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Bienheureux Jean-Martin Moyë

Si, dans cette revue hagiographique, nous inscrivons Jean-Martin Moyë à la suite des quatre Saints déjà étudiés, nous n'entendons aucunement anticiper sur les décisions de l'Église, en canonisant le Bienheureux fondateur de la Providence de Portieux.
Ce titre suffit bien à sa gloire, d'autant plus qu'il est de fraîche date : Jean-Martin Moyë, béatifié le 21 novembre 1954, est en effet le benjamin de notre Propre diocésain.

Il naquit le 27 janvier 1730, à Cutting, petit village du diocèse de Metz, situé dans la région des Etangs, à 20 km de Moyenvic, où serait mort Saint Gondelbert. Jean-Martin était le sixième d'une famille de treize enfants, de lointaine ascendance polonaise : de là l'originalité du nom, qui jadis s'écrivait Moyse.
Son père, Jean-Christophe, était de condition moyenne, ayant obtenu un brevet de maître de Poste du Roi Stanislas, duc de Lorraine, et l'enfant grandit dans l'atmosphère d'un foyer profondément chrétien.

Un trait révèle sa vocation future et déjà son zèle d'apôtre : au milieu des jeux, il grimpait à la fourche d'un poirier pour improviser, de cette chaire, un sermon aux gamins du village.
Avec son frère aîné, qui sera curé de Lindre-Basse, il prend des leçons de latin. Le maître, frappé de son intelligence primesautière, décide ses parents à l'envoyer à l'Université de Pont-à-Mousson. Le voilà, à un siècle de distance, sur les traces de Saint-Pierre Fourier. On a gardé de l'étudiant des livres, avec ce fantaisiste ex-libris : « J'appartiens à Moyë ».

Ordonné prêtre par Mgr de Saint-Simon à Metz, le 9 mars 1754, il préfère nettement le ministère au professorat de lettres, auquel songeait pour lui son Supérieur. Il sera dix ans vicaire en différentes paroisses de Metz. Les débuts de son sacerdoce révèlent aussitôt sa physionomie spirituelle : une piété grave, l'abandon à la Providence, la hantise des âmes à sauver, et surtout un esprit de pauvreté qu'il pratiquera en souvenir d'une consigne reçue de sa mère : « Un bon prêtre doit être pauvre et ne garder à la mort d'autre propriété qu'un pot de terre qu'il cassera d'un coup de pied avant son dernier soupir. »

Curé de Dieuze pendant quelque années, l'Abbé Moyë vient chez nous pour la première fois. « En octobre 1768, écrit-il lui-même, je fus affecté à Saint-Dié par Mgr de Mareil, alors évêque de Sion et Grand-Prévôt, pour commencer son Séminaire ». Ainsi trouvons-nous ce prêtre messin comme premier supérieur de notre Grand Séminaire. Ce simple fait ajoute un lien nouveau, très loin derrière Saint Arnould et Saint Goëry, entre les deux diocèses lorrains.

*** Bien que du point de vue chronologique, il convienne de parler ici du fondateur de la Providence, nous estimons préférable de présenter d'abord le missionnaire… Aussi bien le séjour en Chine n'apparaît-il que comme une brève parenthèse dans le vie du Bienheureux, alors que cette fondation fut l'oeuvre essentielle de prédilection du jeune vicaire aussi bien que du curé et du missionnaire. Car Dieu qui le prédestinait à la sainteté, lui a fait cette grâce de connaître, dans une apparente discontinuité et à travers mille contradictions, les aspects les plus variés du ministère sacerdotal. Tout jeune prêtre, il eut, obsédante, cette claire vision de la détresse des âmes.
Mais Dieu l'appelait, peut-on dire, à un plus haut service, vers ce monde païen assis à l'ombre de la mort.

