Enraciné dans sa terre natale à la façon de ces grands arbres qu’il aime reconnaître parmi la nature vosgienne, Louis Boucher vint au monde le 20 juillet 1913 et grandit au sein d’une fratrie de quatre enfants dont il est le second. Si son pas est aujourd’hui moins assuré que par le passé, les ans n’ont en rien émoussé la clarté d’un jugement serein, mais sans concession. Tous ces articles ont été publiés dans le magazine « Eglise dans les Vosges ». En vous abonnant , vous soutenez l’information et le dialogue dans le diocèse.
La guerre mondiale fut cruelle pour la famille Boucher qui pleura la disparition en déportation d’un de ces garçons, André. Frère Xavier en religion fut conduit à Buchenwald, par vengeance arbitraire des nazis après un attentat contre Hitler. Un acte dont le malheureux franciscain n’était en rien responsable.
La destinée devait encore emporter Georges, un autre fils Boucher, dans un accident de voiture, marié et père de 5 enfants. Françoise, sœur aînée de Louis est aujourd’hui âgée de 98 ans. Centralien, Louis Boucher aurait très bien pu succéder à son père, industriel constructeur en 1910 des filatures éponymes à Cheniménil. “J’étais prêt à entrer dans la carrière...” L’inattendu est arrivé.
Ce serait faire offense à la grande modestie du prêtre que de détailler son cheminement. Il suffit de savoir que, invité par un camarade à le rejoindre pour s’occuper de jeunes en banlieue parisienne, Louis Boucher intégra l’exemple d’un religieux dont l’abnégation forçait l’admiration. “Un curé gravement malade me chargea de le remplacer à la tâche... je pensais que mes possibilités éducatives étaient limitées...”
Un Appel de Dieu... Un choix... “J’étais déterminé à remplacer au service de l’Église ce prêtre malade. J’arrivais alors en deuxième année de l’École Centrale. Cela ne m’a pas empêché de poursuivre mes études jusqu’au bout ! Le service militaire dans l’Artillerie m’attendait. Je suis entré au séminaire à 24 ans !” Louis Boucher en sourit encore.
Deux années de philosophie à Rome, l’obligation de quitter l’Italie du fait de la guerre, ce sera finalement à Lyon, au séminaire universitaire que Louis Boucher recevra son enseignement religieux. Nommé vicaire à Saint-Dié, puis durant 7 ans, curé de la paroisse Sainte-Jeanne d’Arc, le religieux fut envoyé comme curé à Saint-Maurice à Épinal. Après 23 ans, il devait retrouver la Déodatie. Nommé auxiliaire, “au service de toute la ville”, Louis Boucher exerça encore son ministère durant 19 ans.
De la concertation, de la générosité dans la réflexion
L’an 2000 arriva avec la décision d’habiter désormais la maison de retraite déodatienne Saint-Pierre Fourrier. Un petit appartement, du repos, du temps libre, mais pas d’inactivité. Le prêtre s’est plu à découvrir la propriété, à recenser ses essences superbes d’arbres rares, séculaires. De menus travaux de jardinage, quelques fonctions en paroisse... Louis Boucher ignore l’indolence. La foi qui le porte lui permet encore de participer à la célébration des offices de l’établisse¬ment de retraite où vivent une trentaine de prêtres, cinq religieux et une dizaine de laïcs qui furent au service de l’Église.
Le rythme de la vie actuelle n’inquiète pas vraiment le vieil homme qui pourtant juge nécessaire de prendre davantage la mesure de toutes choses. “Il faut de la concertation, de la générosité dans la réflexion. Le monde évolue. Internet, c’est très bien et cela rend de grands services aux gens. On peut joindre rapidement des personnes à New York, à Shanghaï... Il est utile malgré tout de regarder à côté et autour de soi...” Louis Boucher n’ignore pas et ne rejette pas les technologies nouvelles.
“La moyenne d’âge de retraite des prêtres atteint ici 86 ans... La présence de laïcs pour aider au fonctionnement de l’Église est maintenant nécessaire. En particulier pour les célébrations d’obsèques. Mais il faut que les gens s’habituent...”. Louis Boucher sait d’expérience que rien n’est simple lorsqu’il s’agit de bousculer le train-train. “Il faut du temps pour que les mentalités évoluent, ce n’est pas facile, mais nécessaire...”
À 97 ans, Louis Boucher se refuse aux facilités d’esprit. “Le concile a donné une ouverture plus grande qu’autrefois, il est indispensable de toujours s’interroger, de réfléchir encore... Il m’arrive de chercher des réponses dans le Latin...”
Le prêtre pratique également le Grec, consulte une douzaine d’éclectiques revues, regarde un peu la télévision. Mais, il se garde de trop d’avis lorsqu’il s’agit du quotidien. Parfois dubitatif, il s’interroge. “Vous savez ici, je ne vois plus vraiment comment vivent les gens... Il leur faut essayer de comprendre les nécessités du moment, il faut du réalisme face aux situations... Pour les retraites, par exemple... Ce n’est pas simple de trouver des solutions. La télé nous informe, ou nous déforme ? Il faut entretenir un esprit critique. Ou alors, tout absorber comme du bon pain ? Prendre conscience des réalités, faire des efforts, c’est ainsi que l’on avance... Ici la fraternité et le dévouement de personnes qui ont la maison en charge sont admirables. Nous sommes très gâtés.” S’il évoque avec pudeur les misères de l’âge, le religieux ne se plaint pas. “Je suis heureux”. Serviteur de Dieu, presque centenaire, Louis Boucher, prêtre parmi les humains, demeure un homme d’avenir.
Josée Tomasi-Houillon