Evêque de Toul
Avec ce Saint nous abordons le premier des évêques de Toul, dont nous avons à retracer l'histoire ; en effet, cinq d'entre eux, figurant à notre propre diocésain, seront évoqués parmi « les Saints de chez nous » : Epvre, Gauzelin, Gérard, Léon IX et Mansuy.
Disons tout de suite que ce Saint, au nom bizarre et peu connu, intéresse pourtant notre diocèse à un titre particulier que ne présente aucun des saints évêques susdits.
Saint Bodon nous reporte à l'ère mérovingienne ; si, de ce fait, il est malaisé de reconstituer sa vie, nous savons pourtant qu'il est un personnage historique. Il figure dans les plus anciennes listes des évêques de Toul, de plus son nom est souvent cité dans la Vie de sa soeur Sainte Salaberge, écrite par un moine de Luxeuil, leur contemporain.
Son nom déjà ne contribue pas à éclaircir les choses, car on l'appelle tantôt Bodon, tantôt Leudin. Quoi qu'il en soit, il naquit vers 625 dans un des domaines que le leude Gondoin, son père, possédait sur les confins du Bassigny. On s'accorde à fixer sa naissance à Meuse, prés de Montigny-le-Roi, aujourd'hui village, bien nommé », du diocèse de Langres, à la source de ce fleuve international.
On peut remarquer, à ce propos que les grands leudes austrasiens, très riches, avaient l'humeur voyageuse et passaient d'une résidence à l'autre. C'est ainsi que Sainte Salaberge avait vu le jour à Gondrecourt, alors que le benjamin naissait en Bassigny.
Quand il fut en âge, il épousa la noble et pieuse Odile, dont il eut une fille qu'on appela Thiéberge. Ensemble ils allèrent s'établir au nord de la Champagne dans la région de Laon. La famille restait en relation suivie avec l'abbaye de Luxeuil, avec Saint Valbert notamment, que Bodon avait choisi comme directeur spirituel. Nous savons par ailleurs que Sainte Salaberge, mariée elle aussi, était ensuite entrée en religion du plein consentement de son mari qui en avait fait autant.
A l'exemple de sa soeur et suivant les directives de Saint Valbert, Bodon résolut d'entrer dans un couvent de Laon, tandis qu'Odile tout à fait d'accord, prenait le voile dans l'abbaye voisine que venait précisément de fonder Salaberge.
Dans cette pieuse réaction en chaîne, le Seigneur, poursuivant son dessein, allait bientôt rapatrier Bodon dans sa province d'origine. Car la sainteté de ce dernier avait, bien à son insu, franchi les grilles du cloître. Le siège de Toul se trouvait alors vacant et le clergé, unanime pour élire Saint Bodon comme évêque.
Type de « reconversion », fréquent dans l'histoire de l'Eglise mérovingienne, nous le voyons avec Saint Romary et saint Arnould. Ce père de famille, devenu moine, puis évêque, se donna tout entier à la nouvelle tâche que lui confiait le Seigneur, avec cette disponibilité toute simple et généreuse qu'on retrouve chez les Saints.
En gage de bienvenue, il fit don à son église de Toul de plusieurs domaines de son patrimoine, y réservant, très large, « la part à Dieu » pour le soulagement matériel des malades et des pauvres, ses diocésains préférés. En dehors de quoi, on ne sait rien de son ministère épiscopal, car on n'a de lui aucune relation particulière, les dates elles-mêmes restant imprécises : entre 660 et 678.
A sa mémoire s'attache pourtant le souvenir d'une triple fondation, destinée à promouvoir dans son vaste diocèse la vie monastique et par elle l'évangélisation de régions forestières absolument déshéritées. Nous passerons vite sur deux d'entre elles, encore qu'elles soient voisines de notre diocèse.
La première se situait non loin de son pays natal, à Enfonvelle (Haute-Marne), à une lieue de Châtillon-sur-Saône : Abbaye qui disparut au XVIIe siècle.
A l'autre extrémité du territoire de Toul, Saint Bodon fonda une abbaye sous le patronage de Saint Pierre et appelée par la suite Bonmoutier (Bodonis Monasterium). Elle s'élevait à l'orée de la forêt du Donon dans la vallée de la haute Vezouze. Placée sous la direction de Thièberge, cette abbaye bénédictine fut transférée en 1010 à Saint Sauveur, où subsiste encore le choeur érigé au XVe siècle.
La troisième fondation nous ramène dans ce coin des Vosges, terre d'élection du monachisme primitif, à Etival où le Rabodeau se jette dans la Meurthe. C'est à ce titre uniquement que la Congrégation des Rites a maintenu Saint Bodon au propre de notre diocèse, lors de la réforme de 1957. Car jusqu'à la révolution qui devait l'exterminer, cette abbaye de la première génération fut un des éléments majeurs de notre patrimoine monastique, un centre de culture, émule durant un millénaire de Senones et de Moyenmoutier.
Il serait certes hors de propos d'en esquisser même la longue et riche histoire. Aux Bénédictins de la première heure vont succéder les Chanoines Réguliers au Xe siècle, puis les Prémontrés du XIIe siècle à la fin.
Au troisième siècle de l'histoire d'Etival se rattache le souvenir d'une Sainte qui figura jadis à notre propre : l'impératrice Sainte Richarde. Epouse répudiée de Charles le Gros, empereur germanique qui lui donna, pour sa retraite, le domaine d'Andlau en Alsace, elle y fonda une abbaye où elle mourut vers 894. Saint Léon IX, l'a canonisée par l'exhumation traditionnelle de ses restes, le 10 novembre 1049, soit quatre jours avant de venir à Remiremont pour en consacrer la crypte.
Par le jeu, aussi fréquent que complexe, des transferts de possessions, l'abbaye d'Etival au XIIe siècle dépendait d'Andlau et c'est l'abbesse d'alors, Mathilde, qui autorisa en 1146 les Prémontrés à s'y installer, le pape Eugène III confirmant cette mutation par bulle du 6 septembre 1147.
Ce sont donc eux qui édifièrent en arrivant la très belle nef romane et le transept encore debout et y développèrent le culte de Sainte Richarde : on trouve en effet la mention, mais plus aucune trace, d'objets d'art créés en son honneur. Elle figurait au propre du diocèse avec le rite double jusqu'en 1914 ; on n'en fit plus qu'une simple mémoire, laquelle disparut en 1957.
Quant à Saint Bodon, auquel il nous faut revenir, après cette parenthèse, il mourut à Toul probablement en 678. Inhumé auprès de Saint Mansuy, hors des remparts, son corps fut par la suite transféré à Laon ; ses reliques disparurent totalement à la Révolution.
On ne trouve à Etival, pas plus qu'à Toul d'ailleurs, aucune trace de culte à Saint Bodon ; anomalie qui n'est point ingratitude, car elle s'explique. L'abbaye d'Etival offre cette particularité, d'avoir, tout de suite après la mort du fondateur, échappé à la juridiction, tant spirituelle que temporelle, de l'évêché de Toul. Venus quatre siècles plus tard, les Prémontrés, oubliant Saint Bodon, trouvèrent une sorte de compensation en honorant Sainte Richarde, après Saint Pierre, bien sûr, patron de leur abbaye depuis sa fondation.