A travers des témoignages video et des textes, nous essayeons de découvrir comment mieux accompagner ceux que nous visitons.
La personne qui souffre crie que la souffrance n’a pas de sens.
Elles sont une immense protestation contre la souffrance. Ces personnes fragilisées crient que la souffrance n’a pas de sens. Celle-ci surgit comme une intruse, elle s’installe comme une étrangère, elle n’a pas sa place dans nos vies ; elle ne devrait pas survenir ; elle fait violence à la vie. Elle est profondément irrationnelle et c’est toute la difficulté d’en parler. Parler de la souffrance, c’est chercher à lui donner une signification, mais les personnes qui souffrent nous disent qu’elle est un non sens. C’est la raison pour laquelle nous sommes si souvent sans parole en leur présence.
Et, à y réfléchir un peu, elles ont raison. En elle-même, la souffrance n’a pas de sens. C’est important, notamment pour nous chrétiens, d’être convaincu de cela. La souffrance n’est jamais une valeur que nous pourrions rechercher pour elle-même. C’est tellement vrai que, dans notre culture, ceux et celles qui recherchent la souffrance sont considérés comme des malades. Depuis Freud, on les appelle des « masochistes ». Depuis toujours, fort heureusement, l’humanité fait tout ce qu’elle peut pour combattre la souffrance et la faire reculer. C’est une réaction de santé qui consonne tout à fait avec l’Evangile. Car Jésus non plus n’a pas recherché la souffrance ; il a passé toute sa vie à guérir les malades et au moment où lui-même est confronté à sa passion, il supplie le Père de le délivrer de cette heure qui se profile devant lui. Heureusement, l’évangile nous montre ainsi que Jésus n’était pas masochiste…
Mais la souffrance peut être une occasion de grandir en humanité
En elle-même, la souffrance dont nous parlons –maladie, isolement, vieillesse- n’a pas de sens. Mais il faut aussitôt ajouter qu’elle peut être l’occasion d’une traversée qui peut déboucher sur une croissance en humanité. Nous ne le saurions peut-être pas si des personnes autour de nous ne nous aidaient à en prendre conscience. Dans ce domaine, certains malades qui nous précèdent dans la maladie nous rendent un service inestimable. Ils nous aident à comprendre qu’on peut glisser dans la maladie, la solitude ou la vieillesse sans perdre sa dignité humaine. Vivre la souffrance comme un passage, consiste tout d’abord en une prise de conscience : « Je peux ne pas m’identifier à cette image de moi qui me faisait vivre jusqu’alors. Je peux la perdre sans me perdre totalement moi-même. Je suis plus que cette image et je peux continuer à vivre en toute dignité alors que je ne suis plus conforme à cette représentation là de moi. Je suis aussi autre que je ne pensais, capable de ressources que j’ignorais ». C’est cette traversée là, que toute personne qui souffre, est en train de faire. Quand elle émerge de ce long exode, elle cherche moins à trouver son identité dans des activités, des fonctions, un statut social à conserver… Elle passe progressivement d’une vie centrée sur le faire à une vie plus abandonnée « au jeu du désir » : le désir de vivre ses relations et d’en susciter de nouvelles dans la vérité, la simplicité, l’authenticité. Une renaissance est alors possible à l’intérieur même de la maladie de la vieillesse ou de l’isolement, mais elle dépend beaucoup de la réaction de l’entourage. La personne souffrante trouvera-t-elle auprès d’elle un « passeur » ou une « passeuse » de vie ?
Philippe Bacq, jésuite, théologien à Bruxelles.