L’enfance de Dom Pothier à Bouzemont
Bouzemont est situé à cinq kilomètres de Dompaire. Il est perché en haut d’une colline de laquelle on domine la plaine des Vosges. C’est là que Joseph Pothier naît le 7 décembre 1835. Le père de Dom Pothier est dévoué à sa commune et son église. Il est instituteur, secrétaire de mairie, premier chantre de la paroisse et sacristain. La mère de Dom Joseph Pothier, Thérèse Viriot, est fileuse. Joseph Pothier aura une sœur, Marie-Louise décédée à l’âge de 16 ans ainsi qu’un frère, Alphonse de quatre ans son cadet qui deviendra moine de l’abbaye de Solesme.
A l’école, Dom Pothier apprend l’orthographe, l’arithmétique mais aussi le chant sacré. Chaque matin, les enfants allaient chanter la messe du curé Vautrin. Les deux frères Pothier acquirent une bonne culture générale dans laquelle ils puiseront une solide aptitude à l’étude rigoureuse.
Le sol de Bouzemont fut le gardien durant de très nombreux siècles d’antiques objets de l’époque gallo-romaine. La découverte du patrimoine antique continuait, à l’époque de Joseph Pothier, d’aiguiser la curiosité des plus érudits.
C’est très certainement dans ce contexte que le goût et l’aptitude de Dom Pothier pour la recherche prennent naissance. Durant toute sa vie, il n’aura de cesse d’exhumer des documents anciens. Il sera l’infatigable voyageur à la recherche du “grégorien perdu”.
Dom Pothier, moine à l’abbaye de Solesme
Avant de devenir moine de l’abbaye de Solesme, le futur abbé Joseph Pothier fit ses études dans plusieurs séminaires vosgiens. Il entra à l’âge de 12 ans au petit séminaire de Senaide en 1848 puis au séminaire de Châtel et de Saint-Dié où il reste jusqu’à son ordination presbytérale qui fut célébrée le 18 décembre 1858 à Saint-Dié. Ordonné avec dispense d’âge à 23 ans, le jeune prêtre est bien décidé à entrer à l’Abbaye de Solesme, dans la Sarthe.
A l’époque où Joseph Pothier entre à l’abbaye Saint-Pierre de Solesme, cette dernière commence à connaître un certain rayonnement grâce à Dom Guéranger qui vient de restaurer la congrégation bénédictine de France.
L’énergie de Dom Guéranger faisait l’admiration de son ami le pape Pie IX. Ce dernier lui donna affectueusement le surnom de “Dom Guerroyer”, car Dom Guéranger n’avait pas que des amis. En France, de nombreuses protestations se firent entendre contre cette volonté de réformer des coutumes et usages liturgiques ancestraux auxquels seule l’Église de France était restée fidèle. C’est à ce fastidieux mouvement de restauration liturgique que va finalement prendre part notre prêtre vosgien. Peu de temps après son entrée à Solesme, il sera repéré par Dom Guéranger qui souhaite une restitution du chant traditionnel d’après les documents anciens. Dom Pothier deviendra le précieux collaborateur de Dom Guéranger car il possède bien des qualités dont celle d’avoir reçu une formation musicale.
Un long et précieux travail
Il apparaît rapidement que Dom Pothier est capable d’interroger les diverses sources de chant sacré disséminées dans les bibliothèques. Le jeune moine prit souvent son bâton de pèlerin et entreprit une véritable campagne d’exploration, se trouvant ainsi lancé sur les chemins de l’investigation. Dom Pothier s’attache surtout à consulter les très nombreux manuscrits de chants conservés dans les bibliothèques d’Europe qui permettent d’étu
dier la ligne mélodique dans sa pureté originelle. Très vite, la réputation de Dom Pothier a commencé à se répandre ; elle a amené des bibliothèques publiques de France, de Suisse et d’Allemagne, à lui prêter leurs documents anciens afin qu’il puisse les travailler. Les particuliers et des membres de congrégations religieuses témoigneront de la même confiance envers cet érudit.
Il publie également des articles qui très vite sont remarqués. Au cours de ses nombreux déplacements, Dom Pothier est reconnu pour sa science ; c’est pour lui l’occasion de faire la promotion de ses découvertes en prodiguant des conseils à ceux qui entendent réformer la manière dont le grégorien est chanté.
Les mélodies grégoriennes restaurées
Beaucoup attendent que soient enfin rédigées les mélodies grégoriennes restaurées par Dom Pothier. Ce fut réalisé en 1880, soit vingt années après son entrée à Solesme. Il aura fallu toutes ces années de travail acharné et consciencieux pour que soit finalement publié le fruit de ses recherches : Les Mélodies grégoriennes, d’après la Tradition (éd Desclée). De nombreux journaux firent l’écho de cette publication qui eut de nombreux admirateurs.