L' Abbé Moyë approchait de la quarantaine, lorsqu'il entendit cet appel. On devine son angoisse et sa perplexité à la pensée, non pas de quitter sa Lorraine, mais d'abandonner l'oeuvre naissante, et si fragile encore de ses Religieuses, pour s'en aller en Extrême-Orient.
En 1770, il entre au Séminaire des Missions Étrangères de Paris. Un trait de sa piété semblait l'y avoir prédestiné : depuis des années déjà, il avait coutume de passer en prière, pour la conversion des Gentils, la nuit du 5 au 6 janvier. Quelle ne fut pas sa joie de saluer, dominant le maître-autel de la chapelle de la Rue du Bac — on peut l'y voit encore —, la Vierge de l'Épiphanie accueillant dans la personne des Mages les prémices de la Gentilité, Vierge qui est, depuis la fondation, la patronne des Missions Étrangères de Paris !

Le 30 décembre 1771, il embarque à Lorient. Après une longue escale à l'île Maurice — on passait alors par le cap de Bonne-Espérance —, il aborde les côtes de Chine à Macao, près de Hong-Kong. Il s'agit maintenant de gagner, à 2 000 km de la mer, la mission du Su-Tchuen, immense province sur le cours moyen du Fleuve Bleu. Il en atteint la capitale le 28 mai 1773.

Aussitôt commence pour lui l'aventure missionnaire, en compagnie de cinq prêtres français dont l'un subira le martyre et sera béatifié en 1900. Il lui faut apprendre la langue et établir par là le contact avec une population chrétienne dispersée. Dans cette tâche ardue, il reprend à son compte la parole du Maître : « J'ai pitié de cette foule », soutenu par une confiance sans bornes en la miséricorde de Dieu envers les âmes païennes. Et ces âmes de le sentir confusément elles-mêmes, en se laissant gagner par le zèle du missionnaire novice, que les difficultés mêmes semblent stimuler. Dès la fin de sa première année, il est arrêté, mis à la torture et jeté en prison. Mais tels les Apôtres jadis, le Père surabonde d'une joie qui transparaît dans ses lettres. Quelques années plus tard, l'une d'elles annoncera, sur un ton d'action de grâces, l'ordination de son cher Benoît, catéchiste de la première heure, qu'il a préparé au sacerdoce.

Sur la terre de Chine, le Père Moyë, reste lui-même, toujours en quête de formules nouvelles pour l'extension du règne de Dieu. D'autant plus que, avec son sens aigu de la psychologie, il n'avait pas tardé à découvrir les possibilités qu'offrait l'âme chinoise à son apostolat. Il y retrouvait, en effet, des traces profondes et vivaces, quoique souvent incomprises de la loi naturelle, sur quoi la grâce pouvait mystérieusement agir. A plusieurs reprises, nous le voyons soumettre à la Congrégation de la Propagande, à Rome, les projets qu'il a eu en tête, car ce novateur audacieux, entend demeurer un fils très humble de l'Église.

Parmi ses nombreuses entreprises, retenons-en deux, absolument originales, qui ont dominé toute son activité missionnaire.
La première est la fondation des Vierges chinoises, par quoi il va transposer là-bas, avec toutes les adaptations nécessaires, l'oeuvre qu'il avait crée en Lorraine. Le but de ce nouvel institut est de faire évangéliser la femme païenne par la femme chrétienne. Il lui suffirait de trouver des chrétiennes solides et assez généreuses pour gagner les païennes au baptême, pour expliquer la religion aux enfants, et, finalement, pour ouvrir des écoles. Rome suivit avec intérêt l'initiative du hardi missionnaire, mais, toujours prudente, ne l'approuva que bien après son retour en France. Qu'importe ! Le grain de sénevé était tombé en bonne terre. Deux de ses filles martyres devaient être béatifiées par Pie X en 1909, et, en 1947, on comptait dix milles Vierges chinoises, secondant de façon admirable le travail des missionnaires. Peut-être demeurent-elles encore, dans l'actuel drame que traverse la Chine, la flamme qui couve sous la cendre dans l'Église de Silence ?... La seconde création du Père Moyë lui fut inspirée par l'effrayante moralité infantile et la préoccupation du salut éternel de ces innocentes victimes. Et d'organiser aussitôt une oeuvre permanente pour conférer le baptême aux enfants païens. Il lança, à cet effet, en 1780, un « Avis aux âmes charitables d'Europe », qui trouva un écho fervent en Lorraine. Grâce à quoi il eut la joie de voir baptiser cinquante mille petits moribonds, durant son séjour en Chine : le total atteindra six cent mille dans les trente années suivantes.

