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10/01 /11 Roselyne Vançon : “parlez d’eux !” (Témoins vosgiens)


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Franche comme la terre qui l’a vue naître parmi une grande fratrie de 10 enfants, Roselyne Vançon n’ignore rien du sens du partage. De ses ancêtres, de ses parents, agriculteurs, elle a conservé la sagesse et la modestie de ceux qui se lèvent le matin en lorgnant plus vers les couleurs du ciel que vers le miroir du besoin de paraître.

Son engagement au sein d’Amitiés Chrétiennes va vers ceux que l’on désigne différents. “C’est d’eux tous qu’il faut parler, c’est eux qui ont tous les mérites !”
Son regard se teinte d’une profonde tendresse lorsqu’elle évoque Jean-Marie, son frère handicapé, décédé à 50 ans. Chaque être humain est unique, pourtant Roselyne sait bien en son cœur qu’elle retrouve toujours un peu Jean-Marie en ceux avec qui elle passe du temps. “J’ai beaucoup de chance, car sans la compréhension de Daniel, mon mari, il est bien évident que je n’aurais pas été en mesure de m’investir autant, si je fais quelque chose il a aussi sa part !”

Couturière retraitée, Mme Vançon va vers les autres. Trente ans de catéchèse pour les 9 à 12 ans à l’Institut médico-pédagogique, Roselyne a également trouvé bien des satisfactions à La Feuillée. S’occuper d’un groupe en paroisse et animer des moments d’aumônerie mobilise. Des formations ont intéressé Mme Vançon appelée à devenir permanente au service diocésain.

En 1994, une lettre de mission est arrivée avec pour ordre de promouvoir la catéchèse dans les établissements spécialisés des Vosges “Connaître et créer des groupes de caté, on ne fait rien tout seul, j’ai rencontré des gens extraordinaires” confie-t-elle.

Soutenir les équipes, la pédagogie, les rencontres... dans la région, mais aussi en France, la tache ne manque pas. C’est tout naturellement que Roselyne Vançon s’est rapprochée du groupe Rencontres Amitiés Chrétiennes de Saint-Amé. Il en existe deux sur le département, l’autre évolue à Épinal.

Depuis plus de 20 ans, une quinzaine d’adultes, porteurs d’un handicap mental participent aux Rencontres. Tous ayant été catéchisés dans leur enfance. Employés du CAT de Saint-Amé, ces hommes, ces femmes vivent au foyer Tremplin géré par l’ADAPEI. D’autres restent chez leurs parents. Portés par l’espoir, ils attendent du travail. “C’est un vrai bonheur de vivre quelque chose avec eux ! Mais attention, on a intérêt à être authentique ! Car, si l’on vient là pour la frime, ils le sentent tout de suite !”

Avides de rencontres vraies

Les rencontres s’effectuent mensuellement les samedis après-midi et autour d’une équipe qui évolue au fil des ans. Mme Vançon ne veut jamais se mettre sur le devant de la scène. Il y a eu Louis, Agnès, Yvonne, le Père Bexon, ensuite Roselyne, Madeleine, Annette, Bernadette, Monique... “Nous sommes toujours impressionnés par la volonté de bien vivre de ces adultes avides de rencontres vraies...”

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Le partage des nouvelles du mois où les joies et peines de chacun sont prises en compte. Tous ont la parole. Roselyne est admirative. “Ils s’écoutent et montrent un immense respect, les uns des autres !” On rit beaucoup, on pleure aussi quelquefois.
Toutes les dimensions sociales, familiales, professionnelles, sportives ou spirituelles se développent au fil de deux heures qui passent bien vite. L’équipe aborde ensuite le texte de l’Évangile du prochain dimanche. “Avec l’aide du livre, La Parole parmi nous, d’Anne-Marie Aitken, nous mâchons la Parole de Dieu...” Le mime, le chant, le dessin, le silence, les prières... se révèlent des instruments précieux.

Un goûter et voilà l’heure de se séparer qui sonne déjà. Mais, avec à l’esprit des souvenirs forts, comme ceux du week-end passé ensemble, dans la joie, à Ramonchamp. Une animation symbolisait alors le Semeur de l’Évangile. “Nos amis ont compris qu’il ne fallait pas s’arrêter aux multiples obstacles de la vie, mais toujours repartir d’un bon pied. À leur exemple, semons la Bonne Nouvelle ! Semons avec largesse !”

Josée Tomasi-Houillon

Cet article a été publié dans le magazine « Eglise dans les Vosges ». En vous abonnant , vous soutenez l’information et le dialogue dans le diocèse.

09/01 /11 Saint Colomban (Témoins vosgiens)



Abbé, fondateur de Luxeuil

En vertu d'une longue tradition, Saint Colomban figurait au Propre de notre diocèse, quand il en fut exclu, lors de la révision de 1915, avec plusieurs autres Saints, censés n'avoir pas de relations spéciales avec le diocèse de Saint-Dié. Jugement bien sommaire, voire erroné, quand il s'agit d'un Saint Colomban !

A y regarder de plus près, il apparut que « restaurer le souvenir de ce grand Saint dans la région des Vosges était un véritable acte de justice, en raison de l'énorme influence de Luxeuil ». C'est en ces termes que la Commission pontificale nous rendit Saint Colomban en 1957.
Si nos Saints de Grand et du Xaintois furent, dès le IVe siècle, les apôtres de la Plaine, c'est par l'entremise de Saint Colomban que la Montagne allait, deux siècles plus tard, recevoir à son tour l'Evangile. Les Vosges méridionales furent, en effet, des premières à bénéficier du rayonnement exceptionnel de ce grand pionnier de la civilisation chrétienne en Occident.

Déjà, sur la vie des Saints Desle, Eustaise et Germain, les illustres moines de Luxeuil qui seront étudiés, nous verrons se profiler sa majestueuse silhouette. Pour la détailler de façon plus précise et pour camper, sur le fond sombre des temps mérovingiens, cette haute figure de lumière, nous avons la chance de disposer d'une Vie, historiquement très valable, écrite par Jonas, compagnon fidèle et témoin attentif de Saint Colomban. Le biographe, toutefois, ne nous dit mot de sa première enfance, mais celle-ci nous est connue par les traditions irlandaises et fut récemment reconstituée par la remarquable étude de Mademoiselle Dubois, professeur à la Sorbonne.

Saint Colomban naquit vers 540 en Irlande, dans cette « Ile aux Saints » qui a joué un tel rôle dans l'évangélisation de l'Europe. Située à la pointe nord, en vigie sur l'Océan, elle était, dès le Ve siècle, et grâce à Saint Patrick, un ardent foyer de chrétienté. En sorte que « la palme du zèle missionnaire et de l'attachement à la foi ne pourra jamais être enlevée à Irlande ». (Message de S.S. Jean XXIII du 17 mars 1961).

La mère du petit Colomban veilla de tous ses soins à l'éducation chrétienne, comme si elle avait eu le pressentiment d'une destinée exceptionnelle. Au reste, l'enfant, plein de vie et de fougue, se familiarisait, comme les camarades de sa caste, avec les jeux de chevalerie, la chasse et la nage. Familier des forêts, il y puisait les leçons de la nature et s'ouvrait à la poésie. Tout cela contribua à lui meubler l'esprit, à lui forger un tempérament de fer. C'était un superbe adolescent, dont Jonas nous a laissé le portrait. « Silhouette élancée, souple chevelure, le regard clair et profond, le geste vif et la démarche altière. »

Sous la direction d'un clerc, il avait appris les rudiments du latin, l'Ecriture sainte, et les belles lettres. Doué et studieux, éminemment artiste, il atteignit très jeune un haut degré de savoir.

Il semblait par là destiné à la plus brillante carrière dans le monde, quand sonna pour lui l'heure de la grâce. Illuminé par une foi exaltante, subitement, le jeune Irlandais passa outre aux exigences de sa piété filiale, comme aux objurgations de ses amis et même aux offres de mariage. Détestant les demi-mesures, il prit sur-le-champ des résolutions extrêmes. La simple prêtrise lui semblant insuffisante, il embrassa l'état religieux et vint frapper à la porte du monastère de Cluain-Inis, perdu dans une île sur les côtes de l'Ulster.

Il y fit, au cours de trois années, un rude noviciat où se mêlaient la prière, les études, le travail manuel, dans une discipline rigoureuse, qui semblait répondre aux aspirations de sa nature toute d'une pièce.

Lorsqu'il eut fait profession, il fut dirigé sur Bangor, au fond d'une baie dénommée « La Vallée des Anges ». Son supérieur, en effet, n'avait pas hésité à se priver du religieux le plus austère de Cluain au profit d'une abbaye mieux adaptée encore à ce sujet d'élite. Bangor comptait alors près de trois mille religieux, qui en faisaient une véritable république monacale, foyer laborieux où régnait une vie mystique intense. Saint Colomban, devenu prêtre, s'y jeta avec son impétuosité native, se préparant, sans trop le savoir encore, à devenir l'un des missionnaires les plus célèbres du haut Moyen Age.
De sa cellule souvent il regardait la mer, et à la longue, il y entendit comme l'appel du large, devinant, par delà, le champ immense des âmes au service desquelles il pourrait enfin dépenser toutes les ressources de sa vitalité.

Pour éprouver cette vocation insolite, l'abbé de Bangor feignit de s'y opposer, évoquant ces mirages que Satan fait naître pour la perte des présomptueux, fustigeant l'instabilité des moines gyrovagues. Puis, voyant ce fils, d'ordinaire si obéissant et si humble, persister dans son dessein, le supérieur se rendit. Mieux encore, il accepta de lancer dans l'aventure douze moines de la même trempe (Saint Desle était du nombre). Investi abbé de cette troupe itinérante, Saint Colomban reçut au départ le livre de la Règle et la « cambutte », sorte de bâton pastoral à bout recourbé attribut fameux avec lequel il devait sillonner l'Europe.

Le navire aborda la côte Nord de la Cornouaille anglaise, qu'on ne fit que traverser. Deux localités toutefois, Columb Major et Minor, en gardent le souvenir. On passa ensuite la Manche, pour débarquer en Bretagne, à l'Est de Saint-Malo, exactement sur la plage de Saint-Coulomb, où une croix de granit commémore l'événement.
Ayant ainsi pris pied sur la terre de France, la petite troupe erra d'Ouest en Est, un peu au hasard, ce qui est bien dans le style de Saint Colomban, sorte de « conquistador », avant la lettre, au service du Christ. On suit son itinéraire par Rouen, Noyon, Reims, en marche vers les Vosges méridionales, pour s'arrêter enfin à Annegray, à 3 kilomètres de Faucogney. On était en 575.

L'humble hameau, qui se blottit aujourd'hui parmi les collines dévalant du Ballon de Servance, n'était alors qu'une immense forêt. La clairière pratiquée par les Irlandais marque vraiment le berceau de l'œuvre colombaniste sur le continent.
On peut se demander pourquoi Saint Colomban voulut planter là sa tente. Outre que Dieu sans doute, comme à Sainte Jeanne d'Arc, lui faisait sa route, on a l'impression que, sans avoir fait « Sciences Politiques », Saint Colomban avait trouvé d'instinct le point névralgique où son apostolat avait chance d'être le plus efficace.

Il était là, aux confins des deux royaumes d'Austrasie et de Burgondie encore inconsistants, que se disputaient Sigebert et Gontran, le premier dominé par la célèbre Brunehaut. Ces familles royales vivaient dans le meurtre et la dépravation. A leur exemple, la brutalité des mœurs et la barbarie avaient étouffé chez les grands toute espèce de religion et les notions les plus élémentaires d'humanité. Quant au peuple, ayant perdu les principes du christianisme reçus aux IIIe et IVe siècles, il était retourné à ses habitudes païennes, au culte des fontaines et des arbres, à la magie et à la sorcellerie.

C'est ce monde mérovingien qu'entendait affronter Saint Colomban, faisant par la fougue de sa nature et de sa formation, figure de je ne sais quel prophète d'Israël.

Mais il commencera par donner à ce monde un vivant exemple de la paix évangélique. Dans les cabanes de branchages, ses moines, vêtus d'une robe blanche, serrée d'une ceinture de cuir, pieds nus dans des sandales, vivaient dans la pauvreté, la prière et le travail. Première prédication qui ne tarda pas à porter ses fruits.

Bientôt des disciples affluèrent de partout à Annegray, sans compter les malades attirés par les miracles du saint thaumaturge. Ainsi, le désert fertilisé devenait trop étroit pour contenir la famille monastique groupée autour du petit noyau irlandais.
Force fut donc, quinze ans plus tard, d'émigrer vers l'aval, à Luxeuil, petite cité gauloise, installée sur des thermes romains et qu'Attila avait complètement détruite sur son passage.

