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La perte de l’hospitalité



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Parce qu’ils ne se souviennent plus qu’ils ont été eux-mêmes étrangers, les « nationaux installés » oublient de plus en plus la tradition de l’accueil. Les chrétiens ne sont pas épargnés par cette tendance au repli sur soi. Dans un sondage récent, « la Croix » fait état du décalage entre l’Eglise, qui rappelle la nécessité de l’accueil des « hommes de toutes origines », et 56% des catholiques pratiquants français, qui désapprouvent la prise de position du pape contre l’expulsion des Roms. Qu’en est-il dans les Vosges ?


Tous des étrangers (article d'ouverture)
Le devoir d'accueil des malades, témoignage de Paulette Vuidel
L'hospitalité sous le regard franco-allemand, témoignage de Günter Schumacher
L'hospitalité au Tchad, témoignage du père Daniel Rémy

Tous des étrangers

L’affaire des Roms le confirme : la société actuelle fait de moins en moins de place à l’étranger, dont l’accueil était considéré naguère comme chose sacrée.

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Sur le principe, il n’existe pas d’ambiguïté. Les chrétiens sont tenus au devoir d’hospitalité, quelle que soit l’origine des personnes concernées. Cette règle est encore appliquée aujourd’hui sans barguigner dans maints pays pauvres. La Bible le martèle : on doit accueillir l’étranger avec respect sous son toit : le commandement de l’hospitalité est parmi les plus répétés dans le Livre de l’Alliance. Un accueil qui reste temporaire, le visiteur étant tenu de son côté au respect de son hôte.
L’expérience de l’exil en Egypte explique sans doute cette importance aiguë dévolue à l’hospitalité dans l’Ancien Testament. Le peuple juif a lui-même été étranger ; mais une fois que l’amour de Dieu lui a permis d’acquérir une terre, il est à son tour tenu, pour manifester cet amour, d’offrir un autre pays aux réfugiés.

Abriter les nobles, nourrir les pauvres

Dans le Nouveau Testament, Jésus lui-même se présente comme « l’hôte intérieur » présent en chacun : il est à la fois en demande et en offre d’hospitalité : « Je demeure en vous et vous en moi. » Recevoir l’étranger, c’est recevoir le Christ lui-même. L’Evangile appelle chacun à se reconnaître comme un étranger, à faire l’expérience de sa propre étrangeté - avec le dénuement et la vulnérabilité inhérents - et avec le risque de n’être pas reçu. C’est le risque couru et accepté par les disciples. Mais ceux-ci découvrent en même temps la Providence.
La règle de saint Benoît privilégie l’accueil des pauvres. Dès le IVe siècle, l’Eglise construit des institutions de charité et d’hospitalité. A partir du XIIe siècle, des ordres religieux se spécialisent dans ce domaine. Les hôtelleries des monastères offrent le gîte aux nobles, et le couvert en plus aux pauvres. Au Moyen-âge, les chevaliers érigent l’hospitalité en véritable loi morale.

Comme « L’Auvergnat »

Qu’en est-il aujourd’hui ? Dans le monde moderne, on ouvre de moins en moins sa porte. L’habitat, espace d’intimité dont sont privés les plus démunis, en est le symbole : les riches Américains se clôturent dans des quartiers réservés. Les plus privilégiés, les « nationaux installés », chassent de leur esprit les grandes migrations du passé. Pourtant, dans la mémoire collective, la vertu de l’accueil reste très prisée.
Le succès de chansons généreuses comme « l’Auvergnat » ou « la Jeanne » de Georges Brassens, ou comme « San Francisco », de Maxime le Forestier, à l’époque hippie, témoignent de l’attachement populaire à la notion de partage : d’une maison, d’un toit, d’un abri pour les plus fragiles. C’est aussi une aspiration atavique : l’offre spontanée d’un hébergement apparaît comme un secours précieux dans les temps difficiles.
Aujourd’hui, l’Eglise est appelée à inventer d’autres formes et lieux d’hospitalité pour manifester que Dieu continue à visiter son peuple. Et elle témoigne toujours de la possibilité d’un « vivre ensemble ». Quelle que soit l’origine ethnique des individus.

Jean-Paul Vannson





Le devoir d’accueil des malades

Dans les Vosges, Paulette Vuidel est responsable de l’aumônerie des hôpitaux : 130 visiteurs vont régulièrement à la rencontre des malades dans les hôpitaux et 100 se rendent dans les domiciles. Rencontre.

