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Qu’as-tu fait de ton frère ?

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Les Vosges sont traditionnellement une terre d’accueil pour les migrants. Le droit à immigrer est fondé sur la fraternité universelle. Les évêques de France ont rappelé ce principe lors de la dernière élection présidentielle. Ils mettent en garde contre une loi dénonçant le “délit de solidarité”. Dans ce numéro, l’historien Olivier Guatelli évoque un siècle d’immigration italienne dans les Vosges. Alain Brunner annonce le débat organisé en octobre par Jonas : “Étranger, mon frère”. Et Hélène Cornement témoigne avec enthousiasme de ses rencontres avec de jeunes étrangers aux JMJ.

Cet article a été publié dans le magazine « Eglise dans les Vosges ». En vous abonnant , vous soutenez et favorisez la circulation de l’information et le dialogue dans le diocèse.



Le témoignage d’un “Jonas”

Le vendredi 21 octobre, à La salle de spectacle du plateau de La Justice à Épinal, Jonas-Vosges propose un débat “étranger mon frère”. Rencontre avec Alain Brunner, un militant de Jeanménil.

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L’immigration, l’Église en a toujours parlé, à la lumière de l’Évangile, avec courage et à rebrousse-poil de la xénophobie ambiante. Pie XII prône “la distribution la plus favorable aux hommes de la surface de la terre cultivée, cette surface que Dieu a créée et préparée pour l’usage de tous.” Jean XXIII exalte “un droit humain fondé sur la fraternité universelle”. Paul VI recommande aux communautés chrétiennes locales “d’être attentives à la situation et aux droits de tous les immigrés, de reconnaître la place des traditions, cultures et langues des communautés étrangères”. Et l’un des premiers actes de Benoît XVI est la mobilisation de l’Église face à l’évolution des migrations : les travailleurs étrangers ne sont ni des marchandises, ni des facteurs de production, ils contribuent à l’économie des pays d’accueil.

Et de dénoncer le trafic humain, l’esclavage, la privation des droits humains à se syndiquer. Et de prôner l’accueil de l’étranger, le regroupement de leurs familles, le droit à l’éducation de leurs enfants. Plus positif encore, la migration, c’est l’opportunité pour les chrétiens d’être un signe de fraternité par le respect des différences et la pratique de la solidarité dans une éthique de la rencontre.

Violence sur les plus faibles

Alain Brunner prend acte de ce message délivré par les papes successifs. Pour lui, ces appels à l’ouverture et à la tolérance relèvent en quelque sorte du minimum syndical, compte tenu de l’exemple vécu et donné par le Christ lui-même. Et de rappeler le geste de la Samaritaine, une étrangère méprisée, mais ô combien plus charitable à l’endroit de Jésus que les hiérarques religieux de l’époque. Pour cet ancien dessinateur industriel, père de famille de trois enfants, sept fois grand-père, ancien aumônier dans l’enseignement public, pour ce chrétien engagé dans Jonas, au Secours catholique, au CCFD, “c’est vrai qu’il y a de belles paroles dans l’Église, il y a urgence de les mettre en pratique ?”

Dans les cercles du silence, qui ne comptent quasiment plus que des chrétiens, il proteste contre l’exclusion, les violences faites aux plus faibles, les familles d’immigrés et les gosses enfermés dans les centres de rétention : “Ce qui compte, c’est ce qu’on fait sur le terrain.” Et de saluer l’élan de solidarité “formidable”, à Cornimont, autour d’une famille de réfugiés : “C’étaient des clandestins, des hors la loi. Toute la population, maire et adjoint en tête, s’est mobilisée, a réussi à obtenir des papiers et un boulot à Metz pour le père.”

Chrétiens sans frontières

A Rambervillers, Jonas et toute une chaîne de familles solidaires soutiennent une famille albanaise – un couple de chercheur et professeur et ses deux enfants de 16 et 10 ans exilés de leur pays pour des raisons politiques. Mal du pays, ignorance de la langue, impossibilité de travailler faute de papiers : la menace d’expulsion plane toujours. Jonas défend aussi bien la cause des Roms pourchassés et fichés que le dialogue, toujours à construire, avec les immigrés musulmans “qui font peur en France et sont considérés comme la cause de tous les maux.” Le mouvement dénonce le durcissement des lois de répression de l’immigration illégale.

Il se trouve à cet égard en accord avec la position de l’Église, tout en appelant à ce qu’elle soit partagée par le plus grand nombre : “Si on est chrétien, où met-on les frontières ?” S’affichant “à gauche ou au moins au centre”, le mouvement revendique sa coloration politique, il réclame “une parole libérée” dans l’Église, appelant toute une série de réformes importantes. “On souhaite que ça bouge.” Alain Brunner redoute une sorte de communautarisme, un repli sur eux-mêmes des chrétiens : “le dimanche, autrefois, tout le village venait à la messe, l’assemblée était plus mélangée. Aujourd’hui, on est en concurrence avec les activités du dimanche matin, on fait partie d’un petit groupe d’amis, qui reste ouvert à la communauté : tous les chrétiens sont invités.” Aujourd’hui, les rangs des “Jonas” vieillissent et s’éclaircissent. D’où l’intérêt de se porter à la découverte de leur message, le 21 octobre à Épinal, à travers la conférence débat de Michel Roussel, responsable national aux racines vosgiennes.



