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Témoins vosgiens

Acteurs diocésains - Missionnaires - Saints(es) et Bienheureux(ses) vosgien(ne)s


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- Sœur Geneviève Boyé, 88 ans, écrit de Confresa
- Ouverture d’une communauté religieuse à Haïti


Les Saints(es) et Bienheureux(ses) vosgien(ne)s

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Pour que chacun puisse connaître l’histoire des saints des Vosges, l’ouvrage du chanoine Laurent “Ils sont nos aïeux” (Ed La vie diocésaine de Saint Dié, 1980) a fait l’objet d’une saisie complète pour le site du diocèse. Merci au chanoine-défunt pour son érudition qui trouve un prolongement sur internet et merci à Astrid Ficher pour la saisie.

Les saints sont présentés ci-dessous selon un ordre chronologique

Avertissement
Nous publions ici selon un ordre chronologique les biographies de nos aïeux dans la foi d’après l’ouvrage du Chanoine André Laurent publié en 1979.
Vous trouverez parfois des références ou allusions à des articles qui suivent celui que vous lisez.


11/07 /11 Saint Cloud (Témoins vosgiens)

Évêque de Metz

Précisons dès l'abord que notre Saint est distinct de son homonyme du siècle précédent, Saint Cloud, petit-fils de Clovis et de Sainte Clotilde, lequel a donné son nom à la ville de la banlieue parisienne.

Bien que notre Saint Cloud soit un personnage historique, il est curieux de constater que le chanoine L'Hote ne lui consacre aucune notice dans sa « Vie des Saints du diocèse de Saint-Dié » (2 vol. 1897), parmi les 199 saints personnages étudiés. Raison de plus pour combler ainsi une lacune, accidentelle sans doute.

Saint Cloud, toujours appelé Clodulphe, à partir du latin, dans les textes, naquit vers 605. Il était fils de Saint Arnould, dont nous avons dit que ce leude austrasien, avant de devenir évêque de Metz, avait été marié à Ode de Souabe, appelée aussi Doda. Le jeune Clodulphe était, on le sait, le cadet d'Anségise, quadrisaïeul de Charlemagne.

La vie de Clodulphe fut écrite par un anonyme, dont le texte est rapporté par Mabillon dans les Actes des Saints Bénédictins. Tandis que sa mère veillait à une éducation pieuse et ferme, qui le préparait à sa vocation ultérieure, son père lui fit donner aux écoles de Metz une instruction solide, privilège singulier en ces temps barbares. Rien n'interdit de penser que l'étudiant soit venu en vacances à Dogneville, « Dodiniaca villa », où ses parents possédaient, dirions-nous, une résidence secondaire, à une lieue d'Epinal, pointe méridionale du temporel de Metz.

Tel père, tel fils. Leur destinée à tous deux présente, en effet, à bien des égards, un certain parallélisme. Clodulphe, parvenu à l'âge d'homme, entra dans l'administration au palais des rois d 'Austrasie, alors que son père y était peut-être encore engagé. Quand ce dernier quitta la cour, Clodulphe resta en charge, pense-t-on, de longues années encore, menant de pair ses activités d'administrateur sage et probe et une vie exemplaire du point de vue chrétien.

Ce double mérite retint l'attention unanime du clergé et des fidèles, lorsqu'il s'agit de trouver un successeur à Saint Godon, qui venait de mourir. On sait qu'en ce temps-là, les évêques se recrutaient souvent par ce verdict populaire, le pape, de sa Rome lointaine, ratifiant presque toujours le choix. Ici d'ailleurs semble avoir joué un précédent familial, le leude Arnould étant déjà passé de son office civil au siège épiscopal de Metz, où devraient lui succéder Saint Goëry que nous connaissons bien, puis Saint Godon.

Sur leurs traces, Saint Cloud -nous l'appellerons ainsi désormais-,se donna généreusement à son diocèse, dont il était familier, au cœur du royaume franc d'Austrasie qui commençait à prendre corps. Tâche pastorale énorme autant que délicate à travers les guerres et les intrigues, dans un climat barbare et païen. Le chroniqueur souligne spécialement l'attention qu'il portait aux pauvres, se privant du nécessaire pour subvenir à leurs besoins. Telle apparut la dominante, qui lui valut la réputation et plus tard le titre de sainteté, sans autre canonisation officielle.

Il est un autre trait, anodin, de la vie de Saint Cloud, qui, sans rapport avec le plan surnaturel, touche aux origines de notre diocèse : son intervention dans la fameuse charte de Numérien.

Ce dernier, archevêque de Trèves au temps où Saint Dié fondait son monastère des Jointures, prit en sa faveur une décision juridique d'importance. La charte, rédigée de concert avec les suffragants, les évêques de Toul, premier intéressé, de Metz, notre Saint Cloud, et de Verdun, garantissait à Saint Dié les territoires à lui concédés sur la Meurthe par Childéric II et les privilèges, soustrayant cette fondation à la tutelle des évêques de Toul.

Ladite charte, érigeant ainsi le Val de Galilée en enclave dans le territoire de Toul, fut, on s'en doute, contestée en raison même de l'âpreté avec laquelle le Chapitre de Saint-Dié devait par la suite en exploiter les conséquences. Nombre d'auteurs au siècle dernier ont étudié longuement cette charte de Numérien pour conclure à un faux. Mais Christian Pfister, le savant historien de Lorraine, en a démontré l'authenticité (« Annales de l'Est », 1889, p. 379 à 400).

Quant à la durée de l'épiscopat de Saint Cloud, elle pose à son tour un problème qui a été diversement résolu par les historiens en raison de la chronologie confuse des documents. Ainsi la liste épiscopale de Metz donne pour notre évêque 656-694 et Mgr Martin, 658-696. De son côté, Mgr Duchesne (« Fastes épiscopaux de l'ancienne Gaule », III, p. 56-57) fait état d'une lettre signée le 25 juin 667 par Abbon II, successeur de Saint Cloud, ce qui réduit à 16 ans (650-666) au lieu de 38 le temps passé par ce dernier sur le siège de Metz.

Bien que l'année de la mort reste donc fort incertaine, le jour, lui, n'a jamais fait de difficulté en raison de la commémoration liturgique du « dies natali ». C'est à la date du 7 juin que le Martyrologe romain mentionne Saint Cloud, évêque de Metz.

Pour ce qui est du culte, sa dépouille demeura près de trois siècles en la vieille cité jusqu'à son transfert le 11 décembre 959 à Lay-Saint-Christophe, à une lieue au nord de Nancy. En ce bourg natal de Saint Arnould venait en effet de s'ouvrir à l'initiative d'Eve, comtesse austrasienne, un prieuré bénédictin, filiale de l'abbaye Saint-Arnould de Metz.

La ville, s'estimant suffisamment riche en religion de ses 38 premiers évêques vénérés comme saints, se dessaisit sans peine du corps de Saint Cloud. A noter que dans les années suivantes l'évêque Thierry de Hamelant transférera de même le corps de Saint Goëry à l'abbaye naissante des Bénédictines d'Epinal.

Lay devint centre de pèlerinage à la suite de miracles obtenus par la vertu des reliques. Celles-ci échappèrent partiellement au pillage de la Révolution, alors que le prieuré et sa belle église, consacrée le 18 octobre 1092, furent mis en vente comme bien national et presque entièrement démolis. Nous en avons seulement une description illustrée de plans très précis grâce à Dom Calmet, qui fut prieur de Lay avant de devenir le célèbre abbé de Senones.

En dehors de quoi on ne trouve guère de trace de culte en l'honneur de Saint Cloud. Il n'est titulaire d'aucune église dans l'ancien diocèse de Toul, pas même à Metz depuis qu'a disparu celle dont on trouve la mention au Moyen Age.

En fait d'iconographie, il ne semble pas exister d'autre représentation que celle signalée dans les Petits Bollandistes, où Saint Cloud figure avec ses parents ; mais faute de références, nous n'avons pas pu la trouver.

Pour ce qui est de l'office liturgique, on le trouve, bien sûr, au diocèse de Metz. Il figurait aussi au Propre de l'ancien diocèse de Toul et donc de Nancy jusqu'à ces dernières années, où il a disparu, dans un but d'allègement avec beaucoup de vieux Saints lorrains.

Des esprits chagrins pourraient penser que c'est ici justice, Saint Cloud étant « responsable » de cette émancipation du Chapitre de Saint-Dié qui, sur le plan temporel, avait effectivement bien mis en souci les évêques de Toul au long des siècles !

Dans notre Propre, de 1900, Saint Cloud était simplement mentionné sans plus au IIe nocturne de la fête de Tous les Saints du Diocèse le 16 novembre. Lors de la réforme de 1957, il a retrouvé son office, au missel comme au bréviaire, à la date traditionnelle du 7 juin.

Et c'est à ce titre que nous avons rédigé le présent article d'une lecture plutôt ingrate, mais bien à l'image des temps mérovingiens.

11/07 /11 Saint Gondelbert (Témoins vosgiens)

Fondateur de Senones

L'histoire de Saint Gondelbert nous reporte cette fois encore au VII° siècle, à l'ère mérovingienne. Plus encore que pour Saint Sigisbert, l'ambiguité du nom a mis dans l'embarras les historiens, et rendu difficile l'identification du personnage en raison de l'orthographe très variable sous laquelle on le désignait. Dans les textes qui nous occupent, on trouve concurremment Gundelbertus et Gombertus.

