Homélie de Mgr Jean-Louis Papin, évêque de Nancy et de Toul
« Seigneur, apprends-nous à prier ». Les disciples étaient certainement très impressionnés par la place de la prière dans la vie de Jésus, le temps qu’il lui consacrait, que ce soit tôt le matin, tard le soir, parfois même toute la nuit. C’était manifestement sa respiration, l’oxygène de sa vie. Quelquefois, les disciples l’ont entendu prier à haute voix, au milieu d’eux, pour les personnes qu’il rencontrait, pour remercier son Père de tout ce qu’il accomplissait de bien et de beau par son intermédiaire ou bien encore à une étape importante de sa mission. On comprend qu’un jour l’un d’eux osa lui faire au nom de tous cette demande : « Seigneur, apprends-nous à prier ! »
C’est que la prière, ça s’apprend. Pas seulement les mots de la prière, mais aussi et surtout la manière de prier, la disposition intérieure de notre cœur lorsque nous prions. Vous vous dites peut-être que pour prier, il suffit de s’adresser à Dieu en toute simplicité avec ce qui fait votre vie : vos joies et vos peines, vos doutes et vos indignations, vos mercis et vos demandes. C’est vrai, prier, ce n’est pas d’abord une affaire de techniques savantes. C’est une rencontre, c’est une affaire de cœur, un cœur à cœur avec Dieu. Et en même temps, personnellement, je me retrouve bien dans la demande des disciples : « Seigneur, apprends-nous à prier ! » Car, je sens bien que, dans ma prière, je suis parfois plus tourné vers moi que vers Dieu, plus préoccupé de demander à Dieu qu’il satisfasse mes désirs, qu’il réponde à ce que je veux plutôt que de lui demander d’ajuster ma volonté à sa volonté, d’accorder mon cœur à son cœur. Ma prière a toujours besoin d’être convertie, elle a toujours besoin d’être purifiée pour qu’elle soit ouverture de mon cœur à Dieu, à ce qu’il veut pour moi, à ce qu’il veut pour l’humanité, bref pour qu’elle soit une prière chrétienne, une prière selon Jésus, une prière animée par son Esprit. Pour cela, j’ai besoin d’un maître. Ce maître, c’est Jésus. Les disciples l’ont compris. C’est pourquoi ils lui font cette demande : « Seigneur, apprends-nous à prier ! » A chaque messe, nous prions le Notre Père. J’aime beaucoup les quelques mots avec lesquels le prêtre introduit la prière : « Comme nous l’avons appris du Sauveur et selon son commandement, nous osons dire … » Vous y serez attentifs tout à l’heure. Nous avons toujours à apprendre du Seigneur à prier comme il faut. L’Eglise nous y aide grâce à plus de vingt siècles d’expérience d’une prière guidée par l’Esprit du Christ, et en particulier les saints et les saintes qui sont pour nous des guides merveilleux pour nous aider à prier parce qu’ils se sont mis eux-mêmes à l’école de Jésus .
« Seigneur, apprends-nous à prier ! » La réponse de Jésus à la demande de ses disciples, ce fut le Notre Père : « Quand vous priez, dites : Père que ton Nom soit sanctifié, que ton règne vienne… » Il y aurait beaucoup à dire pour entrer dans une plus grande intelligence de cette prière, intelligence intellectuelle, intelligence du cœur. Vous avez pour cela un merveilleux petit livre jaune, le YOUCAT, catéchisme de l’Eglise catholique qui vous est spécialement destiné et qui fut remis à tous les jmjistes de Madrid. Les sept dernières pages sont consacrées à « La prière du Seigneur : le Notre Père ». Lire ces quelques pages vous aidera à mieux prier le Notre Père, dont un des premiers grands écrivains chrétiens, dénommé Tertullien, a écrit qu’il est « le résumé de tout l’Evangile ». Permettez que je vous cite quelques lignes du Youcat au sujet : « Le Notre Père est plus qu’une prière, c’est un chemin qui mène directement au cœur de notre Père. Les premiers chrétiens récitaient trois fois par jour cette prière, remise à chaque chrétien lors de son baptême. Nous aussi, nous ne devrions jamais passer une journée sans essayer de dire la prière du Seigneur avec notre bouche, de l’intérioriser dans notre cœur et de la rendre vraie dans notre vie ».