L'abbé avait su gagner à son projet un voisin influent. Cognoald, dont le fils sera moine colombaniste et mourra évêque de Laon, était le commensal de Childebert II. Le roi, pour l'instant débonnaire, concéda un beau domaine à ces Irlandais, qui aménageaient si bien ce coin du royaume.
Bientôt, un monastère de vastes proportions, en beau grès des Vosges, cette fois, s'édifia sur les ruines des temples et des remparts. L'église abbatiale fut consacrée à Saint Pierre, à l'emplacement de la basilique actuelle qui n'a pas changé de titulaire.

Saint Colomban y instaura la prière perpétuelle, la « laus perennis », suivant le rite importé d'Irlande. L'office s'allongeait ou s'abrégeait suivant les saisons et les obligations du travail manuel. Le nombre des moines, qui à Luxeuil dépassa bientôt trois cents, permit de les diviser en sept groupes qui se succédaient à l'église. Ce nombre de sept, par allusion au verset du Psaume 118 : « Septies in die laudem dixi tibi — Sept fois le jour je chante tes louanges ». Rappelons qu'en vertu de ce rite, notre Saint-Mont fut doté de sept chapelles où se célébrait l'office, et dont on a retrouvé les vestiges.

Ce particularisme irlandais devait, sur le plan liturgique, avec la date de Pâques, notamment, mettre l'abbé en difficulté avec les évêques du voisinage. Ceux-ci le suivaient en effet d'un oeil respectueusement inquiet, mais ils ne lui tinrent pas trop rigueur de ces divergences, trop heureux – et par là ils rejoignaient le point de vue de Childebert - de voir Luxeuil les aider puissamment dans leurs tâches apostoliques.

Outre la prière, le fondateur organisa la vie de ses moines, telle qu'il l'avait pratiquée à Bangor. Pour chacun d'eux et suivant ses aptitudes, les heures du jour étaient consacrées soit aux travaux extérieurs, en forêt, dans les champs, soit aux occupations intellectuelles ou artistiques, en ateliers de manuscrits et d'orfèvrerie.

Il ouvrit de même une école pour l'instruction des novices et des jeunes gens de toute la région. Il y donnait tous ses soins, au point d'en faire un foyer de culture, qui, avec son successeur, Saint Eustaise, prit les proportions d'une université.
Les novices continuant d'affluer à Luxeuil, une nouvelle fondation s'imposait. Saint Colomban la fixa en un vallon verdoyant, qu'il appela Fontaine, à 7 kilomètres au Nord. Malgré la prédilection qu'il portait à Luxeuil, il séjournait tout à tour à Fontaine et à Annegray, qu'on n'avait nullement abandonné, veillant partout à l'observation de la discipline étonnamment rude, au maintien du zèle et de la piété chez ses fils.

A la fois vénéré et redouté des rois, ce grand moine s'imposait souvent à eux par l'étendue de ses connaissances et le prestige de sa sainteté. Jamais peut-être celle-ci ne se manifesta avec plus de force et de majesté qu'au colloque d'Epoisse. Pour avoir, en des termes qui rappellent ceux de Saint Jean-Baptiste à la cour d'Hérode, refusé de bénir les bâtards de Thierry II, que lui présentait Brunehaut, il encourut la haine inexpiable de cette femme. Plus ou moins régente, elle entreprit par décrets le blocus des trois abbayes, en vue de les exterminer par la famine, Saint Colomban se dressa alors de toute sa taille pour tenir tête à l'orage et épargner ses fils. Il put un instant faire rapporter les décisions de la sinistre douairière, en intervenant auprès du roi, dont il avait, au fond, toute l'estime. Mais Thierry était un faible, par surcroît dissolu, et Brunehaut eut finalement le dernier mot.

En 610, vingt ans après la fondation de Luxeuil, Saint Colomban en était expulsé par la force. A l'âge où les vieillard aspirent au repos, le grand moine ressaisissait sa cambutte, pour en faire à nouveau son bâton de pèlerin

« Qu'il retourne en Irlande !», avait dit Thierry aux soldats chargés d'expulser Saint Colomban de Luxeuil. Il s'imaginait pas que le moine allait être plus gênant pour lui sur les routes que dans son abbaye.

On l'achemina donc, en compagnie d'une douzaine de moines, par Besançon et Autun, en direction de la Loire, qu'on descendit par le coche d'eau. Mais voilà que l'exode tourna très vite au voyage triomphal, tant la foule se pressait à chaque escale, pour voir et pour entendre cet étonnant missionnaire qui, tout en prêchant l'Evangile, guérissait les malades et prédisait les drames qui allaient exterminer sous peu la dynastie burgonde

Comme par ailleurs, sur la Loire, on naviguait en Neustrie, la prophétie vint aux oreilles d'un rival de Thierry. Et le roi Clotaire II de stopper aussitôt le convoi à Nantes et de mander le proscrit à Meaux, où il tenait sa cour. On vit alors Saint Colomban, indomptable, reprendre à 70 ans sa carrière et susciter en Brie, par sa parole, une pléiade de futurs Saints, qui allaient, dans son sillage, féconder pour le Christ cette vieille terre à blé.

Puis ce fut au tour de Théodebert, autre rival de Thierry, d'appeler Saint Colomban en Austrasie. Metz, Coblence, Strasbourg, Bâle et Constance l'accueillirent successivement. Autant de postes par lesquels le vieux moine – c'était de bonne guerre ! – semblait investir par trois côtés la Burgondie qui l'avait rejeté. Nous connaissons par Jonas toutes les péripéties de cet itinéraire, au long duquel son maître stoïquement continuait sa mission, prêchant comme Saint Paul, au hasard des étapes, opérant des miracles, recrutant des novices qu'il dirigeait sur Luxeuil, toujours debout sous la houlette de Saint Eustaise.

Au-delà de Constance, le voyageur marqua un arrêt de trois ans à Bregenz, à l'entrée du Voralberg autrichien. Ce fut pour y organiser sur le modèle de Luxeuil, un monastère, qui dut essaimer à son tour. L'Irlandais Saint Gall, compagnon de la première heure, s'enfonça en Suisse pour y fonder, en 613 l'abbaye fameuse qui porte encore son nom.

Eut-elle vent que, dans ces conditions, Saint Colomban se risquerait à reparaître à Luxeuil ? Toujours est-il que Brunehaut, dans sa haine implacable, exaspérée au surplus par une sorte de crainte obsidionale, entreprit de le menacer à nouveau jusqu'à Bregenz.

Pour échapper à la poursuite de cette femme autre « fléau de Dieu », Saint Colomban n'hésita pas à passer les Alpes. De Bregenz, une importante voie romaine, remontant le Rhin supérieur, franchissait la chaîne au col de Septimer, à 2 300 mètres. Sur ces pentes escarpées, notre routier se révéla solide alpiniste et lorsque, parvenu au col, il vit dans le soleil s'étaler à ses pieds l'immense plaine lombarde, il retrouva toute sa forme. Si douloureux qu'il fût pour lui de paraître abandonner ses fils en Gaule, il se réjouit de se rapprocher ainsi de Rome et de gagner, en terre lombarde, d'autres âmes au Christ qui, depuis la lointaine Irlande, visiblement, avait guidé ses pas.

Longeant le lac de Côme, la petite troupe atteignit Milan. Accueil chaleureux des populations, beaucoup plus réservé de la part du roi et de certains évêques, gagnés à l'arianisme. Par bonheur la reine Théodelinde, princesse d'une éminente piété, allait arranger les choses et faire oublier à Saint Colomban les sévices de Brunehaut. _ Pour lui, il prit aussitôt position et, de Milan, entama une vigoureuse polémique avec l'évêque de Côme, composant pour la défense de l'orthodoxie un traité « tout plein de science fleurie », selon l'expression de Jonas. Rome à son tour ne tarda pas à être informée, de la présence du turbulent missionnaire. Sa lettre à Boniface IV, pour le mettre en garde contre l'expansion de l'arianisme, a cette hardiesse et cette véhémence qui caractérisent l'attachement des Irlandais envers l'Eglise romaine. « Timide matelot — l'apostrophe s'adresse au Saint Père — j'ose m'écrier :” Veillez , car déjà l'eau s'infiltre dans la barque de Pierre et la met en péril ”.»

Tout en donnant la mesure de son talent d'apologiste, Saint Colomban entendait rester missionnaire. Aussi bien la Lombardie, gravement atteinte par l'hérésie, s'ouvrait à lui comme un terrain de choix. Ce n'est plus à des barbares qu'il aurait affaire, mais, ce qui est pire, à des chrétiens déviés. Il ne changera pas de méthode pour autant : des monastères !

Secondé par Théodelinde, il se mit à la recherche d'un lieu propice à une nouvelle fondation. Autant pour l'obliger que pour s'en défaire, le roi Agilulf lui indiqua, au-delà du Pô, les ruines d'une ancienne basilique dédiée à Saint Pierre, évocation fortuite de Luxeuil. Il s'agissait de Bobbio, sur les bords de la Trévie, non loin du champ de bataille où Annibal, avait, en 218, mis en déroute les Romains. Il décida donc d'édifier un monastère en ce lieu où les collines verdoyantes des Bas-Apennins lui rappelaient sa première fondation au pied des Vosges.

Comme toujours, l'afflux des disciples à la fois fournit la main d'?uvre et peupla le jeune monastère. C’est au cours de la construction que se situe le miracle de l’ours. La bête sauvage s'étant jetée sur le boeuf qui, de la forêt, ramenait des poutres au chantier, l'abbé accourut : « Ours, lui dit-il, tu as péché contre le Seigneur ! Prends immédiatement la place du boeuf que tu as tué ! » Et l'ours de se laisser atteler aux brancards de la carriole. Si, entre tous les miracles relatés par Jonas, nous ne retenons que celui-là, c'est qu'il révèle bien au vif la physionomie de Saint Colomban. Ayant pris à la lettre l'Evangile, il trouve tout naturel, comme Saint François, de commander à la nature, contraignant en quelque sorte, par sa sainteté violente et pure, le Christ à tenir parole. « Je plains, dit à ce propos Mgr Calvet, les savants qui par un scrupule de rationalisme aujourd'hui dépassé, entreprennent d'amputer l'histoire de la poésie, c'est-à-dire de ce qu'elle a peut-être de plus vrai. »

Car cette personnalité, abrupte et fougueuse, de l'Irlandais rayonnait aussi de tendresse et de poésie. Il était poète à ses heures, sensible aux spectacles de la nature, à la beauté d'un paysage comme au labeur des hommes. Jonas nous a conservé le texte d'un rondeau, le « chant des rameurs », composé naguère par gentillesse pour ceux qui le promenaient sur le Rhin.

Doté d'un vaste domaine et solidement construit, le monastère de Bobbio prenait le style habituel des fondations colombanistes : asile de prière et centre missionnaire dans une lumière d'humanisme et de sainteté.

Un jour de l'an 614, il y eut une visite émouvante. Saint Eustaise, successeur de Saint Colomban à Luxeuil, venait en ambassadeur du roi Clotaire II, le prier de reprendre la tête de l'abbaye-mère. Pour l'y décider, il fit valoir le changement de climat, depuis la fin misérable de Thierry, de Brunehaut et de leur descendance. Nullement surpris, puisqu'il l'avait prédite, le Saint en fut pourtant fort attristé. Mais il se refusa à repasser les Alpes, et le messager ne rapporta au roi qu'une lettre de remerciements, lui enjoignant en termes vigoureux de continuer à ses fils bienveillance et protection.

Ses forces, d'ailleurs, déclinaient chaque jour. Souvent il se retirait à l'écart du monastère, dans un oratoire consacré à Saint Michel. C'est là qu'il voulut mourir, entouré de ses moines, après avoir désigné le bourguignon Attala pour successeur et reçu de ses mains l'Extrême-Oction. A l'aube du 23 novembre 615, la cloche de l'oratoire annonçait aux alentours que le grand moine venait d'entrer dans la paix du Seigneur.

Le corps, ramené à l'abbaye et veillé pendant trois jours, fut inhumé dans l'église même. La vénération dont il fut l'objet tant de la part des moines que des fidèles, les miracles fleurissant aussitôt sur son tombeau déterminèrent une canonisation « de facto », suivant la tradition de l'époque.

Bien loin d'oblitérer l'empreinte vigoureuse laissée sur le continent par Saint Colomban, sa mort lui donna même un relief extraordinaire. Il faudrait attendre cinq cents ans pour retrouver avec Saint Bernard un rayonnement comparable.