On devine, en cette innovation, appelée par le Père Moyë « l'oeuvre angélique », une ébauche de la Sainte Enfance, que reprendra, soixante ans plus tard, Monseigneur de Forbin-Janson, évêque de Nancy. C'est toujours la Lorraine !
Mais voilà qu'en plein travail, le Seigneur à nouveau semble l'interrompre. Sa santé dangereusement délabrée, nécessite le rapatriement. « La divine Providence, écrit-il, qui m'a conduit en Chine, me rappelle en Europe. » Au risque de passer pour un instable, il s'abandonne aux desseins de Dieu en esprit de foi, en tout simplicité. Prêt à mourir à la tâche, il est prêt à retrouver sa santé en douce France, afin de servir encore. Le 16 janvier 1784, il embarque à Macao, où il était arrivé douze ans plus tôt. Période d'une étonnante fécondité, qui faisait dire, un demi-siècle après, à l'évêque du Su-Tchuen : « Monsieur Moyë a fait ici, en dix ans, des oeuvres plus grandes que plusieurs missionnaires ensemble en quarante ans . » Après cinq mois de navigation, le Père Moyë retrouvait Paris et son Séminaire de la rue du Bac. Ses supérieurs envisagèrent aussitôt d'utiliser son expérience missionnaire pour la formation des jeunes en partance pour la Chine. Mais, une fois de plus, le Seigneur en disposait autrement, lui ménageant le retour en Lorraine, à la tête de l'oeuvre qu'il avait fondée avant son départ pour les Missions.

Toutefois, sur le point de quitter la capitale. Le Père Moyë fut présenté à Louis XVI et à Marie-Antoinette ; il fut reçu de même au Carmel de Saint-Denis par Madame Louise de France, fille de Louis XV. L'illustre carmélite — initiative chez nous du Mois de Marie — prit en affection les petites Écoles fondées au Su-Tchuen sous le patronage de Notre-Dame.

***

La rentrée du Père Moyë en Lorraine nous contraint à un retour en arrière pour étudier les débuts de la Congrégation de la Providence, qui fut la pensée de toute sa vie et que Georges Goyau, dans son « Histoire Religieuse de la Nation Française », relève comme une des plus typiques à la veille de la Révolution.
Au cours de ses vicariats à Metz, le jeune Abbé Moyë, ayant souvent prêché des missions dans les villages d'alentour, avait été frappé par l'abandon absolu où se trouvaient les enfants de la campagne, que n'atteignaient ni la Congrégation Notre-Dame de Saint-Pierre Fourier, ni celle, plus récente, de la Doctrine Chrétienne du Chanoine Vatelot. Aussi conçut-il le projet de recruter des jeunes filles qui pussent remédier à cette misère qui le navrait. L'idée était audacieuse : des soeurs « de plein vent » qui s'en iraient deux à deux dans les hameaux faire l'école aux enfants. Pour le logement et subsistance, elles n'en remettraient à la Providence et à la pitié des habitants. Un tel programme de vie ne pouvait tenter que des âmes bien trempées. Et il s'en trouva !

