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Saint Gérard, évêque de Toul

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Seigneur, tu as choisi l'évêque saint Gérard
pour te bâtir des églises,
mais surtout pour rénover la fidélité de ton peuple ;
Accorde-nous, par son intercession,
d'être ici-bas le temple de ta grâce
et d'entrer un jour dans la demeure de ta gloire.

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Nous avons vu comment le Français, Saint Gauzelin, avait contribué à infléchir vers l'Empire l'orientation politique de la Lorraine. On en trouve aussitôt une illustration significative dans le fait que son successeur même, Saint Gérard, nous viendra des bords du Rhin. Celui-ci va même ouvrir la longue série des évêques de Toul d'origine rhénane. Il faudra, en effet, attendre près de trois siècles, après Saint Gauzelin, pour retrouver, avec Renaud de Bouthelier-Senlis en 1210, un évêque français sur le siège de Toul.

Juridiquement, la succession de Saint Gauzelin allait donc se faire de la même manière que son accession : par désignation du souverain, à cela près que, Charles le Simple ayant disparu, l'initiative était passée à l'Empereur Othon Ier. Comme il se trouvait alors en Italie, le Chapitre de Toul envoya, à l'automne 962, une délégation auprès de l'archevêque de Cologne.

Brunon reçut ces Lorrains avec une déférence paternelle et se souvenant qu'il était à la fois évêque, responsable du spirituel et lieutenant de l'Empereur, voulut choisir un homme capable tout ensemble de diriger l'Église de Toul dans les voies de Dieu et de maintenir dans la fidélité à l'Empire ce vaste diocèse sur des confins où s'éveillait la France capétienne. Remarquons, en passant, que le règne de son fondateur, Hugues Capet (987-996) devait, en effet, coïncider avec la fin de l'épiscopat de Saint Gérard (963-994).

Brunon prit donc la chose très au sérieux et consulta le conseil presbytéral de Cologne qui fut unanime à lui recommander un prêtre, jeune encore, nommé Gérard, qui dans l'humilité d'une vie active et studieuse se préparait sans le savoir à la double et délicate mission qui l'attendait.
Gérard était né à Cologne vers 930 d'une vieille famille chrétienne ; Ingramne et Emma, ses parents, jouissaient d'une grande considération dans la cité. La mère veilla avec sollicitude à son éducation religieuse ; le père de son côté, soucieux de lui assurer une instruction solide, le mit à l'école que tenait le Chapitre auprès de la cathédrale. Le jeune Gérard, élève exemplaire, se sentit bientôt appelé au sacerdoce et s'adonna aux sciences sacrées. Devenu prêtre, il poursuit ses études, tout en s'initiant à la prédication dans les paroisses de la ville et en remplissant les fonctions de cellérier du Chapitre. Dans ces activités si variées, il fit preuve de talents remarquables et d'une grande puissance de travail ; il était par ailleurs d'une exquise urbanité, généreux et très humble.

Le choix de l'archevêque le surprit donc, mais sans le décontenancer, car il accepta en toute simplicité d'aller là où le Seigneur l'appelait. Il fut sacré à Trèves, comme déjà Saint Gauzelin, le 29 mars 963 et, quelque temps après, faisait son entrée solennelle dans sa ville de Toul. Les fidèles ne tardèrent pas à vérifier tout ce que disaient du jeune évêque les chanoines depuis leur retour de Cologne.
Quant aux autorités civiles, elles se flattaient de trouver dans ce patricien rhénan un zélé promoteur de l'influence germanique. Or le premier trait de sainteté du nouveau pasteur fut précisément de décevoir les politiques et de combler les vœux de la chrétienté touloise, dût-il pour cela rompre avec des attaches trop humaines. Responsable avant tout d'un diocèse, il entend bien n'être que l'homme de Dieu, entièrement donné à ses ouailles. Et pour en témoigner, il se montra à Toul tel qu'il avait été à Cologne, n'ajoutant rien à son train de vie, ne retranchant rien de ses austérités, ni de ses veilles.

Au moment d'aborder ce fécond épiscopat de plus de trente ans, précisons qu'il nous est connu, dans le détail et avec certitude, grâce à Widric, l'érudit abbé de Saint-Epvre, que nous avons déjà rencontré. S'il n'a certes pas connu son personnage, il en était encore assez proche, au début du XIᵉ siècle, pour en être le chroniqueur averti et documenté. Il le fit d'ailleurs à la demande même de Brunon de Dagsbourg, le futur Pape Saint Léon IX encore évêque de Toul. Nous suivrons donc Widric, négligeant toutefois les nombreux miracles, trop complaisamment rapportés dans un but d'édification et repris au siècle dernier, par l'abbé L'Hôte dans sa « Vie des Saints du diocèse ». Ce faisant, nous ne pensons ternir aucunement la mémoire de ce grand Evêque qui manifesta sa sainteté bien autrement que par les miracles qu'il a pu accomplir en réalité et que requièrerait aujourd'hui une canonisation en cour de Rome. Passionné de Dieu, Saint Gérard L'aima pour Lui-même et concrètement dans ses frères les hommes ; sur un autre plan, il aima Dieu dans son église et dans ses Saints. C'est sous ces quatre aspects que nous étudierons sa vie et découvrirons sa sainteté. _ 1. Saint Gérard eut à son suprême degré le sens de l'amour de Dieu. De sa formation première, il devait garder toute sa vie une foi ardente et une profonde piété. La prière fut son occupation favorite, en son oratoire où il passait de longues heures. Il multiplia les offices, les cérémonies qu'il présidait dans les églises de sa ville ou du diocèse, heureux de joindre sa prière à celle des fidèles, affectionnant davantage encore, dans les abbayes, l'office monastique auquel il était assidu jadis à Cologne. De cette piété qui impressionnait, nous retrouverons maints témoignages dans le culte fervent qu'il voua aux Saints de Toul, tout au long de son épiscopat. _ Il avait, de par sa foi, une confiance d'enfant dans la miséricorde et la toute-puissance de Dieu, estimant que c'était encore Lui rendre gloire que de Lui forcer la main, par la prière et la pénitence, dans les situations les plus désespérées. Et la Providence elle-même allait lui en fournir souvent l'occasion.

