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09/12 /11 Saint Pierre Fourier (Témoins vosgiens)
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Vous trouverez ci-dessous une courte biographie de Saint Pierre Fourier et une courte vidéo du Jour du Seigneur.

Pour ceux qui veulent tout de suite en savoir + sur le saint vosgien
Saint Pierre Fourier est un innovant, notamment concernant les mutuelles. Retrouvez en suivant le lien, les innovations proposées par Saint Pierre Fourier .
Découvrez aussi la galerie photo de la basilique Pierre Fourier de Mattaincourt

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Saint Pierre Fourier, est né à Mirecourt en 1565 et mort à Gray en 1640. Ordonné prêtre à Trèves en 1589, il devint le curé de Mattaincourt (Vosges) en 1597, paroisse considérée par les autorités catholiques comme un village « déchristianisé ». L'abbé Pierre Fourier y résidera pendant 20 ans, et il y fondera une confrérie du rosaire, une de Notre-Dame et une de saint Sébastien ; il y remettra en valeur le chant grégorien.
L’histoire se souvient de lui comme un homme d’ une grande piété, faisant montre d’un grand dévouement pour les pauvres. Il est vrai qu’il y avait de quoi faire : la Lorraine, qui n’était pas rattachée au royaume de France à cette époque, avait beaucoup souffert de la peste, et la guerre menaçait. Pour éviter à ses paroissiens d’avoir à emprunter de l’argent aux usuriers, il crée une caisse mutuelle : la bourse Saint-Evre.

Pour satisfaire au besoin d’instruction des filles, Pierre Fourier crée avec la romarimontaine Alix Le Clerc, la Congrégation Notre-Dame (appelée parfois également la congrégation Saint-Augustin) qui se destine à l’éducation gratuite des filles. La première école ouvrira non loin de Mattaincourt, à Poussay, où se tenait un chapitre de dame Noble, en 1598.
Il a été béatifié le 29 janvier 1730 par le pape Benoît XIII et canonisé le 27 mai 1847 par le pape Léon XIII. Il est fêté le 9 décembre.

Découvrez la vidéo du Jour du Seigneur consacrée à Saint Pierre Fourier : //

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01/08 /11 Saint Dié (Témoins vosgiens)

Patron du Diocèse

Quoique le plus jeune, d'une douzaine de siècles au moins, de tous les diocèses de l'Est, notre diocèse s'honore d'avoir pour patron un Saint appartenant à la lignée de ces grands moines qui, face au flot barbare qui submergeait l'Occident, ont résolument marché à contre-courant pour y porter la lumière de l'Evangile et poser ainsi les assises d'une civilisation nouvelle.
Les historiens ne contestent aucunement le séjour de Saint Dié au cours du VIIe siècle dans ce coin de nos Vosges. Mais ils font toutes réserves sur ses origines comme sur les détails de sa vie mouvementée. Car tout ce que nous en savons provient d'une « Vita Deodadi », tardive et de peu de valeur.

Cet ouvrage, d'un moine anonyme de Moyenmoutier, ne date que du XIe siècle, et fait grand honneur à l'imagination et aux qualités narratives de l'auteur. On pense que ce fut à l'initiative de Saint Léon IX, qui provoqua d'ailleurs la composition de plusieurs autres vies de Saints lorrains. Mais le fait qu'un grand Pape ait, en 1049, approuvé cette « Vita » et en ait même ordonné la lecture publique à Rome, ne suffit pas à convaincre nos historiens. Au XIIIe siècle, Richer, moine de Senones, s'avisa d'y ajouter encore des détails savoureux, sans la consolider pour autant. Ruyr, puis de Riguet, ont traduit et publié le tout au XVIIe siècle.

Cette légende toutefois expliquant nombre de traditions encore si vivaces dans notre région et en Alsace même, nous en relèverons, en guise de biographie, les principaux traits.
Sous des noms divers, qui convergent du reste, Deodatus, Adeodat, Dieudonné, Deydié et enfin Dié, notre Saint serait né dans la Gaule occidentale, à moins que ce ne fût en Irlande, comme certains, ont voulu l'inférer d'une faute de copiste : on a lu tour à tour « Hibernensis » et « Nivernensis ». De fait, on trouve un Deodatus dans les deux listes épiscopales de Nevers. Mais Mgr Duchesne, en conclusion d'une longue étude de la question, doute qu'il puisse s'agir là de l'ermite des Vosges. Reconnaissons, à la louage de nos bons moines écrivains que, contrairement aux habitudes de la corporation — nous l'avons déjà vu — s'ils faisaient de Saint Dié un ancien évêque, ce n'était pas pour s'enorgueillir d'une filiation bien auguste, Nevers n'étant alors que le satellite bien modeste de Lyon ou d'Autun.

Quoi qu'il en soit, simple anachorète ou évêque en mal de solitude, comme Saint Gondelbert à peu prés dans le même temps, nous voyons Saint Dié arriver prés de Rambervillers à Romont, puis glisser vers le Sud au bord de l'Arentelle, ruisseau descendu à l'Avison. Les habitants discourtois et barbares, ne tardèrent pas à expulser cet étranger. Saint Dié passe en Alsace pour y errer dans la plaine moyenne, couverte alors de forêts ; on le signale successivement à Ebersmunster, au Val de Villé, à Ammerschwihr, prés de Kayserberg. On devine à cette suite de noms que les Alsaciens d'alors le malmenaient de même sorte que nos ancêtres. Par le col de Bonhomme — joli vocable attaché à son souvenir et que la postérité a voulu sans doute lui donner à titre de réparation — Saint Dié vint échouer sur la Meurthe. Les pentes du Kemberg, dont la forêt dévalait jusqu'au cœur de la ville actuelle, lui offraient enfin l'asile de paix qu'il cherchait en vain depuis des années. Il s'y aménagea aussitôt une cabane et bâtit un oratoire en l'honneur de Saint Martin. Ce détail fréquent dans l'histoire du monachisme — on sait que Saint Desle a fait de même — marque l'origine de la seconde paroisse de Saint Dié.

Au terme de ces vicissitudes complaisamment rapportées par la légende, il est à remarquer que toutes ces migrations jalonnent, comme par hasard, de façon très précise, les possessions que le célèbre Chapitre de Saint-Dié comptait sur la Meurthe, la Mortagne et jusqu'en Alsace. Peut-on imaginer titre de propriété plus noble et plus valable que cette sanctification par notre ermite itinérant des domaines revendiqués au long des siècles par nos chanoines à l'encontre des Evêques de Toul, des Ducs de Lorraine, de l'Empereur même ?

Un instant encore, suivons la légende, avant de découvrir, dans le calme, le vrai visage du fondateur de la Ville. A la suite d'une apparition de la Sainte Vierge, Saint Dié s'empresse de lui édifier une église au lieu-dit Les Jointures. Comme Saint Gondelbert et tant d'autres épris de solitude, Saint Dié, en vertu de sa sainteté même, s'était vu bientôt entouré, dans sa cellule du Kemberg, d'une foule croissante de disciples. De là, semble-t-il et sans contester l'apparition mariale, le dessein de se transporter en un lieu plus propice à l'érection d'un monastère.

Le nom de « Jointures », attaché de temps immémorial au monticule portant la Cathédrale, se justifie doublement par la topographie. Il désigne à la fois le carrefour de deux routes, la voie romaine de Colmar à Metz croisant ici la Via Salinatorum (le fameux chemin des Sauniers), et le confluent du ruisseau de Robache dans la Meurthe, qui coulait alors le long de la falaise de Gratin et de la rue Saint-Charles. De la sorte, le futur monastère se trouvait protégé naturellement par les deux rivières faisant office de douves.

Suivant une disposition providentielle dont nous avons déjà vu d'autres exemples, Saint Dié devient donc, tout à fait à l'encontre de ses vœux, le père d'une famille spirituelle. En toute simplicité, il accepta vaillamment de créer et d'organiser son nouveau monastère.

Le chroniqueur du XIe siècle, qui a pu les voir encore en place, parle de ces bâtiments importants élevés aux Jointures. Chaque jour un disciple montait sur les pentes de la montagne d'Ormont surveiller les ouvriers qui tiraient les pierres de la carrière.

Les pièces majeures de cet ensemble étaient ces deux églises nettement désignées et, à notre sens, dignes d'une intéressante remarque. Certes nous n'en savons pas l'emplacement exact — tout vestige en ayant disparu - mais il est fort probable que la Petite Eglise et la Cathédrale actuelle, qui datent du début du XIIe siècle, en marquent la survivance.

La première érigée, nous l'avons dit, à la suite d'une apparition de Notre Dame, en simple église votive, se trouverait être un des plus anciens lieux de culte marial de notre diocèse. Pour les Déodatiens devaient se vérifier, au long de l'Histoire, et plus tragiquement en notre temps, les caractéristiques, de cette chère Petite Eglise, rappelées dans l'hymne de matines de l'office de Saint Dié : « Dicatur ædes Virgini Urbis futuræ gloria Munimen et solatium.»

Durant les siècles en effet l'église Notre-Dame demeura la gloire et la protection de la cité. Et elle devait être, en novembre 1944, la consolation suprême de la chrétienté sinistrée, restant, comme par miracle, seule debout au cœur de la ville en ruines, à vingt pas de la Cathédrale dynamitée. Depuis lors, c'est toujours elle qui accueille — pour combien d'année encore ? — les paroissiens de la Cathédrale.

Celle-ci remplace aujourd'hui l'église proprement monastique érigée par Saint Dié pour le service de la communauté naissante. Elle fut dédiée à Saint Maurice, vocable particulièrement en honneur en Lorraine, depuis que Saint Amé, une cinquantaine d'années auparavant, y avait apporté de l'Abbaye de Saint-Maurice d'Agaune, en Suisse, le culte de ce Martyr du IIIe siècle. Faut-il rappeler que, dans ce même temps, à Metz, à Senones, des églises s'érigeaient sous le même vocable et que Thierry de Hamelant, évêque de Metz, fera de même à Epinal à l'intention de ses moniales bénédictines ?

Pour réaliser son entreprise audacieuse, que l'on peut situer entre 660 et 670, le fondateur reçut, sur le plan matériel, une aide des plus appréciables. Renouvelant en sa faveur le geste qui avait permis, quinze ans plus tôt, le « démarrage » de Senones à Saint Gondelbert, Childéric II, roi d'Austrasie, concédait au pieux anachorète un vaste territoire. Par acte du sceau royal, la contrée bientôt dénommée Val de Galilée, fut soustraite au fisc et donnée à perpétuité à Saint Dié et à ses successeurs. Le domaine concédé englobait, à partir des sources de toutes les rivières affluant dans la Meurthe en amont de Saint-Dié, le territoire des cantons actuels de Fraize, Provenchères-sur-Fave et Saint-Dié. La donation fut aussitôt confirmée, sur le plan religieux, par la fameuse charte de Numérien, archevêque de Trèves, qui sauvegardait ainsi pour l'avenir, vis-à-vis des évêques de Toul, l'indépendance et les privilèges du jeune monastère des Jointures.