Une tradition fort ancienne, et que défendent encore certains savants bénédictins, rapporte que Saint Gondelbert avait été évêque de Sens avant de se retirer dans la solitude des Vosges.
Quel cas peut-on faire de cette tradition ? Dans la liste des évêques de Sens, le nom de Saint Gondelbert ne figure pas au VII° siècle ; à quoi certains historiens rétorquent, preuve en mains, que de ce temps les listes épiscopales ne comportaient pas le nom des évêques ayant quitté leur siège pour aller mourir ailleurs. Ce qui expliquerait, par la négative, l'épiscopat de Saint-Dié à Nevers et de Saint Hydulphe à Trèves dont nous parlons par ailleurs.

Par contre, la liste de Sens mentionne Aumbertus, évêque de 639 à 649, dates qui correspondent bien à notre Saint. Peut-on dès lors identifier Saint Gondelbert sous un tel nom ? Le savant historiographe pontifical qui a récemment étudié la révision de notre Propre diocésain n'a pas rejeté cette possibilité.

L'épiscopat de Saint Gondelbert est, bien entendu, mentionné dans sa vie qu'a composée Richer, moine de Senones, trois siècles plus tard, trop heureux d'enregistrer une tradition relativement fraîche encore, et qui rattachait l'histoire de son Abbaye à l'un des sièges les plus fameux de la Gaule chrétienne. Rappelons que Sens, puissante cité gauloise, avait impressionné Jules César, qui en fit son quartier général pendant la conquête (De bello Gall. V, 54). Sens fut, après Lyon, un des premiers diocèses constitués, devenant bientôt le siège d'un archevêché dont, jusqu'en 1622, dépendit l'évêché de Paris même. Le trône de l'archevêque de Sens se voit encore à Notre-Dame de Paris, en face de celui du Cardinal.

Un autre document, fort antérieur, puisque contemporain de Saint Gondelbert, se réfère aux débuts de la fondation de Senones. Il s'agit du diplôme par lequel, en 661, Childéric II, roi d'Austrasie et neveu de Saint Sigisbert, fait donation du Val de Senones au fondateur nouvellement installé, et ce en des termes qui fournissent un argument à chacune des deux thèses historiques : 1. La donation est faite à « Gumbertus Episcopus », sans aucune mention du siège qu'il aurait occupé antérieurement. 2. Le bénéficiaire sera le « monasterium Senonicum ». Nous voyons apparaître ici pour la première fois le nom latin de Senones, donné à la jeune Abbaye par Saint Gondelbert, en souvenir, semble-t-il, de sa chère ville épiscopale.

Quoi qu'il en soit, il est certain que Saint Gondelbert, évêque, arriva dans la vallée du Rabodeau entre 655 et 660.
Il est aisé d'imaginer le cadre et les conditions de vie du nouvel ermite, au sein de l'immense forêt vosgienne qui recouvrait, de son manteau de sapins, montagnes et vallées. La conquête romaine l'avait soigneusement évitée, au point que deux voies seulement s'y étaient aventurées pour gagner l'Alsace par les cols du Donon et de Bussang.

La donation de Childéric II était à la fois généreuse et intéressée. Il lui plaisait d'obliger ainsi un homme de Dieu et de favoriser l'extension de la foi chrétienne dans cette région. Mais il savait aussi, par l'exemple de ses prédécesseurs, que la fondation d'une abbaye ouvrirait un foyer de civilisation dans la partie la plus déshéritée de son royaume.

Le texte fait en effet état des terres qu'avait déjà défrichées Saint Gondelbert dans cette large vallée marécageuse du Rabodeau. Et Richer de nous conter la vie pastorale du Saint et de la petite colonie de moines qu'il avait amenée. Sous des huttes de branchages, on vivait de fruits sauvages et de cultures rudimentaires.

Devant l'afflux des disciples, la vie communautaire, toute de prière et d'austérité, s'organisa sous la règle de Saint Benoît. Il convient de noter à l'honneur de Saint Gondelbert, qu'il introduisit le premier la vie bénédictine dans notre diocèse, suivi bientôt par Saint Hydulphe à Moyenmoutier, tandis que la règle de Saint Colomban venait d'essaimer chez nous, de Luxeuil au Saint-Mont, un demi-siècle plus tôt.

Un des premiers soins de Saint Gondelbert fut de doter sa communauté d'une église, qu'il dédia à Notre-Dame. Par la suite, il la pourvut, sous le patronage de Saint Pierre, de bâtiments monastiques édifiés sans doute pauvrement avec la technique et le style de l'époque. Rien n'en ayant subsisté, pas plus à Senones qu'ailleurs en France, nous ne pouvons qu'y voir les lointaines prémices de cette vaste Abbaye qui, avec Dom Calmet, 63° successeur de Saint Gondelbert, connut sa splendeur au XVIII° siècle, et dont plusieurs ailes désaffectées sont encore debout.

Du séjour de Saint Gondelbert à Senones — environ un quart de siècle — du genre de vie qu'il y mena, rien de saillant à relever, car il serait fastidieux même de résumer les lieux communs, forts édifiants d'ailleurs, qui remplissent la Vie écrite par Richer.

Disons seulement que Saint Gondelbert rejoint cette catégorie de Saints que nous aurions tendance à mésestimer, peut-être même à juger sévèrement. Épris de perfection évangélique, ils ont quitté leur siège épiscopal ou leur ministère, plantant là leurs ouailles pour aller vivre plus près de Dieu dans la solitude et la pénitence. Beaucoup, toutefois, ont vu leur plan déjoué par leur sainteté même, en ce sens que des disciples n'ont pas tardé à venir les relancer dans la retraite et se mettre à leur école. Instruments dociles entre les mains de Dieu, ils ont accepté, en toute simplicité, de reprendre dans leur forêt la houlette pastorale, sous une autre forme, et de se dévouer encore aux âmes. « Que votre volonté soit faite, et non pas la mienne ». Voilà, semble-t-il, le trait de sainteté qu'il convient de retenir pour Saint Gondelbert. C'est en ce sens que nous voyons Saint Pierre Damien, l'ardent réformateur du clergé du XI° siècle, citer nommément le cas du fondateur de Senones dans le traité « de l'abdication de l'épiscopat ».

La mort de Saint Gondelbert pose une autre énigme pour les historiens. L'hypothèse la moins improbable — car Dom Calmet lui-même hésite à s'y rallier — est qu'il aurait expiré pendant un pèlerinage qu'il aimait faire à Moyenvic. Ermite et pèlerin ! Deux styles de vie qui, après tout, vont bien ensemble.

Au bourg de Moyenvic, situé sur la Seille naissante, au diocèse de Metz, on vénérait le tombeau de trois martyrs lorrains du VI° siècle ; Saint Agent, Saint Pient et Sainte Colombe. Signalons en passant que les deux derniers sont titulaires de deux églises vosgiennes ; Saint Pient pour Autigny-la-Tour et Housseras, Sainte Colombe pour Frébécourt et Provenchères-lès-Darney.
Saint Gondelbert fut-il inhumé près de ces martyrs, ou bien ramena-t-on sa dépouille à Senones ? Mystère ! En tout cas, on ne connaît aucune trace ou mention de son tombeau, et pas la moindre relique. Curieux destin d'un Saint qui devait marquer d'une forte empreinte tout un secteur de notre diocèse et dont la fin est aussi obscure que les débuts …

Ces incertitudes n'empêchent point son souvenir d'être demeuré vivant dans l'arrondissement de Saint-Dié. Nos ancêtres, moins exigeants que nous, ne subordonnaient ni leur dévotion aux Saints ni l'intervention bienveillante de ceux-ci au verdict de la critique historique.
Comme bien on pense, l'Abbaye de Senones fêtait solennellement Saint Gondelbert, son fondateur, sans renier pour autant le patronage de Saint Pierre donné au premier monastère. L'Abbaye disparue à la Révolution, la paroisse dédia à Saint Gondelbert la nouvelle église construite en 1860 sur les ruines de l'aile orientale.

A Bonne-Fontaine, près de la Grande-Fosse, existait jadis une chapelle Saint Gondelbert, que signale une pièce des Archives Départementales de 1487 (G. 573). Sous la chapelle, une fontaine alimentait un établissement de bains géré par le Chapitre de Saint-Dié, et dont les eaux, par l'intercession de notre Saint, guérissaient des rhumatismes et de la goutte. Une chronique de Senones du XVIII° siècle raconte que lors de travaux, on découvrit, sous un appentis voisin, « deux charrettes de vieilles crosses et de béquilles » laissées là en ex-voto. La chapelle ayant été détruite, le vocable fut transféré à l'église paroissiale de la Grande-Fosse, élevée en 1830. On y conserve, outre la statuette de confrérie, une bonne peinture sur bois du XVII° siècle, où Saint Gondelbert figure agenouillé aux pieds d'une Vierge aux douze étoiles.

La paroisse voisine de la Petite-Fosse possède également, au sud du village, une chapelle plus récente érigée en l'honneur de Saint Gondelbert, et qui, d'après un registre paroissial, totalisa en 1860 — voilà tout juste un siècle — huit cents personnes aux deux pèlerinages de l'Ascension et du Lundi de Pentecôte.

