Patron de la Ville et du Diocèse
Quoique le plus jeune, d’une douzaine de siècles au moins, de tous les diocèses de l’Est, notre diocèse s’honore d’avoir pour patron un Saint appartenant à la lignée de ces grands moines qui, face au flot barbare qui submergeait l’Occident, ont résolument marché à contre-courant pour y porter la lumière de l’Evangile et poser ainsi les assises d’une civilisation nouvelle.
Les historiens ne contestent aucunement le séjour de Saint Dié au cours du VIIème siècle dans ce coin de nos Vosges. Mais ils font toutes réserves sur ses origines comme sur les détails de sa vie mouvementée. Car tout ce que nous en savons provient d’une « Vita Deodadi », tardive et de peu de valeur.
Cet ouvrage, d’un moine anonyme de Moyenmoutier, ne date que du XIème siècle, et fait grand honneur à l’imagination et aux qualités narratives de l’auteur. On pense que ce fut à l’initiative de Saint Léon IX, qui provoqua d’ailleurs la composition de plusieurs autres vies de Saints lorrains. Mais le fait qu’un grand Pape ait, en 1049, approuvé cette « Vita » et en ait même ordonné la lecture publique à Rome, ne suffit pas à convaincre nos historiens. Au XIIIe siècle, Richer, moine de Senones, s’avisa d’y ajouter encore des détails savoureux, sans la consolider pour autant. Ruyr, puis de Riguet, ont traduit et publié le tout au XVIIe siècle.
Cette légende toutefois expliquant nombre de traditions encore si vivaces dans notre région et en Alsace même, nous en relèverons, en guise de biographie, les principaux traits.
Sous des noms divers, qui convergent du reste, Deodatus, Adeodat, Dieudonné, Deydié et enfin Dié, notre Saint serait né dans la Gaule occidentale (à moins que ce ne fût en Irlande).
En mal de solitude, comme Saint Gondelbert à peu prés dans le même temps, nous voyons Saint Dié arriver prés de Rambervillers à Romont, puis glisser vers le Sud au bord de l’Arentelle, ruisseau descendu à l’Avison. Les habitants discourtois et barbares, ne tardèrent pas à expulser cet étranger. Saint Dié passe en Alsace pour y errer dans la plaine moyenne, couverte alors de forêts. Par le col de Bonhomme — joli vocable attaché à son souvenir et que la postérité a voulu sans doute lui donner à titre de réparation — Saint Dié vint échouer sur la Meurthe. Les pentes du Kemberg, dont la forêt dévalait jusqu’au cœur de la ville actuelle, lui offraient enfin l’asile de paix qu’il cherchait en vain depuis des années. Il s’y aménagea aussitôt une cabane et bâtit un oratoire en l’honneur de Saint Martin (ce détail marque l’origine de la seconde paroisse de Saint Dié).
Un instant encore, suivons la légende, avant de découvrir, dans le calme, le vrai visage du fondateur de la Ville. A la suite d’une apparition de la Sainte Vierge, Saint Dié s’empresse de lui édifier une église au lieu-dit Les Jointures. Comme Saint Gondelbert et tant d’autres épris de solitude, Saint Dié, en vertu de sa sainteté même, s’était vu bientôt entouré, dans sa cellule du Kemberg, d’une foule croissante de disciples. De là, semble-t-il et sans contester l’apparition mariale, le dessein de se transporter en un lieu plus propice à l’érection d’un monastère.
Le nom de « Jointures », attaché de temps immémorial au monticule portant la Cathédrale, se justifie doublement par la topographie. Il désigne à la fois le carrefour de deux routes, la voie romaine de Colmar à Metz croisant ici la Via Salinatorum (le fameux chemin des Sauniers), et le confluent du ruisseau de Robache dans la Meurthe, qui coulait alors le long de la falaise de Gratin et de la rue Saint-Charles. De la sorte, le futur monastère se trouvait protégé naturellement par les deux rivières faisant office de douves.
Suivant une disposition providentielle dont nous avons déjà vu d’autres exemples, Saint Dié devient donc, tout à fait à l’encontre de ses vœux, le père d’une famille spirituelle. En toute simplicité, il accepta vaillamment de créer et d’organiser son nouveau monastère.