Autour du monastère où affluaient les disciples, on vit bientôt s'installer, se regrouper les rares habitants de cette région. Progressivement ils élargirent la clairière au sein de l'immense forêt vosgienne, mettant en culture les versants ensoleillés, bâtissant des maisons d'exploitation appelées manses ou cellules. Celles-ci sont à l'origine des 24 paroisses ou communes dont le territoire actuel constituait le Val de Galilée.

Pour organiser la vie du monastère, Saint Dié recourut à une règle originale qui témoigne de sa sagesse, en ce sens qu'elle constitue un heureux compromis entre les deux spiritualités colombaniste et bénédictine.

La règle que Saint Colomban avait, au début du siècle, instaurée à Luxeuil et dans ses filiales au Saint-Mont, chez nous — était d'une étonnante austérité, inexorable, par exemple, pour les moindres infractions à l'obéissance. Beaucoup plus douce — elle venait d'Italie — apparaissait la règle de Saint Benoît qui, à travers ses exigences, savait faire la part des faiblesses humaines pour conduire ses disciples à la perfection monastique. Il est probable qu'à cet égard l'abbaye, toute proche, de Senones a beaucoup influé sur les débuts du monastère déodatien.

L'exemple et la personnalité de Saint Dié y contribuaient d'ailleurs pour une part essentielle. Dans la joie d'une charge pastorale qu'il retrouvait sans l'avoir cherchée, il donnait tous ses soins à la jeune communauté. Sur le plan matériel, les moines aménageaient progressivement le Val de Galilée, préparant ainsi, dans cet ample bassin de la Meurthe, le berceau d'une ville destinée à ce qu'elle est aujourd'hui : une des régions vitales de notre département.

Mais ce qui important avant tout, «l'unique nécessaire» était, pour Saint Dié, la vie spirituelle de ses disciples. Dans l'église, les moines assuraient la «laus perennis», cette récitation solennelle, de jour et de nuit, de l'office liturgique, cette célébration de la messe conventuelle, toute cette vie de piété, de recueillement, de pénitence qui anime toujours nos abbayes. Ainsi montait de la forêt des Vosges, encore païenne, la louange à Dieu, premier devoir de toute créature, et le message évangélique se répandait par toute la région.

De son côté, la Petite-Eglise, bien avant d'avoir revêtu sa livrée de pierres roses, au XIIe siècle, devenait un centre de dévotion mariale, tant de la part des moines que des fidèles d'alentour. Si nous n'en avons pas de témoignages historiquement très précis, dans la vie du moine Humbert, nous pouvons le déduire par analogie et par la tradition.

Dans tous les couvents du monde et au long des siècles, nous voyons le culte de la Sainte Vierge indissolublement lié à la vie monastique. Notre-Dame de Galilée devient bien vite un lieu de pèlerinage célèbre sur les deux versants des Vosges.

En 1279, le pape Nicolas III, par bref spécial, enrichit d'indulgences les visites qu'y faisaient les pèlerins et surtout les malades. Nous savons qu'à la veille des guerres de Religion, les murailles de la Petite Eglise étaient tapissées de béquilles, de menottes et de chaînes, ex-voto d'infirmes guéris, de captifs délivrés par l'entremise de Notre Dame.

On se prend à souhaiter que dans les années à venir, lorsque la Cathédrale restaurée aura rendu la Petite Eglise à sa destination séculaire, celle-ci devienne le grand centre de dévotion mariale, dans cette portion du Diocèse, un peu comme Notre-Dame du Trésor, dans l'arrondissement de Remiremont. On reprendrait ainsi les pieuses tentatives faites jadis par Monseigneur Foucault, avec la semaine mariale qui se déroulait dans le cadre admirable du Cloître attenant à la Petite Eglise.

Habile à concilier toutes choses pour ses chers fils, les moines, Saint Dié sut aussi le faire pour son compte. Sans rien négliger de ses charges d'abbé, il gardait son amour de la solitude et se retirait fréquemment à son oratoire Saint-Martin. Ainsi, pendant une dizaine d'années, sa vie oscilla entre deux pôles et le contraignit à une navette incessante entre les Jointures et le pied du Kemberg. Et le sentier, qui en ligne toute droite, franchissait la Meurthe sur une mince passerelle, traçait la future artère qui, aujourd'hui, de la gare à la cathédrale, donne si grande allure à la ville de Saint-Dié. En sorte que la majeure partie de ses habitants, pour leur activités quotidiennes, foulent exactement et sans le savoir, les traces du premier Déodatien.

Sur la fin de sa vie, usé par les fatigues de l'abbatiat et les austérités de la pénitence, Saint Dié se retira progressivement à son premier ermitage. C'est là qu'il mourut le 19 juin 679, âgé d'environ 90 ans. Suivant ses volontés, les moines l'inhumèrent dans l'église Notre-Dame. La tradition suivant laquelle Saint Hydulphe, abbé de Moyenmoutier, aurait assisté son ami à l'heure de la mort et présidé ses obsèques, est historiquement insoutenable, comme nous le verrons dans un article ultérieur à la fête de la Translation des reliques, figurant au Propre le 17 juin.

A travers toutes les fantaisies de la légende, dont nous avons cru devoir faire grâce au lecteur, apparaissent cependant, et l'Eglise les a bien sanctionnés, les traits d'une authentique sainteté, qui rejoint cette des Patriarches de l'Ancien Testament. On songe en effet, devant les vicissitudes de la vie de Saint Dié, à Abraham, ce nomade, abandonné au bon vouloir de Dieu, avec la simplicité d'un enfant et devenu, au terme de ses migrations, le Père des croyants. Ainsi Saint Dié, apparemment si instable, s'est-il laissé conduire à travers la Gaule, l'Alsace et les Vosges, pour devenir le père de cette postérité spirituelle que constituent, après treize siècles, les quelque 400.000 âmes de notre Diocèse.

Comme pour tant de Saints qui ont été des pionniers, la survie de Saint Dié s'étend à la fois dans le domaine de l'histoire et sur le plan spirituel. Il peut être intéressant d'en relever quelques indices ou souvenirs à travers les siècles et les lieux.

Cent ans à peine après la mort de Saint Dié, le monastère attira l'attention de Charlemagne, assez familier des Vosges, qui en 769 le rattacha à la grande abbaye royale de Saint-Denis.
Privilège certes fort honorable, dont l'œuvre profita sans doute, mais qui à la longue, lui a bien porté préjudice au moral. Une décadence très nette s'affirme en effet au cours du Xe siècle et la tentative de réforme ayant échoué, le Duc de Lorraine Frédéric Ier (959-978) remplaça les moines déodatiens part des chanoines réguliers de Saint-Augustin, modification radicale confirmée par une bulle du Pape Grégoire V. La grande église devenait collégiale et l'abbaye primitive était convertie en Chapitre, avec, à sa tête, un grand-prévôt, relevant directement du Saint-Siège.

A partir de l'an mil commence donc l'histoire de l'Insigne Chapitre de Saint Dié qui eut grand renom et qui se recrutait dans un vaste rayon de l'Occident, un peu comme le Chapitre, plus célèbre encore, des Dames de Remiremont. Parmi les grands-prévôts de Saint-Dié on voit figurer au XIVe siècle le Cardinal Pierre d'Ailly, né à Compiègne, évêque d'Arras, au XVIIIe siècle, un bourguignon Jean-Claude Sommier, archevêque de Césarée ; et le dernier en date, un Parisien, Barthélemy de Chaumont de la Galaizière sera en 1777 nommé sur place comme premier évêque de Saint-Dié.

Au cœur de cette longue ère de prospérité, de ferveur ou de décadence passagère, le Chapitre de Saint-Dié eut ses heures de gloire au XVIe siècle. La vogue de l'Humanisme provoqua la naissance, auprès du Chapitre canonial, d'une sorte d'Académie, le « Gymnase Vosgien », qui, se passionnant pour les découvertes qui se faisaient, eut fortuitement l'honneur de donner son nom au Nouveau Monde. On sait en effet que le mot « America » apparaît pour la première fois dans la « Cosmographiæ Introductio » sortie des presses du Gymnase en 1507.

Tout ce lustre encore que très humain, fait honneur à Saint Dié, et c'est pourquoi nous nous y sommes un instant attardé. Revenons pourtant à notre Père dans la foi, au rayonnement qui prolonge son action dans le monde des âmes.

L'église abbatiale qu'il avait bâtie et dédiée à Saint Maurice reçoit un second vocable qui à la longue devint prédominant. A partir de l'érection en collégiale, les documents parlent surtout de « l'église Sainct-Diey », ce qui est l'indice d'un hommage spécial à la sainteté du fondateur.

Outre notre future Cathédrale, une église du Diocèse, Deinvillers, le prit pour titulaire et de même chez nos voisins Breitenau (Bas-Rhin) et Coincourt (Meurthe et Moselle). Comme on le voit, son culte se répandait en Alsace et jusque dans la région de Bâle. Des chapelles à son nom s'érigèrent ici ou là, au Petit Saint-Dié, succédant à l'ermitage Saint-Martin ; à Nevers même et à Clamecy. Un certain nombre de fontaines que, suivant la légende, le Saint aurait fait jaillir, furent au Moyen Age les centres de pèlerinages curatifs contre les affections du goitre : ainsi au Val de Villé, à Sainte-Marie-aux-Mines, à la Croix-aux-Mines, à Coinchimont.

Par ailleurs de fréquents miracles — sans doute en collaboration avec Notre Dame ! — se produisaient sur sa tombe à la Petite Eglise. Parmi les pèlerins de marque, les chroniqueurs signalent en 1003 la duchesse Béatrix, sœur de Hugues Capet et en 1049 le Pape Saint Léon IX, lors d'un voyage qu'il refit dans son ancien diocèse de Toul.

Témoin naïf du culte de Saint Dié, toute une iconographie a fait en 1936 l'objet d'un remarquable recueil illustré, de deux Déodatiens, MM. Baumont et Pierrot. Les pièces les plus anciennes, heureusement conservées, parmi quelque 80 reproductions, sont constituées par des vitraux du XIVe siècle de la cathédrale et par des miniatures du magnifique Graduel du Chapitre, du XVe siècle. Cette double série offre les deux types classiques de Saint Dié, soit l'évêque de Nevers, mitre en tête et crosse en main, soit l'ermite barbu à grande tonsure, vêtu d'un simple manteau à capuche, un gros chapelet entre les mains.