11/07 /11 Saint Eustaise (Témoins vosgiens)

Abbé

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Dans le nouveau Propre, ce Saint fait figure de revenant, en ce sens que s'y trouvant jadis il avait été supprimé comme n'ayant pas de relation suffisante avec le diocèse de Saint-Dié. Jugement sévère et d'ailleurs erroné, que la Congrégation des Rites a bien voulu réviser en nous restituant son office sous le rite simple.

Bien que Saint Eustaise, en effet, ne soit guère venu chez nous de son vivant, il est, aux yeux de l'Histoire, un de nos grands ancêtres dans la Foi. C'est à lui que les Vosges méridionales doivent d'avoir été évangélisées, dès le milieu du VIIe siècle, par l'intermédiaire de Saint Amé et de Saint Romary, dont il a personnellement suscité la vocation et l'installation au Saint-Mont.

Il a par ailleurs, plus heureux que tant d'autres Saints de l'époque mérovingienne, l'avantage de nous être connu de façon certaine historiquement. Car sa vie, comme celle de Saint Colomban et de ses disciples, a été écrite par le moine Jonas, son contemporain ; c'est là une documentation très précieuse, à laquelle se sont référés tous les historiens.

Eustaise naquit en Bourgogne vers 560 d'une famille de l'aristocratie lingone ; un de ses oncles sera le vingtième évêque de Langres, mentionné en 607. Sans doute dut-il à cette parenté, comme aux traditions chrétiennes de sa famille, le germe de sa vocation monastique. Celle-ci tarda toutefois à se préciser, car le jeune noble servit d'abord comme officier, épreuve qui alors, aussi bien qu'aujourd'hui, n'allait pas sans danger, mais qui fut pour lui salutaire, en attendant l'heure de la grâce. Celle-ci survint fortuitement, alors qu'il approchait de la trentaine.

Récemment débarqué d'Irlande sur les côtes bretonnes, Saint Colomban venait de gagner les confins de la Burgondie et de l'Austrasie. Après diverses migrations dans les collines des basses Vosges, à la recherche d'un site favorable à l'érection d'un monastère, Saint Colomban s'était fixé à Luxeuil.

Nous avons vu, en étudiant la vie de ce dernier, quel prodigieux entraîneur a été ce moine irlandais. Eustaise fut pris dans son sillage et, rendant son épée, entra comme novice à Luxeuil. L'Abbé ne tarda pas à discerner une précieuse recrue en cet homme dans la force de l'âge, intelligent et généreux, qui se prêtait sans peine aux exigences d'une règle étonnamment austère. Religieux exemplaire, Eustaise s'imposa d'emblée à l'estime de ses frères et à la confiance de son Supérieur : double réussite qui fait honneur à tout le monde !

C'est ainsi qu'au sortir du noviciat, il fut placé à la tête de l'école que Saint Colomban avait fondée auprès de l'Abbaye. Dans sa pensée, elle devait non seulement pourvoir de sujets de valeur le monastère naissant, mais constituer aussi un foyer de culture pour de futures élites au sein de la barbarie mérovingienne. Parcelles de levain qu'il jetterait dans la pâte, énorme et pesante comme il en fut rarement !

Sous la direction de cet écolâtre de talent, Luxeuil vit affluer les étudiants d'Autun, de Lyon, de Châlons-sur-Marne, de Bâle, de Strasbourg. Plusieurs y trouveront la vocation sacerdotale et accéderont de retour en leur pays, aux charges de l'épiscopat et à la sainteté. Saint Cognoald, évêque de Laon, Saint Achaire de Noyon, Saint Omer de Thérouanne, Saint Donat de Besançon furent tous élèves de Saint Eustaire. Si, dès la fin du siècle, Luxeuil apparaît comme un des premiers centres intellectuels de la Chrétienté, quatre ou cinq cents ans avant Cluny, avant l'Université de Paris, la gloire en revient pour une très large part à notre Saint.

Tandis que ce dernier était tout à son école, Saint Colomban poursuivait son apostolat dans les domaines les plus variés. C'est ainsi qu'il intervint à la cour de Thierry II, roi de Burgondie, petit-fils de la fameuse Brunehaut, où l'un et l'autre menaient une vie scandaleuse. Il n'est pas dans notre propos de raconter ici l'entrevue du château d'Epoisses où devait se jouer le sort de Saint Colomban. Pour se débarrasser de ce prêcheur importun. Brunehaut l'expulsa, manu militari, de son monastère, le jetant sur la route de l'exil qui le conduira en Italie pour le reste de ses jours. Objet d'une vengeance personnelle, Saint Colomban obtint toutefois que Luxeuil continuât sous la conduite de Saint Eustaise qu'il désigna pour lui succéder. Si attaché à son maître, le nouvel Abbé eût préféré cent fois le suivre en exil, comme tenta de le faire Saint Desle, nous l'avons vu. Mais il obéit avec une simplicité d'autant plus méritoire qu'il héritait là d'une succession terriblement lourde, le départ brutal de Saint Colomban risquant de compromettre la rude discipline que maintenait seul le prestige d'une éminente et redoutable sainteté.

Mais c'est ici précisément que Saint Eustaise donna la mesure de sa valeur surnaturelle et de ses qualités humaines. Le ressort longtemps bandé se détendit sans heurt, car le nouvel Abbé atténua avec beaucoup de doigté la rigueur colombaniste pour la rapprocher insensiblement de la règle bénédictine. L'abbaye de Luxeuil reprit donc se marche au point d'atteindre, sous ce second abbatiat, entre 610 et 629, l'effectif remarquable de 600 moines. Il aura la joie d'accueillir parmi eux Walbert, comte de Ponthieu, jeune officier, comme lui-même jadis, en attendant de lui succéder à la tête de l'Abbaye.

Comme il arrive pour les grandes âmes, la multiplicité des tâches parut décupler sa puissance de travail et ses aptitudes. Saint Eustaise, tout en menant de front son monastère et son école, va parcourir les routes de l'Occident, tour à tour missionnaire et ambassadeur, défenseur de l'orthodoxie, conseiller des princes et thaumaturge.

Défricheur comme Saint Colomban, il sort de son monastère pour prêcheur l'Évangile aux Warasques, peuplade semi-païenne installée sur la vallée du Doubs et dont Saint Ferréol et Saint Ferjeux avaient déjà, quatre siècles plus tôt, entrepris la conversion.

Passant ensuite la Trouée de Belfort et le Lac de Constance, il gagna le pays de Boïens, amorçant ainsi l'évangélisation de la Bavière, sur les vestiges de la civilisation romaine qu'y avaient apporté les légions, gardiennes du « limes » Rhin-Danube. L'ancien officier, appliquant ici des principes stratégiques, laissait dans le pays des commandos de moines, fondement des grands monastères qui sont encore la gloire de la Bavière chrétienne. Jonas nous a gardé le souvenir des démêlés épiques de Saint Eustaise avec les païens qui, vouant une haine farouche au briseur d'idoles, lui faisaient une guerre sournoise, semée d'embûches dont il se tirait habilement, parfois à coup de miracles.

A Luxeuil pourtant si prospère, une brebis galeuse vint à se fourvoyer. Agréstius, notaire à la cour de Thierry II, s'est fait admettre comme novice. Puis se disant inapte à la vie du cloître, il demanda à partir missionner en Bavière. Esprit bouillon, il tomba dans le schisme dit des Trois-Chapitres et dut comparaître en 626 devant le Concile de Mâcon présidé par l'archevêque de Lyon. Saint Eustaise assista, comme bien on pense, et tenta, mais en vain, de ramener le transfuge dans le droit chemin. Le test de sa plaidoirie, conservé par Jonas, révèle un lettré remarquable pour l'époque. Tour à tour paternelle et véhémente, elle est un modèle de style oratoire, avec son argumentation précise et ses traits d'éloquence.

Notre théologien fut plus heureux dans une autre querelle, plutôt liturgique, qui avait naguère mis aux prises Saint Colomban avec les évêques de Burgondie. Le farouche patriote avait en effet gardé pour Luxeuil et ses filiales la tradition irlandaise touchant la date de Pâques. Il s'ensuivait des divergences fâcheuses entre les paroisses et les monastères que l'on appelait les « quartodécimans », à cause du 14e jour de nisan, le point névralgique du débat. Ayant hérité de cette affaire épineuse, Saint Eustaise, pour le bien de la paix, décida officiellement que ses moines fêteraient désormais Pâques avec tout le monde. Certains lui ont reproché de faillir ainsi à une tradition respectable encore qu'étrangère ou d'afficher je ne sais quel patriotisme bourguignon, alors que par esprit de modération et souci d'apostolat, il avait eu le courage de réviser le point de vue de son Maître, sans le trahir pour autant.

Ce simple épisode révèle bien cet équilibre, cette sagesse lucide et ferme qu'on attend d'un conducteur d'hommes. Sous l'empire de la grâce, tout cela chez lui s'épanouissait en admirable charité, lorsque les hasards de sa vie itinérante le mettraient en contact avec les humains, les malheureux. Les fréquents miracles, rapportés par son biographe, en portent tous la marque. Nous n'en retiendrions que deux, identiques d'ailleurs, par lesquels il devait — mais le sut-il jamais — bien servir l'idéal monastique.