Les pièces majeures de cet ensemble étaient ces deux églises nettement désignées et, à notre sens, dignes d’une intéressante remarque. Certes nous n’en savons pas l’emplacement exact — tout vestige en ayant disparu - mais il est fort probable que la Petite Eglise et la Cathédrale actuelle, qui datent du début du XIIe siècle, en marquent la survivance.
Pour réaliser son entreprise audacieuse, que l’on peut situer entre 660 et 670, le fondateur reçut, sur le plan matériel, une aide des plus appréciables. Renouvelant en sa faveur le geste qui avait permis, quinze ans plus tôt, le « démarrage » de Senones à Saint Gondelbert, Childéric II, roi d’Austrasie, concédait au pieux anachorète un vaste territoire. Par acte du sceau royal, la contrée bientôt dénommée Val de Galilée, fut soustraite au fisc et donnée à perpétuité à Saint Dié et à ses successeurs. Le domaine concédé englobait, à partir des sources de toutes les rivières affluant dans la Meurthe en amont de Saint-Dié, le territoire des cantons actuels de Fraize, Provenchères-sur-Fave et Saint-Dié. La donation fut aussitôt confirmée, sur le plan religieux, par la fameuse charte de Numérien, archevêque de Trèves, qui sauvegardait ainsi pour l’avenir, vis-à-vis des évêques de Toul, l’indépendance et les privilèges du jeune monastère des Jointures.
Autour du monastère où affluaient les disciples, on vit bientôt s’installer, se regrouper les rares habitants de cette région. Progressivement ils élargirent la clairière au sein de l’immense forêt vosgienne, mettant en culture les versants ensoleillés, bâtissant des maisons d’exploitation appelées manses ou cellules. Celles-ci sont à l’origine des 24 paroisses ou communes dont le territoire actuel constituait le Val de Galilée.
Pour organiser la vie du monastère, Saint Dié recourut à une règle originale qui témoigne de sa sagesse, en ce sens qu’elle constitue un heureux compromis entre les deux spiritualités colombaniste et bénédictine.
Dans la joie d’une charge pastorale qu’il retrouvait sans l’avoir cherchée, il donnait tous ses soins à la jeune communauté. Sur le plan matériel, les moines aménageaient progressivement le Val de Galilée, préparant ainsi, dans cet ample bassin de la Meurthe, le berceau d’une ville destinée à ce qu’elle est aujourd’hui : une des régions vitales de notre département.
Mais ce qui important avant tout, « l’unique nécessaire » était, pour Saint Dié, la vie spirituelle de ses disciples. Dans l’église, les moines assuraient la « laus perennis », cette récitation solennelle, de jour et de nuit, de l’office liturgique, cette célébration de la messe conventuelle, toute cette vie de piété, de recueillement, de pénitence qui anime toujours nos abbayes. Ainsi montait de la forêt des Vosges, encore païenne, la louange à Dieu, premier devoir de toute créature, et le message évangélique se répandait par toute la région. Notre-Dame de Galilée devient bien vite un lieu de pèlerinage célèbre sur les deux versants des Vosges.
Habile à concilier toutes choses pour ses chers fils, les moines, Saint Dié sut aussi le faire pour son compte. Sans rien négliger de ses charges d’abbé, il gardait son amour de la solitude et se retirait fréquemment à son oratoire Saint-Martin. Ainsi, pendant une dizaine d’années, sa vie oscilla entre deux pôles et le contraignit à une navette incessante entre les Jointures et le pied du Kemberg. Et le sentier, qui en ligne toute droite, franchissait la Meurthe sur une mince passerelle, traçait la future artère qui, aujourd’hui, de la gare à la cathédrale, donne si grande allure à la ville de Saint-Dié. En sorte que la majeure partie de ses habitants, pour leur activités quotidiennes, foulent exactement et sans le savoir, les traces du premier Déodatien.
Sur la fin de sa vie, usé par les fatigues de l’abbatiat et les austérités de la pénitence, Saint Dié se retira progressivement à son premier ermitage. C’est là qu’il mourut le 19 juin 679, âgé d’environ 90 ans. Suivant ses volontés, les moines l’inhumèrent dans l’église Notre-Dame.