Sainte du Saint-Mont
A propos de cette abbesse du Saint-Mont, se vérifie très spécialement le dilemme souvent posé en matière d'hagiographie de l'époque mérovingienne. « Les écrits fixent et certifient les traditions mais parfois aussi les traditions naissent des écrits ou en reçoivent un crédit qui dépasse la réalité historique. »
Les écrits attestent clairement l'existence de Sainte Perpétue : ainsi le manuscrit de l'Angelica la mentionne comme huitième abbesse du Saint-Mont. Le Martyrologe de France lui reconnaît le caractère de sainteté : on y lit au 12 septembre : « A Remiremont, au diocèse de Saint-Dié, Sainte Perpétue, abbesse du monastère de ce lieu fondé par Saint Romary en 620 ».
Quant aux traditions, on les trouve amplement assorties de légendes, dans un curieux ouvrage de Loys Bailly, chanoine de Remiremont (1656). Selon notre conteur, le père de Perpètue était un leude illustre de la cour d'Austrasie, où les mœurs demeuraient encore barbares. Exaspéré de n'avoir que des filles, il menace sa femme de la tuer, si l'enfant qu'elle attend doit être encore une fille. Lisons la suite :
« Dieu qui ne fait rien que pour le meilleur, permit que cette pauvre dame ne réussit pas au contentement de son mary ; et touste affligée d'avoir encore donné la vie à une fille qui devoit bientôt lui causer la mort, elle se laissa troubler par une précipitation si aveugle, qu'elle commanda subitement à la sage-femme de la mettre plutôt au tombeau qu'au berceau. La malheureuse, trop obéissante, tordit le col à cette petite nouvellement née.
« Pendant que ceste femme travaillait à ceste mauvaise action, un ange eut le soin d'en faire une bonne et d'apparoistre à ce seigneur, pour lors éloigné de son palais, auquel il ordonna de s'en retourner promptement vers son épouse et de faire élever soigneusement la fille que Dieu luy avoit envoyée. Ce mary sévère, tout adoucy par ceste vision, se rendit en diligence chez luy, où, après plusieurs contestations négatives du fait, la dolente mère advoua son crime.
« Le pauvre père, surpris d'un coup si désespéré, se porta subitement au lieu où l'on croyoit que ceste petite fust morte et déjà demie pourrie. Mais Dieu, qui fait sortir tout frais du tombeau les corps puants et corrompus, avait conservé pour sa gloire celuy de ceste innocente. Il la trouva donc pleine de vie, et par une nouveauté inoüye, elle avoit le petit doigt dans la bouche, où sans doubte son bon ange l'avoit mis pour le sucer et luy servir en quelque façon d'entretien pendant quatre ou cinq jours qu'elle fut en ce pitoyable état. »
Bouleversé par ce miracle, le père fit grâce à la mère et à l'enfant, qu'il appela Perpètue, en gage de « souvenance continuelle » et c'est lui-même qui plus tard la présentera comme novice au Saint-Mont.
Si nous nous sommes permis de transcrire ce passage savoureux, ce n'est certes pas pour documenter le lecteur sur la naissance de cette enfant prédestinée, mais seulement, pour une fois, à titre d'échantillon de cette pieuse littérature qui a fleuri, aux fins de doter d'une histoire des saints personnages, dont précisément on ne savait rien !
Reprenons pied maintenant sur le terrain historique avec l'abbé Didierlaurent. Il a pu établir que Sainte Perpétue, élevée au Saint-Mont par Sainte Gébétrude qui l'avait en grande affection, accédera à l'abbatiat à un âge assez avancé, puisque, dans la liste, trois noms s'insèrent entre la quatrième abbesse et sa pupille, qui sera la huitième. On estime que celle-ci mourut entre les années 680 et 690.
Fières de leurs fondateurs du Saint-Mont et très attachées au culte des « Corps saints » en leur grande église, les Dames de Remiremont se sont donc contentées, nous l'avons vu, de « récupérer » deux de leurs saintes abbesses, laissant dans l'ombre toutes les autres.
On ne connaît, en effet, de Sainte Perpétue ni reliques, ni aucune manifestation de culte. Et son iconographie, de fraîche date, se réduit à la stèle du Jardin paroissial de Saint-Amé.
Du moins cette modeste évocation, comme l'ouvrage de Mme Dussaux, comme les présentes notices, semble-t-elle esquisser le regain de faveur et d'intérêt que porte notre temps aux personnages qui, du haut de leur « Monastère de la louange », ont marqué de leur sainteté ce coin privilégié des Vosges méridionales.