Passant chez des amis aux environs de Meaux, en allant à Paris, il rendit, d'un signe de croix, la vue à la jeune Fara, devenue subitement aveugle. Miracle qui décida de sa vocation, et c'est elle qui fondera en Brie le monastère d'Evoriac, demeuré célèbre depuis sous le nom de Faremoutiers. Quelques années plus tard, il renouvela ce geste en faveur de Sainte Salaberge, jeune austrasienne à qui l'on doit la fondation des monastères de Poulangy, près de Chaumont et de Saint-Jean-Baptiste de Laon.

Le prestige dont il jouissait partout lui valut d'intervenir souvent auprès des princes pour arbitrer leurs conflits et ramener la paix dans les campagnes perpétuellement ravagées. Il avait notamment gagné l'entière confiance de Clotaire II, devenu seul roi des Francs en 613, par la réunion de l'Austrasie et de la Burgondie. Le vainqueur voulut se montrer généreux en réparant les dommages causés à Luxeuil par Brunehaut. Mieux que cela, il entreprit de rappeler d'exil Saint Colomban pour le réinstaller dans sa première Abbaye. Pour cette délicate mission, il fit appel à Saint Eustaise qui prit la route d'Italie et s'en vint trouver Saint Colomban à Bobbio. L'entrevue relatée dans le détail par Jonas, fut émouvante, mais n'aboutit pas. Le vieux moine ne se sentait plus de taille à reprendre à Luxeuil la crosse que son disciple tenait si parfaitement.

En compensation de cet échec, Saint Eustaise allait faire providentiellement une recrue des plus précieuses pour nous. Repassant les Alpes en 614, il fit une escale à Saint Maurice d'Agaune, au pied du col du Grand-Saint-Bernard. L'abbé lui apprit que dans la montagne voisine vivait un solitaire, assez original, sorti de l'Abbaye. Saint Eustaise courut à l'ermitage et séduit par la sagesse de l'anachorète, il le décida sur le champ à le suivre à Luxeuil. N'ayant pas à revenir sur cet épisode, déjà rencontré, notons seulement que de Luxeuil, Saint Amé — car c'était lui — fut envoyé pour prêcher à la cour de Metz où il recruta Saint Romary, pour finalement fonder avec lui le monastère du Saint-Mont.

Au terme d'un Abbatiat de près de vingt ans, Saint Eustaise sentit venir sa fin. Il souffrit cruellement durant trente jours et mourut le 29 mars 629. Sa dépouille, honorée aussitôt comme un Corps Saint, fut inhumée derrière le maître-autel de l'église abbatiale.
La destinée de ses reliques s'apparente curieusement à la vie du moine grand voyageur et c'est de ce point de vue que son culte intéresse de plusieurs manières notre diocèse.

Peu après l'an mil et pour des raisons demeurées inconnues, les reliques furent transférées presque en entier à Vergaville en Lorraine, à 4 km de Dieuze. Un monastère de Bénédictines y avait été fondé en 966 par l'évêque de Metz, Thierry de Hamelant, tout comme il devait faire pour Epinal. Dédiée d'abord à Notre-Dame, l'Abbaye prit le nom de Saint-Eustaise après l'arrivée des reliques, provoquant aussitôt l'afflux des pèlerins. On y amenait spécialement les possédés et les fous. Dom Calmet signale la présence, au début du XIIIe siècle, d'un hôpital construit à cet effet auprès du monastère. La renommée du pèlerinage se soutint pendant des siècles, à travers les guerres particulièrement meurtrières sur ces Marches de Lorraine, en bordure de la fameuse route des Salines.

Il n'est pas sans intérêt de relever, dans la liste des Abbesses de Vergaville, les noms de quatre Vosgiennes se succédant, de 1577 à 1669, à la tête du monastère : Pernette de Lucy, de la Seigneurie de Belmont-sur-Vair, Claude de Thuillières, Claude, puis Dieudonnée de Lignéville. Cette dernière eut le mérite de sauver, à travers mille péripéties, la châsse de Saint Eustaise lors des années terribles de 1635 à 1637, au paroxysme de la guerre de Trente Ans. Pareil exploit sera réalisé sous la Révolution par une autre Lorraine, Marie-Jeanne de la Marche en Woëvre. Au commissaire venu réquisitionner toute l'orfèvrerie, elle répliqua : « Laissez-moi ces ossements dont vous n'avez que faire et contentez-vous du reste, le métal seul ayant pour vous de la valeur.»

Lorsque les moniales furent expulsées de l'Abbaye. Mme de la Marche emporta avec elle les précieux restes, pour les confier à un ami de la famille, l'abbé Labrosse curé de Suriauville. C'est ainsi qu'un petit village du canton de Bulgnéville fut détenteur des reliques de Saint Eustaise, jusqu'en 1803. Au retour de la paix religieuse, les Bénédictines de Vergaville se regroupèrent, toujours avec leurs reliques, à Saint-Dié, dans les dépendances du palais épiscopal, désaffecté depuis la Révolution. En 1824, sur les instances du fameux Léopold Baillard, curé de Flaviny-sur-Moselle, Madame de la Marche installa ses filles dans l'ancien Prieuré bénédictin du bourg. Expulsées à nouveau à la Séparation et après un séjour précaire à Cassine en Italie, les moniales vinrent se fixer chez nous, à Roville-aux-Chênes, près de Rambervillers, en 1921. La chronique précise que le wagon renfermant la précieuse châsse arriva d'Italie en gare de Roville, au jour même de la fête de Saint Eustaise, le 29 mars. Hélas ! Les religieuses, moins que quiconque, n'ont ici-bas de demeure permanente. Les nôtres ont quitté la Lorraine en 1936, pour aller s'établir au pays de Saint Vincent de Paul, à Poyanne, dans les Landes.

Il n'empêche que, pour nous avoir donné, avec Saint Amé et Saint Romary, les prémices de la Foi chrétienne dans un bon quart du diocèse, on a l'impression que Saint Eustaise s'est bien senti chez lui en notre diocèse, s'y promenant à l'aise, par ses reliques, de la Plaine à la Montagne.

Étant donné la personnalité et le rayonnement de ce grand moine des temps mérovingiens, il est surprenant de constater que dans toute la Lorraine, même au diocèse de Metz dont dépend Vergaville, aucune église paroissiale ne lui est consacrée. Une seule à Bouligney, à 15 km de Luxeuil, sauve l'honneur de la Franche-Comté.

Il s'ensuit que son iconographie est extrêmement pauvre et l'inventaire, qui d'ordinaire vient agréablement illustrer ici la vie de nos bons vieux Saints, sera vite fait pour Saint Eustaise. On n'en connaît pas de statue chez eux. Par contre il apparaît tout au long des siècles sur le sceau abbatial de Vergaville. Ravissantes figurines de cire rouge ou verte, qui le représentent, crosse en mains, aux prises avec un malheureux possédé, se démenant dans une sorte de cuve et de la bouche duquel s'échappent des diablotins ailés.

Plus reposant est ce médaillon de la verrière centrale au chœur de Luxeuil. C'est la scène du premier miracle que nous avons relaté et qui nous a valu la Grande Abbesse de Faremoutiers. Le maître verrier de 1865 s'est visiblement inspiré des magnifiques vitraux de la Sainte Chapelle qu'il venait de restaurer à Paris. Chacun des quarante Saints, issus de l'Abbaye de Luxeuil, n'ayant droit dans ces verrières qu'à un seul médaillon, l'idée est heureuse d'avoir retenu, pour résumer une vie aussi dense que celle de Saint Eustaise, ce trait de bonté compatissante qui le dépeint si bien.

11/07 /11 Saint Goëry (Témoins vosgiens)

Évêque

Dans le nouveau Propre diocésain, ce Saint fait figure de sympathique revenant. A la date qu’on lui a d’ailleurs restituée, le 19 septembre, Saint Goëry avait figuré jusqu’en 1915 au Missel et au Bréviaire. C’est à juste titre qu’on l’accueille à nouveau, car si St Goëry intéresse spécialement Epinal, comme nous le verrons dans la seconde partie de cet article, son rayonnement, durant le Moyen Age, s’est étendu au diocèse tout entier, voire même aux provinces voisines.

Comme pour la plupart des Saints de l’époque mérovingienne, nous n’avons pas de sources historiquement sûres. La première Vie de Saint Goëry, écrite près de quatre siècles après sa mort, est jugée sans valeur par Monseigneur Duchesne.
Nous en retiendrons pourtant quelques traits, d’ailleurs vraisemblables, qui expliquent certains détails de son iconographie.

Saint Goëry ou Goëric, appelé aussi Abbon dans les listes épiscopales de Metz, serait né en Aquitaine dans la seconde moitié du VIe siècle.
De famille illustre, il aurait suivi d’abord la carrière des armes où il se distingua par sa valeur et sa piété. Ce qui lui valut de succéder à la charge de vice-roi d’Aquitaine, qu’il remplit dans les années de sa maturité.

Une cécité accidentelle devait servir les vues de la Providence et fixer sa destinée. Pour des raisons que n’explique pas la légende, Saint Goëry vint à Metz implorer Saint Etienne. Notons d’ailleurs qu’il était par son père, apparenté à Saint Arnould, alors évêque de Metz. Miraculeusement guéri, il mit à profit sa fortune pour ériger en ex-voto une église en l’honneur de Saint Pierre, Saint Etienne étant déjà le titulaire de la cathédrale. Cette église par la suite devint collégiale sous le joli nom de Saint-Pierre-aux-Images et subsista jusqu’en 1755.

