Les enjeux des régionales
Pourquoi faut-il voter aux régionales ? Quelques acteurs vosgiens évoquent les enjeux soulevés par le scrutin, qui influera sur l’avenir du département au sein de la Région.
D’abord, un constat. L’élection régionale passionne peu a priori. L’instance messine apparaît à tort comme une sorte d’ectoplasme aux yeux des Vosgiens. Et cela, malgré de louables efforts de communication. Tout se passe un peu comme si Metz, c’était à mille lieues des Vosges.
Et comme si Moselle et Meurthe-et-Moselle se plaisaient à faire une course de poids lourds - qui roulent avant tout pour eux. Un sentiment parmi d’autres : « On sent que les gros projets concernent la Moselle », témoigne la Vosgienne Françoise Gérard, personnalité qualifiée au CES (Conseil Economique et Social), fervente avocate de la ruralité.
Il est un autre domaine où les Vosgiens aspirent à l’équilibre : c’est celui de l’aide économique aux entreprises et particulièrement aux PME. Pour l’ancien chef d’entreprise Denis Bexon, membre du collège patronal, les avis « tout à fait valables » du CES peinent souvent à se concrétiser dans des délais rapides. Il se plaint du peu de réalisations secondant les propositions formulées par les représentants du Medef.
L’ancien directeur des Tissages Claude souligne les handicaps qu’ont à surmonter les entreprises de Gérardmer. Elles souffrent à la fois d‘une position excentrée par rapport à la région et d’une compétition internationale sans merci. Un exemple ? L’industrie du blanchiment : « La concurrence sur les prix est invraisemblable. » Ce qui n’a pas empêché l’ennoblisseur Crouvizier au Beillard d’investir.
En jouant la carte du haut de gamme, le textile géromois – Hans, Garnier-Thiébaut, Jacquart Français, Linvosges - a résisté à la crise. Pour Denis Bexon, qui milite au sein de l’association TG2V, le rétablissement de la desserte de Gérardmer par le rail favoriserait le développement économique et touristique de Gérardmer, améliorerait les communications pour les personnes âgées, les collégiens et lycéens, et réduirait les dépenses en carburant.
« Il faut voter »
Textile, sous-traitance automobile, papier, bois : autant de secteurs durement frappés dans les Vosges, terre industrielle par excellence. « Pas question de baisser les bras », se mobilise Françoise Gérard. Membre de la commission des finances du CES, elle a longtemps dirigé avec son mari une entreprise de métallerie. Installée sur la zone industrielle d’Eloyes, celle-ci est réputée pour la polyvalence de son savoir-faire : décoration, grands ensembles, maintenance : « Nous avons travaillé avec la chaudronnerie Viry pour une sculpture contemporaine conçue par un architecte de New-York. Il a fallu travailler quatre tonnes de ferraille pour cette œuvre, qui représente un livre posé sur quatre pattes d’éléphant ! ».
L’an dernier, le couple a pu transmettre son entreprise – le « bébé créé dans le sous-sol de la maison » - et préserver douze emplois. Françoise Gérard œuvre aussi à l’association des conjoints indépendants de France : « Je milite pour que tous les petits artisans et commerçants prennent un statut, bénéficient d’une retraite, soient reconnus dans l’entreprise. Et je me suis engagée pour la région après m’être demandée ce que je pouvais faire pour que les Vosges avancent. Chez nous, il y a de l’activité ! Je suis vosgienne et optimiste, il faut voter pour consolider une instance qui finance les lycées, l’apprentissage, l’aide aux entreprises, les transports et soutient le développement durable qui nous concerne tous. »
Rail : le salut dans l’ouverture
Dans le domaine des transports, la dimension interrégionale joue à plein. Christian Biston, élu de la CGT au CES, se félicite de l’appui de Jean-Pierre Chevènement, député du Territoire de Belfort, comme de Michel Heinrich, maire d’Epinal, dans le dossier crucial de l’électrification de la ligne ferroviaire Epinal-Belfort.
De tous bords, on s’active à défendre le dossier. RFF (Réseaux Ferrés de France) a cautionné la création et sera sollicité pour le cofinancement de cet axe stratégique. Une étude de 500.000 €, financée par la Région, a retenu ce tracé sud de la Lorraine comme prioritaire parmi cinq options. Il s’agit d’ouvrir Lorraine et Franche-Comté sur Lyon, la Méditerranée, l’Italie, la Suisse, tout en promouvant un moyen de transport moins polluant.
Un enjeu auquel est également sensible Bernadette Marquis, élue CFDT au CES : « Relier la Lorraine Sud au Sud de la France est important, alors que tout se concentre sur la métropolisation, l’axe Metz-Nancy. Disposer de transports efficaces, courts, faciles, c’est un atout pour les Vosges, qui souffrent d’une baisse de démographie catastrophique. Au moment où la matière grise a tendance à partir, les lignes ferroviaires participent à l’aménagement du territoire. Au-delà du TGV, il faut développer les dessertes Epinal-Saint-Dié, Epinal-Gérardmer et Epinal-Ouest. La Région a fait de gros efforts de billetterie à un euro vers les stations de ski, et de cartes d’abonnements à 50% ou 25% de réduction pour les étudiants se rendant au lycée ou à l’université. »
Agriculture : coopérer pour résister
Pour Bernadette Marquis, voter est une forme de respect vis-à-vis des anciens qui se sont battus pour cet acquis, vis-à-vis du souci d’équilibre entre urbain et ruralité, et de la formation des jeunes et des adultes en formation continue. Une meilleure desserte par bus entre Epinal et les communes environnantes et la rénovation dans les dix ans à venir du lycée Lapicque relèvent à ses yeux d’objectifs prioritaires auxquels les citoyens doivent s’associer.