Selon la Revue de l’art chrétien, “Le nouveau Maître qui vient de se révéler au monde savant semble sortir de l’école même de saint Grégoire, tant il se montre en possession des éléments qu’il s’agissait de faire revivre dans toute leur beauté native… Il a condensé et mis à la portée du vulgaire une science qui demandait un travail immense et un véritable génie… La question du chant ecclésiastique est définitivement résolue”.
Très vite, Dom Pothier eut de très nombreux partisans au sein de l’Église catholique, conquis à l’idée qu’il fallait promouvoir désormais l’étude et la bonne exécution du chant traditionnel de l’Église. Mais il eut également d’ardents contradicteurs parmi lesquels on trouve surtout les garants des intérêts de l’Edition dite médicéenne de Ratisbonne, déclarée typique et authentique par Rome. En effet, un Graduel avait été édité à Ratisbonne en 1868 et avait obtenu du Saint-Siège en 1870 un privilège pour trente ans. Le Graduel est la pièce la plus ornée du répertoire grégorien de la messe.
Souvent exécutée entre la première lecture et l’évangile de la messe, il a donné son nom au recueil des pièces pouvant être chantées au cours de la célébration eucharistique. C’est donc un livre liturgique très important ; il est le livre de chant grégorien utilisé à la messe Trois ans après la publication des Mélodies grégoriennes, Dom Pothier fait enfin paraître son Graduel, le Liber Gradualis dont l’usage ne concerne normalement que la congrégation bénédictine de France mais qui en définitive sera vite adopté par divers diocèses.
Une réputation
Le Pape Léon XIII ne cache pas à Dom Pothier son enthousiasme pour le travail fourni et les conclusions qui en découlent. Il lui envoie même une lettre de félicitations. Mais certaines influences romaines, qui entendent défendre le privilège de l’Edition médicéenne, conduisent le Pape à ne pas tenir compte des études scientifiques de Dom Pothier qui continue son travail.
Il est de plus en plus sollicité pour donner son avis ou des conférences. Tout ce travail d’exploration donnera lieu à de nouvelles recherches et publications d’articles. De retour à Solesmes, les publications grégoriennes destinées au grand public vont se multiplier.
A Rome, les recherches de ceux qu’on surnomme avec dédain les “grégorianistes archéologues” dont fait partie Dom Pothier, commencent à intéresser de plus en plus le cercle très influant du Pape. Le privilège de l’Edition de Ratisbonne expire définitivement en 1900. Ceci laissait présager l’opportunité d’une plus grande influence des idées réformatrices dont Joseph Pothier se faisait le promoteur.
Commission pontificale pour la réforme des livres liturgiques
En 1903, le Pape Pie X décide de réformer le chant de l’Église romaine ; cette réforme se fera en tenant compte des recherches effectuées depuis quarante ans à Solesmes. Le 25 avril 1904, le Pape nomme une “Commission pontificale pour l’édition vaticane des livres liturgiques grégoriens” qui sera présidée par Dom Pothier. Son Liber Gradualis de 1895 servira de base pour l’Édition vaticane.
Dom Pothier mourra à l’âge de 88 ans, le 8 décembre 1923 en Belgique. Deux jours après sa mort, un télégramme de condoléance du Pape Pie XI arrivait : “Sa Sainteté prend part au deuil de la famille bénédictine pour la perte du vénéré et si méritant Restaurateur des Mélodies grégoriennes. Elle unit ses suffrages pour le repos éternel de ce digne serviteur de la Sainte Église”.
Conclusion
La restauration du chant grégorien à laquelle participa Dom Pothier ne s’est pas faite sans heurts et sans querelles de spécialistes. Dom Pothier s’est révélé à la fois chercheur, pédagogue mais aussi l’habile et prudent négociateur qui parvint à faire valoir le fruit de ses recherches, au risque de se faire des ennemis au sein même de l’ordre bénédictin.
Il fut surtout l’ardent serviteur de l’Église, passionné par la recherche et désireux, bien avant le Concile Vatican II, d’œuvrer pour une pastorale liturgique adaptée au peuple chrétien. Dans une lettre adressée au pape Pie X le 2 mars 1904, Dom Pothier s’exprimait en ces termes au sujet de son travail : “Il ne s’agit pas … d’une étude exclusivement archéologique des manuscrits de telle ou telle époque ou de telle ou telle école, mais de l’étude intelligente de la tradition catholique, d’une tradition qui a été et qui sera toujours vivante”. Puisse ce travail se poursuivre pour le plus grand bien de l’Église et de sa sainte liturgie.
Abbé Jean-Pierre Vuillemin
Cet article a été publié dans le magazine « Église dans les Vosges ». En vous abonnant , vous soutenez l’information et le dialogue dans le diocèse.