Les deux épicentres de l'orbite colombaniste, Luxeuil et Bobbio, vont exercer pendant douze siècles leur influence. Par la science et la sainteté des moines, le prestige de leurs écoles, la richesse de leurs bibliothèques, ils contribuèrent à sauver, durant les siècles de fer, le christianisme et tout ensemble la civilisation antique. Faut-il rappeler par exemple que quarante fils de Saint Colomban ont été canonisés ? Que tel traité de Cicèron, dont on avait perdu le texte, a été retrouvé sur un palimpseste de Bobbio en 1843.

Quant aux filiales, Saint Colomban les a multipliées comme des citadelles de résistance et de refuge sous le flot des barbares, comme des bases de départ pour l'évangélisation, dans les siècles à venir. Défricheur avant tout, il a frayé, à coups de hache, il le fallait bien, la voie au monachisme bénédictin, dont la règle plus humaine s'est progressivement substituée à la spiritualité irlandaise si austère : ainsi à Jumièges, à Saint-Wandrille, à Saint-Benoît-sur-Loire, tous fondés par les colombanistes.

Rappelons aussi, chez nous, le Saint-Mont, une des premières et des plus caractéristiques émanations de Luxeuil, comme nous le voyons mieux en étudiant la vie de Saint Romaric et de Saint Amé.

Si le colombanisme à l’état pur n'existe plus de nos jours, il est intéressant d'en noter une survivance chez les Missionnaires de Saint Colomban. Parti d'Irlande comme jadis, cet Institut est aujourd'hui répandu à travers le monde, en Extrême-Orient, en Australie, au cœur de New York même.
Il faut constater pourtant qu'en dépit d'une vie étonnante et des œuvres qui ont marqué si fortement son siècle, le prestige personnel de Saint Colomban subit une longue éclipse, au Moyen Age notamment. Est-ce par une sorte de réaction, inconsciente et naturelle : « Violentum non durat — La violence ne fait qu'un temps » ? C'est ce qui explique, simple indice, que le diocèse de Besançon ne compte pas une seule église dédiée à Saint Colomban, car Bains-les-Bains, enclave du diocèse de Toul, sous l'arcade des Faucilles jadis rattachée à la métropole bisontine, est la seule paroisse des Vosges à l'avoir pour patron.

Toutefois, le rayonnement des filiales ou le souvenir du passage eut pour effet de perpétuer le nom sur les cartes. Sous diverses formes, on le retrouve en Bretagne, en Lombardie, puis de façon plus nette, à Saint Colomban, au Comté de Nice et à Saint-Colomban-des-Villards, en Maurienne.
Depuis un siècle, le culte du Saint a retrouvé partout une ferveur nouvelle. A Bobbio, les ossements du patriarche furent solennellement exhumés en 1842 et placés sur l'autel de la crypte. Luxeuil en obtient en 1923 un insigne fragment qu'on enchâssa dans un reliquaire monumental. Heureuse initiative du chanoine Thièbault, curé du lieu, rénovateur en France du culte colombaniste. Il fonda de même l'Association Internationale des Amis de Saint Colomban.

C'est sous l'égide de celle-ci qu'eurent lieu en juillet 1950 les fêtes grandioses du XIVe centenaire, présidées par Mgr Roncalli, alors Nonce à Paris, puis Sa Sainteté Jean XXIII, en présence de personnalités venues du monde entier. Le souvenir nous est resté de ces trois jours fastes, avec ces offices pontificaux dans la basilique, ces représentations théâtrales (on joua un « Mystère de Saint Colomban »), ces concerts, ces conférences historiques, une vingtaine du plus haut intérêt, qui mirent en lumière la vie de l'apôtre des temps mérovingiens et son œuvre immense.

Autre trait récent et tout à sa gloire. Lors des fêtes commémorant en 1959 la bataille de Fontenoy, où un détachement irlandais contribue à notre victoire sur les Anglais (11 mai 1745), on entendit à Dublin un général français, délégué du Gouvernement, et le Président O'Kelly, de la République d'Irlande, évoquer la mémoire du moine prestigieux, qui avait scellé, voilà treize siècles, l'amitié des deux pays.
En raison de l'injuste destin signalé plus haut, l'iconographie de Saint Colomban se réduit à fort peu de choses, en France tout au moins. Le tombeau de Bobbio présente d'intéressants bas-reliefs, figurant diverses scènes de la vie, dont, bien sur, le miracle de l'ours, œuvre de marbre exécutée en 1480. Le chef du Saint est vénéré dans un buste d'argent à ses traits, réalisé par un artiste de Pavie en 1514.

C'est l'honneur de Luxeuil d'avoir érigé pour les fêtes la magnifique statue de bronze qu'on voit au parvis de la basilique. L'artiste y a campé son personnage dans l'attitude du lutteur aux prises avec la barbarie. Tout ici, les traits tendus sous une auréole de cheveux hirsutes, le geste de la main brandissant la cambutte, traduit d'impressionnante façon le zèle farouche et l'activité dévorante de ce Saint tout à fait hors série, en qui l'Histoire salue l'un des plus grands pionniers de la civilisation occidentale.

03/01 /11 Saint Vaast (Saint Gaston) (Témoins vosgiens)


Evêque

Les trois Saints colombanistes, inscrits au Propre de Janvier, nous rappellent les affinités que le diocèse de Saint-Dié eut jadis avec celui de Besançon. Il n'en reste pas moins que notre appartenance foncière, est celle qui nous a rattachés, pendant quinze siècles, à l'Église de Toul. A ce titre donc, Saint Vaast figure à notre calendrier, avec une dizaine d'autres, qui ne sont de chez nous que par voie d'héritage.

Par ailleurs, Saint Vaast n'est pas lorrain de naissance et, sur ses débuts, nous sommes très mal renseignés, tous les documents valables se rapportant à la partie active de son existence. La vie de Saint Vaast a été écrite, en effet, par Jonas de Bobbio. Deux siècles plus tard, Alcuin, l'historien et le confident de Charlemagne, la reprit de façon plus détaillée, en sorte qu'il nous est relativement aisé de retracer cette figure de Saint, qui se situe au début des temps mérovingiens.

Saint Vaast est originaire d'Aquitaine, probablement sur les confins du Limousin. Si Saint Goëry, son compatriote, nous l'avons vu, est venu en Lorraine, c'était à titre de noble et par attraction de la cour d'Austrasie. Saint Vaast prit le même chemin pour une autre raison. Il quitta sa famille pour vivre en solitaire aux environs de Toul. Comme pour maints anachorètes, cette vie cachée fut de courte durée, en raison même de la sainteté qu'il pratiquait et qui rayonnait à son insu.

L'Évêque de Toul, ayant appris sa présence, le tira de son ermitage et le fit entrer dans son clergé. Devenu prêtre, Saint Vaast s'adonna à l'étude des sciences sacrées et au ministère, secondant les entreprises apostoliques si actives de l'Église de Toul à travers la Lorraine. Un fait inattendu allait orienter sa vie dans un autre sens et lui assigner un rôle, efficace autant que discret, dans l'histoire de la France chrétienne.

On connaît la parole fameuse rapportée par Saint Grégoire de Tours, cri d'angoisse et de confiance à la fois, que lança Clovis sur le champ de bataille de Tolbiac. Dieu s'étant rendu à cette prière d'un païen — à rapprocher de celle du Centurion, en ce IIIe dimanche après l'Épiphanie — Clovis, loyalement, tint parole et entra dans la voie de la conversion. C'était pour lui une question de probité et aussi une preuve de sagesse politique.

Les royaumes barbares des Wisigoths, des Burgondes et des Vandales, qui venaient de s'installer avant lui sur les décombres de la Gaule romaine, avaient été, à peine convertis, gagnés par l'Arianisme. Les Francs allaient-ils suivre la même pente ? On avait tout lieu de le craindre, puisque la soeur même du roi, Lanthilde, était déjà arienne. Mais la Providence veillait, car Clovis avait épousé Sainte Clotilde, princesse catholique, qui, lentement, par sa prière et par sa douce persuasion, à travers maintes épreuves, prépara la conversion.

Pour assurer l'avenir de son royaume, demeuré jusqu'alors à l'arrière-plan, ce barbare intelligent jugea prudent de ne pas affronter l'Église catholique, dont l'autorité morale et spirituelle en faisait la seule autorité valable au sein de ce chaos. Il n'hésita pas à se tourner vers elle, en sacrifiant l'hérésie arienne. Celle-ci, au reste, avec sa doctrine glaciale, niant la divinité du Christ, tarissait la source même de la civilisation chrétienne et rompait l'unité de ce grand corps pantelant qu'était alors la Gaule. Il eut comme le pressentiment que l'Arianisme allait précipiter la ruine des royaumes barbares et que le Catholicisme assurerait son propre triomphe.

Si nous nous sommes arrêtés un instant sur ces préliminaires de la vocation chrétienne de la France, c'est pour mieux mettre en lumière le rôle joué par Saint Vaast, à qui Dieu réservait de conduire, comme par la main,Clovis au baptistère de Reims.

Toul se trouvait en effet sur la route qui, après Tolbiac, ramenait Clovis vers la Champagne, sa base d'opérations. Passant en cette ville, et soucieux d'exécuter son voeu , il demanda à l'Évêque Saint Urse de lui adjoindre un prêtre. Et voilà l'humble clerc toulois commençant sa vie publique dans l'escorte du roi victorieux. Chemin faisant, il instruisit Clovis de vérités chrétiennes, lui commentant l'Évangile dont s'émerveillait son royal élève. On s'est plu à comparer Saint Vaast au diacre Philippe des Actes des Apôtres, faisant le catéchisme au ministre de la reine Candace, assis à côté de lui sur le char et le baptisant à une fontaine au bord de la route, avant de disparaître miraculeusement.

Un tout autre miracle devait illustrer le voyage de Reims. Retrouvant, par sa sainteté, le charisme des premiers Apôtres, au temps où « le Seigneur confirmait leur parole par des prodiges », Saint Vaast interrompit un jour la leçon pour descendre de cheval et rendre la vue à un aveugle sur le pont de Rilly, aux approches de Reims. On devine l'effet de ce miracle sur l'âme fruste et droite du néophyte. Lorsque plus tard on racontera devant lui la trahison de Judas et l'arrestation de Jésus, Clovis se souviendra des leçons percutantes de son catéchiste pour s'écrier : « Ah ! Si seulement j'avais été là avec mes Francs ! ».

Parvenu à Reims, Clovis se fit baptiser le jour de Noël par Saint Remy, dans les circonstances solennelles que chacun sait. On est beaucoup moins sûr de l'année. Traditionnellement, c'était en 496, mais de récents travaux d'archives la font reculer jusqu'en 499. Tant mieux, après tout, car, de la sorte, Clovis aura pu profiter davantage des leçons de son maître et se conformer déjà à nos années réglementaires de catéchisme !

Dans le faste de ce Noël historique, nul chroniqueur n'a signalé la présence de Saint Vaast. Mais il nous est facile, sans tomber dans la légende dorée, de l'imaginer debout à côté du baptistère, un peu comme Ingres a campé Sainte Jeanne d'Arc. Quoi qu'il en soit, ce Lorrain d'adoption nous semble avoir préparé les voies à la Sainte Pucelle sur le chemin du sacre.

« La fête passée, on oublie le Saint ! ». Saint Remy ne l'entendit point de cette sorte, car sur la recommandation même de Clovis — gentil hommage de gratitude — il s'attacha ce prêtre de valeur pour l'envoyer en mission au bout de son immense diocèse, au nord de la Somme, région qui avait beaucoup souffert, 50 ans plus tôt, des ravages d'Attila.

C'était un beau champ d'action pour l'apôtre que nous connaissons, pour le thaumaturge que Dieu lui donna d'être, pour le réconfort spirituel et matériel des campagnes retournées, dans leur détresse, au paganisme.

Lorsque Saint Remy estima l'oeuvre suffisamment avancée, il érigea en diocèse l'ancien pagus des Atrébates et sacra Saint Vaast premier Évêque d'Arras en 510. La modeste cathédrale aussitôt édifiée fut consacrée à Notre Dame, demeurée depuis lors la patronne du diocèse. Pour donner plus de champ à l'ardeur apostolique de son suffragant, Saint Remy le pourvut d'un second siège épiscopal à Cambrai, jumelage qui devait subsister jusqu'au XIe siècle.

Saint Vaast eut la consolation d'assister, en 533, Saint Remy à son lit de mort, et son nom figure parmi les exécuteurs testamentaires. Il ne devait pas tarder à suivre dans la tombe son vieil Archevêque. Saint Vaast mourut à Arras le 6 février 540, après 30 années d’épiscopat.

