IL Y A CENT ANS... LA CREATION DU BUREAU DIOCESAIN DES ŒUVRES
En 1907, Monseigneur Foucault est à la tête de l’Eglise des Vosges depuis 14 ans. « La charité du Christ le presse » comme dit Saint Paul (2 Cor.5,14). Il se demande comment endiguer la vague d’irréligion générée par la politique d’enseignement « laïque et obligatoire » de la République d’alors, il voit les efforts de son Clergé – alors si nombreux qu’il n’a pas de problèmes d’effectifs, mais qui agit en ordre dispersé, avec plus ou moins de possibilités – et de son esprit toujours en éveil surgit un remède : donner une direction aux Œuvres du diocèse. Dans on numéro du 12 avril 1907, la « Semaine religieuse » publie un long article signé de l’Evêque évoquant l’action de ses prêtres ‘sollicitée par des besoins nouveaux, devant chercher, sans rien abandonner des pratiques traditionnelles, des voies nouvelles d’apostolat ». Il évoque ce qui a été fait ici ou là, avant de constater : »Toutes ces bonnes volontés, tous ces essais, tous ces efforts ont besoin d’être dirigés, soutenus, coordonnés. Combien de prêtres qui se mettraient courageusement à la besogne, mais qui, manquant de l’initiative personnelle ou de l’expérience spéciale nécessaire, n’osent rien entreprendre dans la crainte d’un insuccès qu’une légitime défiance d’eux-mêmes leur fait envisager comme probable ? Combien d’autres qui, vivant éloignés des centres d’action et ne connaissant pas ce qui se fait ailleurs, se croisent les bras, persuadés qu’il n’y a rien à faire ? Pour encourager les timides ou déterminer les hésitants, pour guider l’inexpérience des bonnes volontés ou même endiguer les écarts possibles du zèle ou du tempérament, il devient nécessaire de grouper, au moyen d’une direction centrale, les œuvres et les hommes d’œuvres. « Cette direction devra poursuivre un double but : au point de vue technique, étudier l’établissement, le fonctionnement et la vie des différentes œuvres ; au point de vue moral, assurer dans les œuvres l’épanouissement toujours plus complet de la vie religieuse. Cette seconde tâche, qui est de beaucoup la plus importante et dont l’oubli condamnerait nos œuvres, malgré leur apparente vitalité, à une stérilité lamentable, consistera surtout à infuser aux œuvres, à ceux qui les fréquentent et plus encore à ceux qui les dirigent, l’esprit religieux, l’amour et la pratique de la religion, le zèle pour la défense de l’Eglise et de tous les intérêts religieux.
« Pour obtenir ces résultats, il est indispensable que nos œuvres catholiques possèdent un centre diocésain et une direction diocésaine ». Monseigneur Foucault, tout en regrettant que sa ville épiscopale de Saint-Dié ne puisse être choisie pour accueillir cette fondation, reconnaît – déjà ! – que « le centre qui paraît le mieux indiqué, c’est la ville d’Epinal qui, par sa situation géographique et par l’aboutissement des voies ferrées est d’un accès très facile et constitue un passage que l’on ne peut éviter ». C’est donc dans cette ville qu’il implantera son « Bureau diocésain des Œuvres », 25, rue Boulay de la Meurthe, face au « portail » de la première église Notre-Dame. Alors réduite à « sa vaste nef, fermée à chaque extrémité par des cloisons de briques rouges d’une seule épaisseur, précise Monsieur l’abbé Ohnimus dans le beau livre qu’il a consacré «à « Un Saint parmi nous ». Notre-dame d’Epinal était pour longtemps l’expression vivante de l’Eglise de France : église mutilée, dépouillée et pauvre ». Et Monseigneur Pierre-Fourier Evrard, alors professeur et directeur d’une Grand Séminaire de fortune, installé dans une aile libre de l’ancien Saint-Joseph d’Epinal, ne savait pas encore qu’il deviendrait l’inoubliable curé bâtisseur de l’église enfin fixée dans une splendeur que la guerre réduira en ruines. L’immeuble trouvé, restait à dénicher l’oiseau rare qui bâtirait le nid. Thaon-les-Vosges la bienheureuse – et qui le demeurera à tant de titres – avait depuis 5 ans pour curé un prêtre au grand cœur qui y avait créé une « association des chefs de famille », si bienvenue qu’elle avait débordé sur presque tout le canton de Châtel et sur beaucoup de paroisses alentour, franchissant même les frontières du département pour s’établir jusqu’à Allevillers et Baume-les-Dames. Contrairement à d’autres œuvres nées de la séparation des Eglises et de l’Etat, elle ne se cantonnait pas sur le terrain négatif et transitoire de la lutte contre l’école anti-religieuse, mais se plaçait avant tout sur le terrain positif et solide de toutes les œuvres familiales. Monseigneur Foucault, ce meneur d’hommes, savait ce qu’il pouvait espérer de ce prêtre qu’il avait vu animer en tant qu’aumônier le Cercle catholique d’Epinal, et fonder en cette ville la paroisse Saint-Antoine, avant de l’envoyer à Thaon : il fit du Chanoine Henri Barotte le premier directeur.