A défaut de commenter l’ensemble du Notre Père, je voudrais souligner une de ses expressions qui me paraît récapituler l’ensemble : « Que ton Règne vienne ». Lorsque nous faisons cette demande à Dieu, nous exprimons le souhait que l’humanité vive le plus possible selon le désir de Dieu. Vaste chantier ! Car vous savez à quel point il y a dans le monde des forces contraires à ce désir de Dieu, des forces qui défigurent l’humanité et l’entraînent sur des chemins de mort. Nous en avons fait l’expérience ces derniers mois à propos du mariage puis de l’utilisation de l’embryon humain. Bientôt viendront les débats sur la fin de vie. Citons encore les drames engendrés par la prédominance de système économiques et financiers qui perdent de vue le service du bien commun. Je pense aux nombreux migrants qui affrontent les pires dangers dans l’espoir de vivre mieux ou même tout simplement de vivre. Le pape François vient d’interpeller notre conscience sur cette réalité en se rendant dans l’île italienne de Lampedusa où beaucoup d’entre eux arrivent dans l’espoir d’être accueillis en Europe. Je pense également à tous ceux que la crise économique actuelle met à la rue. Leur nombre a doublé en un an. Je pense aussi aux violences de tous ordres, jusqu’au sein du couple et de la famille, aux conflits qui divisent gravement divers pays, à toutes les formes d’addictions telles que la drogue… Oui, Seigneur, nous avons mille raison de te dire : « Que ton Règne vienne ! », « Qu’advienne l’humanité selon ton cœur ! »
Mais si ce vœu n’est pour vous qu’une affaire de mots répétés jour après jour, rien ne changera sur notre terre. Par contre, si votre prière est prière de votre cœur, alors elle vous bougera, elle vous fera apporter votre contribution pour que l’humanité vive davantage selon la volonté de son créateur. Prier le Notre Père avec tout votre cœur, avec toute votre intelligence, c’est y engager toutes vos capacités d’action pour qu’advienne concrètement cette humanité telle que Dieu l’a voulue. Nous avons tous à être des veilleurs engagés. Tout à l’heure, je citais Tertullien nous disant que le Notre Père est « le résumé de tout l’Evangile ». Prier le Notre Père comme nous le faisons si souvent doit nous mettre en mouvement pour que cet Evangile soit annoncé et qu’il oriente chacun et toute l’humanité dans la bonne direction. C’est ce que le Seigneur a ordonné à ses disciples avant de les quitter : « Allez, de toutes les nations faites des disciples ». Ainsi, les mains que vous élevez vers Dieu lorsque vous priez seront aussi des mains qui édifient le monde selon Dieu.
Ce n’est pas sans raison que chaque messe s’achève par ces mots : « Allez dans la paix du Christ ! » Non pas : « Rentrez tranquillement chez vous, prenez l’apéro, faites un bon repas et passez un agréable dimanche ! » Mais : « Allez, et partout où la vie vous conduit, annoncez l’Evangile, faites de nouveaux disciples. Célébrer l’Eucharistie tout comme prier le Notre Père vous appelle à donner à Dieu vos mains, votre intelligence, votre cœur pour que ce que vous avez prié et célébré devienne une réalité ». Dans son message pour les actuelles JMJ, Benoît XVI vous disait : « Plus nous connaissons le Christ, plus nous désirons l’annoncer. Plus nous parlons avec lui (ce que nous faisons dans la prière), plus nous désirons parler de lui. Plus nous sommes conquis par le Christ, plus nous désirons conduire les autres à lui ».
Je conclurai par le prophète Isaïe. Un jour qu’il était dans le temple de Jérusalem, Dieu parla à son cœur : « Qui enverrai-je ? Qui sera mon messager ? Et j’ai répondu : ‘Moi, je serai ton messager : envoie-moi ». Le Seigneur s’adresse à chacun de vous de la même façon. Il vous pose cette question : « Qui sera mon messager ? » Que lui répondez-vous au terme de cette semaine ? Répondez-vous comme Isaïe : « Moi, je serai ton messager : envoie-moi ! » ?
Télécharger