saint-Mont, où ne tarda pas à le rejoindre son propre frère, Numérien, futur archevêque de Trèves.
Filiale de Luxeuil, le Saint-Mont demeurait en contact étroit avec l'Abbaye-mère, échangeant, dans les deux sens, novices imberbes et moines chevronnés. Au bout de quelques années, Saint Germain fut dirigé sur Luxeuil. Sans doute Saint Romaric estimait-il qu'en raison de ses aptitudes, ce disciple ferait, pour la gloire de Dieu, meilleurs service là-bas que dans le monastère vosgien encore à ses débuts. Désintéressement qui est un vrai trait de sainteté et que l'avenir devait récompenser.

La grande Abbaye avait alors à sa tête Saint Walbert, successeur de Saint Eustaise, qui devait prolonger de façon remarquable l'impulsion donnée au monastère et à son école. Arrivant comme simple clerc tonsuré, Saint Germain fut bientôt promu au sacerdoce et vécut ainsi 13 années à Luxeuil, dans la pratique exemplaire des vertus monastiques. Le biographe se plaît à signaler la soumission et l'endurance avec lesquelles ce fils de sénateur, élevé dans le luxe, se prêtait aux travaux manuels, soit dans les champs, soit en forêt où il abattait des arbres.

Lorsque Saint Walbert, poursuivant les missions entreprises en direction de l'Est, songeait à créer une nouvelle filiale de Luxeuil, regorgeant de monde, il reçut un jour des propositions de Gondoin, duc de Haute-Alsace, dont les possessions englobaient même, dans le Jura suisse, le territoire de l'évêché de Bâle, fondé depuis 344. On lui offrait, à mi-chemin de Soleure et de Délémont, une riante vallée, fertile et poissonneuse, aboutissant à l'entrée des célèbres gorges de Moutier. Une visite des lieux le convainquit aussitôt de l'aubaine providentielle que constituait ce domaine, dénommé par lui la Grande Vallée, d'où les vocables, épars dans les textes, de Grandval ou Grandvilliers, de Granfeld, en bas-allemand.

A la tête de cette fondation, il s'agissait de placer un pionnier de taille. Parmi les quelque 800 moines de Luxeuil, le choix de l'Abbé se porta sans hésiter sur Saint Germain, qui accepta en toute simplicité. On devine la somme de soucis et de travaux que représentait une telle fondation. Le nouvel Abbé s'en tira à merveille, aménageant le domaine, érigeant les bâtiments monastiques autour de l'église qu'il dédia à Saint Maurice, sans doute en souvenir de Saint Amé, le co-fondateur du Saint-Mont, qui avait amené dans nos régions le culte du célèbre Martyr de la Légion Thébéenne.

Le succès de l'entreprise fut tel que Saint Walbert confia à l'Abbé de Grandval la conduite de deux Abbayes voisines, également fille de Luxeuil : Schnoenenwerth, dans la vallée de l'Aar, et Saint-Ursanne, à la pointe de l'étonnante boucle que fait le Doubs buttant contre le Mont-Terrible.
Pendant 17 ans, Saint Germain s'acquitta d'une tâche énorme, déployant toutes les ressources d'une riche nature humaine et d'une authentique sainteté. A l'abondance de ces dons, le Seigneur allait ajouter la palme du martyre.

Le bienfaiteur de Grandval, Gondoin, étant venu à mourir, la succession, dans ce chaos mérovingien, échut à un hobereau nommé Cathicus, qui, en don de joyeux avènement, se mit à rançonner la région jurassienne à l'aide de bandes recrutées outre-Rhin. Saint Germain prit sans hésiter la défense des populations qui vivaient paisiblement dans le voisinage des trois Abbayes. Dés lors, le pillage se doubla naturellement d'une persécution religieuse.

Imitant le geste héroïque de Saint Loup, se portant naguère au devant d'Attila, l'Abbé marcha à la rencontre de Cathicus, accompagné de son confident, Saint Randoald, prévôt de Grandval, quand, se heurtant à l'improviste à une poignée de soldats surexcités, il tomba percé de coups de lances, avec son compagnon, à la sortie des gorges de la Birse, tout près de Délémont. C'était un 21 février, date mentionnée au Martyrologe colombaniste ; mais, comme il arrive souvent à cette époque, l'année est impossible à préciser. Les études faites récemment par Mlle Dubois, dans son ouvrage sur Saint Colomban, situent le martyre de Saint Germain entre 666 et 675.