Il fut inhumé dans la cathédrale, par déférence et contrairement au vœu qu'il avait manifesté de reposer hors de la ville, en un petit oratoire où il aimait venir prier. En 666 toutefois, un de ses successeurs, Saint Aubert, transféra le corps en ce lieu, où allait s'établir une grande abbaye bénédictine portant son nom et demeurée célèbre. La science des Bénédictins de Saint Vaast nous permet de suivre avec précision le culte de notre Saint à travers les siècles.

Lorsqu'au IXe siècle survinrent les invasions normandes, les Religieux se réfugièrent à Beauvais, dont Saint Vaast, jeune évêque, avait évangélisé la région au sud de son diocèse, et, le danger une fois passé, Arras récupéra les restes de son fondateur. Du fait de ces migrations de reliques, ajouté au souvenir de son apostolat, le culte de Saint Vaast est resté en grand honneur dans tout le nord du Bassin Parisien, jusqu'en Belgique, où le diocèse de Tournai compte huit églises à lui dédiées.

La châsse somptueuse dans laquelle on le vénérait à Arras échappa à l'incendie de la cathédrale en 1030, mais pas au vandalisme révolutionnaire ; les reliques, toutefois purent être sauvées et la reconnaissance authentique fut faite, dès le Concordat, le 13 décembre 1802, par Mgr de la Tour d'Auvergne, évêque d'Arras. La nouvelle châsse devait être transportée à Reims en 1896, avec celles de plusieurs autres Saints qui avaient pris part au Baptême de Clovis, dont on fêtait le 14e centenaire.

Relevons encore ce modeste hommage populaire que constitue le nom des trois communes de la région : Saint-Waast-la-Vallée (Nord), Saint-Vast-Chaussée (Somme), et Neuville-Saint-Vaast (Pas-de-Calais). Ceci nous révèle les diverses orthographes, toutes dérivées de Vedastus, lequel a donné Gaston. S'il se trouve, parmi nos lecteurs, quelque « Poilu » de la Grande Guerre, le nom de la dernière localité évoquera sans doute le souvenir de la furieuse bataille de l'Artois en 1915, au pied de la butte de Notre-Dame-de-Lorette, l'un de nos quatre grands cimetières nationaux, où Mgr Julien, évêque d'Arras, a voulu reposer au milieu des soldats.

Saint Vaast eut l'heur d'intéresser deux poètes de la Renaissance : Toussaint Sailly et Antoine Meyer, qui célèbrent dans le style épique, évidemment sans rien apporter à l'Histoire, la vie miraculeuse du Patron de l'Artois.

A notre connaissance, rien ne rappelle chez nous son souvenir en fait d'église, de vocable ou de statues. Seule, la ville de Toul « antique et fidèle », comme dit sa devise, a gardé mémoire de son prêtre. A l'emplacement de la maison qu'il avait habitée et où menait encore, avant le sinistre de 1944, la rue Saint-Vaast, au sud de la Cathédrale, on éleva vers l'an mil une église votive en son honneur. Vers la fin du siècle, l'Évêque Pibon (1069-1107) l'érigea en paroisse, et elle subsista jusqu'au XVIIIe siècle. Le chapitre de la Cathédrale s'y rendait en procession, à certaines fêtes de l'année. Ne peut-on pas voir, dans ce cortège des bons chanoines, l'évocation symbolique de la chevauchée du grand catéchiste itinérant qui amena Clovis « au Christ qui aime les Francs » ?

30/12 /10 « Espère en dieu quand même » (Témoins vosgiens)


« Espère en dieu quand même ». Cette phrase, nous pouvons la lire sur le fronton de notre chapelle à Paris ! C’est cette espérance à laquelle nous sommes appelés en ces temps qui sont les nôtres en Haïti.

Espérance fondée sur la Parole de Dieu, Lui qui nous a dit : « Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin des jours » et qui nous a dit aussi : « Restez éveillés, le Royaume de Dieu est proche ».
Quelle force cette espérance ! Elle est fondée sur notre foi à l'Emmanuel (Dieu avec nous) et elle nous permet de ne pas baisser les bras, ne pas faire l’autruche en attendant que la catastrophe passe, elle nous garde notre dignité, nous rappelle notre origine et notre devenir ! Partageons cette foi, cette espérance et vivons les dans la charité quotidienne.

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Quelles nouvelles vous donner d’Haïti ? Vous avez vu plus d’images que nous du tremblement de terre, plus d’informations que nous du choléra et des manifestations après les élections !
Notre monde est un village et tous les événements sont connus tout de suite grâce aux médias ! C’est vrai qu’Internet a été bien utile en ce début d’année 2010 après le tremblement de terre. Et nous ne pouvons pas oublier tous ces messages de soutien et aussi ces partages concrets dont nous avons été les heureux bénéficiaires !
Aujourd’hui encore, nous vous disons Merci avec émotion et nous nous sentons bien petits pour avoir reçu de telles faveurs.

Vous le savez la situation des familles touchées par le tremblement de terre reste précaire et difficile au quotidien. Seul le petit commerce dans la rue fait vivre les familles et à la campagne ce n’est pas mieux. Les familles s’enfoncent dans la misère, le cyclone Tomas a détruit bananiers, récolte de pois, tomates, … de ce fait tout augmente, les prix montent toujours et les revenus sont de plus en plus petits. Résultat : on se soigne quand on a un peu d’argent et voila le choléra qui fait que l’on ne mange plus le poisson de la mer ni les légumes.
Il y a un gros travail de formation et d’information à faire au quotidien pour ouvrir les esprits, chasser la peur et savoir comment avancer chaque jour…

Et les élections qui viennent de se dérouler n’ont fait que noircir le tableau : qui sera au 2ème tour ? Le nouveau président avec son gouvernement arrivera-t-il à travailler efficacement ? Patience ! Patience ! Patience ! Ici c’est un mot que l’on vit au quotidien par nécessité !

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Au dispensaire, pas mal de travail : les gens nous font confiance et les prix des médicaments sont raisonnables.
Nous avons accueilli plusieurs médecins, la population apprécie et cela leur donne encore plus de valeur.
Nous faisons toujours le suivi pour la section communale que nous desservons (un peu plus de 8000h), des femmes enceintes (un fois par mois), des femmes allaitant jusqu'à l’âge de un an (aussi une fois par mois), et les enfants au 1er stade de malnutrition (nous les voyons deux fois par mois). Nous avons une bonne approche de la population et cela contribue à la baisse des taux de mortalité infantile et maternelle. Les mamans commencent à bien participer à ce programme et un agent de santé fait un suivi régulier des zones concernées.

A la communauté, Sœur Marie-Hélène est repartie à Madagascar, elle a passé 2 ans avec nous. Nous attendons et espérons d’autres sœurs pour nous aider.
Nous avons eu, en novembre, la visite de notre Provinciale et une conseillère, visite fraternelle bien appréciée.
Pendant le séjour de Marie-Agnès en France, Sœur Getu est venue passer 2 mois, elle a été très appréciée avec son beau sourire éthiopien.

Nous vous souhaitons un joyeux noël et une bonne année 2011 et encore un grand merci pour votre aide

Sœur Marie-Agnès Aubry - Haïti

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27/12 /10 Saint Epvre (Témoins vosgiens)


Evêque

Dans la liste traditionnelle des Evêques de Toul, Saint Epvre occupe le sixième rang après Saint Mansuy, et son épiscopat se situe entre 500 et 507. On devine toute de suite la rançon d'une pareille ancienneté. Son histoire ne nous est connue que par un ouvrage de la fin du Xe siècle : « Une vie de Saint Epvre », rédigée du reste à la manière d'une homélie aux phrases cadencées, et destinée à être chantée comme une prose liturgique ou une préface. Les réminiscences bibliques, les lieux communs édifiants laissent vraiment peu de chose aux historiens d'aujourd'hui. Ceux-ci admettent pourtant les éléments essentiels de la biographie. C'est ce que nous retiendrons, sauf à nous rattraper par l'histoire du culte très fidèle que l'Église de Toul n'a cessé de vouer à l'un des plus populaires de ses Évêques.

A propos de son nom, une remarque préalable. Il vient du latin « aper », qui signifie sanglier. Beaucoup de Saints de l'époque portent en effet de ces noms qui n'ont rien de la douceur évangélique, par exemple Saint Ours, le prédécesseur immédiat de Saint Epvre, Saint Loup, évêque de Troyes. Notons également deux orthographes : Epvre ou Evre, employés indifféremment dans les textes.

Saint Epvre était originaire de Champagne ; son village natal, Trancault, se situe à 40 km à l'ouest de Troyes, à la limite du département de l'Yonne. Une chapelle, mentionnée encore sur la carte Michelin, accrédite ce premier point d'histoire.

De son enfance édifiante, au sein d'une famille chrétienne, nous pouvons retenir ce souci qu'il eut de racheter son nom par une exquise bonté de cœur , par une constante charité à l'égard des malheureux. C'est ainsi qu'on le voit un jour rentrer de l'école à demi-nu, pour s'être dévêtu en faveur d'un mendiant, mais ajoute le chroniqueur « l'âme richement parée du manteau de la justice et de la miséricorde ».

A la mort de Saint Ours, voilà que le clergé et les fidèles de Toul réclament pour successeur ce jeune champenois. Élection surprenante, qui se peut expliquer par le fait qu'à l'inverse, l'évêque de Troyes était alors Saint Loup, originaire de Toul, et que Epvre était l'un de ses prêtres particulièrement méritants.

Ayant distribué, jeune encore, tout son patrimoine aux pauvres, il entendit demeurer humble et pauvre sur son siège épiscopal, trait de sainteté qui contrastait avec le luxe outrancier des grands de ce temps-là et qui lui gagna la vénération de ses nouveaux diocésains.

Sa compassion innée put s'exercer à loisir pour réparer les ruines et les misères qu'avait accumulées en Lorraine le passage des Huns, un demi - siècle auparavant.

Mais il est un point sur lequel, par contre, il justifia son nom, c'est la campagne qu'il entreprit pour extirper les vestiges d'un paganisme toujours vivace. La fameuse cité de Grand n'était pas si loin de Toul et gardait sa notoriété comme centre de pèlerinage païen. Les découvertes, actuellement en cours, du vaste temple d'Apollon à Grand l'attestent de façon impressionnante. La prédication de Saint Elophe et de maints apôtres du IVe siècle, le martyre de Sainte Libaire, avaient sans doute apporté et affermi la foi dans nos contrées. Mais, chez ces populations rurales et traditionnelles, le christianisme naissant s'infectait sournoisement de pratiques superstitieuses : guérisons par le secret ou par incantation, roues de feu, sorcelleries magiques, bures de la Saint Jean, brandons de Noël, etc… Contre quoi Saint Epvre réagit avec une vigueur, dont on retrouve l'écho dans le récit de son chroniqueur, cinq cents ans plus tard.

Le monument le plus durable de son court épiscopat fut la grande église qu'il entreprit à l'ouest des remparts de Toul et qu'il destinait à Saint Maurice. Mais la mort ne lui laissa pas le temps de l'achever, et c'est pour lui rendre hommage que les Toulois inhumèrent leur évêque dans l'église en construction, au lieu de déposer son corps avec ceux de ses prédécesseurs, auprès du tombeau de Saint Mansuy.

Le saint lieu devint aussitôt le théâtre de nombreux miracles, soigneusement consignés, en sorte que le nom du fondateur se substitua peu à peu à celui du martyr d'Agaune.

A ce premier témoignage de culte public, les siècles suivants ne devaient cesser d'en ajouter de nouveaux. Ses reliques, tout naturellement y contribuèrent par leur diffusion même. C'est là une des formes les plus caractéristiques de la piété du Moyen Age qui, en multipliant ainsi les centres d'accueil et de consultation, contraignait en quelque sorte les Saints à se prodiguer davantage en faveur de leurs frères humains, qui, privés des ressources de notre médecine et de la Sécurité sociale, savaient toujours, dans la détresse, à quel Saint se vouer.

L'invasion des Hongrois, au début du Xe siècle, vint pour un temps interrompre les activités du pèlerinage, mais les reliques furent précieusement mises à l'abri derrière les remparts de Toul. Le calme rétabli, il s'ensuivit une querelle digne du « Lutrin ». L'évêque Drogon estima que ces reliques seraient bien plus utilement vénérées dans sa cathédrale qu'à l'abbaye de Saint-Epvre, où le pèlerinage risquait de troubler la vie des moines. Mais deux d'entre eux, afin de soustraire la châsse à la puissance du prélat, qui en voulait priver leur communauté, dérobèrent une nuit le trésor pour le déposer dans une cachette où l'on ne le découvrit qu'au bout de 60 ans !