Il importe de faire une place à part à la série de dix tableaux peints sur toile, vers 1630, pour le compte du Chapitre, par Claude Bassot, de Vittel. Destinées à l'église Notre-Dame où elles ont longtemps figuré, déposées ensuite par malchance à l'hôtel de ville, ces toiles ont totalement disparu dans le désastre de 1944. Très caractéristique du style et des coloris de cet artiste, sorte de primitif lorrain marqué d'italianisme, cette vie illustrée de Saint Dié reprenait à la lettre les traits et les miracles de la légende qui avait enchanté l'imagination et guidé la piété de nos ancêtres envers le Saint fondateur.

C'est le même vandalisme allemand qui a privé la ville du monument aux Morts 1914-1918, dont elle était si fière. Parmi les nombreux personnages allégoriques ou historiques exécutés en bronze, en 1928, par le sculpteur Desvergnes, on voyait figurer Saint Dié, agenouillé au pied du socle, tandis qu'une femme symbolisant l'Amérique accourait avec ses soldats pour libérer la ville. Ainsi en attachant son propre nom à une cité, en devenant par elle le parrain d'un nouveau continent, Saint Dié semble avoir conquis plus de célébrité que ne lui en avait valu le zèle des sculpteurs du Moyen Age. Car, en fait de statuaire, on ne connait guère que la jolie statue XVIe du moulin de Pierrepont, conservée à la chapelle paroissiale d'Autrey.

Signalons pour finir le bel hommage que rend à Saint Dié notre liturgie diocésaine. Les textes scripturaires comme les hymnes — « Beate, quo fugis, Pater » — sont remarquables et les mélodies grégoriennes qui les illustrent reflètent bien le talent de Dom Pothier qui y mit la dernière main, lors de la révision du Propre en 1914. Dans cet office, la perle en est bien le verset alléluiatique de la messe : « Ponet Dominus desertum ejus … Le Seigneur a fait de son désert un lieu de délices et de sa solitude un jardin qu'habite le Seigneur. » Texte et grégorien, d'une exquise poésie, nous semblent expliquer à merveille ce vocable de Val de Galilée, sur lequel discutent encore les historiens. Saint Dié l'aurait précisément choisi en souvenir de cette province de Palestine, radieuse entre toutes, où le Christ avait passé sa vie et d'où la paix évangélique avait rayonné sur le monde. Toutes proportions gardées, la région de Saint-Dié fut par la vertu du saint ermite une autre Galilée, berceau de l'église-mère de tout notre diocèse.

01/08 /11 Saint Hydulphe (Témoins vosgiens)

Fondateur de Moyenmoutier

Dans la vie, précédemment évoquée, de Saint Bodon, nous avons retenu en particulier la fondation d'Etival et de Bonmoutier. Par ailleurs nous avions vu naguère (« V.D.» n° 4 ; 13 à 16, 1960 ( (¹) deux autres abbayes naître dans ce même coin des Vosges : celles de Senones et de Galilée à l'initiative de Saint Gondelbert et de Saint Dié.

Étonnant ensemble de monastères, créés en moins de vingt ans (entre 660 et 680) et qui, sur la carte, s'implantaient en forme de croix : Bonmoutier au nord, Galilée au sud, Etival à l'ouest et Senones à l'est. A cette croix qui porte dans l'Histoire le joli nom de « Croix monastique de Lorraine », il manquait un centre. Ce sera l'affaire de Saint Hydulphe, fondateur, dans le même temps, de Moyenmoutier, l'abbaye médiane, dont le nom se trouvait ainsi fortuitement déterminé par avance.

Saint Hydulphe, comme ses trois confrères, est un personnage incontestablement historique ; toutefois, en dépit de recherches nombreuses entreprises depuis un siècle par Mgr Jérôme, Christian Pfister et d'autres, on demeure très perplexe pour le caractériser avec précision.
Jusqu'alors il était communément admis qu'avant de venir se retirer dans les Vosges, Saint Dié avait été évêque de Nevers, Saint Gondelbert, de Sens et Saint Hydulphe, de Trèves ; autant de « transfuges de l'épiscopat », suivant l'expression pittoresque du Cardinal Mathieu. Nous avons vu ce qu'il fallait penser du caractère épiscopal des deux premiers.

Sur Saint Hydulphe, nous possédons trois Vies, intéressantes à consulter, mais qu'il faut bien se garder de prendre à la lettre, du fait que datant du XIe siècle, elles relatent des événements survenus trois cent ans plus tôt. Parlant de la première de ces Vies, Pfister dit avec à-propos : « L'auteur a puisé à une source plus reculée, mais l'eau est devenue trop trouble pour nous par suite des éléments qui s'y sont mêlés. » On s'en aperçoit notamment dans la troisième, écrite en 1044 par Humbert. Moine de Moyenmoutier et futur cardinal, il retrace bien la vie du fondateur ; mais c'est dans l'optique d'une abbaye alors puissamment installée et touchant un personnage devenu célèbre surtout après sa mort.

De ces trois Vies, passées au crible et soigneusement décantées, la critique a pu de nos jours établir de la façon suivante la biographie de notre Saint.
Hydulphe, de son vrai nom Hidulfus, était originaire du Norique, ancienne province romaine, sur la frange méridionale de la Bavière qui s'appuie aux Alpes. La région faisait alors partie de l'Austrasie, ce qui explique les migrations ultérieures d'Hydulphe, dans les limites d'un même territoire. Né vers 612, il fut par son père placé aux écoles de Ratisbonne, où il ressentit l'appel de la vie religieuse ; mais c'est à Trèves qu'il vint faire sa profession monastique en l'abbaye Saint-Maximin.

Les trois biographes rapportent ici, à la louange de leur père en Dieu, sa science, sa maturité, son amour de la vie contemplative et de la prière liturgique, prémices d'une sainteté qui allait se confirmer au gré de ce que lui réservait la Providence.
Toutefois c'est par erreur et dans le souci évident de donner à Moyenmoutier ses lettres de noblesse, qu'ils nous racontent sa promotion au siège de Trèves à la mort de l'évêque Milon. Le nom d'Hydulphe, en effet, ne figure sur aucune des listes des évêques de Trèves ; un acte de Charlemagne au siècle suivant précise même que le successeur immédiat de Milon fut Harthmann. On admet par contre qu'Hydulphe a pu être chorévêque dans cette importante cité épiscopale. Ce mot désignait alors un dignitaire ecclésiatique, adjoint à l'évêque pour donner la Confirmation et conférer les Ordres mineurs, pour consacrer les églises, mais il ne jouissait d'aucun pouvoir dans l'administration du diocèse ; ce qui justifie l'absence d'Hydulphe dans les listes susdites.

Ces chorévêques apparaissent dès le IVe siècle en Gaule : à Vienne par exemple, où Sulpice-Sévère nous le présente : « Prélat de second rang, il aida son aîné à porter le fardeau de l'épiscopat, lui laissant les honneurs pour en prendre les charges ». On en signale un à Langres en 560, à Verdun en 765. C'est l'occasion de noter en passant que le diocèse de Toul, à l'exemple de Trèves sa métropole, eut une longue série de chorévêques. Au cours de travaux d'aménagement, nous avons découvert, ces années dernières, plusieurs églises ou autels, consacrés entre les XIVe et XVIe siècles, par des chorévêques toulois qui portent invariablement le titre de « christopolis in partibus », preuve qu'il s'agissait là d'une institution établie.

Chorévêque donc à Trèves, Hydulphe en exerça les fonctions pendant une trentaine d'années. A ce titre, nous le voyons procéder à l'agrandissement de l'abbaye Saint Maximin, où il introduit la règle bénédictine, et à la translation des restes de ce Saint, qui fut évêque de Trèves au début du IVe siècle. Hormis ces événements, les biographes, pourtant diserts, ne nous rapportent rien de saillant sur les activités de leur personnage, alors en pleine maturité et tout dévoué au service de ce vaste diocèse. Faut-il en conclure qu'il s'ennuyait de sa fonction et que précisément il ressentit l'attrait de la vie contemplative, et ce dans la solitude la plus absolue ? Au reste, il n'était pas sans savoir ce que venaient de réaliser dans les Vosges voisines Saint Dié et Saint Gondelbert.

Toujours est-il que notre prélat se démit de sa charge et arriva sur le Rabodeau vers 670, plantant sa hutte à mi-chemin d'Etival et de Senones, dans la forêt qui séparait encore les deux clairières monastiques en voie de défrichement. Mais la Providence avait ses vues et, comme il était advenu pour les deux voisins, la renommée du nouvel ermite attira bientôt une foule de disciples. Au lieu d'en être désappointé et marri, Hydulphe — et c'est un trait admirable de sainteté — s'accommoda à merveille d'un pareil imprévu. Changeant délibérément son fusil d'épaule, il jette aussitôt les bases d'un monastère sur la rive gauche du Rabodeau, au confluent du Rupt-de-Pierry : site idéal « d'urbanisme monastique », se prêtant à des extensions futures.

Il n'est pas exclu qu'à notre époque, soucieuse d'aménagement rationnel, une telle installation eût été mal jugée, voire interdite ou boycottée. Or voilà qu'en don de joyeux avènement, les deux abbayes d'Etival et de Senones lui abandonnent d'emblée le secteur limitrophe que chacune avait déjà défriché. Intelligente et fraternelle « subvention de démarrage »! Pour ne pas être en reste, Saint Hydulphe, en gage de gratitude et de bon voisinage, donne lui-même à la nouvelle fondation le nom si bien trouvé de Moyen Moutier qu'a sanctionné l'Histoire.

Le premier soin du fondateur fut de bâtir au cœur du domaine deux églises, l'une dédiée à Notre Dame, l'autre à Saint Pierre. L'érection simultanée d'une double église était fréquente dans les antiques monastères. Ainsi avaient fait Saint Dié aux Jointures, Saint Gondelbert à Senones et Saint Romary au Saint-Mont, avec, pour ces deux derniers, la particularité de vocables identiques : Notre-Dame et Saint-Pierre. Se passionnant pour ces chantiers, notre ermite manqué construisit en outre une chapelle en l'honneur de Saint Grégoire, ce moine bénédictin qu'il affectionnait, devenu le grand Pape que l'on sait. La chapelle — nous en reparlerons — se situait sur un monticule où, pour gagner de la place fut aménagé le cimetière de l'abbaye.

Parallèlement à ces constructions, Saint Hydulphe, décidément infatigable, aménageait des bâtiments monastiques au fur et à mesure de l'arrivée des disciples, bâtiments assurément fort modestes comme les églises et dont il ne subsiste aucun vestige ; ils marquaient toutefois l'emplacement des imposants édifices érigés par la suite et plusieurs fois détruits, ceux, magnifiques, du XVIIIe siècle étant encore debout.