Ainsi donc, mourait, dans la cinquantaine, aux portes du monde germanique, ce pionnier de la civilisation chrétienne et française ; car il est intéressant de noter que la limite linguistique du français et de l'allemand, dans cette portion du Jura, circonscrit exactement le territoire des trois Abbayes, placées sous la crosse de Saint Germain. Aujourd'hui encore la carte de la région est tout émaillée de vieux noms français : Moutier, Bassecour, Rossemaison, Les Ecorcheresses …

Les dépouilles des deux Martyrs, celle de Saint Germain en particulier, furent pieusement inhumées à Saint-Ursanne, secteur plus calme que celui de Grandval, où les bandes de Cathicus s'étaient ruées de préférence. Après la tourmente, on ramena le corps de Saint Germain à son abbaye pour l'exposer dans une châsse à la vénération des fidèles. Car de nombreux miracles, rapportés par Bobolène, avaient, bien vite, provoqué l'afflux des pèlerins. Devant l'invasion des Calvinistes de Genève, la châsse fut transférée, en 1530, à Délémont, en l'église collégiale, où s'étaient regroupés les Chanoines, successeurs des moines de Grandval, totalement détruit. L'église, aujourd'hui paroissiale, de Délémont, au diocèse de Bâle, conserve, outre le corps du Saint, son calice et sa crosse, précieux témoins de l'art sacré à l'époque mérovingienne.

L'humble moine qui n'avait fait que passer au Saint-Mont, intéressa pourtant la piété des Dames de Remiremont. Soucieuses de recueillir toutes les gloires de leur antique Maison et de se concilier les suffrages de leur seul Martyr, elles l'inscrivent au Propre du Chapitre et célébrèrent son office jusqu'à la Révolution.
Dans notre Diocèse, une seule église a Saint Germain pour titulaire : Sionne, au doyenné de Domremy ; particularité curieuse, puisqu'il s'agit d'une paroisse aux antipodes du Saint-Mont. On comprend mieux que le souvenir du Saint s'attache à quelques lieux-dits de la Montagne, à Germainfaing, à Germaingoutte, à Germainxard notamment, qui est une cense de Cleurie, dépendant jadis du Chapitre de Remiremont.

Quant au diocèse de Besançon, il l'honore comme l'un des plus grands moines de Luxeuil et lui a dédié douze églises paroissiales, la plupart situées, comme par attraction de Grandval, dans la portion Est. Deux villages, en outre, portent le nom de Saint-Germain, près de Lure et de Belfort. Plus heureux que son émule Saint Eustaise, titulaire d'une seule église, Saint Germain doit sans doute cette faveur au prestige de son martyre, ce qui fournit précisément le thème du médaillon, dans le vitrail dominant le maître-autel de l'église abbatiale de Luxeuil.

26/01 /12 Sœur Jeanne Bastien écrit de Oran, Algérie (Témoins vosgiens)
"... Merci de nous envoyer le compte-rendu de l'année missionnaire vécue en équipe diocésaine. Pendant longtemps je n'étais pas recensée comme missionnaire d'origine vosgienne. Je suis née à Tilleux, le village si petit près de Neufchâteau. Ainsi, je n'étais pas régulière aux rencontres. D'autre part, il nous est difficile de donner toutes les nouvelles du pays. Il y a eu beaucoup de bons moments mais aussi des périodes noires.

Je suis en Algérie depuis 1958, j'ai donc quitté la France depuis 54 ans bientôt. Les années s'accumulent et maintenant la vie s'est ralentie. Je suis la plupart du temps à la communauté, j'ai des permanences au Centre Diocésain où j'ai travaillé à la bibliothèque durant 22 ans. J'assure le cheminement de deux personnes ce qui est pour moi formidable.

Notre groupe de Sœurs de la Doctrine Chrétienne de Nancy a bien diminué. Nous sommes maintenant 8 sœurs dans deux communautés à Alger et Oran. Constantine, Annaba et Béjaïe ont été fermées ces deux dernières années.

Avec peine nous ne voyons pas arriver de relève. Les Congrégations sont fragiles, l’Église aussi. Mais le Seigneur est toujours là et demeure fidèle. Faisons-lui confiance....

Sœur Jeanne