_ 2. Les misères et les calamités qui, dans l'histoire, assombrissent tragiquement les approches de l'an mil, mirent en admirable relief l'amour que Saint Gérard, avec tendresse, ne cessa de porter à son peuple.
Chaque jour, il recevait des indigents à sa table, après leur avoir lavé les pieds ; il les servait lui-même avec un sourire qui les mettait à l'aise.

Survienne une famine, les greniers de l'évêché, alimentés par la dîme, étaient aussitôt mis à la disposition des habitants et entièrement vidés. Pour empêcher les abus du « marché noir » (les mêmes causes produisant toujours les mêmes effets), il réglementa la vente des grains et des vins, car déjà en ce temps-là le petit « gris de Toul » était apprécié et l'objet de trafic. Il fixa pour ces marchandises des mesures qui furent en usage jusqu'à l'avènement du système métrique et qu'on appelait « mesures de Saint Gérard ».

Toujours dans le même esprit de bienfaisance et de sens social, il réglementa l'administration de la justice et de la police dans la cité. Bien que doté, au titre de Comte de Toul décerné à son prédécesseur immédiat, de pouvoirs considérables au temporel, il s'en remit à son propre frère Ancelin et personnellement n'en usa jamais qu'en faveur des petites gens, majorité privilégiée de son troupeau.

Au cœur de la ville de Toul, il fonda, non loin de la cathédrale, un hospice en faveur des malades et des voyageurs. Il lui donna le nom de « Maison-Dieu » , en confia la gestion à cinq chapelains, qui avaient à leur disposition le dixième des revenus de l'évêché. Toujours en service, depuis mille ans, l'Hôtel-Dieu de Toul fait honneur à Saint Gérard.
Il avait en outre créé un centre d'accueil au profit des étrangers que la misère chassait de leur pays, venant parfois de très loin : d'Écosse, d'Irlande, voire de Grèce, au témoignage de Widric. L'évêque les visitait tous les jours ; soucieux de l'âme de ces diocésains de passage, il les invitait à prier et à chanter sur le mode de leur pays ; si l'un d'eux venait à mourir, il ne manquait jamais d'assister à ses funérailles.

L'amour des pauvres fut l'une des caractéristiques de sa vie et sa préoccupation constante. On en trouve un exemple curieux à propos de Bouxières. Afin d'affermir la fondation de son prédécesseur Saint Gauzelin, il fit don à cette abbaye de plusieurs domaines : Dommarie, près de Vézelise, Pompey, puis Saint-Dizier, aux portes de Nancy, village qui fut démoli au XVIIe siècle pour agrandir la ville vers l'Est, mais dont la grande artère qu'est la rue Saint-Dizier garde encore le souvenir. Cette triple donation comportant des revenus, Saint Gérard eut soin d'en faire « la part à Dieu », avec cette clause, imposée aux religieuses, d'un banquet annuel qui serait servi à douze pauvres « pour la prospérité de son peuple et de la sainte Église ».

Lorsque la peste, des sécheresses ou des inondations s'abattaient sur la Lorraine, l'Évêque préconisait des neuvaines de jeûne, des processions qu'il présidait lui-même derrière les châsses de Saint-Mansuy et de Saint Epvre. Solennelles suppliques que le Ciel exauçait parfois de façon vraiment miraculeuse. Et le prélat d'en reporter le mérite aux bons vieux Saints du Toulois, au pouvoir de leurs reliques ; mais le bon peuple dans sa reconnaissance n'hésitait pas à l'attribuer à la sainteté de son Évêque.

3. L'amour de l'Église ! Il apparaît par le détail de sa vie, par toutes les manifestations de sa piété, que Saint Gérard en a reçu le charisme de façon exceptionnelle au jour de son sacre à Trêves.
La liturgie de ce sacre, dont l'essentiel existait déjà bien avant l'an mil, fait du nouvel élu le successeur direct des douze Apôtres, le rattachant ainsi intimement à l'Eglise fondée par le Sauveur. Saint Gérard le comprit et le vécut pleinement sur les deux plans, qui se confondent : l'Église catholique romaine et son Église de Toul. Zélé défenseur de l'Église romaine, il s'attacha à poursuivre l'action de son prédécesseur pour la rénovation spirituelle des monastères, à prévenir vigoureusement le retour aux pratiques dissolvantes qui les avaient tant affaiblis. _ Il se montra le gardien vigilant du dépôt de la foi, en face des sursauts de paganisme dans les campagnes, des courants de pensée ou de doctrine lancés par des novateurs qui trouvaient leur bouillon de culture dans ces temps de désordres et de guerres endémiques. Au plus fort de l'action qu'il menait ainsi, il put en 984 réaliser le rêve de sa vie et faire le pèlerinage de Rome. Il se choisit parmi les prêtres et les moines de son diocèse douze compagnons en l'honneur des douze Apôtres. Widric nous conte la cérémonie solennelle de départ en procession jusqu'au delà des remparts de Toul. On suit la pieuse caravane au long de sa route à travers les Alpes. A l'escale de Pavie, Saint Gérard aura la joie de rencontrer Saint Mayeul, abbé de Cluny, et Saint Adelbert, évêque de Prague. Belle occasion de se réconforter et de traiter ensemble de la réforme monastique et des problèmes d'évangélisation qui se posaient, les mêmes qu'en Lorraine, aux confins opposés de l'Empire. _ Parvenu en la Ville Éternelle, Saint Gérard fait aussitôt sa visite « ad limina ». Le narrateur, très attentif au pittoresque du voyage, mais peu soucieux de chronologie comme on l'était de son temps où l'on ne disposait pas d'agenda, ni d'éphémérides, ne précise pas le mois de ce séjour à Rome, ni le nom du pape qui a pu le recevoir. Nous ne pouvons même pas le conjecturer, la mort de Benoit VII et l'avènement de Jean XIV se situant dans le cours de cette année 984.