L’homme qui avait pris pour devise de sa vie sacerdotale « Je ne veux que l’accomplissement de la volonté de Dieu » mit aussitôt la main à la charrue, sans un regard en arrière. Sa nomination figurait in-fine de l’article cité de l’évêque, dans la Semaine religieuse datée du 12 avril ; le numéro daté du 19 le disait déjà installé dans un appartement situé au premier étage du bureau diocésain, prêt à recevoir ou à visiter ceux de ses confrères qui le souhaiteraient, et tenant à leur disposition deux conférenciers qui « se contenteront de leurs frais de déplacement ». Une ébauche de rayon « librairie » débutait, mettant à la disposition des curés et des « homme d’œuvres » les outils qui pouvaient les intéresser. Et Monseigneur Foucault « s’excusant de n’avoir pas prévenu personnellement « ( !) les membres qu’ils avaient désignés, étoffait le bureau en nommant plusieurs prêtres autour du directeur, ainsi que le note la Semaine du 10 mai. Son numéro suivant annonce pour le 24 la première réunion du bureau au complet, ajoutant que l’évêque « retiendra tous les participants à déjeuner ». Dans ses numéros des 31 mai et 7 juin, la Semaine religieuse publia le rapport de M. Barotte sur cette réunion au cours de laquelle plusieurs décisions furent prises : création d’un fonds commun pour un « bulletin paroissial » diocésain mensuel, auquel chaque paroisse ou chaque Union cantonale ajouterait ses titre et pages complémentaires ; conférences de Mademoiselle d’Héricault pour la « Ligue des Femmes françaises » déjà organisée dans de nombreux cantons des Vosges ; librairie de propagande ; rapatriement à la direction diocésaine des œuvres de la « bibliothèque Saint François Régis » de Saint-Dié, stockée dans des caisses depuis les expulsions. Et surtout, annonce de la tenue d’un Congrès sacerdotal diocésain, convoqué par l’évêque pour les 11 et 12 septembre, afin de « mettre les choses au point et jeter les bases d’une action plus étendue, plus uniforme et plus fructueuse ». Le numéro de la Semaine daté du 16 août publiait le programme du Congrès ; dans celui du 6 septembre, un article anonyme – peut-être écrit de la plume du chanoine Barotte ? il est permis de la penser – y préparait les esprits. Plus de deux cents prêtres s’étaient annoncés ; M. l’abbé Leroy, fondateur de « l’action populaire » devait venir expliquer aux Congressistes comment pratiquer l’action sociale, et le parti qu’ils pouvaient en tirer pour le bien surnaturel de leur peuple. MMs les abbés Devaux et Thouvenin, membres de l’Union des syndicats lorrains, devaient parler « des œuvres agricoles faciles et bienfaisantes qui contribuent à resserrer les liens entre les pasteurs et leurs troupeaux, qui conservent le troupeau aux pasteurs en enrayant la désertion des campagnes ». Evidemment, cela « date » aujourd’hui... mais le moindre village avait à l’époque son curé, et ce curé, voyant ses ouailles vivre aussi pauvrement que lui-même, était heureux quand il trouvait un moyen de les aider. L’auteur concluait : « Deux jours de discussions fraternelles, présidées par le chef et le Père du diocèse, sous le regard de Dieu, avec des esprits mûs par le seul désir du vrai, avec des cœurs animés du pur zèle apostolique, ne peuvent que marquer un progrès dans la vie religieuse de nos fidèles et dans l’influence sociale de notre Clergé » Enfin le Congrès s’ouvrit le 11 septembre, en présence de Mgr Foucault qui dirigea les débats « avec cette précision, cette délicatesse, et cette science des questions mises à l’étude qui, tout en encourageant l’échange des idées, ne permet pas à la discussion de s’égarer longtemps » nota la Semaine religieuse, en précisant que l’évêque avait insisté pour qu’on se mit à l’aise, sans se contenter de dire amen ! Dix questions avaient été inscrites au programme ; en tête desquelles le « Bulletin paroissial vosgien », qui eut pour avocat le chanoine Chapelier, curé-archiprêtre de Mirecourt ; en second lieu , la « Semaine religieuse » pour laquelle plaida ave humour M. l’abbé Bareth, son directeur de l’époque : »longtemps du côté du plat, je sens bien aux brûlures de mes doigts que je suis maintetant du côté de la queue de la poêle ! ». Et d’évoquer l’avis d’un « prêtre éminent du diocèse » : »Quand bien même la Semaine religieuse serait rédigée par un ange, elle ne serait encore, pour un certain nombre de lecteurs, qu’un vulgaire boquillon ! » (bûcheron). Voilà de quoi – éventuellement – consoler les rédacteurs actuels de la Vie Diocésaine ! La troisième question , sur les examens de catéchisme et les catéchistes volontaires, avait été confiée au chanoine Thomassin, curé-archiprêtre de la Cathédrale ; le débat prit alors de l’ampleur, tant sur des questions de fait que de principe. On souhaita que fussent établies des confréries de catéchistes volontaires, selon la prescription de Pie X, qui soient entretenues