Les Italiens dans les Vosges : déjà victimes de l’intolérance

Professeur à Neufchâteau, Olivier Guatelli a consacré un livre sur l’immigration italienne dans les Vosges. petit-fils d’immigrés italiens, docteur en histoire, il a enquêté sur les générations d’italiens qui ont quitté leur région d’origine pour s’installer dans les Vosges. Interview.

Église dans les vosges (EDV) : Le catholicisme des Italiens a-t-il favorisé leur intégration dans les Vosges ?

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Olivier Guatelli (OG) : Oui dans les années 1920 et 1950-1960 où des familles entières arrivent de régions très catholiques : Trentin, Vénétie, Calabre, Sicile… Des prêtres italiens sont alors chargés de célébrer la messe de Pâques à Saint-Dié ou Épinal. Et non, car beaucoup de maçons lombards sont ouvertement anticléricaux et socialistes, surtout vers 1900.

EDV : À la fin du XIXe et une bonne partie du XXe, les immigrants italiens disposaient d’une mauvaise image auprès des politiques, des journalistes et des ouvriers vosgiens, observez-vous. Pouvait- on parler alors de racisme ?
OG : Racisme est exagéré. J’emploierais plutôt le terme “Xénophobie” ce qui est déjà beaucoup. La France de 1900 baigne dans le nationalisme face à la menace allemande : les étrangers, sont perçus comme des menaces pour la sécurité du pays et “l’identité nationale”. Les Italiens sont accusés d’être un danger moral, des espions potentiels, des concurrents déloyaux sur le marché du travail. Seul le temps effacera cette mauvaise image : après 1918, on a compris où menait le nationalisme. De plus, ce sont des maçons italiens qui viennent reconstruire les villages dévastés et certains affichent une réelle réussite sociale en devenant de petits entrepreneurs. Dans les années 1920 également, les mariages mixtes sont de plus en plus nombreux ainsi que les naturalisations. En 1900, l’immigré est un jeune célibataire dont on se méfie ; 20 ans plus tard, il est un bon père de famille marié à une Française.

EDV: Vous donnez dans votre livre de remarquables exemples d’intégration par le travail des immigrés italiens. Vous soulignez, simultanément, que certains patriarches, n’ont pas voulu enseigner l’italien à leurs enfants. Pourquoi ?
OG : Le but des Italiens dans les années 1920-1930 et 1950 n’est pas d’intégrer leurs enfants mais de les assimiler totalement dans le pays d’accueil. L’époque n’est pas la même qu’aujourd’hui car deux outils “assimilateurs” fonctionnent à merveille : l’école et l’armée. Il s’agit ainsi d’effacer toute différence avec les autochtones : parler parfaitement Français, réussir ses études, avoir une bonne situation... Apprendre l’italien aurait représenté une entorse à ce projet d’assimilation : on revendiquait peu ses différences à l’époque. N’oublions pas également que l’Italie avait été l’alliée de l’Allemagne pendant la guerre, jusqu’en 1943, et qu’elle inspirait beaucoup de méfiance de la part des Français. La situation change dans les années 1960 - 1970 : l’Italie et la France sont des pays amis au sein de l’UE et des associations italiennes se forment ça et là pour diffuser la culture du pays.

EDV : D’autres entrepreneurs n’ont jamais voulu adopter la nationalité française, et sont repartis dans leur pays d’origine, tandis que leurs descendants demeuraient en France...
OG : Il ne s’agit pas d’entrepreneurs mais plutôt de simples ouvriers ou maçons souvent peu qualifiés. Beaucoup d’Italiens sont en effet repartis au pays : n’oublions pas que la grande majorité d’entre eux n’étaient que des saisonniers dans les années 1900 ou 1920 qui ne pensaient pas s’installer en France. Beaucoup ont eu le mal du pays et n’ont jamais pu s’habituer aux modes de vie locaux : langue, climat, nourriture, conditions de travail souvent très dures. On parle un peu vite lorsqu’on on dit que l’intégration des Italiens a été parfaite et totale....

EDV : Selon vous, la communauté italienne en France, est-elle à présent plus sensible à l’accueil et mieux prévenue contre les dérives extrémistes et sectaires ? Ou au contraire, à l’instar des communes du sud de l’Italie qui se sont opposées dernièrement à la mendicité de migrants du Maghreb, relevez-vous un hiatus entre la position de la majorité des catholiques italiens et celle des autorités de l’Église, qui prône l’accueil des étrangers et le regroupement de leurs familles ?
OG : C’est une question très difficile : le problème est que l’assimilation dont ont été l’objet les descendants d’Italiens a représenté parfois un oubli quasitotal de leur histoire familiale. Parler de “communauté” italienne est ainsi très exagéré : pour moi, il n’y a pas de “communauté italienne” en France et il n’y en a jamais eu. Le modèle anglo-saxon est malheureusement en train d’envahir les médias et il n’est absolument pas souhaitable pour notre pays. Les descendants d’Italiens sont à mon avis ni plus intolérants, ni plus ouverts que les autres composantes de la population. L’Église tient un discours d’accueil de l’étranger, mais ce discours ne résiste pas aux stéréotypes véhiculés par les médias et aux rumeurs. Dans le Sud de l’Italie, l’immigré maghrébin est perçu comme un envahisseur et un concurrent déloyal sur le marché du travail : là encore, la méconnaissance du passé, ou plutôt son refoulement, fait la part belle à l’intolérance.



