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La place du travail aujourd’hui

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Epanouissant ou aliénant ? La question est complexe. Jean-Paul II souligne en 1980 le caractère spirituel du travail - lequel, entre autres vertus, « permet de rompre la solitude, une des pires formes de la pauvreté ». Benoît XVI complète sa pensée dans une « charte pour un travail digne » en 2009. Des acteurs politiques et sociaux vosgiens témoignent dans ce numéro de l’évolution du travail et de la façon dont il est perçu dans le département. L’économie doit être au service de l’homme et non l’inverse : des jeunes de l’ACO (Action Catholique Ouvrière) livrent les conclusions d’une enquête sur l’ouverture des magasins le dimanche.

Michel Heinrich : « J’ai voté contre »

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Le député-maire d’Epinal s’est opposé au texte de loi autorisant l’ouverture des magasins le dimanche, présenté pourtant dans une troisième mouture très édulcorée. Une question de principe.

Pour faire passer la loi sur l’ouverture des magasins le dimanche, le gouvernement a dû s’y reprendre à trois fois. La première version prévoyait l’application du texte à la France entière. Il a été retiré devant l’opposition qu’il suscitait, rappelle le parlementaire vosgien. Même refus devant le deuxième texte, qui limitait l’ouverture dominicale à quatre zones.
Les députés ont fini par accepter la troisième version, qui restreint le champ de l’ouverture des commerces à trois secteurs géographiques : la zone « Plan de Campagne » dans les Bouches-du-Rhône, qui est aussi la plus grande zone commerciale de France, la région parisienne et le nord.
A ces trois zones s’ajoutent les zones touristiques au sens du droit du travail – dans les Vosges, il s’agit de Xonrupt et de Gérardmer, les stations thermales n’ayant pas plus été retenues que l’agglomération d’Epinal.

« D’autres projets que les courses »

Malgré ces concessions, l’élu UMP vosgien s’est élevé contre l’ouverture des magasins le dimanche. Par principe, explique-t-il : « Je considère cette disposition comme de nature à favoriser une atteinte à la vie familiale, à la vie sociale et au monde associatif. Je pense qu’il faut qu’un jour au moins par semaine, les familles puissent se retrouver. Il y a d’autres projets pour les familles que d’aller faire ses courses dans les magasins le dimanche. »
Autre raison : « Je ne crois pas à la liberté du choix des salariés pour travailler ou non. Connaissant les grands groupes de distribution, je pense qu’il y a trop de pressions des employeurs. Je ne crois pas au choix volontaire des salariés tel que la loi l’a prévu.»
Troisième argument : Michel Heinrich ne souscrit pas à la vertu économique de la mesure : « Je ne crois pas qu’elle rapporte plus, que la consommation est supérieure quand on ouvre le dimanche. En Alsace, les commerces alimentaires sont fermés le dimanche, et je n’ai jamais constaté qu’ils se portent plus mal qu’ailleurs ! », observe l’élu natif de Thann.

Un mécanisme pervers

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L’ouverture des magasins le dimanche renforce la dépendance des salariés et accroît le risque de surendettement des ménages déjà défavorisés, met en garde Christophe Thomas (CFDT)

Ah, le beau dimanche au rythme du caddy ! Tombola avec gain de voiture à la clé, quadruplement des points sur les cartes de fidélité : certains hypermarchés et commerces ne lésinent pas sur l’arsenal de séduction. Ils multiplient les tentations plus alléchantes les unes que les autres à l’adresse des familles : « C’est devenu une sortie du dimanche après-midi d’aller voir les meubles, car le cinéma et le culturel sont devenus trop chers », dit le secrétaire départemental adjoint de la CFDT : « Je suis contre l’ouverture dominicale des magasins, car quoi qu’en disent le patron, les salariés interviewés et le gouvernement, le personnel ne travaille pas sur une base de volontariat. S’il est d’accord, c’est qu’il n’a pas un emploi à temps plein. »

Souvent, les caissières ne disposent que d’un horaire hebdomadaire de 28h. Les salariées des magasins d’usine de Gérardmer ont besoin du salaire double du dimanche, ajoute le syndicaliste : « Elles ont basé là-dessus le remboursement de leur crédit et sont prises pour vingt ans ! Si elles avaient un salaire correct ou un temps plein, elles n’auraient pas besoin de travailler le dimanche ! Si les directeurs de magasins ont besoin d’ouvrir le dimanche, qu’ils créent des équipes de week-end, comme l’industrie ! »

Ouvrir encore plus de plages horaires dans les magasins, c’est exposer les consommateurs à dépenser davantage, alors que leurs moyens n’ont pas augmenté. Or, les grandes surfaces du meuble et autres sont les championnes incontestées du crédit. » Avec son corollaire, le surendettement accru des plus pauvres.