Par contre, nous sommes bien renseignés sur la visite à la Confession de Saint Pierre. Episode qui dénote le genre littéraire de Widric et dépeint sur le vif notre saint évêque. Celui-ci, désirant célébrer la messe en ce lieu, on lui fait remarquer que c'est là un privilège réservé au pape. Il ne se tient pas pour battu et fait vœu de donner 300 livres à la Basilique de Saint-Pierre s'il obtient cette faveur. Mais aussitôt, humble autant qu'impulsif, et sans doute canoniste par surcroît, il reconnaît publiquement qu'il y a dans sa dévotion quelque vaine complaisance entachée de simonie, il s'en repent et retire sa supplique. Trop heureux de pouvoir célébrer à l'autel de Sainte-Pétronille, Vierge romaine convertie par Saint Pierre et inhumée à côté de lui. Saint Gérard s'apprête à monter à l'autel, lorsque fait irruption une troupe de soldats étrangers, pas des gardes pontificaux ! qui ne respectaient pas la sainteté du lieu ; il s'empare de sa crosse et les chasse de la crypte, avec la fougue de Notre-Seigneur au Temple.

Avant de regagner la Lorraine, il ira avec sa suite prier longuement sur la tombe de l'empereur Othon II, décédé à Rome l'an passé. Geste de loyauté à l'égard de son suzerain, parfaitement conciliable avec la piété que nous lui connaissions déjà.
Sa chère Église de Toul, Saint Gérard vécut avec la conviction profonde qu'il l'avait, au jour de son sacre, épousée de façon à la fois mystique et réelle, l'anneau qu'il portait étant pour lui symbole d'amour et de fidélité.
Si, sur le plan temporel, il acceptait aisément, lui enfant de Cologne, que son évêché-comté de Toul fût imbriqué dans le Saint Empire romain germanique, il entendait, d'autant plus, qu'au spirituel son Église touloise fût partie intégrante et vivante de la Sainte Église catholique et romaine.

Sa première démarche d'évêque, en arrivant de Trèves, fut de se rendre au tombeau de Saint Mansuy, en la chapelle Saint Pierre, où il reposait, hors des remparts est de la ville. Dans cet élan de piété qui le porta toujours, nous le verrons par la suite, à vénérer les Saints avec tant de confiance, il se consacra avec tout son diocèse à cet auguste prédécesseur qui avait jadis fondé l'œuvre dont il était désormais responsable.
Afin de ranimer la dévotion des fidèles envers l'Apôtre du pays, Saint Gérard commence par demander à Adson, écrivain bien connu, d'en retracer la vie, ouvrage d'édification que les curés liraient à leurs ouailles au jour de sa fête. Dans cette optique, Adson composa une biographie dont le contenu historique est très pauvre, il le reconnaît lui-même, mais où la légende reflète amplement l'imagination et la piété populaires. Et ce, sur un point très particulier qui mérite d'être relevé ici.

Comme ses collègues, auteurs de la Vie de Saint Clément de Metz ou de Saint Lazare d'Autun, Adson y recueille cette ferme croyance que Saint Mansuy était venu directement de Rome, au premier siècle, envoyé par Saint Pierre personnellement pour évangéliser le pays des Leuques. Pure légende, c'est largement prouvé aujourd'hui, mais si belle qu'elle plut infiniment à Saint Gérard, confirmant en lui le sentiment qu'il avait à juste titre, nous le disions à l'instant, de la filiation de l'Eglise de Toul par rapport à celle de Rome. Et la dédicace même par Saint Mansuy de cette première chapelle à Saint Pierre, n'était-elle pas à ses yeux une preuve de plus de l'apostolicité de son Église qu'il aimait tant déjà ?
Tandis qu'Adson s'acquittait de sa tâche, Saint Gérard résolut de mettre davantage en honneur les reliques de Saint Mansuy. Il fonda, hors les murs, une abbaye nouvelle dédiée à son nom et releva du sarcophage de la crypte les restes précieux qu'il plaça dans une châsse. Celle-ci fut confiée à la garde d'une communauté de bénédictins, détachée de l'abbaye Saint-Epvre, sous la direction d'Adalbert rentrant de Moyenmoutier, où il avait fait du si bon travail, au temps de Saint Gauzelin. Le diplôme d'Othon II ratifiant la chose le 2 juin 965 conférait à l'œuvre un certain prestige. Il atteste aussi que Saint Gérard est allé vite en besogne : c'est la seconde année de son épiscopat.

A l'intérieur de la ville, il voulut avoir une belle cathédrale, qui incarnât l'Église spirituelle de Toul. Depuis la fondation de celle-ci, à la fin du IVe siècle, plusieurs cathédrales successives avaient été bâties dont on trouve mention dans les textes, mais pas la moindre trace archéologique. Partant des fondations de la dernière en date, érigée par l'évêque Ludelme (895-906), bien délabrée par l'invasion hongroise de 954, Saint Gérard entreprit un vaste édifice sur un plan qui se laisse deviner dans la cathédrale, reprise au XIIIe siècle et toujours en place. Ayant vu très grand, il ne put en élever que le chœur et le transept, richement ornés néanmoins de peintures et de sculptures, de mobilier précieux. Il eut la joie d'en faire la consécration en 981, ayant obtenu des reliques de Saint Etienne de Thierry de Hamelant, évêque de Metz, dont la cathédrale est également consacrée au premier Martyr. On s'attendrait presque que pour Toul c'eût été Saint Mansuy : mais notre évêque était bien trop respectueux de la tradition. On sait que Saint Etienne est en France le titulaire des plus vieilles cathédrales, le premier après Notre Dame.

Non content d'avoir ainsi doté sa ville épiscopale de deux protecteurs insignes, le pieux évêque eût l'idée originale d'installer en sentinelle le Prince même de la milice céleste. Il y avait au nord de Toul une fière colline dominant la cité. En 971, il la dédia à Saint Michel, bâtissant à son sommet une église et un prieuré qui devinrent un centre de pèlerinage. A noter qu'en 962 la même dédicace venait de se faire au Puy, à la pointe du célèbre Saint-Michel-d'Aiguilhe. C'est donc depuis Saint Gérard que les Lorrains ont eu leur Mont-Saint-Michel, la colline de Bar ayant changé de nom, on le vérifie sur toutes les cartes, notamment sur celles d'état-major, où un fort, pièce maîtresse du camp retranché, a remplacé l'antique chapelle.