Édifié de la piété de son jeune parent, Saint Arnould qui jouissait d’un grand prestige à la cour d’Austrasie lui fit confier un poste dans le gouvernement de ce royaume. Jusqu’au jour où se sentant fatigué et désireux de finir ses jours dans la solitude auprès de son ami Saint Romaric, le vieil évêque choisit son pupille pour successeur.

Accepté d’enthousiasme par le clergé et par le peuple, Saint Goëry fut donc consacré évêque de Metz en 629. Administrateur intelligent du fait de ses services antérieurs, il se garda très humble sous la mitre, déployant un zèle débordant au service de ses ouailles. Les pauvres, les vieillards, les orphelins furent les premiers bénéficiaires de sa charité.

Cependant il demeurait le pontife grand seigneur, passionné pour la gloire de Dieu, pour le culte chrétien. De nombreuses églises furent édifiées ou enrichies par sa munificence. A cet égard, il ouvre vraiment la voie de ses successeurs des VIIIe et IXe siècles, aux Chrodegang, aux Drogon, par qui la Renaissance carolingienne connut à Metz un tel éclat dans le domaine musical et liturgique.

Pour avoir été à l’école de Saint Arnould, il ressentit lui aussi le goût de la solitude, aimant à visiter son maître au Saint-Mont, s’arrêtant parfois en cours de route comme pour une retraite, dans une boucle de la Moselle ou au fond de quelque vallon affluent.

Il n’abandonna pas toutefois sa bonne ville de Metz jusqu’à sa mort survenue le 19 septembre 643. Pour rendre son âme à Dieu, il avait tenu dans un geste d’humilité que nous retrouverons chez Saint Louis, à se faire étendre sur un lit de cendres. Il fut inhumé hors des remparts au monastère de Saint-Symphorien, dans la chapelle des Saints-Innocents, qui devint aussitôt un centre de pèlerinage où se retrouvaient ses amis, les déshérités de ce monde, assurés que la sainteté de leur bienfaiteur allait se manifester mieux encore à son tombeau que pendant sa vie.

S’il y a une part de légende dans ce que nous venons de rapporter, l’histoire du culte de Saint Goëry est attestée par de nombreux documents à Metz et surtout à Epinal dont il est devenu, par un curieux hasard, le patron séculaire.

On sait que les évêques de Metz, tout-puissant au royaume d’Austrasie, avaient reçu ou acquis des possessions dans le bassin de la Moselle en direction des Vosges. L’un de ces évêques, Thierry de Hamelant (965-984) parcourant un jour ses domaines, s’arrêta au pied du château de Spinal, solide bastion dominant la Moselle sur l’antique voie romaine. Trouvant le site favorable, il s’avisa d’y fonder un monastère de Bénédictines et une église dédiée à Saint Maurice. Telle fut, une vingtaine d’années avant l’an mil, la naissance d’Epinal.

En gage de prédilection pour sa jeune cité, Thierry décida d’y transférer en entier le corps de Saint Goëry, hormis le chef, laissé à Saint-Symphorien. On vit donc, à trois siècles de distance, se dérouler au long de la Moselle les deux mêmes cortèges solennels, en sens inverse. Saint Goëry de son vivant était venu à Remiremont chercher, pour le ramener à Metz, le corps de Saint Arnould, inhumé au Saint-Mont ; et voilà que ses reliques remontaient aujourd’hui la Moselle.

La foi et la ferveur des Spinaliens d’alors prirent d’instinct le relais des pèlerins de Metz. D’autant qu’une épidémie terrible venait de se déclarer, qui allait, pendant des siècles, désoler périodiquement la Lorraine et toutes les provinces d’alentour. Il s’agit du feu sacré ou mal des ardents qui défraie tant de chroniques et que celle d’Hirsauge, en 1089, décrit en ces termes : « Les gens que ce mal dévorait à l’intérieur tombaient en corruption, les membres rongés et noircis comme des charbons. Ou bien les pieds et les mains putréfiés, les nerfs contractés, hideux et difformes, ils traînaient une vie misérable dans les luttes d’une longue agonie ».

Du coup on vit dans ces reliques de Saint Goëry providentiellement arrivées, un remède efficace contre ce mal inexorable. Notons que ce dernier fut si répandu que, Saint Goëry se trouvant débordé, on vit plus tard Saint Antoine venir à la rescousse ! De là tant de chapelles et de statues de Saint-Antoine-aux-Ardents, représenté avec des flammes aux pieds. Nous en connaissons une douzaine dans les Vosges, datant du XIVe et XVe siècles ; Epinal lui-même eut la sienne sur le Chemin des Princes.

Il n’empêche que la châsse de Saint Goëry attira, durant tout le Moyen Age, des foules de malades et qu’Epinal apparut comme un des pèlerinages curatifs les plus célèbres de Lorraine. Ce fut au point que vers le milieu du XIe siècle force fut de remplacer l’église de Thierry par une nouvelle, plus vaste, celle que le Pape Saint Léon IX est venu lui-même consacrer solennellement en 1050. Devant l’afflux des malades on construisit de même un hôpital destiné, comme aujourd’hui l’Hospitalité de Lourdes, aux malheureux étrangers venus prier Saint Goëry. Les Spinaliens, eux, étaient soignés à l’Hôpital Saint-Lazare, à l’emplacement du Musée actuel. Bien des siècles plus tard, nous voyons l’Abbesse du Chapitre lancer un appel « en faveur des pauvres malades qui arrivent tous les jours à notre hôpital, fondé en l’honneur de Monsieur Goëry » et promettre que « les donateurs auront part aux mérites d’un psautier et des trois messes qui se célèbrent tous les jours en notre église dudit Epinal » (Lettre de Madame Adeline de Menoux, Abbesse, du 15 novembre 1485, conservée à la Bibliothèque d’Epinal).

Si l’on constate une extension rapide de la jeune cité et l’implantation d’un marché très fréquenté, les historiens reconnaissent que leur influence dérivait tout entière du pèlerinage de Saint Goëry. Déjà bénéficiaire de ses faveurs sur le plan matériel, les Spinaliens n’ont cessé, au cours des siècles, de lui vouer une dévotion fervente et enthousiaste, rejoignant ici celle des Dames, avec lesquelles pourtant ils se disputaient bien parfois pour des questions de Temporel !

Le Chapitre des Chanoinesses de Saint Goëry d’Epinal s’était substitué, vers le XIIIe siècle, au monastère bénédictin, dans des conditions analogues à celles de Remiremont. Si l’on a pu regretter cette curieuse décadence de l’esprit monastique, il reste que ces dames ont toujours été fières de se dire filles de Saint Goëry et ce jusque devant les révolutionnaires de 1789. Pendant cinq cents ans elles lui ont gardé un culte fidèle et somptueux. Outre sa fête du 19 septembre qui se célébrait avec faste au chœur de leur grande église, aménagé spécialement au XIVe siècle, elles solennisaient, chaque année le 21 juin, la translation de ses reliques avec le concours de tous les habitants. Le cartulaire du Chapitre conserve le texte de huit brefs d’indulgences accordées par les papes au pèlerinage d’Epinal.

Le corps de l’illustre évêque était le plus riche trésor de la cité et comme la personnification de la ville qui avait grandi autour de son tombeau. C’est en toute occasion, dans la joie comme dans l’épreuve, que l’on promenait triomphalement la châsse à travers les rues ou sur les remparts, et les quatre lieutenants-gouverneurs se réservaient l’honneur de la porter sur leurs épaules. A maintes pages du Rituel capitulaire et des annales de la cité on retrouve le souvenir de ces grandioses manifestations de foi envers le saint protecteur. C’est sur le magnifique Évangéliaire de Saint Goëry que princes, abbesses, gouverneurs et bourgeois prêtaient serment dans les grandes circonstances.

On retrouve en contrepartie au long des siècles des preuves évidentes de la sollicitude du Patron pour sa ville. La plus célèbre est restée celle de 1465... Lors d’une attaque contre Epinal, pendant les guerres du Téméraire, un boulet creva le vitrail du chœur et tomba dans l’église au cours d’un office « sans personne blesser ».

Pour estimer le prix que les gens d’Epinal attachaient aux reliques du Saint, citons l’exploit de la corporation des bouchers. Des brigands s’étant introduits dans l’église lors d’une opération à travers la ville, les bouchers, indifférents au pillage de leurs boutiques, se mirent avec leurs chiens, à la poursuite des fuyards emportant la châsse dorée. Ils les rejoignirent sur la route de Nancy et, après une sanglante échauffourée, parvinrent à récupérer leur trésor. Depuis lors Saint Goëry devint le patron de la corporation des bouchers.

Lorsqu’en 1791 parurent les décrets confisquant toute l’orfèvrerie des églises, la municipalité d’Epinal, contrainte de s’exécuter, revendiqua fièrement, par délibération du 6 mai, la possession des reliques et les transféra dans une châsse de bois doré. Ainsi Goëry, après avoir acquitté, lui aussi, son tribut envers la Patrie put continuer son rôle séculaire en recevant l’hommage des bonnes gens d’Epinal.

