Martyr
Dans notre nouveau Propre du mois de Janvier, Saint Germain, le 12, s'insère entre Saint Eustaise, le 10, et Saint Desle, le 19, en sorte que ce trio de Saints Abbés, émanés de Luxeuil, nous replace, au début de chaque année, en pleine atmosphère colombaniste, comme un retour aux sources de notre christianisme.
A vrai dire, ce phare spirituel, disons mieux, ce poste émetteur, que fut Luxeuil pour la diffusion du message évangélique, a englobé simultanément dans son orbite la Franche-Comté, le sud des Vosges et la Suisse ; régions qui délimitent précisément le cadre de vie, au VIIe siècle, de Saint Germain, tour à tour ermite, moine, abbé, et, finalement martyr. Notons cependant qu'il a, sur ses deux compagnons, l'avantage d'avoir séjourné quelque temps chez nous, au Saint-Mont. C'est donc à juste titre qu'il retrouve, dans notre liturgie, la place qu'il y occupait avant la révision de 1915.
Saint Germain était né vers 618 à Trèves, métropole de la Gaule Belgique 1ère, d'une famille sénatoriale. Il était donc de cette aristocratie chrétienne, qui avait, trois siècles plus tôt, donné à l'Église un de ses quatre grands Docteurs, Saint Ambroise.
A peine adolescent, il fut pris en amitié par l'Archevêque de la ville, Modoald, qui veilla à son éducation et le mit en quelque sorte sur le chemin de la sainteté. Ainsi, pressentant en lui une vocation monastique, il dut tempérer son ardeur juvénile. « Vos aspirations, mon fils, sont nobles et grandes, lui disait-il, mais prenez-y garde, le terrain sur lequel vous prétendez vous engager est bien glissant pour le pied encore inexpérimenté d'un jeune homme ». Cette phrase, la seule que nous citerons, est tirée d'une biographie qui, comparable à celles de Jonas, constitue un document fort apprécié des historiens de l'époque mérovingienne.
La vie de Saint Germain se trouve, en effet, consignée en entier dans un ouvrage de son contemporain, Bobolène, natif de Luxeuil où il fut moine et qui, devenu après Saint Colomban, 4e abbé de Bobbio, fit lui aussi de son monastère un centre intellectuel dont le rayonnement s'étendit jusqu'aux premiers humanistes de la Renaissance italienne.
Le jeune Germain mit à profit le délai qu'on lui imposait, pour s'initier à la culture profane si en honneur à Trèves, se préparant ainsi aux grandes choses dont il allait être l'instrument entre les mains de la Providence.
Lorsque l'heure lui sembla venue, l'Archevêque, avec l'accord des parents, autorisa son disciple à faire le geste décisif. Après avoir disposé de tout son patrimoine en faveur des pauvres, Saint Germain partit rejoindre dans la solitude des Vosges Saint Arnould, ancien évêque de Metz. Disons sans plus de détails — car nous l'avons vu en son temps — que Saint Arnould s'était retiré au sommet du Fossard, à proximité du Saint-Mont, où son diocésain Saint Romaric venait de fonder le célèbre monastère. Cette rencontre de l'Évêque messin et du jeune Trévire laisse deviner les relations de bon voisinage et d'amitié qui unissaient alors Metz avec Trèves, la métropole religieuse.
Sous la conduite de l'Évêque ermite, Saint Germain fit l'apprentissage de la rude vie de solitaire au cœur de la forêt vosgienne. En suite de quoi, il fut admis au monastère du Saint-Mont, où ne tarda pas à le rejoindre son propre frère, Numérien, futur archevêque de Trèves.
Filiale de Luxeuil, le Saint-Mont demeurait en contact étroit avec l'Abbaye-mère, échangeant, dans les deux sens, novices imberbes et moines chevronnés. Au bout de quelques années, Saint Germain fut dirigé sur Luxeuil. Sans doute Saint Romaric estimait-il qu'en raison de ses aptitudes, ce disciple ferait, pour la gloire de Dieu, meilleurs service là-bas que dans le monastère vosgien encore à ses débuts. Désintéressement qui est un vrai trait de sainteté et que l'avenir devait récompenser.
La grande Abbaye avait alors à sa tête Saint Walbert, successeur de Saint Eustaise, qui devait prolonger de façon remarquable l'impulsion donnée au monastère et à son école. Arrivant comme simple clerc tonsuré, Saint Germain fut bientôt promu au sacerdoce et vécut ainsi 13 années à Luxeuil, dans la pratique exemplaire des vertus monastiques. Le biographe se plaît à signaler la soumission et l'endurance avec lesquelles ce fils de sénateur, élevé dans le luxe, se prêtait aux travaux manuels, soit dans les champs, soit en forêt où il abattait des arbres.
Lorsque Saint Walbert, poursuivant les missions entreprises en direction de l'Est, songeait à créer une nouvelle filiale de Luxeuil, regorgeant de monde, il reçut un jour des propositions de Gondoin, duc de Haute-Alsace, dont les possessions englobaient même, dans le Jura suisse, le territoire de l'évêché de Bâle, fondé depuis 344. On lui offrait, à mi-chemin de Soleure et de Délémont, une riante vallée, fertile et poissonneuse, aboutissant à l'entrée des célèbres gorges de Moutier. Une visite des lieux le convainquit aussitôt de l'aubaine providentielle que constituait ce domaine, dénommé par lui la Grande Vallée, d'où les vocables, épars dans les textes, de Grandval ou Grandvilliers, de Granfeld, en bas-allemand.