Tandis que tous ces murs s'élèvent, le Père abbé s'applique à organiser son monastère au spirituel. Familier de la règle bénédictine à Saint-Maximin de Trèves, il l'adopte de préférence à celle si austère de Saint Colomban qu'on suivait à Galilée et au Saint-Mont. Il est clair qu'il professait un culte spécial pour Saint Benoît, dont la destinée ressemblait étrangement à la sienne. On sait que quatre siècles plus tôt, ce fils de patricien s'était retiré dans une grotte aux environs de Rome pour y mener une vie érémitique. Or, assailli par des disciples, il avait été contraint d'aménager son ermitage en monastère. C'est ainsi que devait naître l'ordre bénédictin et Saint Benoît devenir le Patriarche des moines d'Occident, le patron de l'Europe, récemment proclamé par Paul VI.

En dépit du peu de confort et de la vie rude qu'offrait aux moines l'installation forcément précaire du moutier naissant, le flux des novices ne cessait de croître. De nos jours, où la crise des vocations se généralise de façon inquiétante, nous avons peine à concevoir cet extraordinaire recrutement des monastères mérovingiens. Sans doute ici la personnalité du fondateur, manieur d'hommes et thaumaturge, y contribuait pour une large part. Mais il faut aussi comprendre la mentalité de ces temps troublés. Les invasions barbares à peine stoppées, avec leurs séquelles d'insécurité et de mœurs brutales, avaient profondément avivé dans les âmes un besoin d'ordre et de paix. Or les cloîtres apparaissaient comme des oasis bienfaisantes, où la règle bénédictine, empreinte à la fois de bon sens, de sagesse romaine et de douceur évangélique, assurait l'épanouissement d'une vie parfaitement humaine et chrétienne.

Tout cela explique au spirituel l'expansion rapide de Moyenmoutier, nullement entravée par la « concurrence » des abbayes voisines, aux quatre points cardinaux. A cet égard, la vallée du Rupt-de-Pierry ouvrait vers le sud une aire de dégagement par rapport au Rabodeau surpeuplé.

Il faut ajouter d'ailleurs que les princes d'alors, ducs d'Austrasie ou seigneurs locaux, cédèrent à Saint Hydulphe de vastes territoires marécageux et boisés qui s'étendaient aux alentours dans les vallées adjacentes de la Plaine et de la Hure. Et cette générosité des grands s'explique fort bien, toujours dans le contexte de l'époque. Ces monastères vosgiens constituaient à leurs yeux une puissance d'ordre et un facteur de civilisation d'autant plus appréciables, installés qu'ils étaient précisément en des régions sauvages, dédaignées jadis par la conquête romaine, où eux-mêmes eussent été incapables de s'aventurer seulement avec leurs troupes. Mécènes si l'on veut, et soucieux du salut de leur âme, ces grands faisaient simplement preuve d'intelligence et de sens politique. Il n'est que de voir par la suite leurs descendants revendiquer, avec leur âpreté ! la « protection », la juridiction de ces territoires concédés aux abbayes devenues puissantes et riches.

A la faveur de ces donations, Saint Hydulphe se lança dans une entreprise que nous dirions colonisatrice. Le monastère de Moyenmoutier venant à dépasser la centaine, l'enceinte initiale ne suffisait plus à loger les religieux, ni le sol défriché à les nourrir. Saint Hydulphe imagina de les répartir dans les territoires qui lui avaient été concédés.

Par groupes de cinq ou six, des profès éprouvés s'en allaient former des communautés miniatures sous la direction d'un supérieur en liaison étroite avec l'abbaye. Sur place ils érigeaient eux-mêmes chapelle et bâtiments conventuels. Ces petites unités monastiques reçurent le nom de « celles ». Plusieurs se doublèrent bientôt d'un hameau de paysans secondant les religieux dans les travaux de défrichement et de culture ; ce furent les censes, vocable qui abonde dans la topographie vosgienne.

On compte huit celles ainsi créées du vivant même de Saint Hydulphe. La plus ancienne connue est celle des « Sept-Sapins » (septemabietes.), qui a donné le Ban-de-Sapt de nos jours, dont l'église — détail significatif — a comme patron Saint Grégoire. Puis vinrent Saint-Jean-d'Ormont, Hurbache, Saint-Prayel, Vèzeval, La Haute-Pierre, Malfosse, Bégoncelle enfin, qui prit le nom de Saint-Blaise, lorsqu'au Xe siècle Saint-Gérard fit don à sa chapelle d'une relique de ce martyr. On a reconnu, au passage, que plusieurs de ces colonies sont à l'origine de paroisses actuelles.

Parlant de ce genre d'expansion dès avant l'an mil, Daniel Rops présente comme particulièrement suggestive la « nébuleuse monastique » de Moyenmoutier et en donne la carte (« L'Église des temps barbares », édit. Fayard, p. 697).

Le prestige de Saint Hydulphe lui valut également de riches donations jusqu'en Alsace, notamment à Hindisheim et Bergheim, près de Ribeauvillé. Ce dernier domaine, pourvu de revenus considérables, émanait d'un riche seigneur Theudoald qui, renonçant au monde ainsi que son fils, embrassa la vie monastique à Moyenmoutier.

Parmi les nombreuses recrues qui affluaient, il convient de retenir les noms de trois d'entre eux qui moururent jeunes en odeur de sainteté ; Spinule, Jean et Bénigne. Nous parlerons plus longuement du premier, qui a sa fête le 5 novembre au calendrier diocésain et intéresse Portieux. Les deux autres ne figurant pas au Propre, nous en ferons une brève mention, puisqu'ils contribuèrent à dessiner l'auréole du saint fondateur, étant ses disciples préférés. Jean accéda à la prêtrise, mais Bénigne demeura simple diacre. On ne sait pratiquement rien de leur courte vie qui s'écoula dans le calme du monastère naissant. Jean Ruyr, qui écrivit en 1626 ses « Recherches sur les sainctes antiquitez de la Vosge », avoue en toute candeur que « légende est une histoire autant délectable que mémorable ». Comme ils ne s'étaient jamais quittés et devaient mourir à quelques jours d'intervalle, un naïf auteur du XIVe siècle s'avisa d'en faire deux jumeaux ! Vénérés de leur vivant par toute la communauté, ils furent inhumés côte à côte, non au cimetière des moines, mais en la chapelle Saint-Grégoire. A la suite de miracles opérés sur leur tombe, la piété populaire les a canonisés et l'abbaye célébra leur fête au 31 juillet ; plus tard on releva leurs restes pour les placer dans une châsse ; celle qu'on voit à l'église de Moyenmoutier date du XVIIIe siècle, et Mgr Caverot en a fait la reconnaissance le 6 août 1854.

Le développement si rapide de Moyenmoutier réalisa la soudure entre Etival et Senones et la vallée du Rabodeau, encore inculte et sauvage au milieu du VIIe siècle, s'ouvrit à la civilisation. Un village de paysans n'avait pas tardé à se constituer sur la rive droite, exerçant une activité complémentaire fort utile à l'abbaye et profitant en retour de la protection de celle-ci en cas de danger. Saint Hydulphe, attentif à tout, dota ces braves gens d'une église paroissiale qu'il dédia à Saint Epvre ; le vocable est ici suggestif. Installé sur le territoire du diocèse de Toul, le fondateur entendait ainsi rendre féal hommage à son suzerain. Mais une fois passé ce printemps monastique, ses fils en viendront à le désavouer. Nous avons vu que trois siècles plus tard Saint Gérard parviendra encore, de justesse, à faire admettre sa juridiction, mais après l'an mil, Moyenmoutier, comme d'ailleurs Senones et Saint-Dié, reprendra son indépendance totale vis-à vis des évêques de Toul. Et jusqu'à la Révolution, ceux-ci se résigneront à cette sorte d'État dans l'État, constitué par ladite croix mystique des monastères vosgiens.

L'Église Saint-Epvre, plusieurs fois rebâtie, allait fournir une longue carrière au service de la paroisse. Car c'est seulement en 1783 que, du consentement de l'abbé, les offices paroissiaux se firent désormais dans la magnifique église actuelle que venait de terminer en 1766 dom Humbert Barrois.

La ferveur de la jeune communauté, animée par la sainteté de son abbé, ne contribua pas seulement à l'afflux des novices. On vit apparaître sur le Rabodeau un mouvement de pèlerins attirés par les miracles qui se multipliaient en faveur des malades. Saint Hydulphe qui se savait responsable de ce va-et-vient — un imprévu de plus ! — résolut de bâtir une église, cette fois sur la rive gauche, mais hors de l'enceinte, de façon à satisfaire la piété des pèlerins sans troubler le recueillement des religieux. Cette église dédiée à Saint-Jean-Baptiste et doublée d'une hôtellerie devint un centre de pèlerinage actif. Incendiée par les Hongrois en 910, elle fut restaurée et Saint Léon IX vint la consacrer peu de temps après son élévation à la papauté. Honneur que semble justifier une suite de miracles, rapportés dans les fastes de l'abbaye.

Deux sont particulièrement célèbres : la délivrance dramatique, car elle fit grand bruit aux alentours, d'un paysan du Val de Galilée, et le baptême de Sainte Odile qui recouvra subitement la vue. Si le premier miracle est parfaitement admissible, étant d'un genre commun tout au long du Moyen Age, le second est contesté par la plupart des historiens.

La légende de Moyenmoutier, attribuant ce miracle à la fois à Saint Hydulphe et à Saint Ehrard, ce nous semble une occasion de mentionner ici ce dernier. Il figurait jadis à notre calendrier liturgique au 8 janvier, mais il en fut retiré lors de la réforme de 1957, en raison du peu de fondement des attaches qu'on lui prêtait avec Moyenmoutier.

Historiquement Saint Ehrard a bien existé. Le Martyrologe romain le cite comme évêque de Ratisbonne et il fut « canonisé » lorsqu'en 1052 Saint Léon IX fit la translation de son corps. Le reste ne nous est connu que par une Vie du XIe siècle de valeur médiocre, sur laquelle a brodé copieusement la légende de Moyenmoutier. Pour accréditer ce Saint, on en fit un frère de Saint Hydulphe, alors qu'il n'était que son compatriote. A ce titre, il serait venu lui rendre visite et, pendant ce séjour, c'est lui qui aurait bâti l'église Saint-Epvre, secondant ainsi — l'intention est excellente et le détail plausible ! — le Père abbé qui avait alors bien des chantiers sur les bras.

C'est également durant ce séjour qu'aurait eu lieu le miracle en faveur de Sainte Odile, baptisée par Saint Hydulphe avec Saint Ehrard comme parrain. Tout cela est gratuit, sans référence à des textes sérieux, attestant seulement l'importance qu'avaient acquise, dès le XIe siècle, et l'abbaye de Moyenmoutier et le culte de son fondateur.

