Historique
Politique autant qu'évêque, le fondateur, Thierry de Hamelant (968-984) crée ainsi aux frontières sud de son évêché, une cité avec monastère, château, marché et atelier monétaire.
Consacrée vers 1049 par le pape Léon IX, ancien évêque de Toul, cette nouvelle église reprend les dispositions architecturales des églises germaniques telle celle d'Hildesheim. A l'ouest, un tour massive ouvre sur la nef pour former un deuxième chœur puis, au deuxième niveau, par une tribune très souvent aménagée en chapelle dédiée à Saint-Michel. Des offices y sont encore célébrés au XVIIIe siècle par les chanoinesses. La nef comporte un seul vaisseau recouvert d'une charpente apparente en bois puis vient le transept au second niveau duquel sont aménagées des tribunes et enfin le chœur formé par une abside semi-circulaire. Cette disposition à double chœur permet, et c'est particulièrement important à Épinal où l'église est à la fois abbatiale et paroissiale, de bien aménager l'espace intérieur. Le chœur occidental, sous la tour, peut ainsi avoir été aménagé en lieu de prière aux reliques de saint Goëry alors que les offices monastiques se tiennent dans le chœur oriental respectant l'orientation liturgique des églises. Néanmoins cette hypothèse demande à être étayée par des documents qui, pour l'instant, font défaut.
Au cours du XIIIe siècle, plusieurs grandes campagnes de travaux vont considérablement modifier l'aspect de l'église Saint-Maurice. Le statut des religieuses a évolué vers un chapitre de dames nobles. Si elles ne prononcent plus de vœux, elles sont tout de même astreintes à une vie chaste et à la participation aux offices dans le chœur de leur église. La première étape de ces travaux est le renforcement de la tour occidentale. Celle-ci est habillée d'un second mur sur lequel vient se poser le chemin de ronde. Afin de financer l'aménagement de la nef entrepris à partir de 1210-1220, des pérégrinations des reliques de Saint-Goëry sont organisées, occasions de quêtes pour les travaux de l'église en 1209 puis 1224. La volonté de conserver les murs consacrés par Léon IX conduit les maîtres d'œuvre à les utiliser comme murs gouttereaux d'une nef centrale à laquelle sont adjoints deux bas-côtés. Les ouvertures des fenêtres hautes sont alors reprises afin de respecter la nouvelle élévation et surtout l'arrivée d'arcs-boutants. L'ensemble est alors couvert de voûtes en pierre.
Les travaux se poursuivent avec le transept qui conserve cependant sa disposition primitive à tribunes. Les bourgeois de la ville aménagent ensuite leur entrée dans l'église en faisant construire le porche qui porte leur nom alors que les chanoinesses débutent les travaux de reconstruction totale du chœur oriental dans la seconde moitié du XIIIe siècle. Ce nouveau chœur est directement inspiré du modèle toulois développé à la cathédrale Saint-Etienne de cette ville à partir de 1221. Ce modèle connaît un grand succès en Lorraine du sud puisqu'il se retrouve notamment à l'église Sainte-Libaire de Rambervillers, à l'abbatiale d'Etival et à la cathédrale de Saint-Dié.
L'architecture
Son aspect hétéroclite donne une silhouette bien particulière à l'église Saint-Maurice. Là, peut-être plus qu'ailleurs, l'architecture est le témoin de l'évolution de l'édifice et surtout des liens étroits qu'il entretient avec la cité qui l'accueille.
Ainsi, la tour occidentale est-elle autant le clocher de l'église que le beffroi communal et plus original, une des tours de défense de la ville. Sa structure massive avec sa double épaisseur de mur supportant un chemin de ronde ainsi que sa hauteur en ont fait le lieu de guet par excellence. Les cloches avaient un usage d'alarme, de signal pour l'ouverture-fermeture des portes de la cité tout en appelant aux rassemblements des bourgeois pour des réunions publiques ou les offices religieux.