L’ouverture touche aussi l’agriculture. Il est essentiel de garder sur le territoire régional des sièges sociaux et des centres de décision. La formule des coopératives permet de conserver la valeur ajoutée du lait produit dans les Vosges et la Meurthe-et-Moselle. Elle garantit la pérennité des emplois de proximité, observe Denis Lalevée, membre du CES de Lorraine et vice-président de la Chambre d’Agriculture des Vosges. C’est dans cet esprit que les agriculteurs vosgiens étudient un rapprochement entre les coopératives de Bulgnéville et de Blamont. Un enjeu qui sert l’intérêt de la région comme du département, préfigurant une évolution inéluctable : le théâtre de la concurrence est devenu mondial.
Dès 2012, rappelle Denis Lalevée, « c’est la Région qui est appelée à prendre le plus de prérogatives sur l’emprise territoriale, le Département étant concentré sur le social. » Raison de plus de voter !
Jean-Paul VANNSON
La Région, un partenaire
La Région a la compétence économique de décentralisation. Une donne importante pour les organismes de formation et les entreprises. Témoignage de la CCI des Vosges.
La transmission des entreprises est l’un des objectifs prioritaires que s’est assigné la Région, souligne Cyrille Thierry, de la CCI (Chambre de Commerce et d’industrie) des Vosges. En 2007, quelque 3500 des 14.000 entreprises de commerce, artisanat et service des Vosges étaient dirigés par un responsable âgé de plus de 55 ans. Comment assurer la relève ? En anticipant au moins quatre ou cinq ans avant la cession.
Il convient de réaliser un diagnostic de la société, de dresser un état patrimonial lors d’entretiens confidentiels, de restructurer l’entreprise pour « rendre la mariée plus belle » – en destockant par exemple. L’enjeu est de taille pour l’aménagement du territoire et l’emploi. Pour le relever, Région, chambres consulaires, plates-formes d’initiative locale ont uni leurs efforts. Le Conseil général participe à ce travail en commun : « Les chambres consulaires connaissent les cédants, et l’instance départementale « Vosges Développement » identifie des repreneurs venus de l’extérieur », résume le chargé de mission.
Une manne pour la formation
Autre dossier clé : la formation. La Région est responsable des lycées et de la formation initiale et continue. Ici encore, la tendance est au rassemblement des énergies et des compétences. Le travail en réseau effectué par les chambres consulaires répond aux impératifs de leur nouvelle orientation : « On va vers plus de mutualisation au niveau régional ; on va donc travailler de façon plus étroite avec les régions », prévoit la CCI des Vosges.
L’organisme présidé par Yves Dubief, membre du CES (Conseil Economique et Social), dispose de deux centres de formation. Le centre des apprentis à Sainte-Marguerite près de Saint-Dié forme aux métiers du commerce, du tourisme et de la plasturgie jusqu’au BTS. L’IPC (Institut de Promotion Commerciale) forme au négoce des matériaux, mais aussi au commerce du meuble et désormais au commerce international. Voilà pour la formation initiale.
En ce qui concerne la formation professionnelle et continue, elle est partiellement financée par la Région. Celle-ci soutient divers programmes et ouvre des marchés auprès des différents organismes agréés. Comme toute entreprise de formation, la CCI des Vosges se positionne sur ces marchés. D’où l’important rôle économique joué par la Région en tant que donneur d’ordres.
Aider le train
En tant que porte-parole et défenseur des intérêts des entreprises du département, la CCI suit de près la politique menée par la Région en matière d’infrastructures routières, ferroviaires, aériennes et fluviales. La collectivité régionale participe au financement des études pour la gare de Vandières. Autre exemple : élu CGT au CES, Christian Biston souligne l’importance des actions menées en faveur du train. Le TER a été modernisé, ses navettes ont été multipliées, ses tarifs abaissés de 30%. Il s’agit de rendre accessible au plus grand nombre un moyen de transport collectif entrant dans les objectifs du développement durable.