Puisque nous sommes en pleine légende et sur le chapitre de la fraternité, en voici une autre demeurée longtemps populaire : les relations d'amitié unissant Saint Hydulphe et Saint Dié. Certes, elles n'apparaissent pas contraires aux données de l'Histoire, puisque le premier était déjà à Moyenmoutier depuis une dizaine d'années à la mort du second. Toutefois, les trois vies de Saint Hydulphe n'en disent pas un mot ; seule celle de Saint Dié, postérieure, mentionne la rencontre annuelle de deux amis. Riguet la détaillera même en termes touchants dans ses « Mémoires » (T.I, Fol. 12), mais il écrit à la fin du XVIIe siècle et pour la satisfaction des paisibles savants de son époque. Existait alors à Belchamp, sur le territoire de La Voivre, une chapelle aujourd'hui disparue qui marquait le lieu de cette rencontre. En souvenir de quoi, exactement à mi-chemin, les moines de Moyenmoutier et les chanoines de Saint-Dié s'y rendaient en procession avec les reliques de leur fondateur. Du moins cette tradition annuelle atteste-elle les liens unissant les deux monastères, d'autant qu'à certaines périodes, au Xe siècle notamment, un seul abbé les gouvernait en même temps. Dans la même ligne et toujours par Riguet, nous apprenons que Saint Hydulphe assista à la mort de son ami en l'ermitage au pied du Kemberg et à l'inhumation en l'église Notre-Dame.

Il y avait plus d'un quart de siècle que Saint Hydulphe était à Moyenmoutier aux prises avec une œuvre de cette ampleur, lorsqu'il sentit faiblir ses forces. Il se démit de sa charge, afin de retrouver au soir de sa vie ce calme auquel il avait aspiré en venant ici comme ermite. Il confia donc la dignité abbatiale à Leutbald, un de ses meilleurs disciples, et prit modestement sa place au milieu de ses frères. Mais ce dernier mourut si prématurément en 704 que les moines s'en émurent, et tout désemparés se tournèrent vers leur fondateur. Le pauvre abbé, dans son ardente foi, vit un signe de la Providence qui lui demandait à nouveau le sacrifice de sa volonté propre. Avec un tranquille courage, il reprit donc sa crosse, mais pour peu de temps, car le Seigneur le rappelait à Lui le 11 juillet 707, au terme d'une courte maladie. On l'inhuma dans la chapelle Saint-Grégoire, auprès de ses trois fils de prédilection, Spinule, Jean et Bénigne, qui l'y avaient précédé de peu.

Aussitôt après la mort, le bruit s'en répandit très vite dans toute la région et plus encore le rayonnement de sainteté. Les foules accoururent à la chapelle Saint-Grégoire et sur la tombe plusieurs miracles éclatèrent. Sous la pression de cette ferveur populaire, l'abbé Maldavin devait, en 787, ramener le corps, sous une niche d'or et d'argent, en l'église Notre-Dame, plus vaste et située hors de l'enceinte du monastère.

Au terme de cette esquisse biographique, Saint Hydulphe fait figure d'un pionnier de grande classe. Il laissait à sa mort une œuvre puissamment installée, d'un style original, groupant trois cent moines, tant à l'abbaye que dans les celles filiales. Au cœur de cette « croix mystique », il venait de planter un centre vital, un foyer spirituel, civilisateur et culturel, dont l'éclat devait se soutenir, en dépit d'éclipses inévitables, pendant plus d'un millénaire.

Il serait tentant, à cet égard, d'en parcourir les fastes, mais ce serait sortir de notre sujet. Contentons-nous de remarquer que ce millénaire illustre la survie de Saint Hydulphe, la pérennité de son action sur une œuvre qui lui avait coûté tant de peine ici-bas. Nous ne saurions cependant négliger deux faits historiques qui s'attachent à Moyenmoutier.

On serait tenté de croire que pour le premier, d'une portée considérable, il y eut comme une éclipse de cette action tutélaire du fondateur. On sait comment Humbert, le savant moine de Moyenmoutier, devenu cardinal, puis légat de Saint Léon IX à Constanttinople, fut, pour une part, responsable du schisme qui devait, pour neuf siècles, briser l'unité de l'Église. Englué dans des chicanes byzantines et desservi par sa rudesse lorraine, Humbert a provoqué, le 10 juillet 1054, la douloureuse déchirure de la chrétienté, que Sa Sainteté Paul VI entreprit de raccommoder le 5 janvier 1964 lors de son entrevue historique de Jérusalem avec SB Athénagoras.

Quoique d'une portée moindre, le second fait est tout à l'honneur de Saint Hydulphe et de Moyenmoutier. Lorsqu'au début du XVIIe siècle dom Didier de la Cour, condisciple de Saint Pierre Fourier à Pont-à-Mousson, entreprit à Verdun de réformer le vieil Ordre bénédictin, dans l'esprit du concile de Trente, l'abbaye de Moyenmoutier fut des premières à s'y rallier. Comme elle jouissait alors d'un prestige considérable, elle facilita la réussite et dom Didier de la Cour adjoignit le nom de Saint Hydulphe à celui de Saint Vanne, évêque de Verdun au VIe siècle, pour patronner la nouvelle réforme. La Congrégation de Saint Vanne et Saint Hydulphe se répandit très vite en Lorraine, Champagne et Franche-Comté, groupant une soixantaine de monastères, dont douze dans les Vosges : Belval, Bleurville, Châtenois, Fouchécourt, Marey, Monthureux-sur-Saône, Morizécourt, Moyenmoutier, Neufchâteau, Saint-Jacques-au-Mont, Senones. Autant de maisons qui diffusèrent ainsi le culte de notre Saint à travers le diocèse.

C'est aussi pourquoi Saint Hydulphe fut à l'honneur, lors des récentes fêtes vannistes de Verdun à l'occasion d'une translation de sa relique, relatée par la V.D. du 30 octobre 1968.
Il reste que de tous temps l'abbaye de Moyenmoutier a entouré sa tombe d'une grande vénération. La chapelle Saint Grégoire est toujours là, mais détruite à maintes reprises, « il est très difficile, dit Georges Durand, de lui assigner une date et de démêler ce qu'il y a de véritablement ancien ». Quant au sarcophage en pierre dit de Saint Hydulphe, qu'on y voit, les Monuments Historiques. l'ont classé d'époque carolingienne. Toutefois il n'est pas impossible que le corps du Saint y reposait lors de la translation de 787.

De ces translations on compte une douzaine à la suite de sinistres ou de pillages d'où vérification et transfert dans une châsse plus belle. C'est Dom Didier de la Cour qui présida celle du 10 juillet 1619. La dernière châsse en date est toujours à l'église de Moyenmoutier. Très élégante, en bois doré du XVIIIe siècle, elle put échapper à la Révolution et Mgr Caverot en fit un inventaire détaillé le 6 août 1854.

Elle devait être ouverte à nouveau le 4 janvier 1939 par Mgr Marmottin, à propos de la fameuse tunique, épisode malheureux qu'il convient de rappeler, hélas ! « in memoriam ». Dans la châsse reposait, en effet, sur le squelette entier de Saint Hydulphe, une précieuse tunique qu'y avait vue Dom Calmet, alors novice à Moyenmoutier, comme il le dit dans un procès-verbal de visite (14 novembre 1701). Depuis, elle avait fait l'objet d'un long article et d'un dessin publié par l'abbé Deblaye dans le « Journal de la Société Archéologique Lorraine », 1855. C'était un tissu de soie blanche, brodé de galons rouges et de petites croix. L'étude en fut reprise vers 1935 par le chanoine Drioton de Nancy, conservateur au musée du Caire, intrigué par la découverte récente de Sakkarah, sur les bords du Nil : une tunique datant du IIe siècle, étrangement identique à celle de Moyenmoutier.

Le chanoine s'en ouvrit à Mgr Marmottin : «Il est fort probable que cette tunique ait été procurée à Saint Hydulphe lui-même auprès de quelque solitaire d'Égypte ». Estimant qu'il s'agissait là d'une sorte de relique d'un intérêt exceptionnel, notre évêque est donc venu ouvrir la châsse, emportant à Saint-Dié cette pièce pour la faire étudier et photographier par M. Drioton ; elle fut donc déposée dans un coffre de l'évêché, place du Chapitre. Survint la guerre, puis le départ de Mgr Marmottin et le sinistre de 1944 au cours duquel la tunique disparut à tout jamais. Lorsque le 2 octobre 1968 nous avons, en présence des autorités locales, ouvert la châsse pour en prélever la relique destinée à Verdun, nous n'avons pu que vérifier la perte de cette noble pièce qui, outre sa valeur historique, faisait partie du trésor de Moyenmoutier ; les annales en parlent souvent, car on la portait jadis dans les processions et dans les calamités publiques.

En l'honneur de Saint Hydulphe, Pibon, évêque de Toul, avait consacré en 1081, l'église de La Voivre que venait d'élever l'abbé Bertrice sur un domaine appartenant à l'abbaye. Ce Saint est aujourd'hui titulaire de l'église de Moyenmoutier (et de Saint-Boingt au diocèse de Nancy) ; il est patron secondaire de Harol et avait autrefois sa chapelle à l a cathédrale de Saint-Dié. Jusqu'à la Révolution, le 11 juillet, sa fête était chômée et de précepte dans toutes les paroisses dépendant de l'abbaye. A notre bréviaire il a encore son hymne propre à matines, vestige de l'office complet qui s'est dit pendant des siècles en l'église abbatiale. A noter que plusieurs de ces textes avaient été rédigés par Humbert à la demande de Saint Léon IX qui en avait composé le musique. Dans toute la région bien des familles s'appellent encore Idoux, nom dérivé d'Hydulphe, qui perpétue à sa manière le souvenir de notre Saint.

Son iconographie se borne à quelques pièces qui ont pu échapper aux ravages du temps et des hommes. La plus intéressante est le double bas-relief en chêne du XVIIIe siècle à l'entrée du choeur de Moyenmoutier sur la jouée des stalles. Le Saint y apparaît à droite exorcisant le possédé et sur la gauche baptisant Sainte Odile en compagnie de Saint Ehrard qui pose la main sur sa filleule ; Saint Hydulphe tient en main la croix d'archevêque à double traverse. Tradition tenace, car la plaque d'étain, du XVIIIe siècle, scellée sur le coffre intérieur de la châsse, fait état de la même dignité : « Sanctus Hydulphus Trevirorum archiepiscopus ». Dans la chapelle des reliques, une toile classée représente la même scène. Une belle gravure de la fin du XVIe siècle, insérée dans l'Histoire de Dom Belhomme, reproduit les deux miracles et le reliquaire du XIIe siècle, orné de bas-reliefs en argent, aujourd'hui disparus. Deux médaillons représentent Saint Hydulphe en vitrail du XIVe siècle, à la cathédrale : sa rencontre avec Saint Dié et l'ensevelissement de son ami. En fait d'art contemporain, on peut voir Saint Hydulphe sur la grande toile de Monchablon à la chapelle de La Hutte (Hennezel) et en vitrail à Mattaincourt avec la croix mystique des monastères.