Il fallut bien toutefois « camoufler » le pauvre Saint pendant la terreur. Le retour de la paix religieuse le tira bientôt de sa cachette et ce fut l’occasion, le 11 novembre 1803, d’une reconnaissance canonique des précieux restes, que l'on replaça dans la châsse. C'est un grand coffre de bois doré, de bon style Louis XVI, « Fai par F. Beurton, l’an 1791 », comme le précise une inscription découverte l’an dernier. On la conserve aujourd’hui à l’autel des reliques dans l’ancienne chapelle des Saint-Innocents. Outre qu’il y a là un rappel fortuit de la première sépulture du Saint à Metz, la présence de ces reliques auprès des fonts baptismaux donne un symbolisme particulier aux rites du Baptême, puisque les petits Spinaliens de la paroisse naissent à la vie de la grâce sous l’égide du Patron de la ville.

En raison de sa taille, la châsse n'étant pas transportable, on se pourvut par la suite d'une autre plus légère, néo-gothique, en cuivre doré, que l'on porte chaque année en procession.
Tout ce que nous venons de dire du culte exceptionnel rendu à Saint Goëry donne une idée des richesses que Chapitre, pèlerins et fidèles avaient accumulées dans son église au cours des siècles et dont on trouve la mention ou la description aux archives. Le vandalisme révolutionnaire, hélas ! a tout dilapidé. Outre les reliques, il n'en subsiste plus que deux pièces, d'ailleurs fort intéressantes et curieusement complémentaires.

A hauteur de la table de communion, sur la droite, c'est la statue du Saint ; œuvre en pierre du XVIe siècle, délicatement sculptée, qui le représente en évêque mitre en tête, la couronne des rois d'Aquitaine reposant à ses pieds sur un coussin.

Saint Goëry apparaît dans une toute autre tenue sur le charmant tableau appendu au-dessus de la châsse et récemment classé Monument Historique. Il est ici revêtu de la cuirasse, avec le grand manteau et la couronne royale. Ce qui ne l'empêche pas de tenir avec aisance la crosse et la mitre sur le bras gauche. A ses côtés se tiennent deux chanoinesses, ses deux filles spirituelles, Sainte Précie et Sainte Victorine représentées sous les traits de l'Abbesse donatrice du tableau, Anne-Elisabeth de Ludres (1679-1728) et de la Doyenne Catherine d'Argenteuil.

Il semble bien, qu'en commandant ce tableau, Mme de Ludres s'est référée aux armes du Chapitre, où l'on voit traditionnellement Saint Goëry « en chevalier nimbé d'or, sur fond d'azur, à la bordure de gueules ».

Retenons aussi, dans cette iconographie bien maigre, le souvenir du vitrail réalisé en ex-voto, à la fin du XVe siècle, au haut de la fameuse verrière, sur la trajectoire même du projectile. Lors d'une visite à Epinal, Dom Calmet nous en a donné une description précise : St Goëry arrêtant de la main le boulet meurtrier. Ce vitrail a fort malencontreusement disparu, lors de la rénovation des vitraux du chœur en 1846. Du moins s'en est-on inspiré pour y représenter le Saint protecteur dans une attitude approchante. Comble de malchance ! Sous le bombardement américain du 11 mai 1944, Saint Goëry dans son vitrail eut la tête emportée, mais stoïque il ne lâcha pas son boulet. Il mérite donc doublement aujourd'hui de figurer avec cet attribut dans les armoiries de la Basilique, aux côtés de Saint Maurice, comme il se doit.

Même sur le plan profane et civique, on voit Saint Goëry intervenir souvent dans l'histoire de la Cité. Ainsi on lui avait dédié — et la dénomination a résisté à tous les bouleversements — une place et une rue. Il avait aussi sa fontaine, la plus abondante de la ville et la plus précieuse en cas de siège. Elle sourd de la roche, près de l'ancienne Porte, dite de la Fontaine Saint-Goëry, et alimente aujourd'hui un lavoir. En 1614 Claude Bassot y avait peint l'effigie du Patron et des Saintes Précie et Victorine.

Hormis le Chapitre et la Ville d'Epinal, dont il a été de tous les temps le Patron, aucune église du diocèse de Saint-Dié ou de Metz ne lui est dédiée. On croirait une « exclusivité » jalouse s'il n'y avait une exception ; Houdemont, petite paroisse des environs de Nancy, située précisément en bordure de la route suivie jadis par Saint Goëry et par ses reliques.

Par contre sept lieux-dits des Vosges rappellent, sous des noms divers, son souvenir. Il s'agit de localités qui toutes appartenaient au Chapitre. Les deux noms les plus typiques, selon le Pouillé de Toul, sont Girecourt-sur-Durbion (Gœrici curtis) et Girmont ( Gœrici mons).

Epinal s'honore donc grandement d'avoir été seul à vouer à Saint Goëry un culte solennel de gratitude et de respect, et ce durant près de mille ans. C'est pourquoi la Congrégation des Rites a volontiers réintroduit son office au Propre du Diocèse, d'autant plus que, avec ses quatre célestes compagnons qui y figurent déjà, Saint Goëry est invoqué chaque dimanche au prône de toutes les paroisses. Dommage seulement qu'on ne nous ait point rendu le texte du bel office qu'avaient chanté, des siècles, les Dames de l'Insigne Chapitre, au chœur de la Basilique !

11/07 /11 Saint Arnould (Témoins vosgiens)

Evêque

Une fois de plus, il faut nous reporter à l'ère mérovingienne pour situer la vie de cette attachante figure de vieux Saint lorrain. Tour à tour officier, homme d'État, évêque, puis ermite, il trouva en Lorraine le cadre de sa vie entière, de même que sa sainteté, avenante et toute simple, fut la dominante d'une existence aux aspects les plus divers.

Saint Arnould naquit vers 582 d'une famille de la noblesse franque, qui possédait une villa à Lay-Saint-Christophe, pittoresque bourg à une lieue au nord de Nancy. On montrait encore, au XVIIIe siècle, une chapelle érigée sur le lieu de sa naissance au château de « Layum » et que fréquentait Dom Calmet, alors qu'il était prieur des Bénédictins de Lay.

Saint Arnould a, sur la foule des Saints de cette époque lointaine, l'avantage de nous être connu par le récit d'un moine contemporain, biographe anonyme qui, à travers mille épisodes légendaires, le situe valablement dans un cadre historique.

L'enfance du jeune Arnould s'écoula dans l'atmosphère d'un foyer profondément chrétien et un précepteur initia aux diverses branches du savoir ce garçon intelligent et fin, doué d'une mémoire remarquable. Parallèlement la grâce, sous l'influence de sa mère, Ode de Souabe, développait en son âme l'esprit de foi et cette charité qui sera la trame de sa vie à tous les stades.

Son père, descendant des comtes de Soissons, le fit entrer à la cour d'Austrasie à Metz, pour l'initier à la carrière diplomatique et au métier des armes. Rude école où s'affirmèrent la sagesse et la bravoure du jeune homme, bientôt promu intendant du palais de Théodebert II, puis gouverneur de six provinces d'Austrasie.

C'est le temps où il se lia d'amitié avec un autre gentilhomme du nom de Romaric, tous deux s'aidant mutuellement à concilier, dans un milieu encore barbare, les exigences de la vie du monde avec celles d'un christianisme jeune et vigoureux. A cet égard, on rapporte qu'ils éprouvaient parfois comme un besoin de solitude, au sein d'une fête étourdissante ou d'une partie de chasse.

Mais l'heure n'était pas encore venue, et sur les instances de ses parents et de ses amis, Arnould épousa une jeune noble qui s'appelait Doda, nom bizarre et apparemment sans intérêt, qui pourtant aura sa résonance jusqu'à nos jours dans la banlieue d'Epinal. Le Seigneur leur envoya deux fils, Anségise et Chlodulphe, qui héritèrent, le premier surtout des traditions de charité en honneur au foyer familial. C'est ainsi qu'à la suggestion de son père, l'aîné à sa majorité abandonna en faveur des pauvres la plus grande partie de son patrimoine. Dans sa Vie de Saint Arnould, Paul Diacre, historien lombard du VIIIe siècle, rapporte ce fait dans une perspective biblique, observant que Dieu, pour ce geste, se plut à bénir Anségise dans sa postérité. Celle-ci devait en effet supplanter la race abâtardie des Mérovingiens, puisque Anségise se trouve être, par Pépin d'Héristal, Charles-Martel et Pépin le Bref, le quadrisaïeul de Charlemagne. Dans le rôle joué à travers tant d'ombres par le grand Empereur, pour le profit de l'Eglise et de la France, ne peut-on pas voir l'héritage de son ancêtre Saint Arnould ? Toujours est-il que Lay-Saint-Christophe, petite village de la banlieue de Nancy, revendique à juste titre l'honneur d'avoir été le berceau de la dynastie carolingienne.

Saint Arnould, devenu un personnage de premier plan, jouissait par surcroît d'un prestige de sainteté tel qu'à la mort de l'évêque de Metz, Saint Pappolus, clergé et fidèles portèrent leurs suffrages sur lui, alors qu'il venait de passer la trentaine. Un tel choix peut nous surprendre aujourd'hui, mais l' Eglise s'est toujours adaptée aux mœurs des époques successives et les élections de ce genre étaient fréquentes alors. Saint Arnould étant de notoriété le plus saint personnage et le plus aimé du diocèse, son état de mariage même ne pouvait y faire obstacle. D'autant que sa digne épouse, vivant déjà comme une religieuse dans le monde ne demanda qu'à se retirer dans un monastère de Trèves, où elle alla finir ses jours.

