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Le désert en littérature et dans l’Islam

Dans le cadre des Conférences de Carême sur le thème du désert, la paroisse de Saint-Dié a accueilli Monsieur Salah Stétié le 25 mars dernier. Ce dernier a présenté un poème irakien dont l’auteur est décédé depuis une cinquantaine d’années. Découverte.

Le Christ après la crucifixion....
(C’est le Christ qui parle)

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Après qu’on m’eut dé-crucifié, j’ai entendu
les vents dans une vaste lamentation saisir
les palmes des pas qui s’éloignaient.
Ni les blessures, ni la croix où je fus cloué au
long du crépuscule ne m’avaient achevé.
J’ai tendu l’oreille : une plainte courait la
plaine entre la ville et moi
comme un cordage qui retient le navire en
train de couler par le fond.
Plainte comme un fil ténu de clarté allant
du matin aux ténèbres dans le triste ciel de
l’hiver.
Puis, sur ses émotions, la ville s’est endormie.

Quant le mûrier et l’oranger fleurissent,
quand Djaykoûr se déploie jusqu’au point de
l’imaginaire,
quand il verdoie, herbe en qui chantent les
odeurs
et chantent aussi les soleils qui l’ont allaité
de lumière,
quand verdissent ses ténèbres mêmes,
une tiédeur me touche au cœur et mon sang
irrigue sa terre.
Mon cœur est le soleil, mon cœur est une pulsation
de lumière,
mon cœur est terre pulsant le blé, les fleurs et
l’eau la plus limpide,
mon cœur est l’eau, mon cœur l’épi, sa mort
est la résurrection :
il vit par celui qui le mande.
Dans la pâte qui s’arrondit, pareille au menu
sein formé, sein de la vie,
je suis le défunt par la flamme : brûlant en
moi l’obscure boue à seule fin que Dieu
demeure.
J’étais Commencement et au commencement
était le pauvre.
Je suis mort pour que soit mangé le pain en
mon nom et, semé, que je le sois aux semaisons !
Que d’existences je vais vivre : en tout lieu de
germination, je suis demain, je suis le grain,
je suis un peuple et dans chacun il y a mon
sang, il y a une goutte de mon sang ou une
parcelle.

Puis, quand je suis revenu, Judas, me voyant,
a blêmi...
Son mystère, n’était-ce pas moi ?
De moi, il était l’ombre noire et de ma pensée
une idole de fixe pensée et d’absence ;
il prit peur que fût trahie la mort au liquide
des yeux...
(Ses yeux de roc ne lui servant qu’à déguiser
sa sépulture)
Il prit peur d’une ferveur, d’un impossible et
dénonça.
« Est-ce bien toi ? Ou bien mon ombre jaillie
et devenue clarté ?
Fais-tu effort hors de la mort quand la mort
est irrévocable ?
C’est là le dit de nos anciens, ainsi nous
l’ont-ils enseigné, nous auraient-ils tendu un
leurre ? »
Cela, c’est cela qu’il songea et qu’il énonça
d’un regard.

Un pied accourt, un pied, un pied, le tombeau,
au rythme des pas, va-t-il crouler ?
Sont-ils venus ? Ou bien qui d’autre ?
Un pas...un pas. Un pas qui court.
Sur ma poitrine j’ai mis des roches, ne m’ont-ils
pas hier crucifié ?
Dans mon tombeau, voilà, je suis.
Qu’ils viennent – en mon tombeau je suis.
Qui don sait que...qui le sait donc ?
Et les compagnons de Judas, qui croira tout
ce qu’ils racontent ?
Un pas...un pas.

Que nu me voici désormais en tombe obscure :
hier replié sur moi-même, j’étais un peut-être,
un bourgeon,
sous l’éclat neigeux des linceuls se gonflait
une fleur de sang,
j’étais entre jour et
nuit une ombre.
Puis j’ai explosé en
trésors dénudant de
tous fruits mon être.
J’ai fait de mes poches
des langes et de ma manche une couverture,
lorsqu’un jour, de mon propre corps, j’ai
réchauffé le froid des os des tout-petits,
et que de ma propre plaie j’ai fait le bandage
d’un autre,
alors entre Dieu et moi le mur s’est anéanti.

Les gardes auront donc surpris jusqu’à mes
plaies, mon cœur vivant,
ils auront surpris tout cela qui, même aux
tombes, n’est pas la mort,
ils m’ont surpris comme s’abat une bande
affamée d’oiseaux dans un village abandonné
sur le palmier couvert de fruits.

Ma route, les yeux des fusils la dévorent,
grands ouverts, la mitraille en eux rêve de
ma crucifixion.
Mais fussent-ils de fer et de feu,
mon peuple, lui, n’a de regard que de céleste
lumière, de souvenir et d’amour.
Ma peine avec lui partagée c’est sur ma croix
une rosée,
que petite ainsi est ma mort, et qu’elle est _ grande !

Après qu’ils m’eurent cloué,
un regard de moi sur la ville faillit ne reconnaître
rien,
ni plaine, ni enceinte, ni tombes :
à perte de vue, rien qu’une forêt en fleurs,
et partout, à perte de vue, la croix et la souffrance
mère.
Dieu soit loué !
La ville mettait au monde.

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Salah Stétié est un poète français d’origine libanaise. Auteur d’une œuvre dense, à la forme sensuelle et épurée, il contribue aussi à faire connaître la culture arabo-musulmane à travers l’essai et la traduction.










Cet article a été publié dans le magazine « Église dans les Vosges ». En vous abonnant , vous soutenez l’information et le dialogue dans le diocèse.
Publié le 07/08/2012 par Alice.