La première — son nom mérite d'être cité — fut Marguerite Lecomte, qui vint s'installer dans un pauvre hameau dépendant de Vigy, à quelques kilomètres de Metz. C'était le 14 janvier 1762, en plein hiver lorrain ! A son sens, l'oeuvre prenait un bon départ à l'enseigne de Bethléem. Tout y était : la saison, le dénuement, les rebuffades, et la joie. Il n'y manqua même pas Hérode, l'autorité supérieure, dirions-nous, en la personne du Parlement de Metz, qui s'émut de ces excentricités, réputées dangereuses pour la santé et les moeurs. Devant ces Messieurs fourrés d'hermine et défenseurs du peuple, Monseigneur de Montmorency, évêque de Metz, manoeuvra fort habilement pour rassurer tout le monde y compris son trop bouillant vicaire, qui fut déplacé une nouvelle fois. Au milieu, et en raison même de tous ces déboires, l'Abbé Moyë acquit la certitude que son oeuvre était bénie de Dieu. Faut-il, à titre de preuve, rappeler ici que Marguerite Lecomte, la vaillante novice de la première heure, pratiquant à la lettre la règle dans toute son austérité, mourra à 98 ans, après avoir enseigné pendant 53 années ininterrompues, même sous la Terreur. A croire que les sans-culottes messins n'ont pas eu le zèle ou le loisir d'aller la relancer dans ce hameau perdu !.

Le nouvel institut faisait donc cette tache d'huile, et, chaque année, les jeunes filles accouraient plus nombreuses pour ouvrir de nouvelles écoles. Ce qui, au début, pouvait ressembler à une aventure, prit corps avec l'ouverture, à Dieuze, d'un noviciat confié à Marie Morel, première Supérieure. A son usage, nous voyons le fondateur composer « Règles et Instructions pour la conduite des Soeurs ». Il s'y révèle un remarquable technicien de l'instruction et de l'éducation chrétienne, tandis que la Supérieure, une Lorraine solide, forme ses filles à la vie intérieure, avant de les lancer en équipes volantes à travers la campagne.

La venue à Saint-Dié, tout à fait fortuite, nous l'avons vu, sera pour l'Abbé Moyë, l'occasion d'y fixer un nouvel essaim. Il y rencontra en effet le Chanoine Raulin, du célèbre Chapitre, qui entra dans le jeu et fonda par la suite dans sa propre demeure un second noviciat pour les Soeurs de langue française. La vénérable Maison canoniale, évidemment désaffectée, était encore debout à la veille du sinistre de 1944, à l'entrée de la rue Cachée, face aux escaliers du cimetière.
La rencontre de ces deux hommes fut en réalité providentielle, car c'est M. Raulin qui allait suppléer, et fort bien, le fondateur, pendant toute la durée de son séjour en Chine. En partant ainsi pour les Missions, Jean-Martin Moyë semblait, avons-nous dit, abandonner froidement son oeuvre naissante. En réalité, il lui demeurait très proche et surnaturellement aussi efficace. Des lettres innombrables, où l'on retrouve les tendresses de Saint Paul pour ses jeunes chrétientés, témoignent que, du fond de la Chine, le Père Moyë suivait de très près la vie de ces noviciats et le travail qui se faisait dans les petites écoles, chaque année plus nombreuses. Avec amour, il mettait en gerbe, pour les offrir au Seigneur avec ses propres souffrances, les communs efforts, héroïques parfois, des Soeurs d'Europe et de ses Vierges chinoises. Ce qui apporte une raison profonde, établit une continuité dans cette vie, humainement extravagante, du Bienheureux Jean-Martin Moyë. Quoi ! voilà un fondateur, qui en Lorraine comme en Chine, lance une oeuvre pour la lâcher bientôt après. Peut-être a-t-il voulu seulement démontrer que c'est Dieu qui fait tout, les plus grands Saints n'étant, en définitive, que des serviteurs inutiles ! ****

Ramené presque malgré lui en Lorraine, le Père Moyë reprend avec ardeur la tête de son oeuvre qui comptait alors une quarantaine d'écoles. Sans délaisser le diocèse de Metz, berceau de son Institut, il acquiert, en 1786 à Essegney, entre Charmes et Portieux, une maison dont il va faire un nouveau noviciat. Il s'y installa lui-même et en assure la direction. Il reprend en détail, pour les adapter et les parfaire, les constitutions, sans rien changer à son idée première. Il visite les communautés dispersées, qu'il retrouve toujours pauvres, ferventes, et généreuses. Et de les encourager à sa manière, bien à lui : « O la bonne voie que celles des contradictions ! Je ne crains pour vous que la prospérité. »