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J’étais malade et vous m’avez visité. Les visiteurs de malades vont là où l’on a le plus besoin d’eux. Des personnes qui n’appellent pas forcément, au contraire : les appels se limitent à quelques cas de demandes de communion ou de sacrement des malades. Non, les visiteurs de l’aumônerie se portent résolument à la rencontre des personnes alitées, qui viennent d’être opérées ou qui sont victimes d’une maladie grave.
Les catholiques bénévoles y vont sans prosélytisme, et en toute discrétion. Ce qui explique sans doute leur statut un peu privilégié dans les Vosges : elles se rendent dans les chambres d’hôpital sans y avoir été préalablement appelées. Une confiance gagnée moyennant un comportement de respect des personnes et des institutions hospitalières. « On se présente aux infirmières avant nos visites.
On frappe à toutes les portes et on rentre dans la chambre, sauf contre-indication médicale », explique Paulette Vuidel, elle-même ancienne infirmière à l’hôpital Jean-Monnet à Epinal. Les questions essentielles

Les questions existentielles

Certains disent qu’ils ne sont pas croyants et qu’ils ne veulent pas entendre parler de religion : « Qu’importe, on leur souhaite un bon rétablissement et un dialogue fructueux s’engage parfois sur la famille, les enfants. » D’autres se félicitent de la visite car, à la suite de leur opération ou de la maladie, ils s’interrogeaient sur le sens de la vie et sur Dieu sans pouvoir pour autant en parler à leurs proches – par pudeur ou discrétion.
Il existe un besoin brûlant, une attente indéniable chez les personnes hospitalisées, condamnées à l’immobilité et qui « tournent dans leur tête » des questions lancinantes, toute la journée : « Que m’aurait dit le Seigneur s’il m’avait vu arriver en cas d’échec de mon opération, avec la vie que j’ai menée ? » Une interrogation entre autres, débouchant sur une ouverture d’avenir, relevée par la visiteuse chrétienne : « Maintenant que vous avez fait le point sur votre vie, vous savez ce que vous pouvez faire. »

Le secret de la confidence

Les malades sont confortés dans leur confiance et leurs confidences du fait que le catholicisme est associé au secret de la confession, relève Mme Vuidel. « Il m’est arrivé de discuter un quart d’heure avec un malade musulman ; on s’est remercié l’un l’autre de notre rencontre », témoigne la visiteuse qui se rend à la Ligne Bleue à Epinal tous les vendredis après-midi : « On insiste beaucoup sur la gratuité de notre démarche.
Ce qui est également très important, c’est la relecture en équipe : voir comment, dans les personnes qu’on rencontre, on peut discerner Dieu. »

On recrute des visiteurs de malades

Seul, livré à soi-même, il est lourd d’entendre les gens parler de leurs difficultés : « On est soulagé d’en parler en équipe, en toute confidentialité. Des choses importantes apparaissent, alors qu’on pensait n’avoir recueilli que des choses anodines. Le partage nous aide à voir des traces de Dieu dans ce qu’on a vécu. »
L’aumônerie assure un accompagnement et des formations pour les bénévoles : « En juin, on a rencontré le directeur de l’hôpital de Ravenel à propos des visites, très bénéfiques, aux malades d’Alzheimer et aux personnes désorientées ; on a aussi rencontré l’unité de vie protégée de Ville-sur-Illon. » Face aux besoins croissants, l’aumônerie recrute : « On ne compte que quatre ou cinq équipes à Epinal, où l’on est peu nombreux. »
L’aumônier de l’hôpital assure un mi-temps à Jean Monnet. Là comme ailleurs, les équipes de laïcs sont appelés à remplacer les prêtres.

Jean-Paul Vannson




« Hospitalité »

Un petit regard dans le dictionnaire (Larousse) nous révèle que le mot « hospitalité » a au moins trois significations :
1) « Action de recevoir et d’héberger quelqu'un chez soi, par charité, générosité, amitié. »
2) « Bienveillance, cordialité dans la manière d’accueillir et de traiter ses hôtes ; »
3) « Asile accordé à quelqu'un, à un groupe par un pays. »
Ces trois significations nous montrent que le mot concerne finalement beaucoup de sujets, concerne soit des actions, soit des attitudes ou des manières de mener une action, s’adresse à la personne en tant que particulier (personne privée) mais peut s’adresser aussi à nous en tant que citoyen ou responsable dans une institution.
Quel piège à confusions !