Ainsi pour ce qui touche au culte des Saints, il venait de prendre décidément un bon départ, dans sa ville même.

4. Saint Gérard, avons-nous dit en préambule, aima Dieu, très spécialement et avec une ferveur soutenue, dans ses Saints, sans savoir d'ailleurs qu'il allait lui-même en allonger la liste. Ce fut vraiment la caractéristique de sa piété, comme l'idée-force de tout son épiscopat.
Il nous plaît d'aborder ce dernier aspect de sa sainteté ; parce que notre évêque-pèlerin s'est rendu de la sorte populaire entre tous en Lorraine.

Parce qu'il annonce déjà le Moyen Age, lequel a vécu sa foi et aimé son Dieu à travers les Saints du paradis, sollicitant par leur intermédiaire, avec une confiance jamais lassée, l'infinie bonté du Tout-Puissant ; par contraste enfin — car cela donne du relief à l'Histoire ! — avec la désaffection à l'égard des Saints de notre spiritualité contemporaine.

A son arrivée, le jeune évêque avait appris avec un vif intérêt qu'au-delà de Toul et sur la même voie romaine qui l'avait de Cologne amené à Trèves, puis à Toul, on vénérait un certain Saint Elophe. Celui-ci avait jadis payé de son sang les prémices d'évangélisation au pays des Leuques. Aussi voyons-nous Saint Gérard prendre dès 965 son bâton de pèlerin et venir prier sur la tombe du premier martyr de tout son diocèse, contemporain d'ailleurs de Saint-Euchaire de Pompey.

Ayant conté dans le détail précédemment cette visite mémorable qui marque le départ du culte de Saint Elophe avec une « succursale » inattendue à Cologne, nous n'y reviendrons pas. Il est bon toutefois de replacer dans le contexte de la vie de Saint Gérard le pieux larcin qui avait marqué le pèlerinage. Il est clair qu'en l'occurrence son culte des Saints était entaché de chauvinisme candide, ce qu'exploiterait joliment de nos jours « l'avocat du diable » dans un procès de canonisation. Mais peut-être Saint Gérard entrevoyait-il — et l'avenir lui a donné raison — un surcroît de gloire pour notre martyr, dans je ne sais quelle perspective de la communion des Saints, de « l'internationalisation » de leur culte. Il y eut aussi, en cette affaire, l'excuse d'une sauvegarde en faveur de deux monastères vosgiens.

Et ceci nous amène à un exploit du même genre concernant précisément ces derniers et qui semblerait à première vue ternir la mémoire de Saint Gérard. Au retour d'une visite faite sur la tombe de Saint Dié et de Saint Hydulphe, il emporta à Toul les deux crosses que l'on conservait aux Jointures et à Moyenmoutier en souvenir des fondateurs. Par ce geste, il entendait d'abord faire acte de possession des deux abbayes, restituées au comté de Toul par Frédéric, duc de Haute Lorraine, à l'occasion même du transfert des reliques de Saint Elpohe à Cologne. C'était aussi dans sa pensée, un geste de piété, car les dites crosses étaient fort simples ; il les rehaussa d'orfèvreries, y inclut des reliques et les fit garder au trésor de sa cathédrale. Depuis lors elles ont disparu, comme toutes les œuvres d'art accumulées au cours des siècles aussi bien à Toul qu'à Saint-Diè et à Moyenmoutier. D'ailleurs, on ne voit pas, dans les textes, que le Chapitre de Saint Dié, lorsqu'il se fut émancipé de la tutelle de son évêque, ait jamais réclamé cette crosse qui, au trésor de Toul, eût paru maintenir une juridiction évanouie.

A deux reprises déjà, nous avons suivi Saint Gérard pérégrinant dans cette portion de son diocèse qui forme aujourd'hui le nôtre. Il va y revenir encore, mais sans que cette visite donne lieu à la moindre critique. Il nous y apparaît au contraire sous un jour sympathique : penché sur le berceau d'Epinal nouveau-né.

On nous excusera de développer ici ce que nous ne ferons qu'esquisser à propos de Saint Goëry.
Dans le dernier tiers du Xe siècle, Thierry de Hamelant avait fondé un monastère de bénédictines sur un domaine du temporel de l'évêque de Metz, au point où la Moselle sort de la montagne vosgienne. Ayant aussitôt édifié une église et voulant donner un gage de prédilection à la cité qui venait ainsi de naître, Thierry décide de transférer à Epinal le corps de Saint Goëry, son lointain prédécesseur, mort évêque de Metz en 643. En veine de gentillesse, il invita Saint Gérard à présider cette translation et à consacrer la nouvelle église.

De la cérémonie nous n'avons d'autre détail que la date du 5 février, conservée de façon précise jusqu'à nos jours pour célébrer la dédicace de notre église spinalienne. Quant à l'année, elle n'a pas été retenue, lapsus maintes fois remarqué. Par suppositions toutefois, les historiens estiment que ce fut dans les dernières années de Thierry mort en 984.
L'événement, par contre, est attesté clairement dans un privilège accordé par la suite au Chapitre des Dames d'Epinal, par l'évêque de Toul, Riquin de Commercy, le 30 mai 1119 : « Nous ne voulons pas que ceux qui viendront après nous ignorent que l'église que Saint Gérard avait dédiée fut détruite, parce que trop petite, qu'elle fut réédifiée et dédiée par le bienheureux Léon, alors qu'il était déjà revêtu de la dignité apostolique ... » (Il s'agit du pape Saint Léon IX.)