Un proviseur témoigne

Pour le responsable d’un lycée et d’un CFA, les jeunes, surtout les filles, cherchent surtout la sécurité et un bon revenu dans le travail. Les apprentis connaissent mieux la vie en entreprise que les lycéens : « S’ils sont issus d’une famille du monde du travail, ils veulent trouver une entreprise qui paie bien, cela compte plus pour eux que le fait de travailler beaucoup ou pas beaucoup. De toute façon, ils savent qu’il leur faudra mettre le paquet pour être embauchés. Ils sont prêts à travailler beaucoup, pour avoir leur place au soleil. S’ils ont l’esprit d’entreprise, ils se mettent à leur compte. Les artisans ne parlent jamais en temps de travail, mais en argent gagné. La densité du travail fait peur à certains jeunes qui cherchent à travailler en service de ville ; mais on y travaille parfois beaucoup ! »

Les filles privilégient un emploi dans la fonction publique, pas énormément mais régulièrement payé, qui permet d’organiser son temps plus facilement : « L’enseignement fait rêver les jeunes, à travers les vacances scolaires. » Dans les lycées, le lien avec le monde du travail est moins étroit qu’en CFA : « Il y a un corporatisme : 50% des enseignants sont des enfants d’enseignants déconnectés avec le monde de l’entreprise ». Les élèves des lycées sont soumis à des « sollicitations terribles » de la part de la télé, de l’ordinateur et des consoles de jeu : « Les quinze ans sont les plus accros de violence, sexe, humour décalé ; ce que montrent les chaînes de jeu le mercredi après-midi, pour eux c’est la vraie vie. »

La relation de l’établissement avec les parents d’élèves est essentielle : « Tous ne sont pas défaitistes, n’abandonnent pas leurs responsabilités. A trois, on ne s’en sort pas si mal. Quand il n’y a pas de parents, les sollicitations extérieures sont nombreuses, et il s’y ajoute le goût de l’adolescent pour la provocation, en l’absence de morale, de religion, de famille et de structures. Il faut avoir des réactions fines on est parfois débordé par des propositions incroyables. Les ados, par exemple, doivent avoir une tenue décente pour demander un emploi. Ce qui paraît évident aux apprentis qui ont fait des stages ne l’est pas pour les lycéens. »






Pouvoir vivre de son travail

Paradoxe. Alors que les machines sont toujours plus modernes, elles ne contribuent pas à servir l’homme, dénonce Denis Schnabel, secrétaire général de la CGT-Vosges.

Le travail doit permettre de vivre dans cette société, observe Denis Schnabel. Il doit permettre de s’émanciper, de se trouver humainement. Or, selon lui, les conditions de travail se dégradent, usant prématurément le corps et le moral : « Dans une société de téléphonie de Raon-l’Etape, 40% des salariés sont sous antidépresseurs.
Dans la sous-traitance automobile, une personne sur deux est licenciée pour inaptitude, pour TMS (Troubles Musculo-Squelettiques) avant la retraite. Le juste à temps en vigueur dans l’industrie du meuble ou de l’auto oblige aux mêmes gestes toute la journée sur les chaînes de montage. »
Les 35h ont amené à une refonte complète de l’économie : « la France est le pays où il y a le plus de productivité. Les conditions de travail y sont très difficiles. »

Denis Schnabel est hostile au travail le dimanche, hormis pour les emplois de service public : «La généralisation est catastrophique. Dans les Vosges, les stations thermales demandent à pouvoir ouvrir les magasins le dimanche. L’idée qu’on doit travailler tout le temps l’emporte sur le bien être ; ça va déréglementer la vie de la famille, à un moment où on se plaint que celles-ci ne jouent plus leur rôle.
Selon le syndicaliste, « L’homme n’est plus au centre des préoccupations. Les emplois précaires, à temps partiel ou non choisis sont devenus la règle, alors que le PIB de la France et les profits des grandes entreprises continuent d’augmenter. »





Les clients du dimanche hostiles au travail dominical

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Paradoxe : 56 des 88 personnes interrogées le matin du 28 février dans les grandes surfaces spinaliennes refuseraient elles-mêmes de travailler le dimanche.

Qu’est-ce que le dimanche pour vous ? D’abord la famille, répondent 74 des 88 clients de grandes surfaces spinaliennes rencontrés par les militants de l’ACO (Action Catholique Ouvrière) de Golbey. Ceux-ci n’ont pas craint de mouiller leur chemise pour sensibiliser le public à une douloureuse contradiction : en fréquentant les supermarchés le dimanche, les consommateurs favorisent une tendance lourde, la banalisation du travail dominical. « Ils encouragent la mise à mal d’acquis arrachés de haute lutte par nos prédécesseurs, » s’indignent Viviane et Nathalie. De fait, on perçoit une certaine mauvaise conscience dans les réponses des personnes interrogées. Elles invoquent des achats de dépannage, de dernière minute, de menues dépenses. Rien de grave en somme.