Pour un euro, les skieurs de Moselle ou Meurthe-et-Moselle peuvent rejoindre les stations de ski vosgiennes par le train, le week-end. Une politique de dumping justifiée par un constat parmi d’autres : ce qui plombe le bilan carbone des stations de sports d’hiver, c’est beaucoup moins la pollution occasionnée par les remontées mécaniques que les déplacements automobiles des amateurs de glisse venus de la grande région toute entière. Puissamment développé dans la Région Alsace voisine, le soutien aux stations participe du soutien général à l’économie, qui se traduit par des aides ponctuelles aux entreprises. Doper l’exportation
La Région est l’un des partenaires financiers des entreprises exportatrices de Lorraine. Elle accorde des subventions aux PME de moins de 250 salariés. Six bureaux d’exportation sont mis à la disposition des industriels à Casablanca au Maroc, à Tbilissi en Géorgie, à Amann en Jordanie pour le Proche-Orient, à Tunis en Tunisie, à Alger en Algérie et à Dubaï pour les Emirats Arabes Unis. Les responsables de ces bureaux ont été triés sur le volet par la CCI des Vosges. Ils sont reconnus pour leur compétence et la densité de leur réseau. Ces correspondants spéciaux rendent régulièrement visite aux entreprises pour lesquelles ils travaillent. Les dirigeants leur présentent leurs ateliers, produits et projets.
Il s’agit de favoriser la prise en compte des produits des entreprises lorraines lors de la passation de marchés dans ces pays. Les agences locales à l’étranger font gagner un temps précieux aux chefs d’entreprise vosgiens dans leurs démarches. « C’est grâce à cette action que la balance commerciale de la Lorraine est excédentaire ! Pour 100 euros de marchandises importés dans les Vosges, 160 euros sont exportés », rappelle Cyrille Thierry. Peu de régions françaises peuvent se targuer d’une telle performance.
Jean-Paul Vannson
Une utilité mal identifiée
Manque de chefs de file, repliement des Vosgiens sur leur Aventin, désintérêt des medias : pour Pascal Févotte, du CES, la Région souffre d’un déficit de notoriété immérité.
Ce n’est pas faute de voir des panneaux fleurir un peu partout, affichant des réalisations de travaux dans les lycées ou des financements dans les TER. La Région reste une collectivité méconnue : « Les gens ne voient pas bien à quoi elle sert, en quoi elle interfère dans leur vie au quotidien », constate Pascal Févotte. « Pourtant, quand ils prennent le train, ils peuvent mesurer la différence, en Alsace comme en Lorraine, depuis que la Région gère les réseaux TER. D’où la progression de la fréquentation. Il en est de même pour les lycées. »
Le Spinalien Pascal Févotte est membre de plusieurs commissions du CES : économique, sociale, prospective, mixité, groupe de travail lié aux nouveaux métiers dans l’industrie et l’automobile. Pour lui, les Vosgiens se sentent un peu à part dans la Région. Une perception dont, trop repliés sur leur pré carré, ils sont aussi partiellement responsables, estime-t-il.
Pourtant, « Jean-Pierre Moinaux, à gauche, et Daniel Gremillet, à droite, réalisent un travail dont la valeur est sous-estimée dans son groupe politique en ce qui concerne Daniel Gremillet. ». Comme d’autres membres vosgiens du CES, Pascal Févotte relève la prédominance des Mosellans au sein de la Région : « A Metz, ils se voient comme l’incarnation de toute la Lorraine ! »
Le social et le train
Les passes d’armes des hérauts politiques Jean-Pierre Masseret et Nadine Morano sur des sujets nationaux ont tendance à occulter de nombreux dossiers riches d’intérêt : « Des entreprises sont soutenues par la Région, mais on ne connaît pas le détail de ses aides, dit Pascal Févotte. La Région instaure des aides pour les plans sociaux et elle met la main au porte-monnaie pour les cellules de reclassement, mais les salariés ignorent qu’elle en est le premier contributeur. Pour la mise en place du chômage partiel, la Région a été le moteur, avec une participation d’1 M€. »
Méconnues aussi, « la très importante rénovation des lycées, leur équipement en matériel, l’investissement dans les formations initiale et continue, l’aide aux stations de ski, thermales, au Pôle Fibres d’Epinal. » La Région mesure aussi ses limites quand elle soutient la relance de la liaison Epinal-Gérardmer par le train : « Comme c’est départemental, le dossier n’avance pas. » Par contre, pour la modernisation de l’axe ferroviaire Epinal-Belfort, l’union de la Lorraine et de la Franche Comté, longue et difficile à réaliser, a finalement payé : « C’est lancé. Seul, Michel Heinrich, député-maire d’Epinal, n’avait aucune possibilité de parvenir au but. »
Risque d’abstention
Pour Pascal Févotte, « On aime la personnalisation des courants politiques en France. Dans les Vosges, on a du mal à mettre des noms derrière ces courants », ce qui réduit l’audience de la Région. Le risque de l’abstention est grand au scrutin des 14 et 21 mars. Cependant, en Lorraine, les élections ne souffrent pas de la décourageante pléthore de listes foisonnant ailleurs. Dans la réforme des conseillers territoriaux, qui fait fusionner les actuels conseillers généraux et régionaux en 2012, le syndicaliste CGT voit un grave risque : que les élus se fassent les porteurs des intérêts particuliers de chaque département, et non de l’intérêt général de la Lorraine. Autrement dit, la « réémergence des clivages, du copinage et du favoritisme. »
Lors de cette élection, souligne le conseiller, « les Français vont pouvoir s’exprimer sur la politique actuelle ». C’est avec une certaine circonspection qu’il attend le verdict des urnes.
J-P.V