Signalons enfin le sceau, sans effigie, du XVIIe siècle, conservé au presbytère de Moyenmoutier. Il est frappé aux armes de l'antique abbaye : un bras (dextrochère) tenant une crosse ; armes parlantes, à la vérité, avec les deux initiales S.H. Évoquant le geste d'une vigueur suggestive du grand abbé qui, fondant Moyenmoutier quasi à contre-chœur lui donna l'impulsion pour onze siècles d'histoire.

01/08 /11 Saint Spinule (Témoins vosgiens)

Moine de Moyenmoutier

Il s'agit à vrai dire, d'un personnage assez peu connu dans le diocèse et nous le présentons avec Saint Hydulphe.
La vie de Saint Spinule s'inscrit, en effet, entièrement dans celle de son maître et sa sainteté, comme son culte, ne fait que refléter, à la manière d'un satellite, la personnalité rayonnante du fondateur de Moyenmoutier.

Saint Spinule, dont l'existence n'est pas contestée, n'a cependant fait l'objet d'aucune biographie particulière. Nous ne le connaissons que par des mentions occasionnelles dans les trois Vies de Saint Hydulphe souvent citées dans l'article le concernant.
Saint Spinule, originaire de la région, apparaît dans la cohorte des tout premiers disciples qui accoururent auprès de l'ermite venu de Trèves et qui le contraignirent à fonder Moyenmoutier.

Lorsque ce monastère, nous l'avons vu, dut rapidement « éclater », Saint Hydulphe confia à son fils de prédilection la charge d'organiser l'importante filiale, « celle », la plus proche de Moyenmoutier. Elle se situait au confluent même du Rabodeau et de la Meurthe, faisant office de trait d'union avec l'abbaye d'Etival.
Ce territoire était une donation récente d'un seigneur nommé Bégon ; en souvenir de quoi la nouvelle fondation fut appelée Bégoncelle jusqu'au Xe siècle où prévalut le nom de Saint-Blaise ; c'est l'annexe actuelle de la paroisse de Moyenmoutier.

A en croire les annales de l'abbaye, une chapelle y fut aussitôt élevée en l'honneur de la Sainte Croix, par Saint Hydulphe lui-même. Déjà à la tête de quatre chantiers d'église, disposant peut-être de moines qualifiés, il se serait ainsi lancé dans une entreprise de plus.
Quant au vocable de la Sainte Croix, il appelle une double remarque. L'église de l'abbaye voisine de Saint-Dié, en liaison si étroite avec Moyenmoutier, portait à l'origine ce même vocable, concurremment avec celui de Saint Maurice, avant de devenir la collégiale, puis la cathédrale Saint-Dié. Une « celle », plus lointaine dans le temps et le lieu, au XIe siècle et à Portieux, comme nous le verrons, aura son église pareillement dédiée à la Sainte Croix.

Combien de temps Saint Spinule fut-il à la tête du prieuré de Bégoncelle, quels furent les traits marquants de sa vie, nous ne le savons absolument pas. C'est seulement à sa mort et par la suite que cet humble religieux a retenu l'attention des chroniqueurs de Moyenmoutier, à la faveur des miracles relatés avec précision.

Saint Spinule, de santé chétive, avait toujours souhaité reposer au milieu de ses frères avec lesquels il avait fait profession, et il devait mourir en présence de Saint Hydulphe accouru à son chevet. Le lendemain un long cortège, formé des deux communautés, ramena le corps de Bégoncelle à Moyenmoutier à travers la forêt. Un orage terrible s'éleva soudain, déracinant les grands sapins, sans parvenir toutefois à éteindre les cierges de cette procession chantante.

Outre que Saint Spinule était pour Saint Hydulphe le fils préféré en qui il avait fondé beaucoup d'espoir, cette mort prématurée en odeur de sainteté décida l'abbé à inhumer son corps dans la chapelle Saint Grégoire. Ce jeune moine inaugurait ainsi la chapelle funéraire où Saint Hydulphe devait le suivre quelques années plus tard.

Le privilège devait se confirmer de façon si éclatante que les chroniqueurs désormais nous renseignent abondamment sur Saint Spinule. La chapelle Saint-Grégoire vit affluer un grand nombre de malades, de paralytiques qui, subitement guéris, laissaient là leurs béquilles en ex-voto. Avec le temps l'affluence fut telle que Saint Hydulphe commença à s'inquiéter. Car, comme bien on pense, tout ce pèlerinage, s'il profitait à la gloire de Dieu et au rayonnement de Moyenmoutier, s'accompagnait de beaucoup de bruit, voire de désordres, la superstition et le négoce y trouvant leur compte, déjà en ce temps là. Et la vie du monastère s'en trouvait gravement troublée.

Un jour, n'y tenant plus, Saint Hydulphe monta à la chapelle en singulier pèlerin. Agenouillé sur la tombe du cher disciple, le vieil abbé lui adressa cette prière, rapportée par dom Belhomme : « Nous remercions Dieu, ô notre frère, de ce qu'il vous a reçu dans l'éternel repos et nous savons que vous êtes puissant près du Seigneur. Mais vous n'ignorez pas le motif qui, nous arrachant au tumulte des peuples, a conduit nos pas vers la solitude. Ayez pitié de vos frères ballotés sur les flots du monde et en danger de périr. Les foules continuent-elles à nous importuner ? C'en est fait de notre vocation ; car si d'une part, grâce à la divine bonté, nous recevons des pèlerins les aumônes nécessaires à la vie corporelle, de l'autre, nos âmes sont en péril. C'est pourquoi , ô frère, délivrez-nous des bruits qui envahissent notre désert et faites qu'à l'abri des nécessités temporelles, nous gardions fidèlement les vœux de notre profession monastique. »

Sans contester certes que Saint Hydulphe ait pu faire une telle prière, on peut supposer qu'il s'agit là d'un texte savamment arrangé suivant les principes de rhétorique du XVIIIe siècle. Quoi qu'il en soit, cette prière en forme de sommation fut exaucée ; les miracles cessèrent brusquement et le calme revint comme aux premiers temps de la fondation. Miracle que la tradition a porté au crédit des deux Saints, attestant en particulier que Saint Spinule demeurait, là-haut dans la gloire, aussi humblement soumis à son maître qu'il l'avait été de son vivant.

Le fait, digne de la Légende dorée, figurait traditionnellement dans les leçons du propre diocésain ; il n'a pas été retenu lors de la réforme de 1957. On le retrouve d'ailleurs pour d'autres Saints inhumés dans des monastères, par exemple pour Saint Gibrien à l'abbaye Saint-Rémy de Reims, et pour Saint Bernard lui-même à Clairvaux. Le cas le plus typique est celui de Sainte Hildegarde près de Mayence, dont l'archevêque, qui ne fut point canonisé, enjoignit à la sainte abbesse de cesser ses miracles ; elle obéit mais avec une réserve ; les pèlerins désormais n'obtinrent plus que des faveurs spirituelles. Ce qui suffit, non pas à stopper, mais à assagir le pèlerinage (Revue des Questions historiques 1883).

Pour accéder à la sainteté, Spinule avait reçu Bégoncelle comme champ d'activité. Pour le rayonnement de son culte, c'est dans une filiale éloignée de Moyenmoutier que nous allons le trouver et c'est Hugues qui en fut le fourrier. Épris de solitude à l'exemple de Saint Hydulphe, ce moine quittait Moyenmoutier en 1097 pour se retirer dans un vallon affluent de la Moselle, sur la rive droite, aujourd'hui près de Portieux.

Le seigneur de cette partie du Chaumontois était Gérard de Vaudémont, fils cadet de Gérard d'Alsace, fondateur de la première dynastie des Ducs de Lorraine. Ayant su la présence de cet ermite, il s'intéressa à lui et à son abbaye d'origine. Au retour d'une captivité, subie chez les Burgondes. Gérard fit don d'un beau domaine, nommé Belval, en l'honneur des Saints Hydulphe et Spinule, avec charge pour Hugues d'y établir un prieuré bénédictin.

Le nouveau prieur avait en effet une dévotion spéciale à Saint Spinule, son émule de la première génération. Il adressa en 1104 à Bertrice, abbé de Moyenmoutier, une supplique, appuyée par Gérard, pour obtenir le transfert à Belval du corps de Saint Spinule. Satisfaction ayant été donnée, Gérard fit faire une châsse ornée de plaques d'argent pour recevoir les précieuses reliques dans l'église qui s'édifiait alors. En 1108 Gérard s'y faisait inhumer et en 1134 Henri de Lorraine, évêque de Toul, la consacrait sous le patronage de la Sainte Croix et de Saint Spinule. La charte relatant l'événement fait état d'une grande basilique. Les deux remarquables chapiteaux romans, qu'on voit encore à Belval, aujourd'hui transformé en hospice (29 octobre 1869), donnent idée de l'ampleur de cette église bâtie par Hugues.

Belval devint ainsi le grand centre de pèlerinage à notre Saint. Selon Jean de Bayon. « des miracles innombrables éclatèrent à son intercession ; les relations véridiques des anciens ne laissent pas de doute à cet égard. Aujourd'hui les grâces ont complètement tari en ce lieu, à cause de l'indifférence des habitants ! ».

Par la suite, Belval se rallia, dans le sillage de Moyenmoutier, à la congrégation de Saint Vanne et Saint Hydulphe, décision confirmée, pour le cinquième centenaire de sa création par le pape Paul V, le 23 janvier 1607.

Les manifestations du culte de notre Saint se limitent strictement aux trois lieux dont nous venons de parler. Aucune église ou chapelle ne l'a comme titulaire. Un des martyrologes de France, cité par les « Petits Bollandistes », le mentionne curieusement au titre de Trèves, « domiciliation » qui se réfère de toute évidence à Saint Hydulphe, venu de Trèves à Moyenmoutier.

Cette abbaye conserve dans une belle châsse analogue à celle du fondateur des reliques de Saint Spinule, réservées lors de la translation de 1104.
A Saint-Blaise, rien n'en rappelle le souvenir, hormis un médaillon de vitrail du XIXe, représentant sa mort entre les bras de Saint Hydulphe. A signaler toutefois que le maître-autel en bois doré avec son parement très original, de style Louis XV, provient du même atelier que tout le mobilier de Moyenmoutier.

L'église paroissiale de Portieux, dédiée à l'Exaltation de la Sainte Croix, présente des reliques de Saint Spinule dans une belle petite châsse en bois doré, sous l'appellation locale de « Saint Spin ». Reliques et titre de l'église sont le seul héritage du Prieuré de Belval, détruit à la Révolution.

En fait d'iconographie, très pauvre, nous ne pouvons citer qu'une jolie statuette de confrérie, bois polychromé du XVIIe siècle, conservée dans une famille. Le Saint y figure très jeune en moine bénédictin. On le voit ainsi sur une image de Dié Mallet, dans la série des « Grands Saints de Lorraine ». A ce titre il est aussi dans un vitrail de la nef à la basilique de Mattaincourt.