Revenant à Saint Gérard, on devine qu'il s'était rendu avec joie à une telle invitation. A Epinal il était déjà un peu chez lui, ce domaine du temporel de Metz formant une enclave dans son diocèse. De plus, il lui plaisait de recevoir et d'honorer ainsi les restes d'un saint évêque voisin et de remercier du même coup Thierry, qui lui avait naguère accordé si libéralement des reliques de Saint Etienne pour la dédicace de sa propre cathédrale.
Peu de temps après, une terrible épidémie le « mal des Ardents », venant à ravager la Lorraine, Saint Goëry fut mis à contribution et les malades accoururent de partout, de Bourgogne et d'Alsace, auprès de sa châsse pour obtenir leur guérison. Les miracles nombreux, aussitôt obtenus, déterminèrent l'essor d'Epinal sur le double plan spirituel et économique. Le document de Riquin y fait allusion : tandis qu'on bâtissait une église plus vaste, un hôpital était construit par les Dames, sur le parvis, spécialement destiné aux malades, un peu comme notre Hospitalité de Lourdes.

En sorte que Saint Gérard se trouve avoir consacré la première église d'Epinal et présidé à la naissance d'un des plus anciens pèlerinages curatifs en Lorraine.
En vertu d'une tradition immémoriale et tenace, Saint Gérard passe pour être le fondateur du pèlerinage de Sion. Nous n'avons là-dessus, même dans Widric, aucun texte précis ; ajoutons qu'au départ l'affaire apparaît bien complexe, fondée sur un double paradoxe territorial, comme on en rencontre souvent dans l'organisation des diocèses au haut Moyen Age.

Ainsi la colline de Sion, pièce maîtresse du Xaintois, le vieux « pagus Suentensis », appartenait encore à l'évêché de Langres, constituant une enclave dans le diocèse de Toul. Réciproquement ce dernier possédait l'abbaye de Saint-Gengoult, de Varennes-sur-Amance, enclave lorraine dans le diocèse de Langres.

Saint Gauzelin, au prix de longues tractations, avaient décidé de réduire cette anomalie en échangeant avec Achard, évêque de Langres, Varennes pour Sion. Parti intelligent qui replaçait les choses dans l'ordre et qu'allait exploiter Saint Gérard. Très attaché, nous l'avons vu, au culte des Saints, le pieux évêque professait une dévotion plus tendre encore envers la Vierge Marie. On lui prête donc d'avoir repris le projet de son prédécesseur, détourné vers Bouxières.
Sur la colline de Sion existait déjà une chapelle antique dédiée à la Vierge, aux lieux mêmes où les Gallo-Romains vénéraient la déesse Rosemarta, avant l'évangélisation de la contrée. Des stèles votives découvertes à Soulosse en témoignent au Musée d'Epinal. Il est regrettable que nous n'ayons aucune preuve que Saint Gérard ait aménagé les lieux et élevé l'église qui, plusieurs fois reconstruite, et transformée encore l'été dernier, allait devenir, avec son « image miraculeuse », le pèlerinage marial le plus populaire de toute la Lorraine.

Nous sommes bien mieux renseignés sur une autre création, typiquement personnelle et qui se présente comme un corollaire de l'œuvre de Sion. En souvenir de l'abbaye Saint-Gengoult de Varennes, rendue à Langres, notre évêque voulut implanter à Toul même le culte de ce Saint déjà répandu en Lorraine. Aujourd'hui encore Saint Gengoult est titulaire de dix églises au diocèse de Nancy et de sept dans le nôtre : Hadol, Harsault, Hurbache, Pierrepont, Ruppes, La Voivre, Xaffévillers.

Possédant une relique insigne de ce Saint, le pieux évêque décida en 986 la fondation d'une collégiale qui en assurerait la garde. Il y installa une communauté de clercs réguliers, laquelle par la suite devait s'ériger en Chapitre, distinct de celui de la cathédrale et dont le prévôt fut au Moyen Age le second personnage du diocèse. Cette fondation lui tenant à cœur, il l'avait en effet richement dotée, lui attribuant les revenus du domaine de Sion. Puisque ce dernier était la rançon de Varennes, c'était encore, dans sa pensée, faire hommage à ce Saint « naturalisé »lorrain ! On s'explique dès lors l'ampleur de l'église actuelle de Saint-Gengoult de Toul (XIIIe siècle) et la richesse architecturale de son cloître (XVIe siècle).

Le zèle qui portait inlassablement Saint Gérard à célébrer la mémoire des Saints devait le mettre en relation avec le diocèse de Verdun, après celui de Metz. Il lui semblait bon de resserrer davantage les liens qui unissaient les trois Églises lorraines, les Trois Évêchés historiques.

Humbert, abbé de Saint-Vanne de Verdun, qui venait d'ouvrir une filiale bénédictine à Flavigny-sur-Moselle, renouvela le geste récent de Thierry à Epinal. Il obtint en effet d'y transporter le corps de Saint Firmin, un des premiers évêques du pays verdunois. La translation donna lieu à une solennelle procession, présidée par Brunon, archevêque de Cologne et qui, de Verdun, devait passer par Toul. Saint Gérard accueillit avec enthousiasme – c'était un enrichissement pour son diocèse !- les restes du vieil évêque, natif justement de Toul. Il présida la veillée en l'abbatiale Saint-Epvre et le lendemain se joignit au cortège qui remonta la Moselle jusqu'à Flavigny.

Une autre fois, il répondit à une invitation pour Ligny-en-Barrois et vint y consacrer à Saint Epvre l'église qui allait devenir un centre de pèlerinage célèbre en l'honneur de Notre-Dame des Vertus. On y vénère toujours l'image miraculeuse, un tableau de l'école de Sienne, qui aurait été donné par le pape Urbain IV, ancien évêque de Verdun.

Au soir de sa vie, Saint Gérard accepta en 992 de consacrer la collégiale de Bar-le-Duc, d'autant plus volontiers qu'elle était dédiée à Saint-Etienne, le patron de sa cathédrale.
Par piété personnelle et par amour pour sa bonne ville de Toul, il institua une cérémonie annuelle qui donnerait à tous ses clercs l'occasion de se grouper autour de l'évêque pour prier et chanter ensemble. A la Saint Etienne d'été, fête de la translation du corps du premier Martyr, le 7 mai étant plus indiqué que le 26 décembre ! Il réunissait tout le chapitre de la cathédrale, celui de Saint-Gengoult, les moines des abbayes Saint-Epvre, Saint-Léon et Saint-Mansuy, pour une procession dans les galeries du cloître. Si ce dernier, évidemment reconstruit, avait déjà, les proportions de celui du XIII siècle — c'est le plus grand de France — ce devait être une cérémonie imposante pour les fidèles massés sur la perlouse centrale. L'évêque y prenait la parole, comme il faisait à chacun des innombrables pèlerinages et offices pontificaux qui ont marqué sa vie pastorale. Au reste admirablement doué pour l'éloquence, il l'exerçait avec autant de distinction que de zèle apostolique. Au témoignage de son biographe, « dans toute la Gaule Belgique, il n'y avait point d'évêque qui l'égalât dans l'art de la prédication ».