À Madrid : une leçon d’ouverture

Hélène Cornement revient des Journées Mondiales de la Jeunesse transportée par la qualité des rencontres avec des Espagnols, des Italiens, des Polonais… et des Français.

Quel rayonnement ! En ce début septembre, Hélène est encore sous le charme. Le charme des JMJ, du choc tonique des différences. En partant à Madrid, l’étudiante en médecine avait voulu s’éprouver, se lancer comme un défi : aller vers les autres, provoquer des rencontres. “J’avais entendu dire par une amie le plus grand bien des rassemblements de Rome et de Paris”, dit cette jeune fille de 20 ans, résidant à Xertigny. “Je voulais me bouger, je suis en recherche plutôt que croyante”, précise- t-elle.

Une générosité confondante

La voici partie pour l’aventure, en bus, avec quatre-vingts jeunes Vosgiens - pour la plupart des étudiants d’origine vosgienne. Vingt heures de voyage : “on a découvert qu’on dormait bien, couchée dans l’allée.” Départ à 17h, étape à 8h à l’abbaye montagnarde de Montserrat, en Espagne, riche d’une vierge noire, et arrivée à 13h à Alcora, à 400 km de Madrid tout de même. Accueil très chaleureux de trois prêtres et d’un groupe de jeunes volontaires : “J’ignorais tout de la culture et de la langue de l’Espagne : ça m’a coupé les jambes !”, s’émerveille Hélène. Le mot qui lui vient à l’esprit est celui de “générosité”.

Les familles d’accueil des Français se sont mises en quatre pour embellir le séjour des pèlerins. Un exemple : “Elles nous ont emmenés à une fête locale avec jeux de taureau dans un village distant de vingt km, elles nous ont fait à manger et goûter leurs spécialités culinaires – sangrias et tapas - elles nous ont offert du vin, des éventails, des boucles d’oreille en céramique fabriquées dans leur village, elles repassaient notre linge…”, témoigne Hélène.

Des prêtres accessibles

Une chose a frappé la jeune fille : les relations de confiance étroite entre les jeunes chrétiens et les prêtres : “Dans la rue, tout le monde leur dit “salut !”, comme à un ami. Ils vont ensemble au bar le soir – l’après-midi, tout est mort à cause de la chaleur – et ils échangent jusqu’à 3h du matin. Les prêtres aident les jeunes à lutter contre l’alcool. Ils sont visibles, accessibles, appréciés. La semaine de Pâques, est donnée une grande fête avec les jeunes, qui sont très attachés aux valeurs catholiques.”

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Une veillée de prières avec les jeunes du diocèse de Castellane, avec chants et nuit à la belle étoile, a couronné ce séjour idyllique : “Nous avons été accueillis comme si nous étions des frères. Le dernier jour, le père de famille m’a laissé un message : “Maintenant, vous faites partie de la famille. Si vous voulez revenir, il y aura toujours une maison pour vous.” Hélène reviendra, c’est sûr !

Après alcora, alcala

Emmenés par l’abbé Pierre Mathieu, les jeunes Vosgiens ont rejoint Madrid et le pape au bout de cinq jours. Nuits dans un gymnase, puis plutôt dehors, à cause de la chaleur. Matins consacrés à la catéchèse, jugée très intéressante par Hélène : “Nous avons vécu des temps de partage avec des jeunes de Reims, des échanges avec des étrangers, par exemple des Polonais, par l’intermédiaire d’un jeune Vosgien venu de leur pays, et avec des Italiens, à la messe d’ouverture.” Lors de ce premier bain de foule, les pèlerins du département ne parviendront pas à voir le pape : trop de monde. Les fidèles coréens ne laissent pas facilement leur place !

Dans le tourbillon, Hélène, qui tourne des vidéos quotidiennes pour le diocèse de Saint-Dié, sympathise avec des Allemands. Mais elle n’a pas le temps de dégainer sa caméra que ces amis de hasard ont déjà quitté le champ ! Dommage ! La jeune vosgienne envoie chaque jour deux minutes de reportage à la maison diocésaine. Une vraie performance : formée en toute hâte, dénuée d’aide technique, de logistique, de gros moyens, de temps de préparation, la jeune journaliste xertinoise réussit néanmoins à faire vivre l’ambiance des JMG à ceux qui sont restés dans les Vosges : une handicapée qui aurait aimé venir aux JMJ m’a dit : “C’est gentil d’avoir partagé cela avec nous !”

Cet article a été publié dans le magazine « Eglise dans les Vosges ». En vous abonnant , vous soutenez l’information et le dialogue dans le diocèse.

Publié le 08/11/2011 par Alice.