Tout rentra dans l'ordre avec la sagesse de Saint Gérard, qui remit les reliques à la garde traditionnelle de l'abbaye. Cette translation solennelle se fit le 17 mai 978. Chaque année depuis lors, et jusqu'à la Révolution, le chapitre cathédral se rendait en procession le 15 septembre, « dies natalis », pour célébrer l'office de Saint Epvre en son église avec les fidèles du faubourg né aux environs et qui en garde encore le nom, à défaut de l'abbaye disparue.

Entre-temps, à l'occasion de reconnaissances canoniques, de nombreux prélèvements de reliques furent opérés au profit des églises du diocèse. Une parcelle fut cédée à la chapelle de Trancault, qui, ruinée par les Huguenots, fut relevée dans son état actuel par le seigneur du lieu, vers 1620.

A la restauration du culte en 1802, Mgr de La Fare, évêque du nouveau diocèse de Nancy, obtint le transfert du chef de Saint Epvre en la capitale lorraine. Il le confia, comme de juste, à la paroisse Saint-Epvre, dont l'église située à proximité du Palais Ducal, datait du XVe siècle. Sous le Second Empire, Nancy s'étant considérablement agrandi, la petite église, jugée trop petite, disparut, hélas ! pour faire place à la basilique actuelle bâtie de 1865 à 1871. Son architecture néo-gothique alors en vogue semble, de nos jours, un peu sèche ; elle n'en constitue pas moins un important édifice à la gloire du vieil évêque de Toul. Les vitraux racontant sa vie, détruits en 1914-1918 par les bombes d'un zeppelin, avaient été offerts par Napoléon III et par François-Joseph de Lorraine-Habsbourg, empereur d'Autriche, en souvenir de ses ancêtres nancéens.

Outre cette église, le diocèse de Nancy en compte une quarantaine d'autres, dédiées à Saint Epvre. Chez nous, elles sont vingt-deux à l'avoir comme titulaire. En voici la liste par ordre alphabétique, pratiquement toutes situées dans la Plaine : Barville, Bonvillet, Bréchainville, Chavelot, Contrexéville, Darney-aux-Chênes, Domèvre-sous-Montfort, Domèvre-sur-Avière, Haillainville, Harol, Jorxey, Juvaincourt, Lemmecourt, Mattaincourt, Nompatelize, Norroy-sur-Vair, Rollainville, Romain-aux-Bois, Tranqueville, Uriménil, Viviers-lès-Offroicourt, Vomécourt-lès-Rambervillers. Ajoutons qu'avant la Révolution, existait à Moyenmoutier une église Saint Epvre ; sur une estampe de 1720, elle figure hors de l'enceinte monastique, à titre d'église paroissiale.

On aura noté au passage que deux des localités citées lui doivent leur nom même, comme en Meurthe-et-Moselle. Domèvre-en-Haye et Domèvre-sur-Vezouse, et sans compter chez nous Domèvre-sous-Harol, disparu à la guerre de Trente Ans. Quand à Domèvre-sur-Durbion, dont le patron est aujourd'hui Saint Maurice, il semble que Saint Epvre ne lui en tient pas rancune, puisque Saint Maurice se trouve ainsi dédommagé du vocable perdu à Toul.

A Mattaincourt, par contre, la petite église du Bon Père était déjà dédiée à Saint Epvre, qui est toujours le patron de la paroisse, bien qu'on ait consacré à la gloire de Saint Pierre Fourier la basilique si chère aux Vosgiens. Le souvenir de ces deux Saints se retrouve, bien sûr, dans le blason basilical. C'est du reste en l'honneur du Saint Évêque et en s'inspirant de sa charité que le Bon Père fonda à Mattaincourt la « Bourse de Saint Epvre ». Initiative originale, une vraie trouvaille pour l'époque, par laquelle se faisaient des prêts sans intérêt, des secours même en cas de sinistre, à partir d'un capital alimenté par des dons, des legs, des amendes de police.

Il est enfin curieux de noter que le « Dictionnaire des Communes de France » ne mentionne pas d'autre Domèvre en dehors des cinq de l'Est. Preuve que le culte de Saint Epvre n'a pas passé les frontières de la Lorraine. En revanche, il y fut en grand renom, puisque de tous les Saints Évêques de Toul, il est de beaucoup celui qui possède le plus d'églises consacrées à son nom.

En fait d'iconographie, nombre de celles-ci conservent une statue de Saint Epvre, en bois doré du XVIIIe siècle. Nous n'en avons relevé que deux en pierre du XVIe siècle, à Contrexèville et à Viviers-lès-Offroicourt. Toutes les représentent en évêque, sans autre attribut particulier. Mais pour décorer, entre les deux guerres, le tympan moderne de ContréxilleContrexéville, le sculpteur spinalien Henri Guingot a retrouvé le thème du Moyen Age. C'est l'épisode légendaire de Chalon-sur-Saône, où Saint Epvre délivra miraculeusement trois prisonniers. En guise d'ex-voto, ceux-ci portèrent joyeusement leurs chaînes à Toul, où, jusqu'à la Révolution, on les montrait près de la châsse.

20/12 /10 Saint Elophe (Témoins vosgiens)

Comme notre ancien diocèse de Toul, celui de Saint-Dié vénère en Saint Elophe le premier martyr lorrain et l'un des plus anciens personnages connus de notre histoire religieuse.
Cela nous reporte au IVe siècle, à cette époque lointaine qui n'a laissé, pour les historiens, que de très rares documents sur lesquels ils puissent se fonder, que les fouilles archéologiques viennent parfois faiblement éclairer.

Déjà, à propos de Sainte Libaire, nous avons dit ce qu'il fallait penser de ces « Vies » ou « Passions », par lesquelles nous sommes censés connaître nos vieux Saints de la toute première génération. Ce sont là, en effet, les seuls « documents » auxquels, dans une parfaite sérénité, voire avec complaisance, s'est alimentée la piété populaire, jusqu'à l'avènement, au siècle dernier, de la critique historique.
Tel est le cas, précisément, pour Saint Elophe, dont la « Passion » a inspiré, par exemple dans l'édition officielle de 1900, les leçons que les prêtres lisaient à matines du 16 octobre. La récente réforme du Propre diocésain, réalisée sous le contrôle très strict des spécialistes de la Congrégation des Rites, a heureusement permis de faire le point et de ramener la vie de Saint Elophe à des proportions plus modestes, en ne retenant que les éléments conformes à la vérité historique.

Faute donc de pouvoir, comme nous le faisions d'ordinaire, évoquer au début de cet article la vie de notre Saint, il nous a semblé toutefois intéressant de résumer cette « Passion », en raison de son importance et de ses particularités singulières, en raison surtout de l'influence évidente qu'elle a eue sur l'iconographie de notre premier martyr et sur la série de monuments, si longtemps vénérés et toujours en place aux abords du Vair, aux flancs de la colline de Saint-Elophe.

« La Passion de Saint Elophe » nous est connue par le manuscrit de Cologne, rédigé peu après 1036 et conservé à la Bibliothèque Royale de Bruxelles. Le chanoine Lévêque, ancien doyen de Vittel, en a donné la traduction intégrale dans son ouvrage « Solimariaca et Saint Elophe » paru en 1912. Ce manuscrit se référait à des textes antérieurs à l'an mil et que les savants Bollandistes ont retrouvés en diverses bibliothèques monastiques à Glogaw, en Silésie, à Ratisbonne, à Trèves. Nous savons aussi que cette « Passion » était lue, au temps de Saint Gérard, aux fidèles de Cologne, chaque année le 16 octobre, en l'église où l'on vénérait les reliques de notre Martyr, comme nous l'expliquerons plus loin.

Selon cette « Passion », Saint Elophe appartenait à une noble famille chrétienne de Grand. Les parents, Baccius et Lientrude, avaient eu plusieurs enfants : Euchaire, Elophe, Menne, Libaire, Suzanne, Ode et Gontrude.
Elophe, homme d'une fois intrépide, n'hésite pas à la proclamer publiquement, à prendre la parole dans les assemblées à Grand et à Solimariaca, où il opère de nombreuses conversions. Son zèle l'entraîne même à détruire les idoles païennes. Jeté en prison, il comparaît devant Julien d'Apostat. L'empereur multiplie promesses, séductions et menaces, mais en vain, pour le faire abjurer, et finalement le condamne à la décapitation. Bon prince, il lui accorde toutefois la faveur d'être inhumé au sommet de la colline, comme il en exprime formellement le désir.

C'est au bord du Vair, « en une prairie agréable », qu'Elophe a la tête tranchée d'un coup d'épée, en présence d'une grande foule, au sein de laquelle des malades sont instantanément guéris. Et voilà, autre miracle ! que le Martyr se lève et, saisissant sa tête à deux mains, se dirige vers le lieu de sa sépulture, distant de mille pas. Au cours de la montée, il marque un arrêt dans une sorte de grotte, encore visible, sous le nom de reculée. Enfin, il parvient au sommet et s'assied sur une grosse pierre en forme de siège, pour s'immobiliser définitivement. Les chrétiens de Solimariaca l'inhument en ce lieu et son tombeau devient aussitôt un centre de culte et le théâtre de miracles.

Telle est la « Passion de Saint Elophe » : type accompli de ces récits légendaires, dont se sont édifiés les fidèles au cours des siècles. On y retrouve nombre de traits sans aucun rapport avec la réalité des faits : ainsi la mise en scène, le scénario, dirait-on, de Saint Elophe et de l'empereur et cette succession de joutes oratoires sur la valeur respective de l' Évangile et du paganisme. Autant de clichés qui foisonnent en maintes « Passions » de ce temps-là et que notre auteur n'a même pas le mérite d'avoir inventés. Ce genre littéraire avait alors comme unique préoccupation de satisfaire la piété populaire, si avide de merveilleux.
A cet égard, il vaut de s'arrêter un instant sur le miracle le plus saillant et le plus réputé, relaté dans cette « Passion » : le portement de la tête. Saint Elophe est au nombre de quelques soixante autres, dits « céphalophores » qui, décapités, se sont pareillement acheminés vers le lieu de leur sépulture, portant leur tête entre les mains. Pour la plupart d'ailleurs reparaissent les mêmes clichés que pour Saint Elophe.

On a dit, et nous le verrons à propos de la statuaire, qu'un tel miracle n'était qu'un rebondissement de l'art sur la légende. Comme attribut du martyre de Saint Elophe, un artiste eut quelque jour cette trouvaille de lui mettre la tête entre les mains, alors que Saint Paul, par exemple, décapité lui aussi, porte d'ordinaire et tout simplement, une épée ! Et hagiographes de s'emparer de l'image pour enrichir la légende et donner une suite sensationnelle à la scène du martyre : ce dont l'artiste se serait bien amusé tout le premier !

Mais il se peut que ce détail de notre « Passion » soit antérieur à toute représentation artistique et qu'il ait seulement une portée mystique. L'exemple alors pourrait venir de loin et remonter très haut. Parmi les oeuvres de Saint Jean Chrysostome figure le panégyrique prononcé au Ve siècle en l'honneur de deux de ses compatriotes d'Antioche, décapités au siècle précédent par Julien l'Apostat. Or on y lit ce passage tout à fait éclairant pour notre sujet. « De même que les soldats, montrant les blessures qu'ils ont reçues en combattant, s'adressent au roi avec confiance, ainsi les martyrs, portant dans les mains leur tête coupée, obtiennent du Roi des cieux tout ce qu'ils veulent. » (Patrologie grecque, tome L. col. 576). Si bien que le fait mystique du prédicateur est devenu fait historique pour l'hagiographe. C'est là qu'apparaît, inconsciente peut-être, la pieuse fraude !

Fixés sur le caractère purement légendaire du portement de la tête, nous pouvons en dire autant sur la pseudo-parenté de Saint Elophe. _ Certes les noms de Baccius et de Lientrude, ceux de leurs sept enfants sont bel et bien gravés sur une vieille pierre, aujourd'hui conservée au Musée Lorrain de Nancy et provenant de Pompey, lieu du martyre de Saint Euchaire. Mais cette inscription, datant du XVe siècle, se réfère tout simplement à la « passion de Saint Elophe » et à la « Vie de Sainte Menne ». Ce monument tardif ne prouve donc absolument rien ; il ne fait que souligner la pieuse manie des hagiographes d'alors. Ils unissaient artificiellement par les liens du sang et dotaient même de parents imaginaires des groupes de Saints, vénérés dans la même région ou fêtés à la même époque de l'année. Nos Saints lorrains offrent, à cet égard, un des exemples les plus typiques du Sanctoral.