Une vie aussi active compromit assez vite la robustesse de son tempérament. Il approchait seulement de la soixantaine, lorsqu'il sentit ses forces diminuer dangereusement ; mais il ne voulut rien retrancher de son ministère ni de ses mortifications.
Entre-temps, il avait pris ses précautions. Le domaine de Tranqueville-Graux avec son église dédiée à Saint-Epvre, faisant partie du temporel de Toul, Saint Gérard en fit don au Chapitre cathédral constitué son héritier, avec charge de célébrer à perpétuité une messe d'anniversaire et de faire avec le surplus aumône aux pauvres de la ville. Fondation toute simple qui attache à sa mémoire un petit village de notre Plaine vosgienne.

Parmi les étrangers qu'il hébergeait au centre d'accueil depuis son avènement, un Écossais qu'il avait pris en affection vint un jour lui révéler la date de sa mort. Il remercia le brave homme, illuminé ou prophète, mais n'en continua pas moins à assister à matines avec les chanoines de la cathédrale. Un soir de printemps, il s'affaissa subitement ; on le ramena à l'évêché pour l'entourer des plus grands soins. Dans ses souffrances, il eut cette parole admirable, rapportée par son biographe et qui dépeint si bien le grand évêque bâtisseur : « Puisque mon corps doit servir de pierre dans l'édifice de la Jérusalem céleste, il faut bien tailler cette pierre et la polir par la souffrance ! »

Ayant reçu les derniers sacrements avec toute sa piété lucide, il donna sa bénédiction à l'entourage et l'étendit à tous les fidèles de son cher diocèse. Le 23 avril 994, Saint Gérard s'endormait dans la paix du Seigneur en la trente et unième année de son épiscopat.
La nouvelle de la mort de Saint Gérard se répandit très vite, non seulement par la ville, mais dans toute la Lorraine. A en croire Widric, plusieurs saints personnages en furent avertis miraculeusement, ce qui après tout, n'était qu'un mode d'information très valable pour l'époque ; les contemporains n'en étaient pas plus surpris que nous ne le sommes d'apprendre les nouvelles par satellites de télévision.

Évêques et princes se joignirent à la foule pour faire au pontife vénéré des funérailles grandioses. Il fut inhumé à la croisée du transept de la cathédrale qu'il avait commencée. Privilège étonnant que la postérité devait, nous le verrons, sanctionner de multiples manières.
On serait tenté d'imaginer que Saint Gérard, avant de mourir, avait fait à Dieu la même prière que Sainte Thérèse de Lisieux, car il obtint de poursuivre de là-haut le ministère de bonté et de miséricorde qui avait marqué sa vie. Sur sa tombe, malades et malheureux affluèrent aussitôt et les miracles fleurirent à tel point que Widric renonce à les rapporter tous.

Culte de Saint Gérard

Un demi-siècle se passa de la sorte et sa sainteté allait être officiellement reconnue par son cinquième successeur , Brunon de Dagsbourg, devenu le pape Saint Léon IX. Ce fut l'occasion d'un triduum demeuré célèbre dans les fastes de l'histoire de Toul.

Auparavant le pape aurait promulgué une bulle de canonisation en bonne et due forme, lors du synode tenu à Rome le 2 mai 1050. Cette assertion figure aujourd'hui au propre des deux diocèses de Nancy et de Saint-Dié (23 avril). Mais elle est inexacte, fondée seulement sur une vieille tradition chère à la piété des Toulois. Une savante étude de l'abbé Choux le prouve scientifiquement (« Semaine Religieuse de Nancy », 1963, p. 91-92 ).
Par contre — et cela suffit bien à la gloire de notre Saint — la démarche de Saint Léon à Toul est historiquement certaine, circonstanciée par une foule de détails intéressants.

C'est au cours du second de ses voyages au-delà des Alpes que le pape repassa à Toul en octobre 1050. Il y arriva accompagné d'une brillante escorte : Halinard, archevêque de Lyon. Hugues de Salins, archevêque de Besançon, dont il venait de consacrer la cathédrale, Georges, archevêque de Colocza (Hongrie), Fromont, évêque de Troyes, et Herbert, d'Auxerre, un évêque anglais dont le nom ni le siège n'ont été retenus, des princes enfin et des « gens fort considérables ».
La foule des fidèles avait envahi la ville, au point que le pape décida de procéder la nuit, toutes portes closes, à l'ouverture du tombeau, en présence du clergé seul. Le samedi soir donc, 20 octobre, l'office pontifical commença à la tombée de la nuit. On se rendit processionnellement dans le transept à la lumière des flambeaux, dans la fumée de l'encens. « On leva la pierre sépulcrale et le corps de Saint Gérard apparut en vêtements pontificaux, les cheveux blancs, les yeux clos, comme endormi dans l'attente de la résurrection. »

Toute la journée du dimanche 21, le corps resta exposé à la vénération des fidèles et c'est le lundi seulement qu'on le plaça dans une châsse sur un autel au croisillon nord du transept appelé, depuis lors, transept de Saint-Gérard. Et pour clôturer dignement ces fêtes, le pape procéda à la consécration en son honneur de cet autel, situé précisément à l'endroit où le pieux évêque s'était effondré mourant.