Tout en se donnant à fond à sa communauté, il trouver le temps de prêcher des missions paroissiales à Rugney, à Charmes, à Rambervillers, à Saint-Dié. Car il reste marqué par ses années de Chine, et ressent douloureusement le besoin qu'ont de Dieu ses compatriotes de Lorraine, comme naguère ses pauvres Chinois. Au reste, il rejoint, ici encore, Saint Pierre Fourier, que nous verrons mener de front sa paroisse, sa Congrégation et ses missions de Badonviller. Ce ministère harassant durait depuis cinq ans, lorsque survint la Révolution, qui un instant parut anéantir son oeuvre. La plupart des écoles furent fermées et les Soeurs dispersées. Le Père, refusant de prêter de serment, prit le parti d'émigrer avec un contingent notable de ses Religieuses. Jetés ensemble sur la route de l'exil, il gagnèrent Trèves, à la suggestion de M. Balland, curé de Charmes, député à l'Assemblée Constituante et lui-même insermenté.

Dans cette débâcle, le Père Moyë, qui en avait vu bien d'autres en Chine, garda toujours son sang-froid. Trèves, la vieille métropole de qui dépendaient toujours les diocèses lorrains, fut accueillante aux réfugiés. Tant bien que mal, il y installa ses Soeurs, et trouva, dans les quarante églises ou chapelles de la ville, l'occasion d'un ministère de prédication et de direction spirituelle.
Bientôt, s'y ajouta la visite des hôpitaux, où affluèrent, à l'automne de 1792, les soldats blessés de Valmy et de Jemmapes. C'est à leur chevet qu'il contracta le typhus qui devait l'emporter. Ayant reçu la veille les dernier Sacrements des mains de son confrère et voisin, l'abbé Feys, vicaire de Charmes, il étendit les bras en croix et mourut à l'aube du 4 mai 1793.

Inhumé dans le cimetière Saint-Laurent, qui fut par la suite désaffecté pour l'aménagement de la place d'Armes, il a disparu à tout jamais, sans qu'on ait pu retrouver, en dépit de nombreuses fouilles, refaites encore en 1934, la moindre trace de sa tombe. Ainsi se réalisait au-delà même de ce que lui souhaitait sa pieuse mère, ce souci de pauvreté intégrale qu'il avait pratiquée et léguée à ses filles. A défaut de reliques, il leur laissait le souvenir d'une authentique sainteté.

Avant de rappeler brièvement la « survie » du Bienheureux Jean-Martin Moyë, relevons un double rapprochement qui le rattache à Saint Pierre Fourier. Il était venu mourir à Trèves, dans la ville où ce dernier avait été ordonné prêtre. Par ailleurs, Jean-Martin Moyë était né l'avant veille du jour (27-29 janvier 1730) où le Bon Père était béatifié en la Basilique Vaticane. Ne peut-on voir là, pris sur le vif, un exemple de la Communion des Saints, qui semblent ici se passer le flambeau.
Dans un autre style — car Dieu respecte la personnalité humaine de ses Saints — le Bienheureux Jean-Martin Moyë a fondé une Congrégation similaire de celle de Saint Pierre Fourier, et qui dure pareillement , pour l'honneur de l'Église.

*** Le témoignage le plus clair de la « survie » de notre Bienheureux réside assurément dans la magnifique expansion de son oeuvre.
Les vicissitudes de l'Histoire qui ont coupé en deux la Lorraine sur le plan à la fois politique et linguistique, déterminèrent la création de deux branches de la Providence, chacune ayant sa Maison-Mère : les Soeurs de Saint-Jean-de-Bassel, au diocèse de Metz, pour la branche de langue allemande , et les Soeurs de Portieux chez nous.