Au calendrier liturgique de l'ancien diocèse de Toul, on fêtait Sainte Menne le 3 octobre, Sainte Gontrude le 6, Sainte Libaire le 7, Sainte Suzanne le 11, Saint Elophe le 16, Saint Euchaire le 22 ; seule Sainte Ode était reportée au 16 février. De plus, les centres de culte de tous ces prétendus frères et soeurs se situent dans le même secteur de l'ancien diocèse : Puzieux, Poussay, Hagnéville, Grand, Soulosse, Saint-Ouen-les-Parey, Liverdun et Pompey.

Autre point fantaisiste à relever dans la légende de Saint Elophe : si son martyre a pu avoir lieu (la critique ne le conteste pas) sous le règne très court de Julien l'Apostat (361-363), ce ne fut certainement pas de son fait, ni en sa présence. Car après une brève apparition sur le Rhin, l'Empereur partit en Orient guerroyer contre les Perses et il y trouva la mort. D'autre part il est historiquement certain que Julien l'A postat n'a pas déclenché, en Gaule notamment, de persécutions sanglantes, lors de sa tentative de restauration du paganisme. Par contre, un de ses lieutenants a très bien pu faire preuve de zèle, à l'échelon local. En sorte que cette dernière mise au point n'infirme en rien la tradition admise du martyre de Saint Elophe, survenu entre 361 et 363. Dans cette marge imprécise, la date du 16 octobre ne saurait être mise en doute.

On sait, par toute l'histoire chrétienne des premiers siècles, l'importance du jour de la mort des Saints appelé « dies natalis ». Car on célébrait chaque année l'anniversaire des martyrs. Ainsi la date de cet événement se conservait sans défaillance, alors que celle de l'année, réputée secondaire, s'oubliait à la longue. La remarque se vérifie pour la quasi-totalité des Saints des quatre premiers siècles, même à Rome, capitale de notre histoire religieuse : le jour (des ides ou des calendes) est soigneusement indiqué de façon très précise, jamais l'année, tout au plus le nom de l'empereur régnant.

S'il n'y a, en définitive, pas grand-chose à retenir du récit fabuleux de notre « passion », il ne s'ensuit pas qu'il faille la rejeter en bloc. Une fois passée au crible, elle laisse un résidu historique valable ; c'est ce que les critiques appellent la tradition.
En effet, le martyre de Saint Elophe fut un trop grand événement local pour ne point frapper la sensibilité de l'opinion et ne point survivre dans le souvenir des générations. Lorsque l'évêque de Toul, Saint Gérard vint au tombeau de Saint Elophe en 965, comme nous le verrons plus loin, faire l'inventaire des reliques et donner au pèlerinage l'impulsion décisive qui s'est soutenue jusqu'à nos jours, sa démarche consacrait en quelque sorte une tradition historique. Et cela, plus d'un siècle avant la parution de la fameuse « Passion ».

Cette tradition respectable ne saurait donc être rejetée au nom de la critique, au risque de scandaliser les fidèles plus que la légende elle-même ne scandalise les historiens.
Sortant de la légende, essayons de nous placer sur le terrain historique pour retrouver les origines du christianisme dans notre région, ce dont Saint Elophe est précisément le premier témoin.

Si la grande métropole de Trèves, dont la Lorraine a longtemps dépendu, possède d'authentiques preuves de christianisme dès la fin du IIIe siècle, le diocèse de Toul ne reçut son premier évêque, Saint Mansuy, qu'au cours du IVe. Mais les historiens admettent que des groupes de chrétiens, des embryons mêmes de paroisses existaient déjà chez nous.

Ce qui rend la présomption tout à fait vérifiable, c'est que la Lorraine se trouvait alors traversée par une des voies romaines les plus importantes de l'Occident, celle qui reliait Rome à Cologne par les vallées du Rhône, de la Saône, de la haute Meuse et de la basse Moselle. On sait de sources absolument certaines qu'au long de cette voie sont nés, tels des bourgeons sur une tige vigoureuse, les vieux évêchés de Vienne, Lyon, Autun, Langres, Toul, Metz et Trèves. Sur cette voie, d'abord militaire, cheminait évidemment beaucoup de monde : fonctionnaires et marchands, voyageurs et pèlerins. Les fouilles de Grand, actuellement en cours, attestent la présence d'un centre de pèlerinage païen considérable et très fréquenté. Il s'y mêlait aussi des missionnaires, mus par cette force d'expansion qui animait les premières communautés chrétiennes, en Gaule comme partout, d'autant plus que le paganisme se ressentait alors de la décadence progressive de l'empire romain. Ainsi l'Evangile se diffusait lentement et la vie chrétienne s'organisait aux alentours de ces villes-étapes ; nous en avons des preuves.
Dans sa section Langres-Toul, la voie romaine traversait la pointe Ouest de notre actuel diocèse. On voit encore, sur des dizaines de kilomètres, d'impressionnants tronçons reliant Pompierre, Neufchâteau, Soulosse et Autreville.

A propos de Soulosse, concernant très spécialement notre Saint, il convient, au passage, de tirer au clair cette double dénomination de Solimariaca-Solecia souvent imprécise et qu'on retrouve sur les plus anciennes cartes (Itinéraire d'Antonin et Table de Peutinger). On est aujourd'hui certain que Solimariaca désignait le village de Saint Elophe, oppidum gaulois, bâti au sommet de la côte, et que Solecia s'appliquait à Soulosse, relais routier, créé par les Romains, autour du pont par lequel la voie enjambait le Vair.

Il s'ensuit que pour retrouver les premières empreintes de christianisme en cette région, c'est de Soulosse qu'il fallait les attendre. Certes les vestiges païens ou profanes qu'on y a exhumés sont considérables : le répertoire officiel, paru en 1948, en mentionne près d'une centaine et, cet été même, on a découvert, à proximité du pont, une borne milliaire absolument remarquable. Mais deux trouvailles, modestes, nous intéressent particulièrement : une inscription lapidaire, déposée au Musée d'Epinal, en mémoire de deux femmes du pays qui avaient embrassé le christianisme ; une coupe de bronze sur laquelle est gravé le poisson (Ichthus) : les archéologues, qui ont reconnu à l'évidence un symbole chrétien, datent cette pièce du IVe siècle.

Tout ce long préambule (qu'excusera le lecteur) sur la légende et les premiers indices archéologiques nous a semblé nécessaire pour situer historiquement Saint Elophe, de façon certes encore approximative, suffisante néanmoins pour justifier son culte, très populaire dès avant l'an mil. Et il nous plaît d'aborder enfin une période, où abondent les documents sérieux et certains.

Le résidu historique, laborieusement décanté au cours des deux précédentes pages, consiste essentiellement et de façon incontestable dans le culte dont Saint Elophe fut honoré et dont le tombeau n'a cessé d'être le centre.

De ce culte, le plus ancien indice monumental semble remonter au VIe siècle. Fortuitement, pour des travaux exécutés au cours des siècles, ou méthodiquement, pour des fouilles plus récentes, on a toujours remué beaucoup de terre autour de ce tombeau. Ceci a amené la découverte, tant à l'intérieur qu'à proximité immédiate de l'église, de plusieurs sarcophages en pierre d'origine mérovingienne. Le mobilier funéraire (colliers de verroterie, bracelets, bijoux divers) accompagnant les restes donne à penser qu'il s'agissait de notables qui se sont fait enterrer là intentionnellement. On sait, par une tradition qui s'est soutenue durant tout le Moyen Age, que les chrétiens demandaient par testament de reposer auprès du tombeau des Saints. Cela se vérifie en maints centres de pèlerinage et chez nous au Saint-Mont, au Vieux Saint-Amé, au mont Saint-Odile, où ont été exhumés de semblables sarcophages.

C'est pourquoi, lors des fouilles pratiquées à Saint-Elophe par Voulot en 1889-1890, le grand archéologue français, Robert de Lasteyrie, est venu étudier sur place ces découvertes, concluant que, dès les VIIe et VIIIe siècles, le culte de Saint Elophe était en honneur.

La continuité de ce culte va se trouver sanctionnée par un événement qui fit grand bruit en son temps et qui devait avoir un épilogue mille ans plus tard avec Monseigneur Brault.

En 963, Saint Gérard, sacré à Trèves le 29 mars, devenait évêque de Toul. Un des traits de son épiscopat fut sa dévotion très vive à l'égard des Saints locaux et de leurs reliques. Dès son arrivée à Toul, il avait relevé le corps de son lointain prédécesseur Saint Mansuy, le premier évêque des Leuques, et l'avait placé dans une châsse en l'église abbatiale élevée en son honneur, hors des remparts ; le mausolée se voit encore près de la porte de Metz.

En 965, Saint Gérard arrivait à Saint-Elophe en pèlerin, pour y vénérer le premier martyr de son diocèse. La démarche du jeune évêque avait pour principal objet de régulariser ce culte séculaire, en relevant de la tombe les restes de Saint Elophe et en les déposant dans un reliquaire ; cérémonie canonique qui était, à cette époque, l'équivalent de la « canonisation ».

Ce pèlerinage fameux eut toutefois un dénouement inattendu, et sans doute fort décevant pour la foule des pèlerins accourus. Des ossements relevés et dûment authentiqués, l'évêque fit trois parts inégales ; une pour l'église même du lieu, une pour la Cathédrale de Toul, la dernière, de beaucoup la plus importante (le chef et les quatre membres), pour Cologne.

On sait que Saint Gérard était originaire de cette ville et il désirait par ce don précieux honorer Cologne et témoigner son affection pour le vieil archevêque Brunon. Il voulait aussi, et cette fois dans une intention politique se concilier par là l'appui de l'Empereur Otton II, frère de Brunon. L'évêque de Toul était alors en lutte contre Frédéric, duc de Haute Lorraine, pour la sauvegarde des monastères de Moyenmoutier et de Galilée à Saint-Dié, que ce turbulent vassal cherchait à s'approprier. Ayant eu finalement gain de cause, il se donna, pensons-nous, bonne conscience de ce pieux larcin.

Toujours est-il que Saint Gérard se réserva le plaisir de porter lui-même ces reliques à Cologne, le 21 juin 965. On imagine le cortège tout au long de cette voie romaine dont nous avons parlé. Le précieux dépôt fut solennellement remis en l'église abbatiale du Grand Saint-Martin qui, jusqu'à une date récente, l'a jalousement conservé. Et ce fut une belle surprise en 1920 pour le jeune Vosgien, militaire en Rhénanie, (il s’agit du chanoine Laurent lui-même) de le découvrir en visitant Cologne !

On suit, à travers le millénaire, l'histoire du culte de Saint Elophe dans la grande cité rhénane. Notre martyr lorrain est mentionné deux fois par an dans les vieux calendriers liturgiques de Cologne : le 21 juin pour la translation, le 16 octobre pour le « dies natalis ».

Périodiquement, à l'occasion de pèlerinages, on procède à la reconnaissance des reliques. En 1485, l'archevêque Hermann inaugure une belle châsse en argent. En 1763, elle est ouverte pour prélever un grand ossement, le péroné gauche, 0,40 m, qui est offert, on ne sait à quelle occasion, à la comtesse Elisabeth-Charlotte de Lignéville. Celle-ci en fera don à l'église Saint-Nicolas de Neufchâteau où elle est encore. C'est déjà là, fortuitement, une première restitution, en faveur du pays de Saint Elophe.

Sous la Révolution, les troupes françaises occupant toute la rive gauche du Rhin et pillant, hélas ! la plupart des églises — ainsi la cathédrale de Cologne fut transformée en parc à fourrage — les Colonais s'empressent de mettre la châsse de Saint Elophe en sûreté à l'abbaye de Graffschaft, jusqu'en 1806 où, la paix revenue, elle est réinstallée à Saint-Martin le Grand. Lors de la vérification, on découvre un parchemin avec l'inscription, en caractères du Xe siècle, « Pretiosus Christi Martyr Eliphius », témoin de la translation faite par Saint Gérard.

Nouvelle tribulation pour les reliques, avec les bombardements de la dernière guerre. La châsse est déposée, cette fois, dans les cryptes de la cathédrale, laquelle, par chance, fut étonnamment épargnée par la R.A.F. alors que la plupart des admirables églises médiévales de Cologne étaient anéanties ou mutilées. L'église du Grand Saint-Martin elle-même dont l'imposante silhouette romane faisait partie du paysage classique de la ville n'était pas encore restaurée ces dernières années et la châsse de notre Saint est restée à la cathédrale, à côté de celle des Rois Mages, un chef-d'oeuvre d'orfèvrerie lorraine du XIIe siècle.