Dans cette imposante cérémonie de l'élévation des reliques, nous retrouvons, une fois de plus, l'équivalent canonique et traditionnel, en ce temps-là, d'une authentique canonisation. Elle survenait 56 ans après la mort de Saint Gérard.
L'hommage exceptionnel qu'un pape lorrain venait ainsi de décerner à un de ses proches prédécesseurs ne pouvait qu'accroître la ferveur des fidèles et favoriser l'expansion de son culte.
Pour éclairer la piété des pèlerins, qui se pressaient à la cathédrale, on mettait à leur disposition la Vie du Saint et le récit des miracles, consignés au fur et à mesure qu'ils se produisaient.

Dans les trois siècles qui suivirent, aucun document ne nous enseigne sur la disposition, l'aménagement du tombeau en vue de ce culte. Mais nous savons qu'en 1350, Ferry de Void, doyen du Chapitre, fit ériger de ses deniers (300 florins) un magnifique mausolée de cuivre : quatre colonnes ouvragées supportaient l'effigie du saint, représenté en gisant, vêtu des ornements pontificaux avec le surhuméral, insigne particulier alors des évêques de Toul. La description, qui seule nous est restée, de ce mausolée, laisse supposer qu'entre les colonnes les pèlerins pouvaient descendre dans le tombeau sous le gisant, selon une pratique dont nous avons encore un exemple à Saint-Elophe.

C'est auprès de ce tombeau que le Chapitre se réunissait pour réciter l'office de Prime ; et de même s'y faisait la bénédiction des cierges et des palmes, à la Chandeleur et aux Rameaux.
Plus encore qu'à ce mausolée, la piété des fidèles allait d'instinct à l'autel Saint-Gérard où se trouvaient les reliques. Aucun autre Évêque de Toul n'ayant ainsi son autel particulier à la cathédrale, on en célébrait la dédicace chaque année, le 22 octobre figurant désormais au calendrier liturgique en souvenir de la cérémonie de 1050.

Il est à croire, d'après un document de 1298, que l'autel Saint-Gérard était somptueusement orné. Il devait, hélas ! disparaître au XVIIIe siècle pour faire place à un monument dans le goût du jour, et il changea même de titulaire. Construit grâce aux largesses du roi Stanislas, en 1763, il fut en effet dédié au Sacré-Cœur — ce fut le premier en Lorraine — à la demande de Marie Leckzenska, à l'exemple de ce qu'elle venait de faire en la chapelle du château de Versailles. Et c'est à l'occasion de ces travaux « d'embellissement » que les chanoines firent stupidement disparaître le mausolée de cuivre, jugé barbare, puisque gothique.

Le souvenir de Saint Gérard s'est, au cours des siècles, si fortement incrusté dans sa cathédrale que l'on appelle encore tour de Saint-Gérard la tour nord de la façade, à gauche du portail. En réalité, ce nom populaire lui vient de ce que — particularité assez rare — le rituel toulois comportait la dédicace des tours de la cathédrale. L'office se faisait le 22 octobre, soit au lendemain de la translation de Saint Gérard. A l'étage de cette tour existait une chapelle haute, dédiée à Saint Michel, où le Chapitre célébrait la messe de ladite dédicace.

Autre attribution pieuse et gratuite à propos du siège appelé « fauteuil de Saint Gérard », qu'on voit toujours dans le chœur. Il s'agit d'une cathèdre en pierre finement sculptée qui ne date que du XIIIe siècle. Elle servait pour l'intronisation des évêques ; mais lors des offices d'action de grâces, les miraculés de Saint Gérard avaient même le privilège de s'y asseoir ; ce qui suffit à expliquer l'appellation populaire.
Les princes lorrains, à leur tour, ont parfois manifesté leur dévotion au grand saint toulois. Par testament, Ferry II, comte de Vaudémont, enjoignit à son fils de « faire pèlerinage à Monsieur Saint Gérard de Toul ». René II accomplit pieusement ce vœu, inaugurant ainsi son règne qui devait ouvrir une belle page d'histoire lorraine.

En raison de la grande popularité du Saint, sa châsse fut souvent ouverte pour des prélèvements de reliques en faveur d'insignes églises du diocèse, reliques qui ont pu en grande majorité échapper aux ravages de la Révolution. La cathédrale de Toul conserve le chef et se partage avec Saint-Gengoult la plupart des grands ossements. Citons encore à Nancy l'église Saint-Sébastien et la chapelle des Religieuses de la Doctrine Chrétienne, fondée précisément par le chanoine Vatelot, du Chapitre de Toul.

Mais voici un transfert de reliques qui nous intéresse davantage. On sait que Gérardmer s'honore de porter le nom du grand évêque, lequel est patron de son église conjointement avec Saint Barthélemy. Il convient de signaler ici que, parmi les princes qui assistaient à Toul aux fêtes présidées par Saint Léon IX, figurait Gérard d'Alsace, duc de Haute Lorraine, accompagné de son écuyer Bilon. Or ce dernier, impressionné par les cérémonies et touché par la grâce, décida sur-le-champ de se faire ermite. Il vint s'installer au bord du lac de Longemer, y érigeant une chapelle dont on a découvert en 1960 de remarquables vestiges, authentiquement du XIe siécle. Ce point d'histoire apporte la justification, aussi rare que précise, du patronage d'une paroisse.

La destruction de l'église de Gérardmer, le 22 juin 1940, ayant entraîné la perte de la relique de Saint Gérard, qu'elle possédait depuis le XVIIIe siècle, la paroisse adressa une supplique à Mgr Lallier, évêque de Nancy, pour en obtenir une nouvelle. A l'occasion des fêtes du IXe centenaire, célébrées à Toul en mai 1951, Mgr Lallier, procédant à un regroupement des reliques, eut la gentillesse de prélever une rotule qui fut enchâssée dans un charmant reliquaire en bronze doré, de forme moderne à parois translucides. Et pour l'accueillir Gérardmer fit grandement les choses.