Dans son état actuel, la basilique se présente avec une nef centrale dont les murs gouttereaux sont encore ceux du XIe siècle mais percés par de grandes arcades ouvrant sur des bas-côtés du XIIIe siècle. L'influence de la cathédrale de Sens est ici bien nette. Ainsi, un deuxième niveau de fenêtres trilobées ouvre sur les combles des bas-côtés puis un niveau de fenêtres hautes assez petites largement refaites au XIXe siècle. Chaque niveau d'élévation est marqué par un cordon mouluré. Les grandes arcades reposent sur des piliers carrés massifs cantonnés de huit colonnettes. Nous remarquerons le changement de parti au deuxième niveau d'élévation. En effet, les fenêtres du niveau médian des deux premières travées y sont en plein-cintre alors que pour les quatre suivantes, elles sont trilobées. Le choix du parti d'élévation adopté à Sens dès 1122 est conforme aux habitudes prises en Lorraine pour les églises de transition entre roman et gothique comme Saint-Maurice. Pour mieux appréhender ce que pouvait être l'élévation originelle, il convient de passer à l'extérieur. Sur le mur sud, l'appareil en moellons laisse apparaître les moulures des fenêtres hautes de l'église du XIe siècle. La nef est couverte d'une voûte sur croisée d'ogives séparées par des arcs doubleaux en plein-cintre surbaissés. Elle s'élève à 14 mètres. Les arcs formerets sont pris dans le parement des murs gouttereaux. Les clés des voûtes sont formées de rosaces sauf dans les deuxième et troisième travées où elles sont composées d'une lunette ouvrant dans les combles. Les comptes de la ville des XVe et XVIe siècles montrent que les spinaliens s'en servaient pour y monter de la poudre entreposée ainsi au sec et à l'abri du feu.
Les bas-côtés sont couverts de voûtes d'ogive et les doubleaux sont en arcs-brisés. Les clés des ogives sont décorées de rosaces à motifs floraux sauf celle de la quatrième travée du bas-côté nord (ouvrant sur le portail des Bourgeois) où est figuré un Agnus Dei. Les supports sont massifs mais le décor n'y est pas absent. Ainsi les griffes de la base sont à motifs floraux, voire parfois de têtes d'animaux. Les chapiteaux sont à motifs floraux géométrisés.
Sur les bas-côtés s'ouvrent deux chapelles. La plus ancienne est située au sud. Aujourd'hui dédiée au rosaire, elle servait primitivement de chapelle seigneuriale comme le rappelle la piscine liturgique conservée dans son mur extérieur ainsi que la trace d'une porte visible depuis l'extérieur (mur est de la chapelle). L'abbesse Yolande de Bassompierre fait reconstruire cette chapelle en 1618 en remplacement de la chapelle du XIVe siècle. Sous la chapelle, est aménagée une crypte mortuaire pour les abbesses d'Epinal. Avec sa reconstruction, la chapelle des Voués devient chapelle Saint-Joseph. Elle est constituée de deux travées rectangulaires voûtées d'ogives. Elle est aujourd'hui dédiée au Rosaire.
Sur l'autre bas-côté s'ouvrait une chapelle Renaissance du XVIe siècle dédiée aux Saints-Innocents. En très mauvais état et jugée "nullement en rapport avec le style de l'église", elle est détruite en 1865 et remplacée par une nouvelle chapelle de style néo-gothique aujourd'hui dédiée au Saint-Sacrement.
Le transept prolonge la nef dans un style identique même si l'élévation en est ben différente. Les grandes arcades supportent ainsi un sel niveau de profondes tribunes, occupant l'espace de deux travées barlongues formant les croisillons du plan cruciforme. Les piliers sont renforcés par quatre supplémentaires par rapport à ceux de la nef. Au fond de chaque croisillon, une porte coiffée d'un tympan en plein-cintre donne accès à un escalier en colimaçon, enfermé dans une tourelle extérieure. La tourelle nord ou tour des ladres remonte à l'église primitive du XIe siècle alors que son pendant sud, tour du Saint-Esprit, ne date que du XIIIe siècle.
Le chœur se compose d'un vaisseau formé de deux travées fermées par une abside à cinq pans flanquées de deux absidioles formant chapelles. L'élévation est à deux niveaux avec un mur bahut surmonté de grandes baies à deux lancettes séparées par un meneau et surmontées d'un oculus, s'élançant jusqu'à la voûte. La voûte de l'abside est à six branches. Les absidioles sont à plan légèrement désaxé donnant des voûtains à l'aspect maladroit car de longueurs différentes.