par des réunions diocésaines annuelles dans l’esprit d’apostolat ; on désira que soit édité plus solidement la catéchisme diocésain, avec les chants latins et un examen de conscience (ce qui fut fait). Un vœu supplémentaire concernait un catéchisme national, illustré, avec un supplément pour chque diocèse : les plus anciens parmi nous en ont connu un... mais sans supplément ! La quatrième question , concernant les divers services de la Fédération des œuvres de jeunesse, fut évoquée par M. l’abbé Chardin, curé d’Arches et pionnier des conférences associées à des projections cinématographiques. La cinquième , sur l’esprit religieux dans ces mêmes œuvres, fut traitée par le chanoine Curien, curé-archiprêtre d’Epinal, qui insista sur l’intense vie spirituelle que doit avoir le prêtre s’occupant des Œuvres, afin de la transmettre aux jeunes d’abord par son exemple, avant de les engager à suivre des retraites spirituelles. La sixième question , sur les « associations des chefs de famille », ne pouvait être confiée qu’au directeur des œuvres lui-même : le chanoine Barotte sut en parler de l’abondance du cœur d’un Père-fondateur, et fut heureux de voir le Congrès souhaiter qu’elles deviennent le cadre d’action de toutes les œuvres d’hommes, le lien diocésain qui les unirait. En septième position , la « Ligue des Femmes françaises », bénéficia de l’éloquente parole de M. l’abbé Robert, rédacteur en chef du « Réveil catholique, qui prêcha pour la diffusion de la presse religieuse, et fut si convaincant que le Congrès souhaita le « tirage à part » de son discours, pour servir de vade-mecum à qui voudrait fonder une section de la Ligue. Le temps manqua pour voir en détail les trois dernières questions, qui concernaient la presse et la librairie.M. l’abbé Mathieu, curé de Golbey, exposa deux possibilités : ou une librairie de propagande, émanant d’une « Société coopérative du Clergé » - ou une librairie non coopérative, rattachée au bureau diocésain des œuvres, qui fut choisie par le Congrès. Il se borna ensuite à faire admetttre le principe d’une « bibliothèque circulante » à l’usage des bibliothèques paroissiales, selon un projet restant à définir par la direction des œuvres. Sur la bibliothèque Saint-François Régis, dont nous avons déjà évoqué le rapatriement de saint-Dié à Epinal, M. l’abbé Thomas, professeur au Grand Séminaire, ne donna que la conclusion de son rapport. Le Congrès avait donc eu lieu : M. Barotte ne l’avait pas attendu pour se mettre à la tâche, mais il avait maintenant sa feuille de route : par la voix de ses Frères dans le sacerdoce et de son évêque, il avait reçu l’ordre : « Avance au large ! ».
Il avança. Qu’on veuille bien nous pardonner de déborder un peu 1907, tant cette vie fut bien remplie, quoi que trop brève. Dès les lendemains du Congrès, M. Barotte obtint de s’adjoindre, en tant que secrétaire à la direction des œuvres, le curé de Golbey, dont les interventions avaient été remarquées, et qui accepta la charge sans abandonner sa paroisse. Les « actes » du Congrès furent très vite publiés in-extenso, la librairie étoffée, les livres de la bibliothèque Saint-François Régis mis à la disposition des personnes intéressées par un service de prêt.Mais au yeux de l’apôtre, surtout comptaient les âmes : le chanoine Barotte était conscient que toute activité resterait stérile, si Dieu n’y était pas présent. Le malheur des temps avait privé ses Frères des retraites sacerdotales : il n’y avait plus de lieu capable d’accueillir les prêtres comme avant les lois de Séparation. Il se préoccupa de leur fournir des adresses de Lieux où ils pourraient se ressourcer, et dans le diocèse même il organisa des retraites fermées, pour les jeunes gens des œuvres de jeunesse comme l’avait suggéré le Congrès, pour les dames et jeunes filles avec la Ligue des femmes françaises. Les retraites ! M. Barotte y voyait un tel moyen de nourrir les âmes qu’il n’eut pas de repos avant que le diocèse ait sa propre Maison, qu’il fonda à Bazoilles en 1912, sous le vocable de Notre-Dame du Bon conseil . Douze ans après, sur son lit de mort à Nancy, une de ses dernières paroles fut pour cette œuvre, l’enfant chéri de son cœur , dont il était resté le directeur : « Je bénis toutes les personnes qui sont venues et qui viendront dans la Maison du Bon Conseil, et je serai toujours au milieu d’elles ». Il s’en allait à soixante ans, vicaire général de son évêque – toujours Mgr Foucault – et directeur des œuvres de presse dans le diocèse, mais ayant déposé l’année précédente la charge de directeur des œuvres diocésaines. Sans pour autant s’en désintéresser, puisqu’il avait dit : « S’il plaît à Dieu de m’enlever à mes chères œuvres, je leur serai plus utile Là-Haut que sur la terre ».
C’était le 20 novembre 1924... « Qu’il intercède pour nous dans le ciel, Celui dont nous gardons la mémoire sur la terre ! ».
MAP.