Le roi Théodebert II ratifia l'élection du nouvel évêque à la seule condition que celui-ci conservât ses anciennes fonctions temporelles. Saint Arnould, en toute simplicité, se prêta à ces exigences, y trouvant une occasion providentielle de poursuivre avec plus de succès le rôle social de bienfaisance qui lui tenait à cœur. On vit dès lors le jeune évêque secourir mieux que jamais les veuves, les pauvres et les orphelins. Il put disposer en leur faveur des finances publiques, orienter la charité des leudes, ses pairs dans la Cité. Il s'appliqua à doter très richement églises et monastères d'Austrasie, à Verdun notamment, à Trèves et à Cologne.

Pasteur d'âmes avant tout, Saint Arnould fait, de 614 à 629, figure de grand évêque dans la liste épiscopale de Metz. Sans doute sommes-nous assez mal renseignés — les « Semaines Religieuses » n'existant pas encore — sur les activités pastorales de ces quinze années. Ce que les biographes ont surtout retenu, c'est son ministère de charité, ses miracles en faveur des possédés et des lépreux qu'il soignait de ses propres mains.

Entre-temps le roi lui avait confié l'éducation de son fils, le célèbre Dagobert. Saint Arnould apporta tous ses soins à former ce jeune barbare intelligent et, si toutes les leçons du maître n'ont certes pas porté, il reste que Dagobert doit à Saint Arnould d'être considéré dans l'Histoire comme le Salomon des Francs. D'ailleurs il s'intéressa comme son maître aux fondations monastiques et sera le créateur de l'Abbaye royale de Saint-Denis, où l'on peut encore voir son tombeau, érigé au XIIIe siècle et sauvé de la Révolution.

Soucieux de maintenir la foi et la piété de ses ouailles, l'Evêque de Metz joua un rôle déterminant au concile de Reims en 625, signant même le premier, à la demande des archevêques, les décisions prises en assemblée.

Citons encore, au compte de sa pastorale, la conversion de Burtulphe. Ce jeune noble austrasien de famille païenne, qu'il avait sans doute connu jadis comme gouverneur, se laissa gagner par l'exemple et l'éloquence de l'évêque. Bientôt baptisé, il entra dans les ordres et mourut deuxième abbé de Bobbio, successeur de Saint Colomban.

Mais à ce train de vie, Saint Arnould s'effarouchait, dans son humilité, d'un prestige croissant et d'une sainteté qui rayonnait, pour ainsi dire à son insu. Pour tenter d'y échapper, on le voyait quitter parfois sa ville épiscopale pour une détente, une retraite fermée, dirions-nous, dans une villa des environs d'Epinal, propriété de sa femme et qui, appelée Dodiniaca villa, est devenue Dogneville.

Cette recherche de la solitude, qui avait déjà hanté sa jeunesse, le reprit d'autant plus que Romaric venait, à l'instigation de Saint Amé, de quitter la cour de Metz pour se retirer chez nous au Saint-Mont. Ce qu'un grand d'Austrasie, son diocésain, venait de réaliser, pourquoi lui, évêque, ne le ferait-il pas ?

En dépit des protestations alarmées de tous les fidèles, Saint Arnould résolut en 629 de se démettre de sa charge. Il distribua tous ses biens aux pauvres et, en guise d'adieux, il éteignit d'un signe de croix un violent incendie qui dévorait le palais en plein cœur de la ville. Cet ultime miracle est demeuré célèbre et il n'en fallut pas moins pour fléchir Dagobert, jusqu'alors farouchement opposé à ce départ.

C'est donc sous les sapins des Vosges que nous rejoignons Saint Arnould pour la dernière tranche de sa vie. Malgré l'attrait que présentait pour lui l'amitié de Saint Romaric, récemment installé au Saint-Mont, il préféra gagner le sommet de la montagne voisine du Fossard, à un endroit figurant encore sur nos cartes sous le nom de « Mort-homme ».

Toutefois, pour rendre service à son ami, il consentit à se faire le « maître des novices » de deux jeunes moines, Saint Germain de Grandval, dont nous étudierons la vie et Saint Adelphe, le futur abbé du Saint-Mont, successeur de Saint Romaric. Le pieux ermite, qui avait fui le monde et son diocèse même, continua pourtant à s'intéresser aux lépreux, qui, attirés, par son don des miracles, le relançaient par les sentiers escarpés de la montagne. Pour eux, il ouvrit, près de son ermitage, une léproserie, considérée comme le berceau de la célèbre maladrerie qui s'établit à la Madeleine de Remiremont, lorsque le monastère du Saint-Mont essaima dans la vallée.

Il y avait plus de dix ans déjà que Saint Arnould vivait ainsi dans une solitude relative, lorsqu'il sentit ses forces décliner. On vit alors Saint Romaric repasser plus souvent le fameux Pont des Fées, toujours debout, qui enjambait la gorge séparant le Saint-Mont du Mort-homme. Le vieil anachorète avait besoin du réconfort de son ami pour paraître devant le Souverain Juge, attendu, disait-il, « qu'il n'avait rien fait de bon en ce monde ». C'est dans ces étonnantes dispositions d'humilité que Saint Arnould rendit son âme à Dieu, le 16 août 640.

Sa dépouille fut ramenée au Saint-Mont et inhumée à l'entrée de l'église abbatiale. La nouvelle de sa mort ne tarda pas à provoquer à Metz une campagne de revendications, qui décida son successeur Saint Goëry à venir à Remiremont chercher le corps du saint Evêque, en juillet 641. Tout au long de la voie romaine de Bâle à Metz, le long cortège descendit la Moselle jusqu'à la cité messine qui l'accueillit en triomphe. Les « Trois Evêchés » lorrains étaient déjà là, puisque les évêques de Toul et de Verdun avaient accompagné Saint Goëry. Le corps fut déposé en une châsse dans la basilique des Saints Apôtres, située hors les murs, à l'emplacement de la gare actuelle. Sous la floraison de nombreux miracles, elle ne tarda pas à changer de nom et Saint Léon IX devait en 1049 y consacrer une nouvelle église. Tous les princes de la Maison de France, Carolingiens ou Capétiens, tinrent à honneur de doter richement, au cours des siècles, le tombeau de leur aïeul, à l'abbaye bénédictine, la plus renommée de la ville, jusqu'au jour où elle fut détruite de fond en comble, pendant le siège de Charles-Quint en 1522. On avait réussi toutefois à transférer à temps la châsse à l'abri des remparts, chez les Dominicains, mais elle ne put, hélas ! échapper au vandalisme révolutionnaire.

La cathédrale de Metz ne conserve plus qu'un fragment du chef de Saint Arnould et son anneau, à la fois matrimonial et pastoral, sauvé par la piété d'un officier de la Monnaie de Metz en 1793. L'intérêt de ce bijou tient à une jolie légende, qu'il nous plaît de rapporter, car elle fournit le thème iconographique si cher aux imagiers. Paul Diacre l'a d'ailleurs recueillie de la bouche même de Charlemagne. Alors qu'Arnould était encore gouverneur, passant un jour sur le pont, il jeta, dans un geste de dépouillement — ce ne pouvait être avec une arrière-pensée de divorce — son anneau d'or à la Moselle. Le dit anneau fut retrouvé par la suite dans le corps d'un poisson que préparait le cuisinier de l'évêché. Tout heureux le Saint en fit son anneau pastoral, le Seigneur semblant reconnaître, par ce miracle, ses nouvelles épousailles avec l' Eglise de Metz.

Le culte de Saint Arnould est demeuré fort en honneur à Metz : il est le patron de ville, avec sa pittoresque rue Sous-Saint-Arnould dans les vieux quartiers ; dans le diocèse, il est titulaire des églises d'Arry, sur la Moselle en amont et de Silly-sur-Nied à l'est de Metz.

Chez nous, aucune paroisse ne lui est dédiée, mais deux chapelles existaient en son honneur : celle du « Mort-homme », mentionnée par Dom Calmet qui y venait en pèlerin, et celle de Dogneville, dans l'ancienne église, démolie pour faire place à l'actuelle édifiée en 1873, et de nouveau détruite à la dernière guerre.

Le nom de Saint Arnould s'attache encore à quelques lieux-dits de Deyvillers, Saint-Amé et Saint-Etienne, par référence évidente à Dogneville et au Saint-Mont.

Le Chapitre noble de Remiremont, fidèle au souvenir de son berceau, avait deux fêtes de Saint Arnould : le16 août, date de sa mort et le 18 juillet, anniversaire de la translation. C'est encore par dévotion pour son ancêtre que Charlemagne aurait visité Remiremont, occasion par ailleurs de chasser l'auroch dans le massif du Fossard. Jusqu'à la Révolution, les Dames se sont également honorées d'avoir reçu de l'Empereur des cheveux de la Sainte Vierge, à lui remis par le Pape Adrien en 774 et que l'on conservait dans un reliquaire en cristal appendu au buste de Notre-Dame du Trésor.