C'est donc là qu'eut lieu l'entrevue historique du Cardinal Frings et de Monseigneur Brault, qu'a relatée « La Vie Diocésaine » du 1er novembre 1949. Tous les Vosgiens savent que notre cathédrale de Saint-Dié avait subi le même sort, mais plus odieux encore, que les églises de Cologne. Le 16 novembre 1944, elle avait été, sans la moindre nécessité stratégique, sauvagement dynamitée. Dans le désastre avait notamment péri la grande châsse de Saint Dié où se trouvaient, outre les reliques du Patron de la Ville et du diocèse, celles de douze autres saints, que nous énumérons pour mémoire : Saint Elophe, Amé, Romary, Arnould, Adelphe, Hydulphe, Léon IX, Spinule, Pierre Fourier ; Saintes Libaire, Menne et Claire du Saint-Mont.

L'intronisation de Mgr Brault avait donné lieu le 26 novembre 1947, on s'en souvient, à une émouvante cérémonie dans les ruines à peine déblayées de la cathédrale. C'est là peut-être que notre évêque conçut l'idée d'adresser par la suite à l'Archevêque de Cologne une requête pour obtenir des reliques de Saint Elophe, en remplacement de celles qui avaient si tristement disparu.

De grand coeur, le Cardinal accepta de remédier à « cette douloureuse et injuste privation ». Et le 10 octobre 1949, Mgr Brault se rendit lui-même à Cologne. Au cours d'une cérémonie, à la fois intime et solennelle, le Cardinal Frings remit à notre évêque deux importants éléments du corps saint, le priant de voir, dans ce geste, une réparation du peuple allemand et une occasion de « renouer, après des siècles de guerres cruelles, les liens qui unissent Cologne et la Lorraine, le Rhin et la France, depuis deux millénaires, sur le fond d'une histoire et d'une culture communes, d'une même foi chrétienne » ( Archives de l'Histoire religieuse de Rhénanie, 1950, p. 200).

Les reliques rapatriées (en l'espèce, les deux tibias) furent réparties entre les paroisses de Saint Elophe et de la Cathédrale, celle-ci se pourvoyant aussitôt d'une nouvelle châsse en cuivre émaillé, où, par prélèvements ultérieurs, on a regroupé des restes des autres saints. La bénédiction solennelle eut lieu le 9 juillet 1950 et ce fut Mgr Blanchet qui prononça l'allocution dans le cadre magnifique du cloître restauré. Depuis lors, la châsse attend à l'église Notre-Dame de prendre place à la Cathédrale, au jour de sa résurrection. ( Le chanoine Laurent termine son livre en 1979.)

Le culte dont Cologne entoure la mémoire de Saint Elophe lui aura donc, en définitive, procuré un supplément d'honneur et ne ralentit en aucune façon, la ferveur des pèlerins lorrains sur les bords du Vair. En sorte que notre bon Martyr, « gagnant sur deux tableaux », ne dut pas tenir rigueur à Saint Gérard à son entrée en paradis.

On serait même tenté de croire que, pour compenser, dirions-nous, ce « handicap » des reliques, la piété populaire s'ingénia à doter le pèlerinage de Saint Elophe de toute une gamme de monuments que nous ne retrouvons pour aucun saint de chez nous.
C'est à partir de l'an mil, et donc pratiquement à la suite du pèlerinage de Saint Gérard au tombeau du Martyr, que s'érigent les curieux monuments, qu'il nous reste à décrire.
Aucun d'eux, en effet, ne présente d'indice archéologique antérieur au XIe siècle. Jalonnant à la fois les étapes de la montée miraculeuse de Saint Elophe et les exercices de piété des pèlerins, comme les stations d'un chemin de croix, ils ne sont que l'illustration, l'enluminure en pierre, de la « Passion » qui les a visiblement inspirés.

Ils nous ramènent donc à la légende que nous avons, dans les précédents articles, nettement distinguée de l'histoire : retour en arrière, que le lecteur excusera, car il s'impose, si nous voulons comprendre le sens d'une dévotion plus que millénaire. Car la piété de nos ancêtres, autant que leur goût du merveilleux, y trouvait son compte. Il nous faut interpréter ces souvenirs dans l'optique de leur époque.
Parlant de miracles de ce genre, attribués à Saint Colomban, Mgr Calvet écrit : « Je plains les savants qui, par un scrupule de rationalisme aujourd'hui dépassé, entreprennent d'amputer l'histoire de la poésie, c'est-à-dire de ce qu'elle a peut-être de plus vrai ». Et Maurice Clavel le rejoint, dans sa préface du mystère de Jeanne d'Arc, «La Grande Pitié », joué à Domremy en 1956 : « J'ai suivi, sur elle, les travaux les plus avancés des historiens critiques modernes, ces malheureux qui, au nom de la Science, visent à détruire la Légende ».

Ces cinq monuments, que visitent aujourd'hui pèlerins et touristes, se présentent dans un ordre à la fois topographique et chronologique.

La Chapelle de Sainte-Epéotte.
Ce charmant édifice rural s'élève à 400 m en aval du pont de Soulosse, sur la rive droite, en cette « prairie agréable » qu'enserre un large méandre du Vair. C'est le lieu présumé du martyre dont, de tout temps, un édicule a rappelé le souvenir.
La chapelle actuelle, du XVIe siècle, se compose d'un choeur carré, précédé d'une travée et d'un petit auvent, le tout appuyé sur des contreforts et couronné d'un clocheton. On y avait adjoint, sur la droite, un logement disparu au début de ce siècle ; c'était la résidence de l'ermite, gardien de la chapelle.

Sur l'autel d'origine également disparu, figurait un retable, fixé à présent au mur de droite. C'est un naïf bas-relief, daté 1614 et représentant la scène du martyre. Assis à son tribunal entre quatre soldats, l'empereur Julien assiste à l'exécution immédiate de la sentence. Le bourreau décapite d'un coup d'épée Saint Elophe, agenouillé dans l'herbe, les mains jointes. Au-dessus de lui, un ange sortant de la nuée s'apprête à recueillir son âme. Au second plan, le martyr, portant sa tête dans ses mains, s'achemine vers le sommet de l'escarpement, où se profile l'église actuelle.

Debout à côté du Saint, voici une femme, dont la présence n'a cessé de piquer la curiosité des érudits. Elle porte à la main une palme stylisée, ce qui la fit identifier avec Sainte Libaire, sa soeur présumée. D'autres, prenant la palme pour une épée, y ont vu la servante, arborant l'arme qui venait de servir au supplice de son maître. Mais une autre interprétation semble possible qui, du même coup, justifierait le vocable très lorrain de la chapelle. On imagina sans peine que l'épée du bourreau avait été soigneusement recueillie par les assistants et vénérée ici depuis lors, comme une relique insigne. En sorte que la chapelle Sainte-Epéotte serait comme la châsse de la Sainte Epée, par analogie avec la Sainte Face de Véronique, la Sainte Lance de Longin, etc.. expression fréquente en hagiographie.

La chapelle marque le départ du parcours, voire de la procession que les pèlerins faisaient jadis. « Emboîtant le pas » à Saint Elophe, qu'ils venaient de voir sur le retable, ils traversaient la prairie sur quelque 700 m pour atteindre la IIe station.

La Fontaine
Elle se situe à mi-côte, à ce niveau des sources bien connu sur nos versants calcaires. On y accède, sous le taillis, par une sente aménagée et pourvue de bancs. A l'entrée , un petit portail, qui semble avoir été souvent remanié. On y a toutefois, conservé le tympan monolithe en plein cintre, intéressante oeuvre du XIe siècle. Sous un bandeau torsadé, est fichée une croix pattée, ornée d'étoiles ; sur les croisillons, deux colombes affrontées.
Poussant la grille, on descend dans une sorte de crypte voûtée ; au centre du pavé, deux vasques recueillent l'eau qui sourd de la roche. Pour les pèlerins, dont les pas ont bien usé les marches, le centre d'intérêt était double, car ils buvaient de cette eau, à laquelle s'attache une vertu curative ; mais ils s'arrêtaient aussi devant le fer triangulaire, toujours visible sur la première marche, qui marquait l'empreinte des gouttes de sang. A cette fontaine le Martyr avait lavé sa tête.

C'est là un épisode attribué à la plupart des Céphalophores. On le trouve déjà dans la « Passion » de Saint Julien de Brioude, rapportée, dès le VIe siècle, par Saint Grégoire de Tours (II, chap. 2). En pleine capitale, on montrait encore, au siècle dernier, sur les pentes de Montmartre (impasse Giraudon), la fontaine où Saint Denys, le premier évêque de Paris, décapité, aurait accompli le même geste. Des savants belges (« Revue de l'Université de Bruxelles », 1914) se demandent si, à l'origine, un tel épisode légendaire ne traduit pas une préoccupation du clergé d'alors : sacraliser ainsi des réminiscences du culte païen, que les populations rurales vouaient encore aux fontaines. Une telle hypothèse n'est pas invraisemblables à Soulosse.

La Reculée.
A moins de cent mètres de la fontaine, une excavation verticale a été visiblement taillée de main d'homme dans la roche : 4 m de profondeur sur 2,30 m de haut. Une grille protège la statue moderne du Saint, portée sur un fragment de colonne du XVIe siècle torsadée. L'arcade est récente, comme la date de 361 qu'on y a gravée. Au-dessus par contre, un socle en pierre, ornée d'élégants motifs XVIIIe, portait jadis une croix de fer forgé, offerte par le roi Stanislas. La croix fut arrachée à la Révolution, mais le socle perpétue cet hommage du dernier souverain de Lorraine à son premier martyr.

_ Pour les pèlerins d'antan, la Reculée était le lieu d'un autre miracle. Après l'exécution, les soldats interloqués - durant un bon quart d'heure ! - se lancent à la poursuite du condamné qu'ils croyaient mort ; ils vont le rattraper au sommet de la colline, lorsque celle-ci s'entr'ouvre pour le dérober à leur prise. Episode gratuit, mais point inédit, puisqu'on l'attribue aussi à Saint Félix de Nole (légende du Bréviaire au 14 janvier).

La Chaire de Saint Elophe
Ici nous arrivons à la IVe station de la « Montée » miraculeuse. Dans le cimetière, établi de temps immémorial, nous l'avons vu, autour de l'église, s'élève un édicule ajouré en forme de chapelle, de plan carré, couvert d'une voûte en berceau brisé et, comme telle, classée M.H. de la fin du gothique. Elle abrite un bloc de pierre, assez fruste, présentant une échancrure en forme de siège, pourvu d'accoudoirs.

Toujours selon la « Passion », c'est là que Saint Elophe finit sa course et se laissa enterrer, à l'emplacement que lui avait accordé l'empereur lui-même. Certes, elle ne nous dit pas s'il put adresser quelques mots d'adieu ; elle relève seulement un ultime miracle. Epuisé par sa course, il s'était reposé sur la roche affleurant à cet endroit, laquelle soudain s'affaissa de manière à lui fournir un siège dont la concavité lui permit de s'asseoir. D'où le nom de chaire, donné par la tradition.

En fait, cette chaire n'est pas du tout en pierre du pays : c'est un matériau d'importation, d'un grain spécial. Les archéologues estiment qu'elle proviendrait de quelque édifice public gallo-romain, des alentours, peut-être même de l'amphithéâtre de Grand, en raison de l'analogie qu'elle offre avec les sièges curules, réservés aux notables sur ces gradins.

L'Eglise et le Tombeau
Il est certain, bien qu'on n'ait retrouvé à ce jour aucun vestige d'époque aussi lointaine, qu'une chapelle ne tarda pas à s'ériger sur la tombe de Saint Elophe. Du fait même que la localité était sur une grande voie de passage, ce premier édifice vit le début des pèlerinages ; il y eut aussi, dés 450, le passage des Huns, puis les vagues successives des barbares qui ravagèrent la Lorraine.

Si bien que l'église actuelle est, sans nul doute, l'héritière de plusieurs autres, toutes érigées au même lieu. Celle, par exemple, dans laquelle officia Saint Gérard en 965, fit elle-même place à un édifice du XIe siècle dont subsistent d'intéressants vestiges. Le chapiteau fleuri conservé au Musée d'Epinal suggère une église imposante. De plus, nous avons découvert, sous les combles de l'église, une série de quatre fenêtres romanes qui eussent ravi Georges Durand, car il n'en parle pas dans son livre. Éclairant jadis la partie haute de la nef basilicale, elles sont encore incorporées dans leur mur d'origine.

A cet égard, il est curieux de faire un rapprochement avec la basilique Saint-Maurice d'Epinal, qui a conservé, elle aussi, lors de sa reconstruction du XIIIe siècle, murs et fenêtres romanes. Pour sauvegarder, par fierté, des murs que le pape Saint Léon IX avait consacrés, les architectes spinaliens ont réalisé cet exploit de reprendre en sous-oeuvre arcades et piliers qu'on y voit aujourd'hui. Ne serait-ce pas dans la même pensée, en hommage à Saint-Elophe, que l'humble architecte aurait ici renouvelé semblable tour de force ?

