Mais c’est chaque jour que je fais sans l’autre, sans regarder le mendiant sur le trottoir ou dans le métro, en hésitant à enter dans une chambre pour retrouver le même malade avec les mêmes obsessions, en glissant des yeux sur les images répétées de famine dans l’Est-Africain.
Mais qui donc est cet autre qui vient déranger mes quiétudes ?
il n’est pas la lointaine samaritaine aux nombreux maris, il n’est pas la foule incertaine qui colle aux basques de Jésus et que les apôtres verraient bien renvoyée le soir venant, ce n’est pas la femme adultère sur qui il est facile de cracher ou l’aveugle qui crie !
L’autre, dans les matins gris, c’est le collègue décidément incurable retardataire, c’est ce malade bougon de trop d’insomnies, c’est ce handicapé qui ralentit la montée dans le bus, c’est ce divorcé remarié qui demande à communier…
Pourtant l’autre c’est aussi le collègue avec qui je vais enfin parler et comprendre mieux la charge familiale, c’est le malade pour qui la bonne dose de calmant n’a pas encore été trouvée, c’est le handicapé dont le sourire accompagne la lenteur, c’est le curé trop sollicité avec ses vingt clochers, c’est le divorcé remarié.. ah oui ! Que lui dire sans tomber dans la facilité ?
Oui je crée mes lépreux, ceux que j’enfonce par mon refus de voir, d’écouter sans tendre la main ! Mais à la croisée de l’Autre, j’ai ces mêmes lépreux, mais dont je lève la lèpre et qui sont purifiés lorsque mon regard, mon jugement dépassent les apparences pour une rencontre, une écoute, la certitude de la miséricorde.
Si l’autre, le lépreux de mes peurs peut alors être relevé, c’est ma propre guérison qui est à l’horizon, celle qui fait de l’autre celui et celle dont je ne peux me passer pour vivre, aimer, espérer, car frère et sœur en toute humanité.
Luc Champagne – Pastorale de la Santé