Signalons, pour finir, que Saint Arnould est le patron traditionnel des brasseurs lorrains. Cela se réfère au miracle de la bière, survenu pendant le transfert de ses reliques. Le biographe rapporte en effet que, lors d'une halte, la provision de cervoise se trouva épuisée : « Il n'y avait plus qu'un reste au fond d'un vase. Ni vivres, ni rafraîchissements pour restaurer une si grande multitude. » Le duc Nothon, chef du cortège, adjura Monsieur Saint Arnould de pourvoir à la subsistance de son monde. Et la petite provision de cervoise de se multiplier miraculeusement. On parvient sans peine à désaltérer tout le monde, et ce soir-là et le lendemain. Or on était au mois de juillet. Le lieu du miracle est bien moins précisé ; on sait seulement que c'était dans le Chaumontois, vaste « pagus » de la cité des Leuques, embrassant, jusqu'à leur confluent, les deux vallées de la Moselle à partir de Remiremont et de la Meurthe en aval de Saint-Dié.

C'est encore aujourd'hui par excellence le pays des brasseries. A cet égard, la crypte de Remiremont conserve une statue du XVIe siècle qui, en dépit de graves mutilations, fait songer à Saint Arnould. Il esquisse de la droite un geste de bénédiction ; à ses pieds, un tonnelet, analogue à ceux qu'utilisent encore les brasseurs. On peut voir à Xertigny, en matière d'iconographie, un vitrail en son honneur exécuté en 1953, où il apparaît entouré de petites scènes évoquant la fabrication de la bière à travers les âges. En plein cœur du Chaumontois, et toujours sous le même patronage, la moderne statue de Saint Arnould par Lambert-Rucki, érigée en bordure de la Route nationale dans la traversée de Charmes, accueille de sa main bénissant voyageurs et touristes passant par la Lorraine.

11/07 /11 Sainte Sabine (Témoins vosgiens)
Sainte du Saint-Mont

Les Saintes Femmes, précédemment évoquées sous cette rubrique, se rattachaient aux origines du Saint-Mont. Prémices de sainteté, en ce coin prédestiné de nos Vosges, elles vécurent toutes dans le cadre d'un seul siècle, le VIIe . Avec Sainte Salaberge, la série se trouvait pratiquement close.
Toutefois il convient, semble-t-il, d'agréger à ce groupe si attachant Sainte Sabine, la seule qui porterait la palme du martyre.

Mais elle constitue, à vrai dire, un personnage mystérieux, d'autant plus surprenant que, postérieure de trois siècles. Sainte Sabine aurait eu plus de chance que ses compagnes de retenir l'attention des chroniqueurs du temps.
Or, on ne trouve pas la moindre trace, ni de sa vie, ni de son martyre, dans l'abondante littérature que nous avons parcourue. Tous les personnages que nous en avons jusqu'alors dégagés sont réellement historiques ; même les plus défavorisés présentent les traits essentiels d'une personnalité.

Il n'en va pas de même pour Sainte Sabine. Son nom n'apparaît dans aucun texte ancien, dans aucun Martyrologe, pourtant si hospitalier parfois, où par définition elle eut pu trouver place.
C'est uniquement à la légende qu'il faut nous référer pour justifier le culte, étroitement localisé, mais très fidèle, qu'on lui voue de nos jours encore.

Suivant cette légende donc, Sainte Sabine aurait péri lors de l'invasion des Hongrois. On sait, de source certaine qu'en 917 les Religieuses, installées depuis plus d'un siècle à Remiremont, furent contraintes de se réfugier au Saint-Mont pour échapper à ces barbares, émules des Huns avec lesquels on les confond parfois. Ils ravageaient alors la Lorraine et assiégèrent le bourg naissant de Remiremont, encore dépourvu de remparts. C'est au court de cette fuite précipitée qu'aurait eu lieu le martyre. Jeune novice, elle se serait égarée du convoi, poursuivie par les Hongrois qui l'auraient massacrée à l'orée de la forêt du Fossard. Rappelons à ce propos que, lors d'un pèlerinage diocésain au Saint-Mont, ces dernières années, on vit un Hongrois sortir de la foule et se présenter à Mgr Brault, qui présidait la cérémonie. Ce pèlerin insolite était venu, geste admirable de foi et de fierté, en expiation des crimes commis par ses ancêtres, voilà plus de mille ans ! Simple trait de légende dorée, qui, sans rien apporter au dossier de l'Histoire, venait confirmer une longue tradition.

C'est sur des bases à la vérité bien fragiles, qu'un culte avait jadis pris naissance en l'honneur de cette martyre supposée. La piété populaire, au Moyen Age jusqu'à nos jours mêmes, n'a jamais été, en ce domaine, soucieuse de garanties historiques.
Une chapelle, érigée sur le lieu du martyre, devint aussitôt centre d'un pèlerinage actif. A quelle date ? On ne le sait au juste, les textes ne remontant pas très haut. La première piste, en 1630, figure sur une pièce conservée aux Archives nationales de Paris : « Au chemin de Sainte Sabine ». Interrogeons aussi les vieilles pierres. L'édifice actuel semble dater de l'extrême fin du XVIe siècle : bâti en appareil de grès rose et d'allure rurale, mais liturgiquement orienté vers l'Est. On y pénétrait jadis par un portail assez monumental, aujourd'hui muré. Sous une arcade en plein cintre, le tympan repose sur des montants, dont l'un sur la gauche porte une décoration romane. Ne serait-ce pas le vestige réemployé d'une construction antérieure du XIIe siècle? Ce qui accréditerait la tradition d'une première chapelle érigée là par une Dame du Chapitre de Remiremont.

D'où cette statue en bois représentant Sainte Sabine en costume de chanoinesse, qu'on installe, le jour du pèlerinage, sur le rebord d'une fenêtre du chœur, faisant office de niche au-dessus d'un autel fleuri. Car le pèlerinage demeure bien fréquenté le 29 août. Les annales gardent le souvenir du dernier dimanche d'août 1886, où se pressaient près de 5 000 personnes. De nos jours encore, plusieurs centaines de pèlerins s'y donnent fidèlement rendez-vous, chaque année, pour une messe célébrée en plein air dans un cadre champêtre, propice au recueillement, voire à la pénitence, car on n'accède guère qu'à pied à cette vaste clairière ouvrant sur la Vallée de Cleurie. Située à 780 m d'altitude sur le territoire de Saint-Etienne, la chapelle voit affluer des gens de toute la région.

On y venait jadis, comme en maints pèlerinages, à titre curatif et des béquilles, de rustiques ex-voto, à la chapelle, témoignent encore des guérisons obtenues. D'où le dicton : « A Sainte Sabine - Tout mal affine ». Il s'y glisse aussi parfois quelques superstitions, avec ce jeu des épingles que les jeunes filles font flotter sur la vasque de la fontaine toute proche.

Même si l'origine du pèlerinage ne repose que sur la légende, le culte de Sainte Sabine a été authentiqué par Rome. Un bref du pape Clément IX, signé le 25 août 1669, accorda pour sept ans, une indulgence plénière à tous ceux qui, s'étant confessés et ayant communié, venaient prier dans cette chapelle.

La date traditionnelle du 29 août, fête de Sainte Sabine, appelle la même remarque faite à propos de Sainte Claire du Saint-Mont. Faute de savoir la date exacte de la mort de celle-ci, on la fêtait le 12 août, comme Sainte Claire d'Assisse. Dès lors qu'on en savait bien moins encore sur Sainte Sabine, on lui attribua sans façon la date du 29 août, déjà assignée à une Vierge homonyme du IIIe siècle, vénérée à Troyes, où l'un des faubourgs en perpétue le souvenir sous le nom de Sainte Savine. Concurrence liturgique dont alors, vu la distance, ne semblent pas s'être émus les bonnes gens de Champagne.

Comme pour tous les Saints, authentiques ou dépourvus d'histoire, le culte de Sainte Sabine est attesté par l'iconographie, par des calvaires, des fontaines ou des lieux-dits.
La représentation la plus ancienne est la statue de bois XVIIe siècle de la chapelle, qu'on porte en procession avant la messe, au chant d'un naïf cantique de circonstance. La Sainte figure en vitrail, avec la palme du martyre, au chœur de Saint-Etienne et au transept sud de Remiremont.

Quant aux croix, elles jalonnent l'itinéraire des pèlerins. La première se voit au col, en pleine forêt du Fossard, en bordure du chemin menant de Saint-Etienne à la chapelle, sur les pas de l'infortunée moniale. La croix figure sur la carte d'état-major sous le nom de Croix de la Sabine. Une autre surplombe, la vasque de la fontaine, avec toujours les caractéristiques du XVIIIe siècle et une inscription, hélas ! Rongée et totalement illisible. Une troisième enfin fut érigée naguère en granit, près de la chapelle, par le Dr Gaillemin, en reconnaissance à Sainte Sabine, à son retour des camps de concentration.

Outre la « Fontaine Sainte-Sabine » qui coule à deux pas de la chapelle, une autre est signalée par Marichal sur le territoire de Remiremont ; et de même un lieu-dit de Cleurie portant le joli nom de « Petite Sainte-Sabine ».

En conclusion, Sainte Sabine ne saurait, parmi les « Saintes du Saint-Mont », s'inscrire sur le même plan historique que les Claire ou Salaberge. En quoi nous entrons bien dans les vues du cher abbé Lucas, qui a refusé de lui dédier une stèle, dans l'enclos paroissial de Saint-Amé, « à toutes les gloires du Saint-Mont ».

Cependant notre florilège eût semblé incomplet aux yeux des fidèles pèlerins de notre temps, si nous n'avions pas, fût-ce par manière d'appendice, fait mémoire de cette petite Sainte, étoile mystérieuse et lointaine que tant de chrétiens ont vue et voient encore scintiller dans le ciel du Saint-Mont.