Ajoutons à cela maintenant la question des Roms, la politique politicienne, l’Etat, la prise de parole de l’Eglise, et, comble de provocation, Jésus de Nazareth. Bonne occasion de pagaille, de polémique, d’émotions qui ont pris maintenant une dimension européenne.

C’est presque un travail d’Hercule d’essayer en quelques lignes de « mettre un peu d’ordre », c’est-à-dire un peu de clarté dans tout cela afin de laisser aussi un peu de place à la réflexion (=la raison) menacée par nos passions militantes, partisanes et corporatistes.

D’abord, pour juger si quelqu’un – sur le plan personnel – est plus hospitalier dans un pays que quelqu’un dans un autre pays, il est utile de comparer des personnes comparables (ne pas comparer des jeunes de 16 ans avec les veuves de 75 ans, les femmes avec les hommes, le citadin avec le villageois, les riches avec les pauvres etc), car sinon on confond , par exemple, la différence due au statut social avec la culture d’un pays.
On peut aussi, vu la troisième définition, comparer l’attitude envers un groupe, cette fois-ci sur le plan étatique en regardant le comportement de l’administration et le dispositif législatif d’un pays.
Concernant mon pays, l’Allemagne, je dirais que « les Allemands » ne sont pas plus ou moins hospitaliers que les Français, et que l’Etat allemand est caractérisé par une structure fédérale avec 16 Länder (régions) avec des lois et des cultures administratives régionales différentes. Impossible de faire ici un constat généralisé.
Vu qu’il n’existe pas, à ma connaissance, des résultats d’une enquête scientifique sérieuse concernant cette problématique, ma prise de position concernant l’Allemagne se situe donc au niveau du « café du commerce », et le fait qu’elle soit présentée dans un journal de l’Eglise comme un « témoignage » ne lui donnera pas un surplus de vérité.

Vu le passé de mon pays où on a exterminé aussi les Roms, j’ai été, bien sûr, très heurté par le fait que, par décret, l’Etat français ait visé explicitement une minorité pour lui infliger un traitement (spécial). Pour moi c’était un scandale et j’ai bien compris les réactions ulcérées de certains membres du clergé en France, du Pape et de la Vice-Présidente de la Commission Européenne, Mme Viviane Reding, à qui on avait apparemment caché l’existence de ce décret.
Pour moi celui-ci, vite retiré de la circulation, était une honte pour le pays des droits de l’homme.

Il faut distinguer la question d’une discrimination officielle d’un groupe de la question de l’expulsion de certains Roms. Cette dernière peut être prise comme une question de loi, une question d’efficacité ou comme une question morale. Comme vous le savez loi, efficacité et morale ne vont pas toujours automatiquement ensemble, les réponses seront donc différentes.
Pour être bref :
a) Sur le plan légal la grande majorité des expulsions semble tout-à-fait correcte.
b) Sur le plan de l’efficacité ils sont presque ridicules, en tout cas, dans quelques mois les Roms concernés pourront revenir en France en toute légalité pour une nouvelle période de trois mois.
c) Sur le plan moral, la réponse dépend de votre choix de critère moral. Il y a plus d’une dizaine de ces critères et concepts. Ne pratiquant pas envers les Roms une approche paternaliste mais plutôt fraternelle, ce qui implique aussi de rappeler à son frère sa propre responsabilité, je jugerais la question des expulsions sur le plan moral cas par cas.

Quant à la prise de parole publique de l’Eglise dans cette affaire, elle m’a enchanté. Cela fait des années que j’encourage les responsables de l’Eglise à être présents dans l’espace public (médias, opinion publique) [pas dans la sphère publique = sphère de l’autorité d’Etat: ministères, administration publiques etc.], chaque fois que des valeurs fondamentales sont mal traitées et les droits de l’homme sont en jeu. Que la majorité des français pratiquant ne partagent pas mon point de vue, ne m’étonne pas, car l’histoire française les a rendu très méfiants, anxieux, frileux, et finalement contaminés par l’idéologie laïciste, selon laquelle espace public et sphère publique sont la même chose et la religion une affaire limitée à la sphère privée. Comme si Jésus s’était contenté de prêcher uniquement dans l’atelier du charpentier Josef à Nazareth.