01/08 /11 Sainte Hunne (Témoins vosgiens)

Veuve

Parmi les personnages figurant à notre Propre diocésain, Sainte Hunne est assurément l'une des moins connues, d'autant qu'elle n'est sans doute jamais venue chez nous. Lointaine dans le temps, puisqu'elle nous reporte aux origines de l'Église de Saint Dié, elle est pourtant notre voisine, ayant vécu au pied des Vosges, en ce village alsacien qui lui doit son nom : Hunawihr.
A la différence de ses contemporains du VIIe siècle, déjà étudiés sous cette rubrique, elle n'a pas fait l'objet d'une biographie spéciale. Mais sa présence et plusieurs de ses faits et gestes sont attestés dans la vie même de Saint Dié. En ce sens, on pourrait dire qu'elle a vécu dans son orbite et dans sa légende, puisque Saint Dié, nous l'avons vu, avait un certain temps séjourné en Alsace, avant de se fixer définitivement chez nous.

C'est à ce titre que l'office de Sainte Hunne est entré dans notre Propre. Mais pour Saint Dié comme pour sa bienfaitrice, nous n'avons guère de documents antérieurs à l'an mil, soit quatre siècles après les événements qui s'attachent aux deux personnages.
Selon Ruyr et de Riguet, les deux principaux chroniqueurs du Chapitre, Hunne appartient à la famille royale des Burgondes. Un manuscrit antérieur, conservé à la paroisse d'Hunawihr, précise même que, née vers 620, elle descendait de Saint Sigismond, roi de Burgondie, mort en 524, d'ailleurs patron de Heidelsheim et de Matzenheim à quelques lieues de là.

Elle avait épousé un pieux seigneur alsacien, appelé Hunon. Si les ruines de leur château sont encore visibles à 1 km au sud de Ribeauvillé, leurs noms Hunna et Hunon intriguent beaucoup la critique de notre temps. Elle estime en effet qu'une telle ressemblance « sent un peu la fable et l'arrangement, encore qu'historiquement on trouve souvent des couples Charles et Charlotte, François et Françoise ».
Cette réserve faite, suivons nos chroniqueurs. La naissance d'un fils va mettre la châtelaine en relation avec Saint Dié. Il séjournait pour lors dans la région et, grâce à son renom de sainteté, fut invité à baptiser l'enfant, qu'on appellera Dieudonné.

Le parrainage sera bénéfique à tous deux, car le garçon entrera plus tard au couvent et sur-le-champ le seigneur Hunon concède des territoires à l'abbaye d'Ebersmunster que l'ermite itinérant venait de fonder au nord de Sélestat. Cette fondation deviendra plus tard abbaye d'Empire, richement dotée par Louis le Pieux en 818, mais Mittelwihr, Ingersheim sont des domaines offerts personnellement à Saint Dié, qui en gardera la propriété après qu'il aura repassé les Vosges.

Le jeune Dieudonné entré à Ebersmunster, Hunne sans autre enfant reporte son affection sur les pauvres et les malheureux. Non contente de leur faire des largesses en vivres et en argent, elle les soigne dans leur maladie et lave leurs linges parfois purulents à la fontaine du village au bas du château. Cette forme de charité qu'elle affectionne lui vaudra le titre, resté populaire en Alsace, de « sainte Lavandière ». Concédons que ce trait de légende pourrait être historique, car Sainte Hunne ici s'apparente singulièrement à Saint Louis, dont le VIIe centenaire actuel nous révèle par des détails du même genre l'admirable charité en faveur des déshérités.

On place en l'année 679, exactement comme Saint Dié, la mort de Sainte Hunne, qui était veuve depuis plusieurs années. Ce qui par contre est consigné avec précision dans les annales du Chapitre, c'est que d'un commun accord, les deux époux avaient légué à leur ami le domaine d'Hunawihr en totalité.
Nous savons l'importante mutation qui, peu avant l'an mil, devait transformer le monastère bénédictin des Jointures en un Chapitre séculier. Si ce dernier accuse désormais, du point de vue spirituel, une tradition monastique fort affaiblie, il fut très attentif à ne pas perdre un iota de ses droits, pas un seul lambeau du patrimoine acquis au cours des siècles. Le fonds légué en Alsace par Sainte Hunne et son époux devait en effet s'enrichir d'une douzaine de domaines, échelonnés de Sélestat à Colmar, au long de ce qu'on appelle aujourd'hui la « Route des Vins ».

A ce dernier mot, on devine tout le prix que le Chapitre attachait à de telles possessions. Ces domaines alsaciens qui ne représentaient en superficie que le cinquième du patrimoine du Chapitre, regorgeaient de ressources vivrières et surtout de vins. Le cartulaire de Saint-Dié contient d'innombrables pièces se référant aux possessions d'Alsace. Il faut voir avec quelle âpreté, depuis le haut Moyen Age, nos chanoines défendent leurs biens contre la convoitise des féodaux. Ainsi en 1332, pour ne citer qu'un exemple, Buchard; seigneur de Horbourg, est condamné à livrer au Chapitre deux charretées de vin chaque année en réparation de dommages causés à Hunawihr (Archives des Vosges, G 817). Voilà une amende qui complétait de façon judicieuse la maigre vendange vosgienne, car les chanoines s'obstinaient depuis des siècles à faire pousser de la vigne sur la colline proche, appelée toujours « La Vigne-Henri », et jusque sur les pentes de la Behouille. En témoigne encore ce motif sculpté en 1588 sur une belle porte de grange canoniale conservée place du Chapitre.

Et tout ce contentieux et ce négoce de bien servir en un sens la cause de notre Sainte. On vérifie en effet que son culte fut très tôt en honneur à Saint-Dié et dans les environs. On l'avait inhumée dans la chapelle du château et le rayonnement de sa charité continuant de se manifester, tous les chrétiens des alentours, les plus pauvres surtout, venaient prier sur sa tombe si proche de la fontaine. Jusqu'à la Réforme, le pèlerinage fut bien fréquenté et « une partie des offrandes était envoyée au Chapitre de Saint-Dié ».

Il se peut que le Pape Saint Léon IX soit passé à Hunawihr, lors de son périple alsacien. Du moins a-t-il confirmé la protection de cette chapelle, comme devait le faire en 1114 l'empereur Henri V pour tout Hunawihr, en faveur du Chapitre. De ce fait la chapelle castrale fut agrandie une première fois à l'époque romane, puis au début du XVIe siècle au centre d'un cimetière entouré d'une enceinte fortifiée, unique dans toute l'Alsace.
A cette époque, la moitié méridionale de l'Alsace relevait de l'évêque, non de Strasbourg, mais de Bâle. C'est donc ce dernier que, sur une supplique des habitants de Hunawihr, le pape Léon X chargea de relever le corps de Sainte Hunne. La cérémonie, faisant office de canonisation, eut lieu le 15 avril 1520, en présence d'une foule estimée à 20 000 personnes par un témoin, Ulrich de Ribeaupierre. On déposa les ossements dans une châsse précieuse, munie de quatre clés, dont l'une était confiée au Chapitre (Archives des Vosges, G 244).

Comme bien on pense, ce dernier était à la fête, ayant envoyé une délégation sous la conduite du chanoine-poète Laurent Pillard, le futur auteur de « La Rusticiade ». Pour marquer l'événement, le Chapitre de qui relevait la cure d'Hunawihr fit remise, pour 20 ans, de la dîme aux paroissiens.
La délégation eut la faveur de ramener à Saint Dié une insigne relique, prélevée lors de la translation : l'humérus de l'un de ces bras qui avaient si bien travaillé à la fontaine ! relique qui fut aussitôt précieusement enchâssée. Au début du XVIIIe siècle, Benoît de Kicler, grand-doyen du Chapitre, fit faire un bras d'argent, qui disparut à la Révolution. On lui en substitua un autre en bois, pourvu d'une main tenant le battoir des laveuses. Il disparut à son tour avec la relique, lors du sinistre de la Cathédrale en 1944. Jusqu'à la fin du siècle dernier, les ménagères de Saint-Dié fleurissaient les lavoirs et fêtaient solennellement leur patronne à chaque printemps le 15 avril.

Le reste du corps de Sainte Hunne devait être dès 1540 entièrement détruit et dispersé par les gens de Hunawihr passés au Luthéranisme, la plupart, dit Jean Ruyr, « ayant fait banqueroute à la religion ». De nos jours, au soir du 24 décembre, un concert de Noël est donné sur les remparts de l'église illuminée, signalé par le Touring-Club, numéro de décembre 1969. Faut-il y voir vraiment une manifestation de folklore, en plein air à cette saison ! ou un hommage de réparation lointaine à celle qui a sanctifié ces lieux ?

En fait d'église, Sainte Hunne n'est titulaire d'aucune en notre diocèse, comme d'ailleurs à Strasbourg. Car à Hunawihr même le patron est toujours Saint Jacques le Majeur, à qui avait été dédiée la chapelle Sainte-Hunne près de Ban-de-Laveline, au hameau de Honville, que Ruyr écrit Hun-ville, et pour cause ; c'est en bordure du chemin par où étaient passées les reliques en 1520 !
Liturgiquement et sous le rite double, le Propre de Strasbourg fête Sainte Hunne le 15 avril (date historique), le nôtre, le 7 juin. De même que les reliques se perdent, le culte des Saints se détériore de nos jours. Lors de la révision du Propre en 1957, Mgr Brault avait été heureux d'obtenir de Rome, pour le IIe nocturne du bréviaire, un passage de Saint-Augustin s'appliquant de façon charmante à notre Lavandière. Aujourd'hui ces textes sont déjà passés à l'archéologie ; c'est pourquoi le lecteur excusera cette simple remarque « pour mémoire ».

D'après tout ce que nous venons de dire, l'iconographie de Sainte Hunne doit se réduire à bien peu de chose. A notre connaissance, il n'en existe absolument aucune statue.
Par contre, lors des travaux effectués en 1968 à Hunawihr, on a découvert à l'église des fresques dont nous avons eu connaissance par l'architecte. Datant du XVIe siècle et gâchées par un badigeon grossier, il est difficile de les identifier toutes. Parmi les quinze scènes figurées, plusieurs se rapportent incontestablement à Sainte Hunne : une femme tend par la fenêtre des vivres à un malade ; la même femme à la fontaine ; le baptême d'un enfant par un évêque, etc. Dans les autres, on reconnaît des épisodes de la vie de Saint Dié, tels que les représentaient, avant 1944, les tableaux de Claude Bassot, hélas ! détruits.