L'église de Saint-Elophe est une des plus ravissantes qu'on puisse voir dans la Plaine. Les lignes très pures de ses piliers, de ses arcades, le ferme calcaire nacré dont ils sont faits, la lumière qui joue dans ses trois nefs flamboyantes, tout a été harmonisé par le maître d'oeuvre pour servir d'écrin à la châsse et à la pierre tombale du glorieux Martyr. Et l'imagier chargé de la décoration eut même la fantaisie, nous dirions la gentillesse, de lui faire un cadeau royal, en sculptant les trois fleurs de lis, à la clé de la première travée, au dessus de l'orgue.
Ce détail donne à penser aux archéologues que l'église que nous voyons fut terminée au début du XVIe siècle comme l'attestent également les gracieuses clés de voûte à pendentif du choeur et du transept.
Il se peut toutefois que cette construction de l'église ait commencé au siècle précédent. Nous savons, en effet, qu'au cours de son long règne (1390-1431), le duc de Lorraine, Charles II et Marguerite de Bavière, sa femme, étendirent à l'église de Saint Elophe les subsides qu'ils accordaient alors aux chantiers de Neufchâteau (église Saint Christophe, couvents des Cordeliers et des Clarisses).
Il nous plaît de voir aussi les princes s'associer aux humbles fidèles pour rendre hommage à notre Saint.



Parée au cours des siècles, d'un riche mobilier, l'église fut pillée lors des guerres et de la Révolution, puis remeublée dans le goût du XIXe . Ce nonobstant, elle représente encore de fort belles choses, toutes classées : plusieurs intéressantes statues de la Vierge à l'Enfant ; un grand Christ du XVIIe , dominant la curieuse inscription « Julien l'Apostat fit camper son armée à Soulosse où il apprit que Saint Elophe, par un seul de ses sermons, avait converti à la foy de Jésus- Christ 236 païens » ; le reliquaire en bronze doré, refait en 1869, pour les fragments qu'avait bien voulu laisser Saint Gérard.

Toutefois, la pièce de beaucoup la plus remarquable, c'est le gisant de Saint Elophe. Placé dans le choeur, à la croisée du transept, il surplombe une fosse, dans laquelle on est censé pouvoir pénétrer par un escalier latéral. C'est le souvenir, plus symbolique que praticable, d'une ancienne coutume, qu'on retrouve au gisant de Sainte Ode à Saint-Ouen les-Parey. La dalle ici porte sur sept piliers auxquels s'adossent autant de statuettes, difficiles à identifier ; ce serait dit-on, la famille de Baccius ; mais alors que vient faire ici Véronique avec la Sainte Face ? Sur la dalle finement moulurée, repose, tiré de la masse (calcaire ivoiré d'une étonnante qualité), le corps de Saint Elophe en grandeur naturelle vêtu de l'aube et de la dalmatique ; ses pieds s'appuient sur un lion accroupi. Entre des mains délicates, la tête, pourvue d'une large tonsure, présente un visage jeune d'une beauté impressionnante : des paupières closes et de la bouche très fine, se dégage un sourire qui reflète mystérieusement la béatitude et la paix. Les insignes, dont nous le voyons revêtu sont encore dus à la légende. Du moment que Saint Elophe prêchait, il s'ensuit qu'il était diacre, conviction dont ne se sont jamais départis ni les fidèles, ni les artistes ! Le nôtre, en l'occurrence, a fait mieux, lui mettant entre les bras le bâton d'archidiacre, sorte de crosse sans volute alors en usage du diocèse de Toul. Ce gisant, classé M.H. du XVIe siècle est incontestablement un des chefs-d'oeuvres de notre patrimoine artistique.

Sur la droite, apparaît encore aux murs du croisillon sud, la litre funéraire des Mauléon qui, au XVIe siècle, y avaient leur chapelle castrale et leur caveau. La pierre tombale à l'effigie de Jean-Blaise de Mauléon, seigneur de Saint-Elophe et Autigny-la-Tour, y a été retrouvée en 1854 et offerte au Musée Lorrain de Nancy. A noter dans sa descendance plusieurs chanoinesses de Remiremont et de Poussay.

Quant à la tour, de trois siècles antérieure à l'église, elle fut bâtie à la manière d'un donjon, sans aucun portail. On entrait à l'église par la porte latérale, toujours en place avec sa niche à statuette et son curieux tronc en pierre. Par la suite, on ouvrit, sous une arcade flamboyante, la double porte occidentale. Le beffroi, éclairé de jolies fenêtres du XIIIe siècle, est couvert d'un toit à bâtière, tel qu'il figure sur le retable de Sainte-Epéotte. Il n'en fut pas, hélas ! toujours ainsi. Vers 1885, avec plus de zèle que de goût, on substitua un lanternon de pacotille surmonté d'une colossale statue de Saint Elophe, en pierre et de 7 m de haut ! Ledit lanternon menaçant ruine, les Monuments Historiques le firent disparaître en 1952 pour restituer à la vénérable tour sa physionomie première si sympathique.

Une remarquable sonnerie égaie ce beffroi, grâce au bourdon offert par souscription en 1877. Pesant 4 250 kg, il est la plus grosse cloche du diocèse et l'un des plus imposants de Lorraine.

LE CULTE DE SAINT ELOPHE

Le belvédère naturel, avec ce parvis gazonné de la vieille église, constitue un véritable haut-lieu, trop peu connu, dans le cadre d'un paysage chargé d'histoire et charmant en toute saison. Au premier plan, les méandres du Vair glissent sous les ponts de Soulosse et de Brancourt, tandis qu'à l'horizon se profilent les tours du château de Bourlémont, le clocher roman de Coussey et la flèche du Bois-Chenu. Et si d'aventure le carillon s'ébranle dans le sillage du bourdon, l'enchantement est à son comble.

Fièrement campée sur le rebord de la falaise, la tour de Saint-Elophe monte ainsi la garde auprès du tombeau, vers lequel elle a vu affluer bien du monde au cours des siècles.

On se plaît à penser que Jeanne d'Arc, si familière avec les Saints du paradis, y monta avec ses amies, avec sa mère Isabelle Romée, fervente de pèlerinages. Les chroniqueurs sont plus précis touchant les visites des ducs de Lorraine, celle, par exemple de Léopold et de la duchesse Elisabeth-Charlotte d'Orléans, qui le 1er Juin 1706, assistèrent à la messe, agenouillés devant le tombeau.

Les évêques de Toul, eux aussi, y sont venus presque tous, contrôler, après chaque guerre, l'état des reliques. Citons seulement la visite de Mgr de Maillane, en 1612. Pendant les guerres de Religion, l'église avait été saccagée par la soldatesque, mais les habitants avaient sauvé la châsse à temps. L'ouverture de celle-ci, aux fins de vérification, provoqua une émeute en pleine église, les bonnes gens s'imaginant que l'évêque allait renouveler le geste de Saint Gérard, demeuré dans toutes les mémoires. Disons, en passant, que paroissiens et pèlerins ont autrement accueilli Mgr Brault, venu le 19 mars 1950, insérer dans le châsse la précieuse relique rapportée de Cologne.

La Révolution, à son tour, causa des dégâts à Saint-Elophe, comme ailleurs ; mais toujours les habitants sauvegardèrent l'essentiel, à savoir les reliques. Quant à la châsse, elle fut confisquée par les patriotes et dépouillée à Neufchâteau des bas-reliefs, en argent, qui la recouvraient. Elle avait été offerte, pour réparer les pillages de la guerre de Trente Ans, à la suite d'un voeu fait dans sa prison de Tolède, vers 1688, par Simon Sallet, trésorier général de Lorraine, bourgeois de Neufchâteau.

Tout au long du XIXe siècle, à la faveur du renouveau chrétien et du romantisme, le culte de Saint Elophe reprit, plus fervent que jamais. Il suffit de relire les annales et les publications des curés du lieu, entre 1840 et 1890, les livrets de pèlerinage, assortis des litanies en l'honneur du Saint. Les autres dernières guerres et surtout la désaffection de la spiritualité contemporaine à l'égard de cette forme de piété que constituent les pèlerinages locaux, ont entraîné une éclipse du culte traditionnel. Il semble toutefois que nous assistons, depuis quelques années, à une reprise encourageante.

Un autre aspect de ce culte, qui intéresse archéologues et historiens, parce qu'il remonte au haut Moyen Age, apparaît dans le patronage des églises et des chapelles. On les trouve évidemment dans le cadre de l'ancien diocèse de Toul, mais aussi beaucoup plus loin.

  • VOSGES : Blémerey, Frenelle-la-Petite, Longchamp-sous-Châtenois, Neufchâteau (patron secondaire de l'église Saint-Nicolas), Oncourt, Punerot, Rouvres-en-Xaintois, Saint-Elophe, Viviers-le-Gras
  • MEURTHE-ET-MOSELLE : Clérey (canton de Vézelise), Fécocourt (Colombey-les-Belles)
  • Moutrot (Blénod-lès-Toul), Trondes (Toul).
  • MEUSE : Savonnières (chapelle près de Bar-le-Duc)
  • HAUTE-MARNE : Graffigny
  • EURE-ET-LOIR : Saint-Eliph
  • SEINE-ET-MARNE : Rampillon
  • COLOGNE : Saint Martin-le-Grand (patron secondaire de l'abbaye)

    A propos de ces derniers titres, il est piquant de remarquer que, dans son répertoire alphabétique, Louis Réau, dans « Iconographie de l'Art chrétien » t. III, p. 415, mentionne notre Saint sous la rubrique : « Saint Eliphe de Rampillon ». Par ailleurs, le Martyrologe Romain, qu'on lit encore à l'office de Prime dans tous les monastères du monde, comporte la mention suivante, parmi celles des Saints fêtés le 16 octobre : « A Cologne, Saint Elophe ou Eliphe, martyrisé sous Julien l'Apostolat, 362 ». Bien loin d'être jaloux de semblables « annexions », contentons-nous d'y voir la preuve du rayonnement de son culte.

Pour ce qui est du nom, pris dans un sens géographique, il va de soi que, très tôt, Saint Elophe a désigné naturellement le village, héritier de l'antique Solimariaca, qui se constitua autour de la célèbre tombe. La paroisse de Saint-Elophe groupa jusqu'à nos jours, pour une seule église, les habitants de quatre communes : Brancourt, Fruze, Saint Elophe et Soulosse. On vient de réaliser la même opération au civil. Par arrêté préfectoral du 25 juin 1964, les quatre villages ne forment plus désormais qu'une seule commune, sous le nom officiel de « Soulosse-sous-Saint-Elophe ». Le vocable fait un peu long sur le cachet de la mairie ; il n'en évoque pas moins, de façon très heureuse, la disposition des lieux mêmes, leur riche et commun passé.

Relevons aussi les lieux-dits, discret hommage de la terre lorraine : « Le Cerisier-Saint-Elophe » à Maxey-sur-Meuse ; « Les Champs-Saint-Elophe » à Fruze ; « La Chapelle-Saint-Elophe », emplacement d'un édicule disparu, à Tranqueville-Graux ; « Fontaine-Saint-Elophe » à Rouvres-en-Xaintois.

L'ICONOGRAPHIE

Comme pour tant de nos Vieux Saints, les artistes nous ont laissé d'émouvants témoignages de la piété populaire envers Saint Elophe. Sans prétendre être certes exhaustif voici, pour finir, l'inventaire des objets, la plupart classés, que nous avons pu établir.

A noter que les artistes ruraux, toujours à l'écoute des braves gens pour lesquels ils travaillaient, ont souvent renchéri sur la légende même, représentant notre céphalophore, tour à tour en diacre, en archidiacre, en chanoine et même en évêque !

Statues : Chermisey, Domremy (1709), Frenelle-la-Petite, Harchéchamp, Jubainville, Neufchâteau église Saint-Nicolas, plus un curieux bâton de confrérie, à la cure Saint-Christophe, Nonville, Punerot, Rampillon, Viviers-le-Gras.

Statuettes en pierre, au croisillon des calvaires : Attignéville, Graffigny, Punerot (1596), Rémois.

Cloche : le nom et l'effigie figuraient gravés sur une cloche de Cologne, sans doute disparue aujourd'hui. Elle portait une inscription en latin, dont l'abbé L'Hôte donne la traduction ( T.II, p. 77) : « Je suis la cloche d'Elophe, notre pieux défenseur. L'an mil trois cent quatre vingt ».

En fait de peinture, les pèlerins voyaient jadis à l'église de Saint-Elophe, contre le mur à gauche en entrant, une naïve fresque, aujourd'hui totalement estompée, représentant la prédication de notre diacre à Soulosse et ses 236 convertis.