Le reliquaire ayant été amené de Toul à Saint-Dié, on organisa une émouvante « route de Saint Gérard ». Après une messe célébrée en l'église Notre-Dame de Saint-Dié, au petit matin du 5 juillet 1952, la relique s'achemina vers Gérardmer, portée sur un brancard orné. S'y relayèrent une centaine de Gérômois, des jeunes en majorité, puisque la route se faisait à pied, avec une navette de voitures assurant la relève. Pour 40 km, six étapes : Traintrux, Vanémont, Corcieux, Gerbépal, Martimpré, Longemer jalonnèrent cette route carillonnée, que nous pûmes suivre en partie, dans la joie de retrouver le cheminement plein de ferveur des pèlerins d'antan. Au crépuscule, le cortège, qui s'était bien étoffé sur la fin, parvint à Gérardmer et s'arrêta à la chapelle du Calvaire, premier centre paroissial, dédié à Saint Gérard en 1540, où se fit la veillée des reliques. Le lendemain, dimanche 6 juillet, sur le parvis de l'église, messe pontificale de Saint Gérard, célébrée par Mgr Brault avec homélie vibrante de Mgr Lallier. La pose de sa première pierre, au chevet sortant à peine de terre, clôtura dignement ces fêtes.

Ainsi Gérardmer, si éloigné de Toul au cœur de nos montagnes, avait bien mérité de Saint Gérard, étant la seule paroisse des Vosges à le revendiquer comme patron. Dans la plaine toutefois, trois chapelles ont été érigées à sa mémoire : à Houéville, à Jubainville et à Repel. Au diocèse actuel de Nancy, il n'est titulaire que de trois paroisses : Flainval et Sommerviller, près de Saint-Nicolas- de-Port, Praye, l'escale ferroviaire des pèlerins de Sion.

La particularité signalée à propos de l'office canonial sur sa tombe à la cathédrale atteste cette sorte de prédilection qui a valu à Saint Gérard une place à part dans la liturgie touloise. Seul parmi les dix-huit évêques de Toul honorés comme saints à avoir son autel spécial, il compte trois fêtes au calendrier : 23 avril, anniversaire de sa mort, « dies natalis », 21 octobre, translation de ses reliques avec office propre au bréviaire et une longue séquence octosyllabe au missel, 22 octobre, dédicace de son autel. Son nom figure également dans les litanies de la bénédiction des fonts, le samedi saint. (Missel de 1516, au Grand Séminaire de Saint-Dié.)

ICONOGRAPHIE

Elle est en somme assez réduite du fait peut-être que tout se trouvait centré sur la ville de Toul. Par ailleurs les ravages du temps et des hommes, fussent-ils chanoines, nous l'avons vu, ont saccagé un patrimoine artistique considérable. La plus belle pièce est une peinture à fresque, découverte en 1892 derrière les boiseries du chœur de la cathédrale. En date du XVe siècle elle représente l'évêque debout en habits pontificaux, dont le surhuméral en relief s'ornait jadis de pierres précieuses à la manière des icônes. A ses pieds, dans une attitude pittoresque, les trois heureux pèlerins miraculeusement guéris le 21 octobre 1050, en présence du pape ; un paralytique, un pauvre à la jambe de bois et le paysan frénétique de Pagney. Cette fresque a été reproduite comme carte philatélique du neuvième centenaire (3 mai 1951). Un autre tableau sur toile s'insère dans le décor du chœur (1625), œuvre de Jessé Drouyn au même titre que le monumental retable de l'église des Dames de Remiremont.

En vitrail, Saint Gérard paraît d'abord en 1503 dans l'immense fenêtre du transept nord, en grandeur naturelle, accompagnant la Vierge avec Saint Etienne et Saint Jean-Baptiste ; puis dans la rose de la même époque au-dessus de l'orgue ; dans les deux cas, il a été seul retenu pour représenter la lignée des saints évêques de Toul. En vitrail plus récent, il figure encore deux fois à Gérardmer : chapelle du Calvaire (XIXe siècle) et transept nord de l'église (1956).

La seule statue de pierre comme se voyait jadis au premier pilier de gauche à la cathédrale ; une dalle de marbre noir, posée sur la tombe en 1854, le représente gravé au trait en mitre et crosse, encadré par une inscription commémorative en latin. A l'église de Xonrupt se voit le médaillon moderne de Dié Mallet : Saint Gérard en buste porte le surhuméral bien rendu. Mais c'est à tort qu'on lui fait tenir la monstrance du Saint Clou, insigne relique de la Passion, qu'il aurait obtenue à Trèves : car Widric n'en parle pas, lui si prodigue de ces détails, de plus le culte n'en apparaît que sous Mgr Henri de Ville-sur-Illon (1409-1436).
Bien que les armoiries ne datent que de la fin du XIIe siècle, Saint Gérard en fut généreusement doté par les soins du Chapitre : « d'argent à la fasce de gueules » ; à voir dans le vitrail de 1503 et sur le campanile de « la boule d'or » qui surmonte l'horloge entre les deux tours.

O Au terme de cette étude, une brève conclusion voudrait justifier l'ampleur que nous lui avons donnée, peut-être à la surprise de nos lecteurs.
Nous disposions d'un fond historique solide et de multiples notes recueillies « en passant par la Lorraine ». Et puis, faut-il l'avouer, Saint Gérard nous a paru une personnalité si attachante !
Ce pontife rhénan a réellement conquis de son vivant le cœur des Lorrains, faisant sienne d'instinct, sans l'avoir peut-être jamais connue, l'appréciation du poète latin : « Optima gens, Leuci ! _ De bien braves gens, ces Toulois ! » (Lucain, « La Pharsale »). Saint Gérard a marqué de façon indéniable l'histoire du diocèse et déjà sa ville même de Toul avec ses monuments (la cathédrale, Saint Gengoult et leurs cloîtres) qu'elle lui doit au départ et dont elle reste fière.
Il a marqué surtout, profondément, la spiritualité touloise, comme le chante l'hymne de Laudes :

« Prisca nostrorum pietas avorum
Fluxit ex illo... »

C'est en lui qu'a trouvé sa source la piété de nos aïeux ! Au point qu'ayant aimé son Dieu dans son Eglise de Toul, Saint Gérard nous semble avoir, plus qu'aucun de nos saints évêques, assumé et vécu la noble devise de la ville : « Pia, prisca, fidelis ! Pieuse, antique et fidèle ! »

Publié le 08/02/2012 par Alice.