La première, qui gagna d'abord l'Alsace-Lorraine, s'étend aujourd'hui en Belgique, en Australie, aux Etats-Unis, où naquit même une Congrégation nouvelle au Texas.
La branche de Portieux, de son côté, essaima largement en France, avec des filiales à Gap, à Lectoure, se prolongeant ensuite en Italie, au Mexique, en Espagne et au Brésil.
Plusieurs autres Instituts naîtront au XIXe siècle, sous des vocables divers, où figure toujours, tel un nom de famille, le titre de « La Providence ». Chacun garde fidèlement l'esprit et le culte du Bienheureux, patrimoine spirituel qui les rassemble ainsi dans l'unité.

Il importe toutefois de noter que la Congrégation de Portieux, installée là officiellement par l'Abbé Feys le 2 août 1816, est restée peut-être mieux que les autres dans la ligne du fondateur, grâce à son apostolat missionnaire en Extrême-Orient (Mandchourie et Cambodge). Elle vient même d'aborder la terre d'Afrique tout récemment, en Côte-d'Ivoire.
Tandis que mûrissaient ainsi de par le monde les moissons qu'avait semées le Père Moyë, on voyait lentement se dessiner l'auréole autour de cette attachante figure.

De simples biographes parurent au début du XIXe siècle et, en 1872, le Chanoine Marchal, notre compatriote, futur archevêque de Bourges, publiait une « Vie de Monsieur l'Abbé Moyë », d'une érudition remarquable.
Le 14 janvier 1891, pour le 129ème anniversaire de l'ouverture de la première école par Marguerite Lecomte, la Congrégation des Rites décernait à Jean-Martin Moyë le titre de Vénérable. Il s'ensuivit un long procès qui aboutit à la béatification solennelle, le 21 novembre 1954, au terme de l'Année Mariale.

Il n'est pas question de rappeler ici les cérémonies grandioses qui se déroulèrent à Saint Pierre de Rome. Disons seulement que Sa Sainteté Pie XII témoigna de façon touchante la gratitude qu'Elle gardait aux Religieuses de la Providence de Portieux, qui lui avaient jadis appris à lire à l'école que fréquentait le petit Eugène Paccelli, non loin du Pont Saint-Ange.
De même, aux fêtes de Portieux, qui, du 2 au 4 mai 1955, firent écho pour les Vosgiens aux splendeurs romaines, on entendit Son Eminence le Cardinal Feltin, évoquer avec délicatesse le souvenir de Soeur Dominique, dont il avait été l'élève à Delle, son bourg natal.

A l'occasion de ce triduun solennel, une intéressante exposition, qui dura tout l'été, a fait revivre, à l'aide de précieux documents et d'objets personnels, la vie si mouvementée du Bienheureux. *** Quant à son iconographie, disons pour finir qu'elle est assez pauvre non pas en exécution du voeu de toute sa vie, mais en raison de son accession, officiellement par trop tardive, à la gloire céleste.
Il est heureux, en effet, que « l'avocat du diable » — il existe même en cour de Rome, dans les procès de béatification — ne soit jamais venu chez nous, à Hennezel, voir la chapelle de La Hutte. La grande fresque qu'y a peinte, en 1885, Alphonse Monchablon, représente bel et bien l'Abbé Moyë avec une auréole, dans le cortège somptueux des Saints de Lorraine.

Plus conforme du point de vue canonique et plus valable historiquement apparaît le tableau conservé au Couvent de Portieux. On y voit, agenouillés aux pieds de Notre-Dame, qui les abrite tous sous son grand manteau, l'Abbé Moyë et le Chanoine Raulin, en compagnie des Religieuses dans le costume des premiers temps, coiffées de la pittoresque halette lorraine. En peignant cette scène, au début du XIXe siècle, l'artiste anonyme nous semble avoir traduit à la lettre une phrase du Père Moyë, écrite de Chine à ses filles, le 29 mai 1781 : « Je vous ai consacrées à Notre-Dame Auxiliaire, c'est-à-dire à Notre-Dame de Bon-Secours, selon les intentions de Monsieur Raulin. Elle vous a prises sous sa protection et ne vous abandonnera pas. »

Publié le 08/02/2012 par Alice.