Enfin, l'accès à la basilique est multiple. Les deux entrées principales sont liées à son statut particulier d'église double. Il existe ainsi une porte ouvrant aujourd'hui dans la première travée du bas-côté sud qui est dite "porte des dames". Cette ouverture reconstituée au XIXe siècle après la destruction des maisons qui s'alignaient sur le mur de la basilique après la disparition en 1797 du cloître pour faire place à l'actuelle rue Thierry de Hamelant, se trouvait plus certainement dans la deuxième travée de ce même bas-côté. Elle permettait ainsi l'accès à une chapelle appelée "petit chœur" qui servait pour les offices des petites heures canoniales.
L'autre accès principal est celui des paroissiens. Reconstruit au XIIIe siècle, l'actuel portail des bourgeois ouvre sur la deuxième travée du bas-côté nord. Précédé d'un vaste proche, il a perdu toute sa statuaire pendant la Révolution française. D'un modèle similaire au portail de Notre-Dame-la-Ronde à la cathédrale de Metz, il ne possède d'une seule porte mais présente tout de même trois tympans comme sur les grandes façades harmoniques de l'art gothique. Ainsi, son décor se présentait sur trois niveaux. Au-dessus d'un soubassement à arcades trilobées, un second niveau est rythmé par des colonnes en délit à chapiteaux richement ornés de feuillages. Un large cordon marque la séparation avec le troisième niveau. Il est occupé par une frise de feuillage et rinceaux de vignes où ont pris place quelques personnages issus de l'imaginaire des restaurateurs du XIXe siècle. Le programme iconographique des trois tympans peut être reconstitué par les traces d'arrachement encore visible. Il est par ailleurs tout-à-fait conforme aux habitudes de son époque. Le tympan central est à trois niveaux avec une frise des 12 apôtres entourant le Christ surmontée de la Dormition de la Vierge et de son couronnement. Le tympan droit présentait la scène de la Crucifixion et celui de gauche, probablement, l'Ascension.
Le XIXe siècle apporte ainsi tout un lot de modifications à l'édifice. La chapelle du Saint-Sacrement évoquée plus haut en est un exemple mais il y a aussi, en 1870, la construction des sacristies néo-gothiques actuelles à la place d'une série de petits bâtiments dont une chapelle Adeline de Menoux édifiée au XIVe siècle. Une autre réalisation, néo-romane cette fois, du XIXe siècle est le portail ouvrant dans la tour occidentale. Jules Laurent, conservateur du musée départemental et inspecteur des Monuments historiques en décide la création en 1846-48, se gardant la réalisation du dessin de cette nouvelle entrée destinée à, selon lui, "lutter contre la trop grande humidité de l'église" et offrir "un nouvel accès à l'édifice plus commode".
Le mobilier
Si l'architecture participe pleinement de l'histoire de l'édifice et de sa signification, il en est tout particulièrement de même en ce qui concerne le mobilier et l'agencement de celui-ci.
A la basilique Saint-Maurice, l'essentiel du mobilier liturgique est postérieur à la révolution française. En effet, les destructions révolutionnaires n'ont laissé que fort peu de chose.
La chapelle du Rosaire accueille un mobilier assez riche provenant de la basilique elle-même bien sûr mais aussi de la chapelle de la congrégation Notre-Dame dont le couvent est transformé en palais de justice au moment de la Révolution française. Ainsi, la chapelle présente un ensemble de trois grandes toiles sur le thème des mystères du Rosaire. Les mystères joyeux sont signés par Etienne Gellée en 1627 alors que les mystères douloureux sont signés de Nicolas Bellot en 1627 et les mystères glorieux sont non signés. Leur composition en forme de croix grecque sur un fond en camaïeu d'architecture et d'angelots est atypique. Les autres tableaux sont, formant retable de l'autel provenant de la congrégation Notre-Dame, Saint-Pierre-Fourier présentant la bienheureuse Alix Le Clerc et les premières religieuses de la congrégation à la Vierge, œuvre de Munier en 1784 et, sur le pilier, Saint-Dominique et Sainte-Catherine de Sienne recevant le Rosaire, œuvre non signée du XVIIIe siècle également. Sous ce tableau, un Ecce Homo est tout ce qui subsiste du monument funéraire de l'abbesse Nicole de Dommartin décédée en 1529. L'autel lui-même et les statues datent du XVIIe siècle et sont en bois polychromé et doré. Seule la Vierge à l'enfant centrale est du XVIIIe siècle.