Il faut donc encourager la majorité des catholiques pratiquants à approuver la prise de parole dans l’espace public de sa propre Eglise ou même de développer le courage de le faire un jour soi-même en tant que Chrétien catholique. Cet encouragement pour un tel changement quasi- historique du comportement des catholiques français nécessite une pédagogie de patience, et non une pédagogie de choc. Il faut donc à tout prix éviter que les catholiques français vivent la prise de parole de l’Eglise dans l’espace public comme un exercice stérile, où sous prétexte de religion (Jeanne dArc à Domremy, le parvis de St. Denis etc.) se heurtent dans l’espace public les partisans de l’extrême droite à la gauche anti-sarkoziste dans des manifestations qui font surtout l’affaire des partis politiques.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle – contrairement à d’autres témoins catholiques cités dans votre journal - je n’ai pas participé aux manifestions dans les Vosges. Je préfère que l’Eglise prenne la parole dans l’espace public d’une manière à ne pas être phagocytée par des forces politiciennes.

E.Günter Schumacher, Diacre Permanent





L’hospitalité au Tchad

Daniel Rémy, prêtre vosgien missionnaire au Tchad, est revenu définitivement dans le diocèse l’an dernier. L’hospitalité ? Il en a fait une belle expérience. Témoignage.

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Au Tchad, l’hospitalité fait partie du quotidien. Respecter les devoirs de l’hospitalité, pour celui qui accueille, comme pour celui qui est accueilli, est important dans la culture des différents groupes ethniques. Dans le langage courant, on parle plutôt de l‘ « étranger » : « Aujourd’hui je ne peux pas venir car j’ai mon étranger à la maison ». L’ « étranger » désigne alors toute personne, aussi bien membre de la famille venue du village que quelqu’un d’une autre ethnie ou d’un autre pays.

Il y a les premiers gestes d’accueil : on déroule une natte à l’ombre où l’étranger est invité à s’assoir et on lui donne de l’eau. Puis, son hôte le salue longuement, suivi de tous les membres de la famille. On lui demande des nouvelles de sa famille, du village, des connaissances et c’est après qu’on s’enquiert de l’objet de sa visite. Souvent, l’étranger mange avec un enfant de la famille, on ne le laisse jamais seul. Il doit jouer son rôle d’étranger afin qu’une distance, presque une surveillance, soit maintenue. Bien sûr, si c’est un membre de la famille, il s’intègre et ne repartira pas sans rien, ni même le prix de son trajet de retour. Pour les citadins, c’est parfois très lourd d’accueillir, mais cela fait partie de la solidarité familiale et ethnique. L’hôte doit également aider aux démarches administratives, à l’accès aux soins, au travail et au logement.

En visitant les nombreuses communautés chrétiennes qui composent les paroisses au Tchad, dans les zones rurales ou dans le Sahel, j’ai fait l’expérience de cette hospitalité au quotidien. Au début, je la trouvais un peu fastidieuse mais j’ai appris à respecter les devoirs de mon hôte et mes devoirs d’étranger. Finalement, cette tradition nous aidait beaucoup dans le travail pastoral. Par exemple, saluer d’abord les différentes autorités évitait ensuite les contrôles. C’était souvent le catéchiste ou le responsable de communauté qui m’accueillait. Il me suggérait des visites, qu’il avait préparées avec la communauté. Je pouvais ensuite insérer mon programme plus facilement, en toute légitimité.

Les communautés ecclésiales de base, qui forment la structure porteuse des Églises au Tchad et en Afrique, fonctionnent largement sur ces valeurs d’hospitalité. Les communautés accueillent les fidèles venus d’ailleurs, ainsi que ceux qui veulent connaître le Christ et devenir chrétiens. Un rite dans les assemblées dominicales marque cet accueil : les étrangers sont invités à se présenter et un chant de bienvenue les salue. Ils sont à nouveau salués lors de leur départ.
Combien l’anonymat de nos assemblées urbaines pèse aux Africains chez nous !

En France, la question des étrangers fait souvent la une des journaux, comme en ce moment le rejet des Roms. L'hospitalité n’est pas seulement une question de principes à affirmer et à défendre. C’est aussi au jour le jour qu’on la vit, accueillir l’étranger comme être accueilli en tant qu’étranger. C’est un devoir des deux côtés, qui s’apprend sûrement. Beaucoup le font, simplement, discrètement, mais non sans courage.

Daniel Rémy

Publié le 01/10/2010 par Alice.