Un divertissement moderne

Pourquoi alors effectuer des courses aussi futiles au détriment du repos dominical ? Parce que ce jour-là, on est plus disponible, répond la majorité des chalands. Parce que c’est un but de sortie, avoue une minorité. Mais seule un tiers des clients assume les conséquences de leur inconséquence : seuls 29 seraient prêts à travailler eux aussi dans un commerce s’il le fallait. Si le personnel des magasins est réquisitionné le dimanche, ils en endossent la responsabilité. Un habitant de la région parisienne érige l’ouverture dominicale comme la norme. Il qualifie le débat comme ringard et dépassé. La modernité, c’est le reniement des valeurs attachées à une vieille lune, le jour du Seigneur, qui, il est vrai, n’est plus guère honoré que par deux millions et demi de catholiques.

L’artillerie des grandes surfaces

Face au nivellement qui menace, quinze des soixante militants de l’ACO de l’agglomération d’Epinal se mobilisent. Ils ont senti une gêne, un frémissement, une prise de conscience chez les clients qu’ils ont rencontrés, et qui ont répondu de bonne grâce à leurs questions. Tous les dirigeants des magasins ne se sont pas déclarés comme de chauds partisans de cette dérive. La rentabilité est douteuse, malgré la multiplication des promotions : « Le dimanche, ils proposent des prix cassés sur des produits en voie de péremption », relève Christophe Maeler, responsable de l’équipe de Golbey, qui milite auprès de son épouse Nathalie, catéchiste et conseillère prud’homale CGT. Pour une autre Nathalie, également à la CGT, « si l’on fait rien maintenant, le travail dominical va devenir une habitude et entrer dans les mœurs. Après Intermarché, Simply Market et Géant Casino, les hypermarchés de l’agglomération risquent de suivre. Et puis les services autour, les crèches, les banques. »

Dignité à la dérive

L’argument financier ? La plupart des salariés ont perdu le bénéfice d’une majoration depuis le vote de la loi d’août 2009. Les étudiants se disent heureux de tenir des caisses ? « Ils n’en auraient pas besoin s’ils avaient des bourses suffi santes. » Quant aux vendeuses de magasin d’usine, elles bénéficient d’un bonus jugé précaire. Pour le père François Bresson, membre de l’ACO, « Il faut se battre sur le fait qu’on veut une vie digne. Les syndicats peuvent faire des choses, mais les politiques devraient défendre le dimanche car il y va de la Famille. » A Lyon, l’unanimité s’est faite contre une loi qui, du coup, est restée en friches. : « L’Eglise a heureusement essayé de dire les choses, rappelle l’abbé Bresson, mais on peut peut-être le dire un peu plus fort. On n’a pas à laisser aller une société à la dérive.





Le travail : rôle, évolutions et avenir

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Un emploi, un job, un taf, un gagne-pain ou encore un travail. Parce que travailler est une notion en plein bouleversement, Günter Schumacher, professeur à l’ICN de Nancy et diacre dans les Vosges, parle du travail. Rôle dans l’économie, évolutions, tendances et avenir de la valeur du travail dans nos sociétés seront ses chevaux de bataille.

Quel est le rôle du travail dans l’économie ?

Au risque de désorienter d’abord le lecteur, je dirais : « cela dépend ». Cela dépend de l’époque, cela dépend du type d’économie. Aujourd’hui dans une économie de marché, le travail est considéré comme un facteur de production (de biens et de services), traité comme une marchandise sur le marché du travail, en soulignant qu’il ne faudrait pas confondre cela avec la logique de l’esclavage. Dans la terminologie du monde des affaires et de la science de gestion, le travail est devenu une « ressource humaine », une ressource comme le pétrole en Arabie Saoudite. Il est clair que dans cette conception une activité non rémunérée, une activité bénévole ou un acte gratuit n’est pas un « travail ».

Quelles évolutions constate-t-on ?

On peut souligner au moins trois tendances lourdes : 1) _ une diminution du temps de travail hebdomadaire, accompagnée d’un renversement de la tendance de diminution de la durée de la vie active, vu que l’âge du départ en retraite commence à reculer ; 2) _ le remplacement du travail pénible par des machines (« rationalisation », problème d’emploie de main d’œuvre non-qualifié) 3) _ la complexification du travail (nécessité d’une meilleure qualification).

Quel est l’avenir de la valeur travail dans les sociétés occidentales ?

L’avenir dépend toujours de nous, les hommes et femmes : soit nous continuons à valoriser le facteur de production « capital (financier) » plus que le travail, soit nous allons valoriser plus le travail.
Cette meilleure valorisation du travail peut se faire à l’intérieur de la logique actuelle du marché par des meilleures rémunérations et des lois interdisant « l’exploitation » du travailleur. Or cette meilleure valorisation du travail peut se faire également par une révision du système économique actuel en intégrant, comme éléments fondamentaux, dans le système économique aussi la dimension de la politique (assurer les biens/services publics) et celle de l’acte gratuit (bénévolats) (voir les propositions dans la dernière encyclique sociale « Caritas in Veritate », surtout les sections 36 -41).

Publié le 10/05/2010 par Alice.