Dans un renfoncement après la chapelle du Rosaire, se trouve une Mise au tombeau du XVe siècle en calcaire polychrome. Provenant de la chapelle Saint-Michel sur les hauteurs d’Épinal, elle occupe l'emplacement de la mise au tombeau créée pour la basilique et détruite pendant la Révolution. Son emplacement discret est tout à fait conforme aux habitudes de l'époque pour ce genre de groupe sculpté. L'idée du sépulcre y est ainsi maintenue, parfois même, le sol de ce sépulcre est plus bas que celui de l'église ne laissant voir la statuaire que par un soupirail comme c'est encore le cas dans l'église de Vézelise.
L'absidiole sud est la première chapelle du Rosaire de la basilique Saint-Maurice où la confrérie demi-millénaire continue à prier régulièrement. Elle abrite aujourd'hui, dans une niche au milieu des boiseries du XIXe siècle, une copie de Notre-Dame-de-Consolation, statue apparue miraculeusement dans un chêne au XVIIe siècle. L'autre statue de la Vierge conservée dans cette absidiole est une Vierge typiquement lorraine faisant partie du groupe des Vierges à la Rose du XIVe siècle.
Le maître-autel actuel est de 1758, commandé par le chapitre au marbrier Launoy. Sa garniture est du XIXe siècle. Derrière l'autel, l'orgue de chœur est dû au facteur spinalien Henri Didier. L'entrée du chœur se fait entre une statue de Saint-Goëry en calcaire du XVIIIe siècle et une statue de Saint-Maurice également en calcaire due au ciseau de Pierre-Dié Mallet en 1928. L'absidiole nord abrite une statue de Saint-Nicolas du XVIIIe siècle en bois peint.
La chapelle du Saint-Sacrement accueille les reliques de la basilique dont, au centre, celles du patron Saint-Goëry, abritées dans un reliquaire réalisé en 1791 par Beurton. Les autres reliquaires en bois doré du XVIIIe siècle contiennent les reliques de saint Maurice pour l'un et, pour l'autre, de saint Auger, ermite dans les environs d’Épinal. L'autel est surmonté d'un tableau représentant Saint-Goëry et ses deux filles Précie et Victorine. Ses demoiselles portent les costumes des chanoinesses au XVIIIe siècle. A droite, c'est le vêtement des abbesses que porte Précie figurée sous les traits de l'une d'elles, Mme de Ludres alors que Victorine, sous les traits de Mme Le Bacle d'Argenteuil, porte le vêtement de chœur des religieuses. Leur fait face, une Vierge à l'Enfant du XVe siècle dont le style rhénan se reconnaît à son hanchement délicat. Au-dessus des fonts baptismaux, un Christ en Croix, peint sur toile au XVIIIe siècle, prend la place traditionnellement attribuée à une représentation de saint Jean-Baptiste.
Pour terminer, l'ancienne chapelle haute Saint-Michel abrite désormais le grand-orgue de la basilique. Construit par Jean-Baptiste Gavot en 1828, il est largement reconstruit par Henri Didier en 1886 et à nouveau transformé par Curt Schwenkedel en 1961. Initialement installé sur une tribune dans la première travée de la nef, il est mis à son emplacement actuel en 1846 sous prétexte de retrouver la pureté originelle de la nef de la basilique. Ce transfert s'accompagne de la perte de tout son décor sculpté.
Pour conclure
Édifice central à Épinal, dans le quartier ancien de la ville, Saint-Maurice, élevée au rang de basilique mineure en 1933, a participé pleinement à la vie de la cité en accompagnant son développement, en rassemblant les spinaliens pour les moments forts de la vie locale tout en conservant, et aujourd'hui encore, son rôle liturgique. Lieu de vie, une église est le témoin du quotidien qui l'entoure, quotidien collectif ou familial en restant l'endroit où les grandes étapes de la vie sont marquées. Cette réalité est tout particulièrement prégnante ici et sa longue histoire demeure une source d'inspiration pour la vie chrétienne d'aujourd'hui comme elle l'est en conservant les traces du passé de la cité des images. C'est ce passé qui lui valut d'être érigée en basilique mineure le 20 février 1933 par le pape Pie XI après son classement au titre des Monuments historiques dès 1846.