Sainte du Saint-Mont
En dépit de son nom, cette sainte est liturgiquement plus favorisée que ses compagnes du Saint-Mont. Elle est en effet la seule qui, dans notre Propre diocésain, ait obtenu une leçon, lors de la révision de 1957, alors que précédemment on ne lui avait accordé qu'une commémoraison, à la date du 4 novembre. Cette concession bienveillante de la Congrégation des Rites est d'autant plus notable que Sainte Modeste ne séjourna que peu de temps au Saint-Mont.
Du moins avons-nous ici affaire à un personnage historique du VIIe siècle, dont la sainteté n'a jamais été mise en doute. Sainte Modeste est inscrite au Martyrologe Romain, le 4 novembre, toutefois en références à Trèves et non à Remiremont.
Disons tout de suite que du fait de son bref séjour chez nous on ne trouve à son propos que de vagues allusions dans l'histoire du Saint-Mont ; cependant le Chapitre de Remiremont l'avait inscrite à son calendrier et lui avait consacré un office au bréviaire.
Modeste appartenait à une famille de l'aristocratie austrasienne. On ignore le nom de ses parents. On sait par contre que son oncle, Saint Modoald, était archevêque de Trèves et que sa tante, la Bienheureuse Itta, était la mère de Sainte Gertrude de Nivelle.
La venue de la jeune Modeste au Saint-Mont peut s'expliquer assez bien dans le sillage de Saint Romary, issu lui-même de la cour de Metz. Nous avons déjà signalé que, pour peupler son monastère naissant, Saint Romary avait recruté maintes nobles filles, originaires du pays messin.
Quoi qu'il en soit, on estime, par des confrontations de dates, que Sainte Modeste fut la compagne des Saintes Claire et Gébétrude et qu'elle s'initia sous leur direction à la vie monastique et à la louange divine, pendant les quelques années qu'elle passa au Saint-Mont.
Pourquoi devait-elle le quitter aussi vite ? Plusieurs hypothèses peuvent être avancées.
Saint Modoald, entre autres activités pastorales, portait grand intérêt à un monastère de femmes récemment fondé aux portes de la ville. L'abbaye d'Horren tirait son nom des anciens greniers publics que Dagobert II, roi d'Austrasie, avait donnés en vue de cette fondation.
Une des nièces de Saint Modoald était déjà, disions-nous, à la tête de la célèbre abbaye de Nivelle, au diocèse voisin de Liège. L'évêque aurait donc fait venir à Trèves la jeune religieuse novice dans les Vosges. L'excuse d'un népotisme aussi évident tint sans doute à ce que, n'ayant pas perdu de vue sa seconde nièce, il aurait appris qu'on lui trouvait, au Saint-Mont, l'étoffe d'une future abbesse. Sainte Modeste quitta bientôt les sapins des Vosges pour venir prendre la tête de la récente fondation.
Avec le recul du temps, le geste nous apparaît d'une certaine grandeur et tout à la gloire du Saint-Mont. Car cette jeune Austrasienne semble d'abord être « remontée à la source » d'une forme toute nouvelle du monachisme féminin, avant de l'instaurer en la grande métropole religieuse que constituait alors la ville de Trèves. Ajoutons, dans le sens de la même image, que la Moselle, au fil de l'eau, rattachait ainsi étroitement les monastères de Remiremont et de Trèves, autour desquels gravitent l'existence et le souvenir de Sainte Modeste pour l'honneur des deux diocèses.
Le monastère d'Horren ayant par la suite adopté, tout comme celui de Remiremont, la règle bénédictine, c'est dans les fastes de cet Ordre qu'il faut aller rechercher le peu que nous savons sur la seconde tranche de vie de notre Sainte. (Acta Sanctorum Ordinis Sancti Benedicti.)
D'après la biographie de Dagobert II, dom Mabillon nous apprend qu'à son arrivée, Sainte Modeste trouva la propre sœur du souverain, Irmine, entrée en religion à l'abbaye d'Horren ; une recrue qui n'était pas sans conférer quelque prestige et faciliter, sur le plan matériel, le développement de l'œuvre.
Le fait le plus saillant, sinon le seul, attaché à la mémoire de notre Sainte, ce sont les relations étroites qu'elle eut avec Sainte Gertrude. Cousines par les liens du sang, les deux abbesses se portaient une très vive affection et s'aidaient mutuellement par la prière incessante. Respectueuses de la règle, il ne semble pas qu'elles soient jamais sorties de leur monastère pour se rencontrer. Il est d'autant plus curieux de voir comment leurs biographes leur ont candidement prêté un « moyen de communication » aussi rapide et aussi sûr que notre télévision ! Nos deux abbesses correspondaient entre elles par des visions et des apparitions fréquentes.
C'est ainsi, par exemple que Sainte Gertrude apparut à sa cousine pour lui annoncer sa propre mort, survenue le jour même à Nivelle, le 18 mars 658. Mais cette mort, comme bien on pense, ne coupa pas la communication et Sainte Modeste en bénéficia de longues années, pour sa sanctification personnelle et celle de sa maison, jusqu'au 4 novembre 680, où elle s'éteignit à son tour.
De là-haut, elle continua à veiller sur la chère abbaye, par les mêmes moyens. On rapporte, toujours d'après les pieux auteurs, que trois siècles plus tard elle apparut à l'abbesse d'Horren, pour la mettre en garde contre le dessein de l'archevêque. Egilbert, en effet, s'autorisant sans doute de l'exemple de Saint Modoald, envisageait de placer à la direction de l'abbaye sa propre nièce, Luitgarde, femme de trempe, mais dont les mœurs n'étaient guère recommandables. On était alors, ne l'oublions pas, à ce siècle de fer, qui aux approches de l'an mil provoqua tant de troubles dans les cloîtres comme dans toute l'Église. A cet égard, cet épisode légendaire fait état d'une réalité historique.
Mais c'est uniquement ce premier aspect qu'a retenu le Propre de Remiremont dans les leçons de l'office qui se disait au Chapitre et dans lequel ont été consignées ces diverses apparitions.
Hormis cela, on ne trouve pas d'autre trace de culte. A Trèves même, la fête de Sainte Modeste était encore célébrée au siècle dernier sous le rite semi-double et son nom figurait, au Xe siècle, dans les Litanies des Saints en usage dans ce diocèse.
Relevons, pour finir, deux noms souvent cités dans cette esquisse biographique et qui ont prêté à confusion. Horren, monastère de Trèves, a été par certains auteurs identifiée avec Horenberg désignant la montagne toute proche du Saint-Mont où Saint Arnould, évêque de Metz, était venu finir ses jours. L'imprécision de l'orthographe du haut Moyen Age explique aisément cette méprise qui a voulu faire de Sainte Modeste une abbesse du Saint-Mont.
A propos de Sainte Gébétrude, nous avons vu qu'on lui attribuait parfois le nom de Gertrude. Sainte Modeste, novice et non abbesse du Saint-Mont au temps de Gébétrude et par ailleurs si intimement liée à Gertrude de Nivelle, pourrait bien être « responsable » de cette équivoque.