Dans la grande toile, peinte en 1884 pour la chapelle de La Hutte à Hennezel, Monchablon a fait place à Sainte Hunne, parmi les Saints de la région de Saint-Dié.
Mais la représentation la plus vénérable, encore que modeste, est celle des vitraux de la cathédrale, seuls précieux vestiges de la fin du XIIIe siècle. Sainte Hunne y figure avec son mari, aux côtés de Saint Dié en crosse et mitre (ancien évêque supposé de Nevers).

Ainsi est-il heureux qu'en dépit de tant de cataclysmes, ait pu survivre, dans l'antique collégiale du Chapitre devenue l'église-mère du diocèse, l'image de la sainte Lavandière, qui en est bien un peu la marraine.

11/07 /11 Saint Adelphe (Témoins vosgiens)

Troisième Abbé du Saint-Mont

Dans un précédent article ayant trait aux « Corps Saints » de Remiremont, nous avions fait plusieurs fois allusion à Saint Adelphe. Bien que, dans le nouveau propre, sa fête ne survienne que le 9 septembre, il nous a paru bon d'évoquer, à la suite ce pieux Abbé, qui prit une part si active aux débuts du Saint-Mont.

Traditionnellement et jusqu'au siècle dernier, Saint Adelphe a bénéficié, si l'on peut dire, de cette tendance naïve de grouper par les liens de parenté certains personnages de la même époque. Ainsi, on s'est plu à voir en lui le petit-neveu, voire même le petit-fils de Saint Romary et le frère de Sainte Gébétrude. Cette créance reposait sur une « Vie » légendaire composée seulement au milieu du XIe siècle, c'est-à-dire à l'époque de sa « canonisation » par Saint Léon IX.

On s'attache plus volontiers aujourd'hui à une biographie anonyme, qui, dans sa brièveté même, a le mérite d'être beaucoup plus exacte, ayant été rédigée par un contemporain. On tend d'ailleurs à l'attribuer à Jonas, auquel on doit pratiquement tout ce qu'on sait de sûr, touchant les débuts de l'ère colombaniste et de notre Saint-Mont.

Ni le lieu, ni la date de naissance de Saint Adelphe ne sont précisés ; toutefois, par rapprochement de certains traits, ce pourrait être en Austrasie et dans le premier quart du VIIe siècle . Son père, Bethilin, noble Sicambre, et sa mère, Asselberge, s'ils ne vivaient pas à la cour de Metz, devaient y avoir pour le moins des relations. Car nous les voyons s'entremettre avec le leude Romary pour lui faire aussitôt baptiser leur enfant sous le nom d'Adelphe, avec Saint Amé comme parrain. Heureux auspice qui allait marquer sa destinée et l'orienter vers les Vosges. Devenu adolescent, Adelphe fut confié à Saint Arnould. Ce dernier était-il encore évêque de Metz, ou bien s'était-il déjà retiré près du Saint-Mont ? Faute de date, il est impossible de se prononcer.

Toujours est-il que le disciple fut à bonne école. Instruit dans les belles lettres, il s'initie bien davantage encore à la vertu et à la piété. Car, au bout de quelques années, il entra au monastère du Saint-Mont en qualité de novice. Le chroniqueur ne tarit pas d'éloges sur le jeune homme, sujet d'édification pour toute la communauté. De belle prestance, Adelphe avait un physique des plus agréables ; un beau type de leude chrétien. Sa conversation enjouée, sa distinction attiraient d'emblée la sympathie, tant il était par ailleurs, modeste, délicat et pieux. Il en était arrivé, conclut notre chroniqueur, à reproduire trait pour trait la physionomie et la sainteté de Romary. Pareil compliment à double adresse ne vise, dans la pensée de l'auteur, qu'à édifier fidèles et moines du Saint-Mont.

Ne serait-ce pas aussi une habile transition ? Car, à la mort de Saint Romary, Saint Adelphe est, à l'unanimité, désigné pour lui succéder, bien préparé qu'il était déjà, depuis plusieurs années, par la direction spirituelle des Religieuses alors sous la crosse de Sainte Gébétrude. L'auteur que nous suivons ne dit mot de la prétendue parenté, et nous saisissons bien ici la manie à laquelle a cédé celui du XIe siècle, en faisant du nouvel Abbé le frère même de l'Abesse. Comme si Dieu avait besoin de ce facteur humain pour conduire son œuvre et réaliser ses desseins !

De son parrain, comme de son premier maître, Saint Adelphe avait hérité le goût de la solitude. Sans remonter par le Pont des Fées jusqu'à l'ermitage du Mort-Homme, ni descendre réoccuper la grotte du Vieux-Saint-Amé, il aimait se retirer hors de l'enceinte monastique, dans quelque recoin des pentes rocheuses. Là, il pouvait tout à son aise vaquer à la prière et à la méditation, se livrer aux rigueurs d'une pénitence qu'il recherche pour lui et que, par délicatesse, il ne pouvait imposer à ses ouailles.

Mais il tenait aussi de son compatriote Saint Romary, dont nous avons remarqué le sens pratique, le tempérament actif et entreprenant. Sous l'abbatiat de Saint Adelphe, qui devait durer 17 ans, l'œuvre naissante allait prendre un bel essor sur le plan matériel.

Le nouvel Abbé eut surtout le mérite d'appliquer au Saint-Mont la modification qui s'était opérée à Luxeuil, déjà sous Saint Eustaise, plus nettement sous Saint Valbert, successeurs immédiats de Saint Colomban. A la demande du Saint-Siège, la première règle, toute imprégnée encore de la rigueur irlandaise, s'était en effet progressivement adoucie sous influence de la spiritualité bénédictine. Ainsi, dans les débuts, le moine, par exemple, n'était « autorisé à se coucher qu'épuisé de fatigue et devait se lever avant d'avoir achevé son sommeil ». Toute infraction relevait du Pénitentiel déconcertant, rédigé de la main de Saint Colomban.

Sans y avoir été moine, mais ayant reçu la consécration abbatiale à Luxeuil, Saint Adelphe se tenait en étroite liaison avec l'abbaye-mère et s'adaptait à son rythme. En sorte que le Pénitentiel, si copieusement fourni, fut au Saint-Mont interprété de façon plus humaine, surtout pour les Moniales, qui n'existaient pas à Luxeuil. Il apparaît ainsi que, par la sagesse de son gouvernement, le troisième Abbé devait marquer pour l'avenir toute la spiritualité du Saint-Mont. Des fondateurs, il avait reçu une lourde succession ; il allait la passer à l'un de ses moines, nommé Garichramne, et terminer sa vie dans des conditions vraiment curieuses, rapportées avec un luxe de détails par le biographe.

Au cours de sa dix-septième année d'abbatiat, Saint-Adelphe, qui avait délibérément pris sur lui la rançon des adoucissements apportés à la règle, se sentit défaillir à force d'austérités. Son état s'aggravant, il rassembla toute la communauté en un ultime chapitre pour lui dire : « Frères et Sœurs bien aimés, je vous prie de me transporter à Luxeuil ; c'est là que je veux livrer mon dernier combat, soutenu par la prière de tous mes frères ». Dernière volonté qui s'explique peut-être du fait que Luxeuil comptait alors six cents moines. Il n'empêche qu'elle est bien étrange de la part d'un mourant, si l'on songe aux ambulances et aux routes dont on disposait alors !

Son vœu fut néanmoins exaucé, et l'Abbaye-Mère reçut ce grand malade avec beaucoup d'égards. On le confia à frère Emmon, l'infirmier, qui l'entoura de mille prévenances inspirées de la plus pure charité, au point que la postérité en fit un Saint « honoraire » du Saint-Mont. Il a, en effet, sa stèle et son auréole, nous l'avons vu, auprès de Saint Adelphe, dans le jardin paroissial de Saint-Amé.

Saint Adelphe s'éteignit le 11 septembre 670 en murmurant « Christ, venez à mon aide !». Tandis qu'on l'ensevelissait, un courrier, parti aussitôt pour le Saint-Mont, y parvint au milieu de la nuit. Garichramne, en toute hâte, gagna Luxeuil avec une escorte de moines. Le lendemain, un cortège processionnel, croix en tête et force cierges entourant la vénérable dépouille, prit le chemin du retour. Au gué de la Moselle — le pont Le Prieur n'existait pas encore — voilà que Sainte Gébétrude et toutes ses filles étaient venues à la rencontre. Suivi d’une masse de peuple qui s'était agrégée en cours de route, tout ce monde gravit les pentes du Saint-Mont , au chant des psaumes. Le corps fut déposé à découvert à l'église Saint-Pierre, où se fit la messe des funérailles ; l'inhumation, dans un sarcophage en pierre, suivit à l'église Notre-Dame, où reposaient déjà Saint Romary et Saint Amé. Pendant deux siècles exactement, ce sont donc les Religieuses qui allaient, de façon continue par la « louange perpétuelle », monter une pieuse garde auprès des fondateurs.

Par la suite, les restes de Saint Adelphe partagèrent la destinée des « Corps Saints », dont nous avons esquissé la longue histoire. Précisons seulement qu'à Remiremont les reliques du troisième Abbé « canonisé » avec les autres par Saint Léon IX reposaient dans une châsse sur l'autel Saint-Paul, coté Evangile. Il fut, comme ses compagnons, l'objet d'un culte entretenu par des prodiges et des miracles qu'il n'est pas question de rapporter ici. Mais Valdenaire, prieur d'Hérival, nous en a laissé, dans le style savoureux du XVIe siècle, l'énumération détaillée, tout au long de son « Registre des choses mémorables de l'église Saint-Pierre de Remiremont ».

Jusqu'à la Révolution, les Chanoinesses ont célébré l'office de Saint Adelphe au « dies natalis », le 11 septembre, sous le rite double du IIe classe avec octave. « Ce jour-là, précise le Rituel, il y a offrande sans procession ; on dit la grande Messe à l'autel de Saint Romary ».

Le culte de Saint Adelphe ne semble pas s'être étendu au-delà du domaine de Remiremont. On ne le trouve titulaire d'aucune église ou chapelle de notre diocèse. Nous n'avons pas rencontré davantage une seule statue ou tableau à son effigie, du Moyen-âge ni de l'époque classique.

Il faut attendre le XIXe siècle pour voir Saint Adelphe représenté en vitrail. Iconographie pauvre et, somme toute, de bien fraîche date. A Remiremont, il figure avec sept autres personnages du Saint-Mont sous la rose du transept sud. Lorsqu'en 1858 on restaura, pour le Séminaire, la belle église abbatiale d'Autrey, il eut son vitrail dans la chapelle sud, dédiée à Saint Nicolas. Mais ce fragile hommage a, hélas ! disparu dans la bataille de 1944. Par manière de réparation toutefois, le bon Saint a retrouvé sa place parmi les Saints de chez nous qui, aux verrières des bas-côtés, font escorte d'honneur à Saint Pierre Fourier, dans la basilique de Mattaincourt.