A la tête de cette fondation, il s'agissait de placer un pionnier de taille. Parmi les quelque 800 moines de Luxeuil, le choix de l'Abbé se porta sans hésiter sur Saint Germain, qui accepta en toute simplicité. On devine la somme de soucis et de travaux que représentait une telle fondation. Le nouvel Abbé s'en tira à merveille, aménageant le domaine, érigeant les bâtiments monastiques autour de l'église qu'il dédia à Saint Maurice, sans doute en souvenir de Saint Amé, le co-fondateur du Saint-Mont, qui avait amené dans nos régions le culte du célèbre Martyr de la Légion Thébéenne.
Le succès de l'entreprise fut tel que Saint Walbert confia à l'Abbé de Grandval la conduite de deux Abbayes voisines, également fille de Luxeuil : Schnoenenwerth, dans la vallée de l'Aar, et Saint-Ursanne, à la pointe de l'étonnante boucle que fait le Doubs buttant contre le Mont-Terrible.
Pendant 17 ans, Saint Germain s'acquitta d'une tâche énorme, déployant toutes les ressources d'une riche nature humaine et d'une authentique sainteté. A l'abondance de ces dons, le Seigneur allait ajouter la palme du martyre.
Le bienfaiteur de Grandval, Gondoin, étant venu à mourir, la succession, dans ce chaos mérovingien, échut à un hobereau nommé Cathicus, qui, en don de joyeux avènement, se mit à rançonner la région jurassienne à l'aide de bandes recrutées outre-Rhin. Saint Germain prit sans hésiter la défense des populations qui vivaient paisiblement dans le voisinage des trois Abbayes. Dés lors, le pillage se doubla naturellement d'une persécution religieuse.
Imitant le geste héroïque de Saint Loup, se portant naguère au devant d'Attila, l'Abbé marcha à la rencontre de Cathicus, accompagné de son confident, Saint Randoald, prévôt de Grandval, quand, se heurtant à l'improviste à une poignée de soldats surexcités, il tomba percé de coups de lances, avec son compagnon, à la sortie des gorges de la Birse, tout près de Délémont. C'était un 21 février, date mentionnée au Martyrologe colombaniste ; mais, comme il arrive souvent à cette époque, l'année est impossible à préciser. Les études faites récemment par Mlle Dubois, dans son ouvrage sur Saint Colomban, situent le martyre de Saint Germain entre 666 et 675.
Ainsi donc, mourait, dans la cinquantaine, aux portes du monde germanique, ce pionnier de la civilisation chrétienne et française ; car il est intéressant de noter que la limite linguistique du français et de l'allemand, dans cette portion du Jura, circonscrit exactement le territoire des trois Abbayes, placées sous la crosse de Saint Germain. Aujourd'hui encore la carte de la région est tout émaillée de vieux noms français : Moutier, Bassecour, Rossemaison, Les Ecorcheresses …
Les dépouilles des deux Martyrs, celle de Saint Germain en particulier, furent pieusement inhumées à Saint-Ursanne, secteur plus calme que celui de Grandval, où les bandes de Cathicus s'étaient ruées de préférence. Après la tourmente, on ramena le corps de Saint Germain à son abbaye pour l'exposer dans une châsse à la vénération des fidèles. Car de nombreux miracles, rapportés par Bobolène, avaient, bien vite, provoqué l'afflux des pèlerins. Devant l'invasion des Calvinistes de Genève, la châsse fut transférée, en 1530, à Délémont, en l'église collégiale, où s'étaient regroupés les Chanoines, successeurs des moines de Grandval, totalement détruit. L'église, aujourd'hui paroissiale, de Délémont, au diocèse de Bâle, conserve, outre le corps du Saint, son calice et sa crosse, précieux témoins de l'art sacré à l'époque mérovingienne.
L'humble moine qui n'avait fait que passer au Saint-Mont, intéressa pourtant la piété des Dames de Remiremont. Soucieuses de recueillir toutes les gloires de leur antique Maison et de se concilier les suffrages de leur seul Martyr, elles l'inscrivent au Propre du Chapitre et célébrèrent son office jusqu'à la Révolution.
Dans notre Diocèse, une seule église a Saint Germain pour titulaire : Sionne, au doyenné de Domremy ; particularité curieuse, puisqu'il s'agit d'une paroisse aux antipodes du Saint-Mont. On comprend mieux que le souvenir du Saint s'attache à quelques lieux-dits de la Montagne, à Germainfaing, à Germaingoutte, à Germainxard notamment, qui est une cense de Cleurie, dépendant jadis du Chapitre de Remiremont.
Quant au diocèse de Besançon, il l'honore comme l'un des plus grands moines de Luxeuil et lui a dédié douze églises paroissiales, la plupart situées, comme par attraction de Grandval, dans la portion Est. Deux villages, en outre, portent le nom de Saint-Germain, près de Lure et de Belfort. Plus heureux que son émule Saint Eustaise, titulaire d'une seule église, Saint Germain doit sans doute cette faveur au prestige de son martyre, ce qui fournit précisément le thème du médaillon, dans le vitrail dominant le maître-autel de l'église abbatiale de Luxeuil.